Juste pour une histoire de baguettes était une manière de résumer, oui. Mais au fond, ce récit était plus celui de son refus de l'imperfection que de sa maladresse. Séréna était intransigeante sur bien des choses, mais jamais plus qu'envers elle-même.

Mais passons, car c'était de nouveau au tour d'Auguste de jouer les pères Castorno. Lorsqu'elle entendit son nombre d'échecs au permis de conduire, notre pléiade haussa légèrement les sourcils. Vraiment ? Pourtant pour avoir été sa passagère, elle pouvait affirmer que le brun avait une conduite sûre et agréable. Cela dit s'il fallait en croire son récit, outre le dernier échec en date qui était dû à un manque d'expérience, il fallait imputer les autres à une certaine maladresse (ou au stress ? À l'inattention ?) plutôt qu'à un manque de talent.

Lèvres ourlées par la taquinerie, Séréna répondit « Je confirme que tu ne donnes pas l'impression d'avoir échoué trois fois. Tu ne semblais pas si nerveux au volant. Et est-ce de la jalousie que j'entends dans ce commentaire ? » Il est vrai que dans son cas, pas besoin de se tracasser avec le code ou les heures de conduite. A vrai dire, conduire son propre véhicule reviendrait à une rétrogradation vis à vis de son rang social. Étrange, comme tout ce qui était commun à la population moyenne était perçu comme indigne de leur éminente personne par ceux des hautes sphères.

La jeune femme eut cependant une idée. « Si tu le souhaites, je peux te prêter mon chauffeur et sa voiture. » Son petit air fripon laissait clairement sous-entendre que ce ne serait pas gratuit, en revanche.

Sous leurs pieds, le sentier allait bientôt devenir trop étroit pour qu'ils marchent côte à côte.

《 Jaloux, moi ? 》répéta-t-il avec un air faussement indigné. 《Ce serait bien mal me connaître. 》

Il y avait une part de vérité là-dedans. Quiconque le côtoyait savait qu'il n'était pas le genre d'homme à être envieux. Il reconnaissait volontiers tous les avantages offerts par la présence d'un chauffeur personnel et aurait aimé en avoir un lui aussi mais cela aurait davantage tenu du caprice que du besoin. Un tel employé n'était pas nécessaire. Pas pour lui.

《 Tatata. On ne me la fait pas. Je te vois venir. C'est louche, comme proposition. Te connaissant, le prix à payer me désignera forcément comme le perdant de cet échange. 》

Femme d'affaires jusqu'au bout de ses ongles manucurés, rien n'était jamais gratuit avec Séréna. La jeune femme était un démon. Elle promettait monts et merveilles pour mieux duper sa victime derrière. Bon, d'accord. Auguste en faisait des caisses car les actes de bonté spontanés n'étaient pas si rares de la part de la tête rose – Et Auguste se plaisait à croire qu'il en était un bénéficiaire privilégié. Néanmoins, le champion d'arène reconnaissait cet air mutin.

《 Mais soit. Admettons. J'ai vraiment vraiment vraiment besoin d'un chauffeur pour les prochains jour. Qu'est ce que tu voudras en échange ? 》

Il lui lança un regard espiègle, curieux de savoir ce qu'elle avait en tête. De l'argent ? Possible mais peu probable. Un service semblait être l'hypothèse la plus plausible. Restait à déterminer quel genre de service. La connaissant, il était en droit de s'attendre au pire.

《 Fais attention, les pierres sont glissantes. 》

S'ils s'amusaient à raconter des bêtises, le pulsar n'en gardait pas moins les yeux devant lui. Le sentier devenait étroit, pentu, et la promenade n'était plus de tout repos. Entre les racines sur lesquelles ils étaient susceptibles de trébucher et les pierres recouvertes de mousse où glisseraient chaque randonneurs, mieux valait faire attention à l'endroit où ils posaient les pieds. Auguste était naturellement passé devant, de sorte que sa douce n'ait qu'à suivre ses pas et prendre les mêmes appuis que lui.

Le sentier n'en était même pas un. Il s'agissait juste d'un passage créé par les animaux de passages – dont les derniers avaient dû être des cerfrousses, s'il se fiait aux empreintes laissées dans le sol meuble. Le genre d'endroit idéal pour perdre une cheville ou faire une mauvaise chute. Pour cela, Auguste préférait la prévenir avant qu'elle ne prenne appui sur un pierre car, à choisir, il préférait ne pas devoir revenir jusqu'à l'entrée du parc avec Séréna sur le dos.

• Capture du Evoli •

Séréna emprunta un air indigné lorsque Auguste remit en cause sa bonne foi. « Comment, tu ne me fais pas confiance ? Moi qui venais en tout bien tout honneur, je suis déçue de ta réaction. » Elle, dramatique pour essayer de le culpabiliser un peu ? Nooon, jamais. Ce n’est pas son style voyons.

Ceci dit, la jeune femme ne prenait pas si mal la réaction de son compagnon. Après tout il la connaissait assez bien pour savoir que le business coulait dans ses veines, que dans ses biberons de bébé on trouvait plus de sens des affaires que de lait. Non pas qu’elle comptait le mettre sur la paille, loin de là ; il était l’une des rares personnes avec lesquelles sa relation n’était pas uniquement basée sur le profit, ce serait bête de commencer maintenant.

Bref, Auguste n'avait pas réellement à se méfier de Séréna. Enfin sans doute, disons que tout dépend du point de vue. Tenez on va jouer à une devinette : quelle idée avait-elle derrière la tête, selon vous ? Vous êtes curieux, hein ? Ça tombe bien car le brun aussi. Vous avez jusqu'à ce que notre pléiade lui réponde pour formuler une hypothèse.
Et donc, la réponse était… « Arrête d'être aussi méfiant, je souhaitais juste te demander de me laisser prendre le volant une fois et que tu m'apprennes les bases. Je ne compte pas conduire ma propre voiture de sitôt, mais toute expérience est bonne à prendre non ? » Oui, elle était juste curieuse de savoir ce que ça faisait de conduire. Un petit tour de parking lui suffirait. Mais oserait-il prêter son véhicule à une femme plus habituée aux escarpins qu'au volant ?

En tous les cas, le couple arrivait désormais dans une zone plus escarpée du parc. La prudence était de mise s'ils ne souhaitaient pas dévaler une pente tête la première ou se fouler une cheville.
Prévoyant comme à son habitude, Auguste avait pris les devants pour ouvrir le passage et aider la tête rose. Celle-ci eut un léger sourire lorsqu'il la mit en garde contre des pierres glissantes : la manière qu'il avait de veiller sur les autres était adorable. « Je serai prudente si tu l'es aussi. » non pas qu'elle doutait des capacités du pulsar - il avait moins de chance de se faire mal qu'elle -, cependant mieux vaut prévenir que guérir.

Après quelques minutes à progresser presque à plat ventre entre les arbres, nos protagonistes arrivèrent dans une clairière lumineuse qui abritait en son centre un arbre immense. Séréna la parcourut du regard avant de se tourner à nouveau vers Auguste. « Tu connaissais cet endroit aussi ? La taille de cet arbre m'impressionne, on pourrait y abriter plusieurs lofts. »
Ça lui rappelait un peu cet hôtel dans les arbres qui avait été témoin des prémices de leur couple.

« J’accepterais, juste pour satisfaire ma curiosité de savoir à quoi tu ressembles derrière un volant. »

Si c’était là le seul prix à payer pour profiter du chauffeur de Séréna, le Pulsar était prêt à risquer son véhicule et la vie de tout ceux qui auraient le malheur de se trouver sur son chemin. Ah ! Il exagérait bien entendu mais l’idée de laisser la jeune femme s’essayer à la conduite ne le dérangeait pas. Il ne l’enverrait pas sur un boulevard de Nemerya en pleine heure de pointe mais sur une petite route de campagne ou un parking désert, il serait tout à fait possible de lui apprendre les bases. Dans les faits, conduire n’était pas très difficile mais Auguste reconnaissait que les premières heures étaient particulièrement éprouvantes. Il fallait faire attention à un tas de chose, regarder partout autour de soi et dompter cette satanée boîte manuelle. Puis, les automatismes s’installaient et tout devenait plus simples. À présent, le champion d’arène conduisait sans même réfléchir à ce qu’il faisait, de la même façon qu’il n’avait pas besoin de penser à mettre un pied devant l’autre quand il marchait.

« Même sans chauffeur à la clé, je suis partant si tu veux qu’on se trouve un moment pour que je te montre ça. » précisa-t-il avec un air plus sérieux.

Même si elle n’envisageait pas de conduire elle-même plus tard, savoir se débrouiller au volant n’était jamais perdu. Ajouter une corde à l’arc de ses compétences, quelle qu’elle soit, était toujours une bonne chose – voilà une phrase qui finirait sur la préface de sa future autobiographie.

S’ensuivirent de longues minutes à grimper des pentes toutes plus glissantes les unes que les autres. Impossible d’emprunter le même chemin qu’eux sans être équiper d’une bonne paire de chaussures sans se blesser. L’ascension n’avait pas été facile, entre les pierres où ils risquaient de se briser la nuque, les branches basses qui les obligeaient à avancer tête baissée et les racines qui semblaient prendre un malin plaisir à s’enrouler autour de leurs chevilles. Auguste n’était pas mécontent de voir enfin le passage s’élargir sur une clairière baignée par la lumière du soleil.

« Je jurerai que le chemin est de plus en plus difficile à chaque fois que je reviens. » souffa-t-il, confirmant pas la même occasion qu’il connaissait l’endroit. « C’est un très très très vieil arbre. Il n’est pas impossible qu’il existait déjà avant que Lumiris ne soit habitée par les hommes. »

Véritable colosse au centre de la clairière, l’arbre avait un tronc si large que dix hommes bras tendus ne parviendraient pas à en faire le tour. Son épais feuillage servait de refuge à d’innombrables Pokémons. Mieux valait ne pas craindre les insectes. Un sourire aux lèvres, Auguste fit mine de réfléchir à ce que venait de dire la tête rose.

« Pas faux. Mais en les mettant tous dans le même arbre, on risquerait d’entendre ce qu’il se passe dans les autres lofts. »

Il adressa un regard complice à la jeune femme. Sous-entendu évident aux voisins imaginaires qu’ils avaient dû déranger lors de leur nuit à l’Hôtel des Sylves. Ils avaient été particulièrement bruyants, ce jour-là.

« Mais j’admets que la vue de là-haut doit en valoir le détour mais vu l’ascension que cela demande juste pour arriver ici, je crois qu’on ferait rapidement faillite par manque de clients. »

• Capture du Evoli •