Sa rencontre avec Akari datait d’il y a quatre ans.
Bunji aimait à penser qu’ils avaient vécu de beaux moments, ensemble.
En vérité… de toute sa vie, c’était ce qu’il avait connu de plus proche d’une idylle.

La première fois qu’il l’avait vue, il en était tombé à la renverse.
Ils s’étaient rencontrés à la lisière d’une petite réserve forestière du Kanto, où Bunji, sans se soucier des écriteaux indiquant qu’il était interdit d’y entrer pour ne pas troubler la saison des amours des Haydaim… était parti à la cueillette aux champignons.

A l’époque, il débutait tout juste son voyage, et guère familier des rudiments de survie en plein air, il crevait la dalle en permanence. La jeune Ranger l’avait donc surpris en plein délit. En train de bâfrer, accroupi dans son coin à champignons, avec en fond deux Haydaims qui faisaient leurs petites affaires.
Elle s’était élancée vers lui, et aussitôt, il avait été subjugué.

Sa chevelure sombre qui dansait comme les ailes déployées du Cornèbre en plein ciel.
Ses yeux bleus dont le miroitement suggérait le Mont Lanakila, aux premières heures de l’aurore.
Son physique délié, et cette énergie folle avec laquelle, saisissant le premier objet qui lui était tombé sous la main : elle lui avait fracassé le crâne d’un bon coup de pelle.

Bunji en était donc tombé à la renverse. Puis resté convalescent une petite semaine, pendant laquelle, il avait eu tout le loisir de développer des sentiments pour la jeune Ranger.
…même si, plutôt que d’une pelle, ce coup-ci, c’est d’un râteau qu’elle mit un terme à leur relation.

Vous suivez toujours ?
Bien. Entrons donc dans le vif du sujet.




C’était la première fois que Bunji entrait dans un Maid Café. Et, soyons francs, l’idée de se faire servir par des jeunes femmes en tenue de soubrettes ne l’enthousiasmait pas plus que ça. Pour autant qu’il le sache (et il en savait bien peu), les établissements qui utilisaient de ce genre d’artifices cherchaient simplement à camoufler la pauvre qualité de leur cuisine.
Et la cuisine, c’était pratiquement le seul hobby du voyageur.
On ne déconnait pas, avec la cuisine.

Mais que faisait-il là, alors ?
Eh bien, ses passages à Artiesta étaient souvent motivés par des contrats ponctuels. En tant qu’Artisan Céramiste, il lui arrivait parfois d’être mandaté par la municipalité afin de participer à des événements (tels que la Kermesse de l’Etoile), des brocantes, ou d’obtenir quelques rares commandes d’ateliers et de négociants désireux de regarnir leurs échoppes.
Cette fois-ci ne faisait pas exception. Sa paye en poche, Bunji venait fêter la fin d’un contrat lucratif en compagnie de ses camarades artisans, et ceux-ci avaient décidé de profiter de l’occasion pour dépenser leur pécule dans un Maid Café.

Ses confrères échangeaient de larges sourires. Impatients de rencontrer la maid qui serait à leurs petits soins, le temps d’un repas et de quelques activités futiles.
Relativement blasé, Bunji suivait le mouvement en lorgnant sur l’établissement d’un air désintéressé. Tout au plus comptait-il déguster les spécialités locales, copier les recettes qui lui titilleraient le palais... et partir tôt.

Quand elle fit son apparition.
— Akari ! Descend, les clients sont impatients de te rencontrer !




Avec une réaction primaire, il désigna brusquement la nouvelle venue.
— Je veux celle-ci. Avec moi, déclara le jeune homme sur un ton qui ne souffrait d’aucune contestation.
— Monsieur, ce n’est pas exactement…
Bunji fit taire l’homme d’un regard appuyé, et surtout, en lui écrasant une bonne partie de sa paye dans la main. Voilà qui sembla calmer ses réticences. Le propriétaire fit signe à Akari de suivre son client à l’écart.
Ce n’était plus son problème. En vérité, il avait même déjà commencé à compter les billets…
— Wow, tu nous lâche, Bunbun ? s’étonna un de ses collègues artisans.
— M’appelle pas Bunbun…
— …il est chaud dis donc, je l’avais jamais vu comme ça…
— C’est son type ?
— Nah, je parie sur une de ses anciennes conquêtes…
— Impossible. Trop mignonne, mais elle l’a sûrement dégagé par le passé...

Se dirigeant vers la table qu’on lui désignait, Bunji accusa le coup en entendant ce dernier commentaire. C’était suffisamment proche de la vérité pour le troubler. Mal à l’aise, il s’installa en jetant un rapide coup d’œil à la carte, puis posa un regard… long, fixe, et appuyé… sur la dénommée Akari.
— …tu veux quoi ? demanda le voyageur d’une voix bourrue.

Maintenant qu’il y regardait à deux fois, la plupart des plats et des boissons portaient des noms qui n’auguraient rien de bon.
« Bulbisalade d’été », « Charmi-flan aux baies frago », « Bunbizarre fourré », « Sorbouboul du bonheur » ou « Sorbet Pomdrapi ». Avec inquiétude, le voyageur chercha sur le menu cette petite mention salutaire qui lui indiquerait qu’aucun pokémon n’avait été pressé, râpé ou fondu au cours de l’élaboration de ces plats. En vain.

Aussi, lorsqu’on vint s’enquérir de leurs commandes, Bunji repéra rapidement cinq ou six friandises qui paraissaient sans danger, et précisa d’un air équivoque qu’il était végétarien. Dans sa hâte à passer commande, il apparut évident qu’il cherchait simplement à se débarrasser des gêneurs aussi vite que possible.
La bouffe, c’était certes important.
Mais là, peu importait la bouffe.

La maid qui prit leur commande s’en alla en pouffant d’un air excité. Drôle de fille.




Ne risquant plus d’être dérangés pour un petit moment, il retourna enfin son regard sur la jeune Akari.
Et une fois encore… il ne put s’empêcher de longuement la contempler. Bon sang… elle avait vraiment une toute petite mine.
Ce trouble qu’il ressentait chez elle, cette confusion… il ne l’avait encore jamais vue comme ça.
— Ça fait un bail, lâcha-t-il d’une voix enrouée par l’émotion. Je ne m’attendais pas à te retrouver… ici.

Il se racla la gorge d’un air embarrassé.
— Et pas dans cette tenue… c’était quand même pas trop ton genre avant.
Est-ce qu’elle travaillait ici en secret ? Est-ce qu’elle avait besoin d’argent ? Bien des choses avaient pu lui arriver en quatre ans, et à l’idée qu’elle se soit empêtrée dans les ennuis jusqu’au cou, Bunji sentit un étau douloureux se refermer sur son cœur.

— Herm… tu t’souviens d’moi ?
Vu son air doucement ahuri, probablement pas.
Que représentait une semaine à soigner un guignol irresponsable, aux yeux d’une Ranger ?
Pas grand-chose. Elle devait en avoir vu passer d’autres.

Mais qu’elle se souvienne ou pas…
Ça n’avait aucune importance.
Si elle avait besoin d’aide, alors…
…alors il voulait faire quelque chose pour elle.

Le jeune homme esquissa un pauvre sourire. Cette intensité qui l’avait animée jusqu’alors commençait à s’estomper au profit d’une forme de douceur singulière. Un peu maladroite, un peu brute, que Bunji d’Izabe réservait aux trop rares individus qui avaient su toucher son cœur.

Focalisé sur son interlocutrice, c’est à peine s’il prêtait attention aux quantités qu’il dévorait.
Bunji enfourna un beignet à tronche de Chelours. Une friandise toute mignonne en forme de Chenipan fut brutalement tranchée en deux d’un coup de dent, laissant s’écouler un flot de crème pâtissière de sa petite bouche ronde. Un gros Crémy en sucre fut négligemment noyé dans le bol de chocolat chaud dynamaxé, et d’une lampée goulue, le jeune homme avala la moitié du breuvage d’un seul coup. On ne retrouva jamais le Crémy.
Pour la première fois de sa vie, peut-être, Akari observait un véritable bulldozer alimentaire en action.

C’est que Bunji d’Izabe, c’était du bonhomme solide ! Haut d’un mètre 86, en plus d’être mastoc comme un Ursaring ! C’était sûrement pas à coup de chocolats chauds petit Skitty qu’on abreuvait un gaillard pareil !

Toutefois, le jeune homme ne se contentait pas de bâfrer sans manières.
En dépit des apparences, Bunji ne perdait pas de vue ses priorités, et son attention toute entière semblait comme captivée par la présence de la demoiselle.

— Je... Je ne suis pas sûre de vous connaître... Nous nous sommes rencontrés comment ?
A ces mots : un sourire qui avait la finesse d’un fil de soie se déroula sur ses lèvres.

Akari ne se souvenait pas de lui. On aurait pourtant pu penser que leur rencontre était suffisamment mémorable !
Sauf si elle tabassait fréquemment les intrus à coup de pelle…
Comme quoi, il avait été sage de tirer un trait sur ce premier amour.

Le voyageur parut prendre la chose avec beaucoup de philosophie.
— Ça date de quand t’étais en faction aux abords de la Forêt Blanche… résuma-t-il d’une voix tranquille. Tu m’as ramassé dans un coin à champignons où j’avais absolument pas l’droit de mettre les pieds, et tu t’es occupé d’moi une petite semaine, le temps que je me remette.
Je t’ai un peu traîné dans les pattes ensuite, jusqu’à ce que tu m’dises que j’étais clairement pas ton genre. C’est à peu près tout.

Ayant fait un sort à la première vague de friandises, le jeune homme s’empara de la cuiller qui traînait à côté d’un plat qui ressemblait à s’y méprendre à la carapace d’un Volcaropod. C’était supposément du curry, à l’intérieur.
Bunji espéra que la coquille était une contrefaçon réussie, et qu’on avait pas réellement délogé cette pauvre créature de sa carapace pour y préparer la tambouille.

— Mais… quand j’ai essayé de te recontacter un peu plus tard, pour une affaire tout à fait différente : pas moyen de te retrouver, poursuivit-il en dévorant de bon appétit. Et y’a personne qu’a voulu m’renseigner.
Sur le coup, j’me suis dit que les Rangers assuraient une certaine confidentialité à leurs membres, au cas où un type pas net chercherait à se venger.

Le curry proprement achevé, quelques petits biscuits en forme de Caractroc lui fournirent de quoi mâchonner en attendant qu’on apporte le plat suivant.

— Qu’est-ce que t’as fait tout ce temps ? Ah… se reprit-il en observant la tenue de la jeune femme de haut en bas, comme s’il se rappelait soudain où il était. Remarque, t’as ptête pas envie d’en parler…

Le jeune homme se gratta la tête d’un air embarrassé, avant de relever un regard pétillant.
— Sinon, sans entrer dans les détails ou causer de c’que t’as pas envie d’causer : t’as besoin d’un coup de main ? Je peux faire quelque chose pour t’aider ?
S’il y avait des choses dont elle ne voulait pas parler, alors il n’avait pas besoin de savoir.
…cependant, Bunji n’avait aucune intention d’accepter un refus de sa part.

Déjà doté d’un tempérament problématique au début de son voyage, quatre années de péripéties en milieu sauvage ne l’avaient pas arrangé.
Désormais, Bunji d’Izabe était une vraie plaie. Akari ne tarderait probablement pas à se rendre compte d'à quel point...

Une serveuse lui apporta finalement « l’omurice au bon beurre » ou un nom du genre qu’il avait commandée au pif.
Il récupéra sa grosse cuiller dans la (fausse, j'espère) carapace du Volcaropod, mais à peine fit-il un geste pour attaquer son repas qu’une autre maid (manifestement en planque) jaillit de derrière une fougère arborescente pour s’interposer !
— Noooooon ! Cher client, vous ne pouvez pas manger votre Omurice du Bonheur comme ça ! Pas sans que votre maid préférée n’y ait jeté un sort !
— Haaah ?
Tout en expliquant à Bunji les bonnes pratiques de consommation de l’Omurice, la maid inopinée tendit à Akari une petite bouteille de ketchup.

Silence.
Peu d’individus savaient manier le silence comme Bunji d’Izabe.
Lui conférer une âme. Du poids. Du tranchant.
L’espace d’une seconde seulement, quelque chose était passé dans le regard d’obsidienne du jeune homme. Quelque chose de primal. De menaçant.  

Eclaboussé de ketchup, Bunji tendit la main.
Littéralement un battoir. D’une largeur démesurée, aux doigts cornés, poncés par l’argile et par les flammes.
Une main pareille, c’était pratiquement une arme.
Qui se rapprochait dangereusement d’Akari.

Dans un silence tendu à rompre, le voyageur se pencha par-dessus la table. Et l’empoigna.
La fautive. La criminelle. La… petite bouteille de ketchup.
D’une pression soudaine, Bunji vida le peu que contenait encore le flacon.
Sproutcht ! Le geyser de rouge liquide remonta à toute-vitesse…
…et s’écrasa dans la figure de la petite maladroite.  




La tension se relâcha d’un coup. Mélanie eut un petit rire nerveux. Le propriétaire se rendit soudain compte qu’il retenait son souffle. Ses collègues artisans… s’étaient à demi-redressés.
Prêts à intervenir ? Pourquoi ?
Car pour l’avoir fréquenté, eux, savaient… qu’avec Bunji, on ne savait jamais.
Le jeune céramiste pouvait accepter la pire insulte, sans broncher, mais aussi s’enflammer pour de petites choses réellement insignifiantes.

— Vous… vous voudrez peut-être vous débarbouiller, tous les deux ? proposa la serveuse avec un sourire figé, plaqué sur les lèvres. Akari, tu veux bien emmener monsieur aux toilettes ?




Au moment où Akari voulut l’abandonner dans les WC pour hommes, c’est sans se retourner que Bunji referma la main sur son épaule. Pour la retenir. Sans doute son mouvement fut-il un peu précipité, car il l’attira avec lui à l’intérieur, laissant la porte se refermer derrière eux.

Le voyageur sourcilla.

On ne pratiquait pas le Kumite depuis l’âge de sept ans sans acquérir une solide connaissance de l’anatomie humaine. Les doigts de Bunji savaient reconnaître des muscles entraînés, déceler les différences de morphologie subtile, d’un individu à l’autre. Masculin ou féminin.

— Tu réalises que tu viens de faire rentrer une Maid dans les toilettes pour hommes ? De plus, pour commencer par les bases du règlement intérieur, il est strictement interdit de toucher une Maid, alors... évite de me tripoter !
— Oui, je…
Bunji ne termina pas sa phrase, l’air confus. ...je voulais te donner une occasion d’expliquer ta situation sans que ton patron et tes collègues ne puissent t’entendre. Mince, elle n'avait pas du tout compris ses intentions, et plus grave encore : il l’avait mise en pétard. Heureusement, il n’y avait pas de pelle dans les parages, mais il se méfiait du balais-brosse qu’il voyait traîner à l’angle du mur.
Comme un Voltoutou pris en faute, Bunji afficha une petite mine piteuse pendant qu’elle lui faisait des remontrances.
— L'idée que tu puisses te tromper de personne ne t'a vraiment pas effleurée l'esprit ?
...hein ?
— Ma robe n'est pas tâchée alors, je vais t'aider en expliquant clairement et calmement les choses.
…parce que la soubrette est plus importante que les explications ?
— Je ne me souviens pas t'avoir rencontré un jour. Je suis amnésique et, j'avoue que je t'ai accordé le bénéfice du doute, car je ne possède que les quelques derniers mois en guise de souvenirs, mais il s'avère que j'ai un petit quelque chose témoignant que je ne suis pas la personne que tu as connue. Navré, je ne me suis moqué de toi à aucun moment.
…amnésique ?
Bunji cligna une première fois des yeux, puis chercha dans le regard de la jeune femme une trace de sa sincérité. Elle n’avait pas l’air de se payer sa tête...
Déjouer les mensonges n’était pas la spécialité du voyageur, et à chacun de ses passages à Artiesta, il sautait inévitablement dans une ou deux arnaques – fichu vendeur de Magicarpes – mais…
 
Akari avait toujours eu ce regard-là.
Direct et franc. Qui inspirait confiance.
Aujourd’hui encore… Bunji avait envie de faire confiance à ce regard.

— Okay… dit-il lentement, tandis qu’il retournait les paroles de son interlocutrice dans son esprit. Ecoute… si t’es amnésique, je serais tenté d’croire que c’est bien toi, au contraire. Et qu’il t’es bel et bien arrivé un truc pas net. Mais si t’as une preuve du contraire, ben… montre-la.

Le jeune homme se gratta pensivement la tête. Il ne lui était pas difficile de croire qu’Akari était amnésique. Il ne lui était pas difficile de croire à n’importe quoi, en vérité. Bunji n’avait qu’une réserve très limitée de sens commun : c’était sa force, mais aussi sa faiblesse.
— Ouaip. Montre-la, et si j’la trouve convaincante, j’accepterais que t’es pas la personne à qui j’pense.

L’idée lui paraissait raisonnable.
Même si cette maid n’était pas son Akari, elle lui ressemblait beaucoup. Et pourquoi une amnésique porterait-elle le même nom que la Ranger de ses souvenirs ? Un nom qui n’avait rien de commun, d’ailleurs. Une simple coïncidence ? Né dans un petit temple traditionnel aux confins de la région Hoenn, Bunji croyait à de nombreuses choses : au Karma, à la Roue du Destin et aux Neuf Préceptes d’Equilibre… mais pas beaucoup aux coïncidences.
— …mais que ça soit toi ou pas… ça veut pas dire que t’as pas b’soin d’un coup de main, reprit-il avec un sourire tranquille.

Vu les circonstances : la jeune maid s’était d’abord attendue à une réaction explosive : Akari, démasqué ! Son Ursaring-de-client qui entre dans une colère noire ! Une course-poursuite féroce qui s’ensuit dans tout l’établissement ! Les forces de police qui font irruption pour évacuer l’enragé, qui jure à corps et à cri qu’il reviendra pour se venger !
Mais il n’y avait rien eu de tout ça…
…et ça faisait bientôt dix minutes qu’ils étaient tous les deux ensemble dans les WC.

Aussi… c’est un scénario d’un tout autre genre qui commençait à se profiler dans l’esprit de Mélanie.
Son crayon s’agitait frénétiquement. En attendant de pouvoir rentrer chez elle et de coucher tout ça par écrit, la jeune femme se servait de son petit bloc-notes de commandes comme d’un carnet de croquis.
Les idées abondaient ! Un jeune homme efféminé et maladroit, au regard d’une douceur céruléenne, pourchassé assidûment par un costaud aux mains puissantes, aveuglé par la passion ! Ooooh, la matière première était tout simplement fabuleuse ! Elle allait dessiner un doujinshi du tonnerre, et sa prochaine participation à la convention de manga amateur d’Artiesta ferait de sacrées étincelles !

Mélanie s’essuya un filet de salive à la commissure des lèvres. Quinze minutes s'étaient écoulées… mais que faisaient-ils là-dedans ? La jeune maid n’y tenait plus. Il fallait qu’elle sache.
Délaissant son travail, elle s’était rapprochée – petit à petit – jusqu’à coller l’oreille contre le battant de la porte.




Bunji lança un regard dubitatif à la jeune femme.
Elle ne semblait pas disposée à lui montrer « ce petit quelque chose qui témoignait du fait qu’elle n’était pas l’Akari de ses souvenirs.»
Il hésita. Devait-il insister ?
Non, mieux valait patienter…

En assumant que la maid fut réellement amnésique (et Bunji n’avait pas l’intention de douter de sa parole), il n’était peut-être pas surprenant qu’elle rechigne à livrer le peu d’informations qu'elle avait rassemblées quant à son identité. La preuve dont elle parlait devait être un souvenir récent. Un détail. Un petit quelque chose qui ne cadrait pas avec le profil de la Ranger Unysséenne qu’il avait brossé pour elle.

Néanmoins, à ce stade… qu’il s’agisse réellement de son Akari ou non, ce n’était plus vraiment l’important.
S’il s’agissait bel et bien de la Ranger, alors il aurait l’occasion de lui retourner la bonté qu’elle lui avait témoignée à l’époque.
S’il s’agissait d’une tout autre personne, alors il existait peut-être un lien (même ténu), ou un indice quelconque qui lui permettrait de tirer au clair la disparition mystérieuse de la Ranger homonyme.  
Dans un cas comme dans l’autre, pour que les choses avancent, il lui faudrait démêler cette situation. Aussi, Bunji ne voyait pas d’objections à l’aider, dans la mesure de ses moyens.

Et puis… s’il ne pouvait pas comprendre l'affliction de la jeune femme, il en allait autrement pour les émotions qu’elle devait ressentir. Solitaire en Lumiris. Etrangère à tous et à toutes. Sans personne vers qui se tourner… lui-aussi, était passé par-là.
En réponse au clin d’œil de la demoiselle, Bunji eut un mince sourire.

Le jeune homme vint se planter devant le lavabo où elle s’était assise…

— Demande c’que tu veux.
 
…puis, il ôta sa chemise.




Mélanie entrebâilla… puis referma aussitôt la porte, avec un « clac » discret.
Les deux mains sur la bouche, elle sautillait énergiquement sur place, et en silence, comme pour chercher à évacuer le trop-plein d’excitation qui déferlait en elle.

Ayant refermé la porte trop vite pour réellement comprendre ce qu’elle voyait, son imagination lançait des feux d’artifices : Akari, juché(e) sur le lavabo dans une posture empreinte de séduction. Le client qui retire ses vêtements en se déclarant à son service…
Le cerveau de la jeune maid refusait de comprendre que Bunji s’installait au lavabo d’à côté, et ce, dans le seul but de nettoyer ses fringues dégueulassées de ketchup.

— Bunji d’Izabe, se lança le jeune homme d’une voix monocorde, céramiste itinérant. Les collègues qui m’ont traîné ici sont des artisans employés par la municipalité. On vient de livrer les décorations visant à embellir le parvis et l’intérieur de la petite église Galarienne, sur la Place Exagide.

Tout en parlant, les grosses mains du voyageur expurgèrent le jus de tomate sucré de la fibre du tissu. Ses gestes étaient précis, sinon méticuleux, et en dépit de la simplicité de la tâche : le jeune homme semblait y accorder toute son attention. De fait, les mots étaient placides entre ses lèvres. Mous et sans éclats. Comme un aveu implicite que tout ce qu’on pourrait apprendre à son sujet ne présentait que très peu d’intérêt.
Qu’il était bien plus important de nettoyer correctement son vêtement.
Après tout, c’était sa seule chemise.


— Quelqu’un nous espionnait... !!
Essorant sa chemise sans mot dire, le jeune homme l’observait maintenant avec curiosité.
— Tssk… Je vais probablement essuyer encore plus de moqueries après le service… Comme si j’avais réellement besoin de ça !
Il enregistra patiemment l’information, cependant…
— Nous n'avons que trop trainés ici… Essayons juste de nous faire discrets en retournant à notre table…
…lorsqu’Akari fit mine de retourner dans la salle commune, Bunji l’arrêta d’une main tendue, en prenant soin de ne pas la toucher cette fois.

— …il suffit qu’on ne te voit pas revenir ? demanda-t-il distraitement. Attends cinq minutes.
Et sur ces paroles, le voyageur fit claquer sa chemise humide sur son épaule, puis sortit des toilettes torse-nu.  

Emergeant du petit-coin, Bunji balaya l’intérieur du Maid Café du regard. Même à cette heure matinale, il y avait déjà trois groupes de clients, dont ses collègues, installés chacun avec leur soubrette désignée. Il marcha sans se presser vers la table qu’on lui avait attribuée, s’attirant des regards curieux aussi sûrement que s’il s'était badigeonné la poitrine de Super Miel.
Ben oui, il était torse-nu.

Dans le regard des clients anonymes, il lut simplement l’incompréhension et l’amusement.
Dans le regard de ses collègues, il lut une profonde consternation, et ils avaient l’air de se demander « mais qu’est-ce qu’il a encore fabriqué, ce cornichon ? ».
Dans le regard des maids, il lut un intérêt vif et profond, et peut-être même davantage dans celui de cette jeune femme aux yeux écarquillés et à la frimousse rougissante, qui le contemplait en haletant comme un petit Voltoutou sauvage.
…il n’était pas nécessaire d’être d’une perspicacité foudroyante pour deviner qu’il avait repéré ladite espionne.

Et maintenant, que faire ?  Comment bricoler une situation telle qu’il paraisse naturel qu’Akari le rejoigne ? Et surtout, comment faire pour que les témoins de la scène aient autre chose à penser que le fait qu’ils se soient éclipsés ensemble dans les toilettes pour hommes ?
Ah, il avait une idée.













— Oups, lança Bunji, tandis que ses camarades se protégeaient des projections de bave et d’aliments à demi-mâchés !
Les artisans brandissaient assiettes et serviettes à la manière d’une levée de boucliers, et déjà, une armée de Maids équipée de balais-éponges se précipitait en renfort !
Voilà. Qu’Akari sorte ou non des WCs pour hommes, à cet instant… tout le monde s’en fichait.

Simulant mollement la panique, Bunji déclenchait le laser de rappel de sa pokéball en prenant bien soin de rater sa petite nouille de Mascaïman.
Le pokémon – n’ayant pas même reçu l’ombre d’un dressage – était aussi sauvage qu’au premier jour, celui de leur rencontre dans le désert. A l’époque aussi, il avait plongé la tête la première dans la petite marmite de ragoût que Bunji avait apporté pour le goûter.
Une saucière sur la tête, Mascaïman poursuivait donc son carnage en se jouant des lasers et des doigts manucurés qui essayaient de l’attraper.
…ça suffit maint'nant, j'pense...? Constatant qu’Akari avait profité de la panique ambiante pour regagner son siège, Bunji cessa finalement ces simagrées et rapatria le pokécroco dans sa pokéball.

Un silence hébété retomba sur le petit Maid Café. Seules étaient audibles les respirations courtes et hachées par l'effort des pauvres employées, ayant dû lutter contre l’horrible petit démon.
Se dirigeant vers sa table sans se soucier des regards outrés, sinon haineux, qu’il sentait éclore dans son dos, le jeune homme rejoignit Akari. Avec une mimique interrogative, il désigna ensuite la chemise de l’index, et sur une réponse positive de la soubrette, Bunji enfila le vêtement.
Il grimaça. …c’était carrément serré aux entournures.
Il allait falloir éviter les mouvements brusques.

— On est un peu à l’étroit là-d’dans. …sérieux, le type à qui ça appartient est charpenté comme une baguette.

Bunji entendait paisiblement se rasseoir quand il entendit un « Hahem… » insistant dans son dos. Vu que c’était loin d’être suffisant pour que le jeune homme ne détourne les yeux de son Akari : les raclements de gorge s’intensifièrent. Se firent bientôt à la fois sirupeux et menaçants. C’était un talent incroyable que de faire passer de telles émotions dans un banal raclement de gorge.

En tout cas, la menace était réelle. Et suffisante pour éveiller l’instinct de survie de Bunji, qui se retourna vivement pour croiser le regard intense et brillant du patron.
— Cher client… pouvons-nous aborder la question du paiement ?
— Ouais… ?, répondit le jeune homme, presque sur la défensive.
— En comptant la casse, les commandes, et puis les frais de…
On lui annonça un montant scandaleux Néanmoins, aux yeux du voyageur, les tarifs étaient toujours exorbitants à Artiesta. Il se souvenait d’ailleurs d’un vendeur de Magicarpes qui n’était pas passé loin de le mettre sur la paille. Il acquiesça donc une nouvelle fois, puis plaça simplement l’enveloppe contenant son salaire entre les mains cupides du petit homme.
Présentement, l’argent n’était qu’un détail. La situation d’Akari seule méritait son attention.

Comme un Matoufeu gratté dans le sens du poil, le patron commença à s’éloigner en poussant un petit ronronnement de béatitude. Qui se mua bientôt en coassement d’indignation étranglé. Plus vif que ne le laisserait soupçonner son physique reflet, le petit homme fut de retour en un éclair.
— Ch-… cher client, il doit y avait une erreur. Le compte n’y est pas du tout.
Bunji soutint sans trembler le petit regard lupin et appuyé du patron. Avec ces sales bestioles-là, ne jamais baisser les yeux le premier.
— C’est tout c’que j’ai, déclara-t-il sans ambages.




Tout à coup, la situation devenait problématique. Vaguement.
Bunji méditait la situation : il n’avait pas l’argent qu’on lui réclamait. Si l’insistance et les regards mauvais du patron – qui exigeait d’être payé – ne le dérangeaient pas outre-mesure, son attitude mettait toutefois en péril sa relation renaissante avec Akari.
Le petit homme surveillait la porte et menaçait de prévenir la police, comme s’il s’inquiétait sérieusement de voir son client prendre la poudre d’escampette. Ce qui n’aurait pas été très difficile, mais contrairement à ce que laissait augurer son apparence... Bunji n’avait jamais commis même le plus petit délit. Et il n’avait pas l’intention de commencer maintenant.

Son regard s’égara brièvement du côté de ses camarades artisans, qui essuyaient en grommelant leurs vêtements tachés de sauce. S’il baissait la tête et leur demandait poliment de l’aider, sûrement accepteraient-ils de lui avancer l’argent. Et même si c’était au-dessus de leurs moyens, une coordinatrice pokémon de sa connaissance habitait également Artiesta.
…mais Lisa ne roulait pas spécialement sur l’or non plus. Et de toute façon, il avait causé cette situation lui-même.
Il la résoudrait donc par ses propres moyens.

— Z’avez pas un job que j’peux faire pour vous rembourser ? commença-t-il en interrompant la logorrhée du patron d'un geste de la main. Serveur, videur, cuistot ? Mine de rien, j’ai pas mal d’expérience. Et ma Bulbisalade est carrément meilleure qu’la vôtre.

Prononçant ces paroles, Bunji d’Izabe ne s’imaginait pas… qu’il venait de creuser sa propre tombe.

Assis en tailleur sur sa chaise, Bunji contemplait le patron d’un air méditatif.
— …vous vous moquez de moi ?

Bien à l’aise dans son fauteuil, le petit homme secoua la tête. Il avait gagné en présence depuis son retour dans son bureau. Tout dans son attitude, dans le ton de sa voix... exsudait d’une assurance tranquille. Après tout, il se trouvait désormais dans sa place forte. Siège de son autorité. Là où il avait triomphé d’un nombre incalculable de jeunes crâneurs. Terrassant leur ego et les soumettant à sa volonté.

Néanmoins le dénommé Bunji d’Izabe n’était pas de ces âmes faibles, qui pliaient facilement.
Elevé dans la plus pure tradition monastique du Hoenn oriental, ses ressources spirituelles n’étaient pas à sous-estimer.
— …z’êtes en train de me dire que y’a des types qui viendraient pour que j’leur serve le café en porte-jarretelles ?

Le propriétaire écarta les mains d’un air désabusé.
— Surtout des femmes.

Choc culturel. Bunji accusa un peu le coup.
Décidément, les citadins étaient des créatures terrifiantes.
— …et en deux semaines, c’est bon ? répéta le jeune homme d’une voix légèrement hésitante.








Soudainement, Bunji d’Izabe se retrouvait face à face avec lui-même.
Travailler pour rembourser sa dette. C’était honnête. Dans l’idée, cette solution lui paraissait tout à fait satisfaisante.
…mais est-ce que ces simagrées étaient bien nécessaires ?
Se travestir, prétendre être quelqu’un d’autre pour le plaisir de la clientèle, lui causait une gêne qu’il n’aurait pas su s’expliquer...
Plus que le ridicule, ces faux-semblants lui déplaisaient. Ils étaient l’âme d’Artiesta, et la raison pour laquelle séjourner ici lui était aussi désagréable.  

Sans aucun signe externe visible… son animosité explosa.
Une pointe de colère ardente fichée dans l'estomac, le jeune homme fit l'effort d'étudier plus en détail son futur employeur.
Cet homme menait une affaire basée sur la tromperie et l’exploitation des penchants discutables d’une clientèle frivole.
Bunji refusait d'être complice de cette hypocrisie. Néanmoins... il ne voyait pas d’autre alternative. Inutile d’emprunter de l’argent à qui que ce soit quand il disposait déjà du moyen de régler le problème.
Et puis… il y avait Akari.
— …c’est d’accord, chuchota-t-il, avec une réticence bilieuse qu’il sentait pratiquement lui remonter des entrailles.
Au moins l’amnésique ne serait pas seule dans cette galère.
L’entretien touchant à son terme, Bunji referma délicatement la porte derrière-lui, coulant un dernier regard au petit homme.

Bunji faisait abstraction.
Les regards en coin et les rires discrets ricochaient sur sa carapace.
A une étape de sa vie, ces moqueries lui avaient été complètement naturelles. Désirables même… comparées à la méfiance et à l’hostilité, les railleries ne lui brûlaient simplement pas autant. Pour atténuer la suspicion, il avait appris à se tourner lui-même en ridicule.

Ecoutant distraitement les directives du patron, son regard s’égarait ponctuellement du côté d’Akari.
Même maintenant, il avait l’impression de retrouver la Ranger de ses souvenirs.
Ses pensées formaient un nœud confus et inextricable.
— Tu écoutes, Bunji ? lui demanda Mélanie, qui semblait l’avoir adopté.
— Bien sûr.
Ils étaient passés au tutoiement à l'instant. ...ils avaient enfilés leurs collants ensemble, après tout.
Le jeune homme adressa un mince sourire à la maid. Il n’avait pas vraiment besoin de son aide. La cuisine étant un de ses rares hobbies, il s’était toujours arrangé pour trouver de l’emploi dans la restauration, principalement en tant que serveur, à chaque fois que les difficultés financières l’avaient empêché de poursuivre son voyage
— Bon…
Il fit craquer son cou.
— On va commencer par quelque chose de s…
Puis dans une virevolte de dentelles, il passa à l’action.
— …où tu vas !?



Lancé avec tranquille détermination, il tira délicatement la chaise à une cliente désarçonnée pour l'aider à s’installer, puis fut dans l’entrée pour accueillir et prendre les manteaux. Il escorta un jeune étudiant tétanisé par le choc, pivota souplement pour prendre deux commandes de boissons hésitantes, puis revint auprès de Mélanie avec naturel tel qu’il semblait avoir fait ça toute sa vie, et sans paraître se rendre compte du silence d'outre-tombe qu'il laissait dans son sillage.
— Table 4, j’ai entendu la cliente commander une omurice du bonheur…
…ayant sauvagement dévoré la plus part des mets, un peu plus tôt, la carte du café n’avait déjà plus de secret pour Bunji.
— T’veux que je fasse le truc avec le ketchup ?
Son petit sourire tordu retrouva le chemin des lèvres de Mélanie. Elle lui confia la petite bouteille de condiment qu’elle conservait dans la poche de son tablier.

— J’fais ça en deux secondes puis je porte les commandes au bar.

Immédiatement, il se présenta à la cliente qu’il venait d'aider.
— Yo.
Légèrement plus vieille que lui. Avec des lunettes à monture épaisse, des taches de rousseur et le regard fuyant.
Bunji dut se pencher en avant pour être sûr de bien capter toute son attention.
— C’est quoi vot’ nom ?
— C-caroline… ! hoqueta la jeune femme en clignant follement des yeux.
— Un cœur, ça ira ?
— Hein… ? Euh… oui ?
D’une pichenette du pouce, le voyageur déboucha son flacon de ketchup. Et commença.
Les mouvements secs et sifflants de son poignet rappelèrent alors la chanson du vent. Et c’est avec l’adresse du calligraphe sûr de son art qu’il fit émerger un cœur rouge vif à la surface de l’omelette dorée, écrin dans lequel s’imbriquait à la perfection un « Love-Love-Caro ».




Sans écouter les remerciements timides de la cliente, le jeune homme se dirigea vers le comptoir.
Et sans réfléchir, il s’accouda et lista rapidement les commandes de boisson qu’on lui avait passées. Un Bulbijus, un chocolat chaud petit Skitty et trois Mokapoera.
— T’vas t’en sortir ? T’veux un coup d’main ?
Lorgnant pensivement sur Akari, qui lui inspirait encore une émotion perplexe et contradictoire… son esprit trouva soudain une porte de sortie bien pratique.
Tout à coup, les yeux du voyageur étincelèrent d’un éclat furtif et mauvais.

Ostensiblement, très clairement avec l’air de frimer, Bunji fit tournoyer la petite bouteille de ketchup entre ses doigts, faisant rouler le flacon entre chacune de ses phalanges... avant de la faire claquer sur le comptoir d’un coup sec et maîtrisé. Il croisa ensuite le regard de l’amnésique.
S’pas si dur d’verser du ketchup, quand même, semblait dire son sourire en coin.

Le fait d’avoir roulé des mécaniques devant la bigleuse de tout à l’heure, Caroline, semblait avoir fait son petit effet.
La jeune femme s’était empressée de contacter l’une de ses amies, et pas moins de vingt minutes plus tard, ils se retrouvaient tous les quatre autour de la table à déguster une tasse de chocolat chaud petit Skitty, le petit doigt en l’air.
…et comme si cela ne suffisait pas, les deux amies avaient en tête une idée bien plus diabolique encore.

Un large plateau de jeu coloré leur faisait face. Celui-ci représentait très sommairement la géographie du Kanto, et était orné d’une banderole rose intitulée « POKEACTION OU VERITE ». Avec des fleurs pour mettre les points sur les « i ».
Un parcours quadrillé vous menait d’arène en arène jusqu’à la Ligue Pokémon, mais…
…les illustrations étaient de très mauvais goût.

— C’est très facile, expliqua Mélanie avec un air de profonde béatitude. Vous lancez le dé, chacun votre tour, pour faire avancer votre pion sur le parcours. A chaque case, vous rencontrez un nouveau pokémon. Pour le capturer, vous devez remporter l’un des deux défis qu’il peut proposer. Et pour cela : déclarer « action » ou « vérité ».

Si vous choisissiez « action », le pokémon vous demandait de faire quelque chose.
Si vous choisissiez « vérité », le pokémon vous posait une question à laquelle vous deviez répondre.

Dit comme ça, le jeu paraissait presque amusant.
…mais lorgnant sur la tronche abjecte de chaque pokémon, le voyageur ressentait comme un terrible malaise. Cette intuition qu’il avait affûtée au contact du monde sauvage s’emballait. Dans cette situation, même s’il ignorait comment, même s’il ignorait pourquoi… Bunji d’Izabe était en danger.

Il échangea un regard éperdu avec Akari.  


Il existait des règles spéciales permettant de remporter des badges, d’intervertir les pokémons, de les envoyer harceler vos rivaux… mais je ne vais pas m’y attarder, car Bunji, qui tendait déjà une main tremblante vers la notice d’utilisation, se la fit confisquer par une Mélanie hilare qui lui promit que c’était « plus amusant de découvrir ».
…il avait été bien naïf de considérer cette fille comme une alliée.
Mélanie l’aimait bien… mais avant tout, elle était dévouée à ses intérêts particuliers.

— Honneur à nos chères clientes ! Audrey, vous commencez ?
Bruits du dé qui roule sur la table. Bunji se demande ce qu’il fait ici.
— 6 ! C’est Evoli ! Vous commencez donc à Céladopole. Action ou vérité ?
Peut-être que ce ne serait pas une si mauvaise idée que de s’enfuir en courant.
— Vérité !
Il pouvait déclencher une Tempête de Sable dans le Maid Café et profiter de la distraction.
— Oh oh oh !? s’enflamma Mélanie. On commence tout de suite avec les questions croustillantes : à quel âge avez-vous eu votre premier baiser ? Dites-nous-dites-nous-tout !
Donner le patron en pâture à Trépassable… mais seulement après l’avoir affublé d’une soubrette.
— 14 ans... ? Oui, je crois bien que c’était…
Forcé d’écouter le récit d’une amourette de collège qui avait commencé en ramassant la gomme d’un garçon assis à côté d’elle, Bunji sentit son âme s’élever.

Maîtresse de jeu au comble du bonheur, Mélanie claqua joyeusement dans ses mains.
Ses petits yeux chafouins papillonnaient d’une maid à l’autre. Elle était extatique.

— A vous de jouer, Caroline !
Bunji touillait son chocolat chaud petit Skitty.
— 3, Carapuce !
…d’un regard vide, il contemplait la petite cuiller brillante.
— Action ou vérité ?
…ce ne serait pas facile d’ouvrir la gorge à Mélanie avec un si piètre outil.
— Action… ?
…le cas échéant, il faudrait s’en contenter.
— Voyons, voyons… vous devez… oooooh ! Caresser du bout du doigt le lobe de l’oreille de votre partenaire.
Et tandis qu’on lui triturait timidement le lobe de l’oreille, Bunji sentit cette réalisation s’imposer à son esprit : « Je veux mourir. »
— Akari, à toi ! susurra Mélanie, qui lui proposait le dé avec un sourire diabolique.



Equipes
— Audrey/Akari
— Caroline/Bunji

Tours de jeu
— Audrey, Caroline, Akari, Bunji

Zones de départ
— Audrey : Céladopole
— Caroline : Azuria

Pokémons défiés
— Evoli, Vérité : « à quel âge avez-vous eu votre premier baiser ? »
— Carapuce, Action : « caressez du bout du doigt le lobe de l’oreille de votre partenaire. »