Au dehors, l'agitation est à son comble. On commandite les équipes, on surveille depuis l'extérieur les réactions des murs et du sol fragilisés des conduits, et on garde un œil sur votre progression – tant sur les écrans qui retransmettent en direct les images que vos caméras capturent que par la localisation GPS que l'on a intégrée au matériel et qui indique votre position sur une carte plus ou moins à jour des sous-sols de l'église.

Un soupir de soulagement parcourt l'assemblée lorsque vous sortez sans encombres du premier conduit – non pas que le plus difficile soit passé mais, au moins, vous êtes entrées.

Très bien, les filles, vous nous recevez ?

Les communications sont claires, le bruit blanc léger. Vous entendez distinctement la voix de votre guide, et la confirmation lui arrache un sourire confiant.

Vous êtes dans la première antichambre. Vous devez avoir une entrée droit devant. Dans quel état est-elle ?

Lorsque vous repérez ladite entrée – et contre toutes attentes du scénario –, elle est intacte. Un peu plus large que le conduit dont vous venez de sortir ; ce couloir est presque une promenade de santé. On vous invite à avancer, et le trajet se déroule sans encombres, l'espace d'une petite dizaine de minutes dont vous pouvez profiter pour faire connaissance, si vous le désirez.
Vos conversations finiront par être interrompues lorsque vous vous retrouverez face à une seconde antichambre dont les sorties paraissent condamnées. Des poutres se sont effondrées, et elles sont bien trop lourdes pour que vous – ou vos Pokémon – puissiez ne serait-ce que songer à les déplacer.

Dans l'oreillette, vous saisissez des mots qui ne vous étaient pas destinés – une voix étouffée, comme si l'homme avait posé sa main sur le micro mais que ça n'avait pas été suffisant pour couvrir tout à fait sa voix.

Putain, c'était pas prévu, ça...

Et puis d'autres, des intonations qui hésitent, On les fait continuer ? et puis un long silence qui s'achève sur un soupir tandis que la voix de votre interlocuteur s'éclaircit de nouveau.

Bon, les filles. Ça va devenir un peu compliqué, mais vous ne craignez rien, d'accord ?

En est-il bien certain lui-même ?

Vous pouvez éclairer tous les murs autour de vous, qu'on voit un peu les possibilités ? Oui, comme ça… Parfait… Ah ! Sasha, ne bouge plus. Tu vois ça ?

Une seconde entrée, depuis longtemps condamnée – on a solidement fixé des planches épaisses devant la bouche béante qui mène à un autre couloir mais, dans le coin inférieur, l'humidité et les Fermites ont durement entamé le bois, créant un interstice juste assez grand pour laisser passer un enfant…
(Ou des lolis.)

Vous pensez pouvoir vous y glisser ? Nous allons continuer de vous guider à partir de là. Ça risque juste d'être un peu plus humide que poussiéreux. J'espère que vos fringues valaient pas trop chers.

Il tente un trait d'humour mais sa voix tremble.
Peu importe.
Vous avez la vie de trois enfants entre vos mains.

Lorsque vous serez passées de l'autre côté de l'entrée condamnée, vous sentirez une odeur un peu lourde de renfermé. De l'eau souillée suinte des murs et jusqu'au sol, recouvert de mousse et de végétation sauvage qui a établi son règne ici. L'endroit est abandonné depuis longtemps.
Vous pourrez sentir un courant d'air froid sur votre nuque et, plus vous avancerez, plus vous frissonnerez. De froid ou d'angoisse – vous vous sentirez épiées, observées. Vous entendrez le bruit de la pierre qu'on érafle, le son de respirations ténues, peut-être même des ricanements lugubres, mais à peine inaudible.
Chaque fois que vous vous interrogez, que vous questionnerez votre interlocuteur, on vous répondra : Avancez. Tout va bien. ou une variante similaire qui ne vous laissera pas le choix.

Alors, vous avancerez. Jusqu'à ce que vous soyez trop loin de l'entrée pour faire marche arrière maintenant et prendre le risque de revenir bredouille. Alors, vous continuerez d'avancer. Jusqu'à ce que vous entendiez vos communications avec l'extérieur se brouiller.

Et jusqu'à ce que résonne le hurlement de terreur d'un enfant, loin devant vous.

Vous courrez, comme si votre vie en dépendait – comme si celle d’un enfant en dépendait. Le hurlement s’est tu, aussi brusquement qu’il a retenti, mais tout autour de vous résonnent des sanglots. Ils vous paraissent tantôt humains, tantôt pâle imitation spectrale ; la réverbération déboussole vos sens. Ça vient d’ici et d’ailleurs, de partout à la fois – en face de vous, dans votre dos, des murs, sous vos pieds et même du plafond. Si vous vous risquez à observer les profondeurs des renfoncements dans les murs, vous pourriez sans doute apercevoir une paire d’yeux ou deux, qui vous fixent ; des prunelles luisantes et malignes qui s’amusent de nos émotions – se nourrissent de vos peurs.

Les couloirs paraissent sans fin – toujours plus sombres et plus humides, les bruits de vos pas et de vos souffles sont étouffés, comme calfeutrés. De la mousse a poussé sur les briques, et c’est peut-être bien elle qui empêche les sons de porter. Vous avez sans doute chaud, ou froid, ou un peu des deux ; les pommettes rougies par votre course mais la peau gelée par les courants d’air frais qui semblent monter d’une surface que vous n’apercevez pourtant pas.

Les rires se sont tus, eux aussi.
Ne reste que le clapotis des gouttes qui ruissellent le long des murs ou tombent du plafond, et un souffle que vous ne parvenez pas à identifier – brise légère ou respiration lourde ?

Vous venez d’entrer dans une salle immense – éclairée par des flambeaux aux flammes bleus qui font danser des ombres lugubres sur la pierre. Le sol est en carrelage, les murs en pierre incrustés de verres colorés assemblés en mosaïques abstraites qui vous évoquent des scènes de guerre et de violence – malgré la lumière bleue, vous saurez peut-être discerner les contours grossiers d’un Giratina en pleine lumière.
Au centre de la pièce, comme un autel – promontoire couvert d’une substance sombre, sèche depuis longtemps (quelque chose me dit que vous préféreriez ne pas comprendre ce dont il s’agit) entouré de bougies et de pièces d’or, de pendentifs précieux et de cristaux bruts.

L’endroit, si l’on oublie l’humidité ambiante, ne paraît pas abandonné. Vous seriez même prêtes à parier que quelqu’un est venu ici il y a peu. Loin d’être rassurante, l’idée vous inquiète même peut-être.

Vous regardez autour de vous – en plus du couloir dont vous venez, trois autres s’ouvrent sur la salle. Trois issues. Vous ignorez tout des catacombes et vos oreillettes grésillent toujours. Plus aucun bruit pour vous guider.
La situation vous paraît peut-être désespérée.

Et puis, brusquement, alors que vous vous approcher d’un des couloirs, vous sentez un regard peser sur votre nuque. Une paire d’yeux vous fixe – vous en êtes certaines.
Lorsque vous vous retournez, un enfant se tient là. Il vous regarde, sans un geste, sans un sourire. Deux prunelles du bleu le plus pur que vous n’aviez jamais vu.

« Il va venir pour vous. »

Sa voix est douce. Cristallines – ses intonations envoûtante. L’enfant a du charme – une douzaine d’années peut-être, et déjà l’élégance de l’économie des mots.

« Il est déjà venu pour nous. »

Son visage, jusqu’ici impassible, se durcit soudainement. Ses sourcils se froncent. Il tend la main, tend l’index dans la direction de l’une d’entre vous.

« Non. Il vient pour toi maintenant. »

Et puis, il éclate de rire.
C’est peut-être le rire le plus beau que vous avez jamais entendu – mais aussi le plus terrifiant.
L’instant d’après, il tourne les talons et s’enfuit en courant dans le couloir dont il venait.

Vous en êtes presque certaines, maintenant : ce n’est pas un courant d’air que vous sentez.
Mais bel et bien un souffle gelé.