Tu as toujours été assez discrète. Tu étais une enfant calme qui ne pleurait pas beaucoup et qui se montrait même assez sage. Tes parents n’avaient donc aucun problème à t’amener partout où ils allaient, que ce soit au restaurant ou même dans un avion, parce qu’ils avaient la chance que tu ne sois pas vraiment dérangeante. Tu n’as jamais vraiment aimé attirer l’attention sur toi et si c’est vrai maintenant, ce l’était aussi lorsque tu étais plus jeune. Tu préférais rester dans l’ombre et faire tes trucs dans ton coin, allant rapidement te cacher derrière les jambes de ta mère lorsque quelqu’un t’approchait d’un peu trop près. Te faire des amis fut donc chose difficile lorsque tu étais plus jeune et, finalement, ça aussi ça n’a pas vraiment changé depuis. Un peu trop timide, un peu trop mal à l’aise avec les autres, tu te cachais bien souvent derrière un livre ou voir même ton écharpe lorsque quelqu’un venait avec l’idée de discuter avec toi.

C’est peut-être ce pour quoi d’autres jeunes t’ont pris en grappe. Ce pour quoi tu as été la victime parfaite pour ceux s’amusant du malheur des autres. La victime facile. Celle trop discrète qui préférait se cacher plutôt que de trop attirer l’attention. Celle qui baissait les yeux face aux insultes. Celle qui ne disait rien, restait silencieuse de peur de dire quelque chose qui pourrait déplaire. Celle qui ne se défendait même pas alors qu’elle se faisait bousculer sous le rire des autres jeunes de son âge. Celle qui avait vu ses devoirs déchirés ou encore dérobés. Celle qui se faisait disputer par les professeurs parce qu’elle n’était pas assez assidue, parce qu’elle oubliait de faire ses devoirs.

Voilà celle que tu as été. Parce que tout ça, c’est ce qui t’est arrivé. Ce fut le début de ta descente aux enfers alors que tu étais encore si jeune. Trop jeune. Alors que tu commençais à peine l’école et que tu te retrouvais déjà confrontée aux injustices de la vie mais, surtout, à la cruauté d’autrui. Tu as tenté de parler, un peu. De t’exprimer avec ta faible voix. Tu as tenté d’en parler à tes parents, les larmes aux yeux. Tu leur avais dit que tu ne voulais plus à l’école. Que tu n’aimais pas ça. Que tu avais peur, même. Peur des autres. Peur de ce qu’ils pourraient encore te dire. Peur de ces marques qui apparaissaient sur tes genoux alors qu’ils te poussaient au sol.

- Ce ne sont que des enfants. Cesses de leur accorder de l’importance et ils vont te laisser tranquille. Tout ce qu’ils veulent c’est de te faire réagir.

Tu as donc tenté de les ignorer. De faire comme s’ils n’existaient pas. Mais ça ne les a pas fait disparaître et ils sont restés dans le décor. Et si parfois ils se montraient plus tranquilles, presque lassés de ce petit jeu auquel tu refusais de jouer, ils sont toujours revenus à la charge. Et si ce n’était pas eux, c’était d’autres. Et c’est peut-être pour ça que tu n’as jamais aimé l’école. Peut-être pour ça que tes résultats scolaires étaient en chute libre. Et alors que tu vieillissais, que les années s'enchaînaient, les choses ne se sont pas améliorées. Pas pour toi du moins. Pas pour tes résultats scolaires non plus, chose que tes parents ne manquaient pas de souligner, non sans une certaine déception. Ce n’était pourtant pas que tu n’étais pas douée à l’école. Ce n’était pas que tu n’étais pas intelligente. Ce n’était pas que tu n’avais pas soif d’apprendre.

C’est que tu détestais l’école.

La seule place où tu trouvais un certain réconfort, c’était dans les livres ou encore dans les jeux vidéos. Dans les sports, aussi. Ou, tout du moins, tous ceux qui ne demandaient pas de jouer en équipe. Parce que c’est ça. Si jeune, tu te tenais loin des autres, c’était d’autant plus vrai en vieillissant. Tu t’es isolée, tu t’es éloignée, t’amusant à ta manière, le plus souvent en restant seule. Le sport te permettait de te vider l’esprit, de chasser les sombres pensées qui venaient parfois te hanter tandis que les livres et les jeux vidéos t’offraient une douce distraction de ton quotidien qui te rendait de plus en plus malheureuse, et ce, jour après jour. Enfin, ils t’offraient une distraction lorsque tes parents ne décidaient pas de te confisquer ta console ou encore tes livres, excusant ces punitions de tes notes déplorables tout en t’incitant à te concentrer un peu plus sur les cours.

T’y as survécu, à toutes ces années. De peine et de misère, certes, mais t’y as survécu. Et t’as réussi à avoir ton diplôme. Toutefois, tu n’as rien vraiment fait de ce dernier. Dès que tu fus en âge, tu pris la décision de t’enrôler dans l’armée. Tu ne voulais pas retourner sur les bancs d’école et, honnêtement, tu savais pas trop ce que tu voulais faire de ta vie. Ça te semblait donc être une bonne option. Quelque chose où tu pourrais peut-être t’y retrouver. T’étais en bonne forme physique, tu n’avais pas trop de problème avec l’autorité, et, surtout…

Tu cherchais à trouver ta voie.

Et tu pensais l’avoir trouvé. Tu pensais vraiment l’avoir trouvé. Parce que tu avais de bons résultats. Parce que tu étais souvent félicitée par tes supérieurs. Parce que tu progressais bien et rapidement. Pas trop vite mais peut-être plus rapidement que tes collègues. Tu t’étais pas trop posée de question, ayant simplement mis ça sur le compte du fait que c’était vraiment ta place. Celle que tu avais cherché jusqu’à maintenant. Tu avais mis ça sur le compte de tes compétences, sur l’aisance que tu avais pour à peu près tout ce qui était demandé de toi, allant de tes performances physiques que cette facilité que tu avais avec les pokémons, notamment ceux se voulant plus gros et plus imposants. À croire que si tu avais souvent peur des humains, t’écrasant dès lors que l’un haussait la voix, l’histoire était différente avec les pokémons. Sûrement parce que tu avais passé pas mal de temps, plus jeune, avec ceux de tes parents, lorsque tu te retrouvais seule dans ta chambre sans personne pour t’écouter.

La réalité était toute autre et ça, tu l’as appris quelques années plus tard. Trois ans plus tard. Tu l’as appris lorsque l’un de tes supérieurs, celui qui s’est toujours comporté comme ton mentor, celui que tu as appris à considérer comme un ami, t’as invité à passer la soirée avec lui. À prendre un verre avec lui. Dans toute ton innocence, tu as accepté, simplement heureuse que, après toutes ces années, quelqu’un semble apprécier ta compagnie. C’était chose rare, quelque chose que tu n’avais jamais vraiment connu. Quelque chose d’agréable, même.

Jusqu’à ce qu’il glisse une main le long de ton bras.
Jusqu’à ce qu’il passe son autre main sur la peau de ton ventre, sous ton haut.
Jusqu’à ce qu’il tente de t’embrasser.

Tes souvenirs de cette soirée sont assez flous. Tu te souviens l’avoir repoussé. Tu te souviens lui avoir demandé ce qu’il faisait. Ce qu’il voulait. Tu te souviens aussi de ce qu’il t’a dit. Une phrase qui t’a marqué. Une phrase qui t’a fait vriller.

- Après tout ce que j’ai fait pour toi, je mérite quand même que tu me remercies, non ?

Tu te souviens avoir été écoeurée. Tu te souviens aussi t’être énervée. Tu te souviens des larmes qui te sont montées aux yeux alors que tu constatais que tout ce que tu avais fait jusqu’à maintenant, tout ce que tu croyais avoir accompli, n’était que mensonge. Tout ce que tu pensais avoir fait de toi-même n’avait été… Été que quoi, exactement ? Les actions d’un homme qui espérait plus de toi ? D’un homme qui venait d’attraper ton bras pour te ramener vers lui, contre lui, son autre main cherchant à te débarrasser de l’un de tes morceaux de tissus qu’il trouvait trop encombrant ? Tu te souviens l’avoir frappé. Tu te souviens de l’avoir frappé plus d’une fois. Animée par un amalgame d’émotions négatives, tu as explosé. Tu l’as frappé. Tu l’as frappé lui pour ce qu’il venait de faire. Ce qu’il avait tenté de faire. Tu l’as frappé lui de s’être joué de toi. De t’avoir menti. De te faire sentir aussi ridicule.

Tu l’as frappé lui au nom de tous les autres.
De tous ceux qui ont fait de ta vie un enfer.

L’histoire fut étouffée. Ou, tout du moins, la sienne fut étouffée. Quant à toi… Tu avais envoyé un supérieur à l’hôpital. Et, parce qu’eux pouvaient se montrer clément à ton égard, ils te firent une offre. De partir, tout simplement. De partir sans faire d’histoire. De ne rien dire et de simplement quitter les rangs de l’armée, là où tu croyais avoir trouvé ta place au cours des trois dernières années. Et toi étant toi, tu as accepté. Trop discrète, incapable de t’imposer, te sentant aussi terriblement honteuse, tu as accepté. Et tu es partie, comme ça. Tu es partie en y laissant une partie de toi. Cette confiance que tu avais réussi à récupérer. Ce peu d’estime de toi que tu avais depuis peu. Tu es partie le coeur lourd et avec cette colère qui te prenait aux tripes. Une hargne que tu ne savais pas comment exprimer. Un feu qui brûlait en toi alors que tu n’avais qu’une envie : hurler ta rage face à l’injustice de la vie.

Et maintenant ? Où est-ce que tu es ? Qu’est-ce que tu fais ? Tu ne sais pas trop. Tu ne sais pas trop ce que tu attends de la vie. Ou encore ce que la vie peut attendre de toi. Tu sais juste que tu as besoin de changement. D’aller ailleurs. De tout recommencer. De mettre le plus de distance entre toi-même et… Toi-même. Et c’est ce que tu as fait. Ce que tu as décidé de faire. Le temps des fêtes tirait à sa fin et alors que l’un de tes cousins, Auguste, de passage à Hoenn pour les fêtes, s’apprêtait à repartir pour Lumiris, tu lui as demandé si tu pouvais l’accompagner. Si tu pouvais y aller avec lui. Tu ne lui as pas vraiment expliqué pour quoi. Tu n’as pas vraiment parlé à personne de ce qu’il t’est arrivé, de ce qui t’a poussé à quitter l’armée. T’as juste dit que ça t’allait pas.

Que tu avais juste besoin de changement.