“Ombline !”

Cela fait à présent des mois qu’ils essayent, qu’ils l’appellent mais Ombline reste aux abonnés absents. Silence radio. Elle vit dans cette maison et pourtant elle ne croise plus le reste de la maisonnée depuis longtemps. Elle change de pièce quand elle est sûre que personne n’y est et si par malheur elle croise ses parents ou sa grand-mère elle fait demi-tour et retente sa chance plus tard.

Comme en protestation à l’appel de son prénom, la blonde fait couler l’eau de la douche un peu plus fort. Elle ferme les yeux alors que l’eau quasi brûlante ruisselle dans sa longue chevelure d’or et le long de sa peau avant de pousser un long soupir. Combien de temps cette mascarade va-t-elle durer ? Combien de temps va-t-elle les éviter ainsi en permanence ? Ombline aimerait se dire que ce n’est qu’une passade, qu’elle saura bientôt leur pardonner et que tout rentrera dans l’ordre mais elle ne se berce pas d’illusion. Elle sait que ce ne sera pas le cas. Combien même elle ne savait pas qu’elle pouvait ressentir ça un jour, la rancœur qu’elle éprouve est tellement puissante, destructrice. Elle déteste ce sentiment mais il prend toute la place dans son cœur et Ombline a la sensation de ne plus pouvoir éprouver autre chose que cela.

Agacée par le fil de ses pensées qui ne s’arrête plus et ne tourne toujours qu’autour de la centrale et des révélations sur le passé de Lumiris, l’herboriste coupe l’arrivée d’eau et s’enveloppe dans une grande serviette de bain. Elle sort de la douche et se regarde un instant dans le miroir, elle rencontre le reflet de ses yeux émeraudes dans lesquels brûlent une flamme bien différente d’avant, une flamme chargée de colère, dévastatrice. Ombline détourne le regard et retourne dans sa chambre. Elle se sèche, s’habille prestement et se remet sur son lit qu’elle ne quitte plus beaucoup ces derniers temps. Elle tente une énième fois de faire le point sur la situation et les possibilités qui s’offrent à elle. Une fois de plus, sans succès.

***

— Salut Blibline.
Dans la chambre de la petite fermière, sa voix creva le silence.

— J’suis devant ta porte.
Effectivement. Bunji était adossé à la porte, un sourire aux lèvres.
Un sourire qu’on pouvait deviner dans sa voix...

— Comme j’suis sympa, j’te laisse trois minutes pour te rendre présentable et ouvrir la porte.
...le genre de sourires qui lui découvrait les canines.
Qui donnait l’impression qu’il allait vous bouffer tout cru.

— Passé ce délai, si t’es pas présentable : je rentre quand même.
Ce n’était pas une promesse en l’air.

— …et si la porte est verrouillée : je rentre quand même.
Toujours pas une promesse en l’air.

Assise sur son lit fait impeccablement, le regard dans le vide, Ombline serre les poings. Tellement que les ongles qui s’enfoncent dans ses paumes lui font mal. Elle serre plus fort en fermant les yeux. À côté d’elle, au pied du lit sur lequel elle n’ose plus monter, Milusia pousse un petit cri mi-timide, mi-inquiet pour attirer l’attention de sa dresseuse. Sans succès. Les autres Pokémons d’Ombline sont dans leurs Pokéballs. Elle les sort pour prendre soin d’eux et les fait rentrer illico. C’est trop d’agitation autour d’elle. La poigne de la jeune femme se resserre encore. Elle n’a même plus la force de s’occuper convenablement de ses Pokémons tant la haine la ronge. Pathétique. Monstrueux. Le regard mort de l’herboriste se réveille le temps de se poser sur sa Goupix, plein de culpabilité, d’excuses silencieuses et de tendresse refoulée avant de se reperdre dans le néant.

Des bruits de pas dans l’escalier, le corps entier d’Ombline se tend comme prêt à se battre, à bondir, ou à fuir. C’est inconscient, mais c’est là palpable. Une voix retentit de l’autre côté de la porte ce qui fait sursauter la jeune femme qui se lève alors immédiatement de son lit pour faire les cent pas sans pour autant répondre. Bunji. Que fait-il ici ? Que veut-il ? Est-ce que ce sont ses parents qui l’ont appelé pour qu’il tente de la raisonner ? Ombline se mord la lèvre, retenant ses mots, avant de finir par craquer.

“Qu’est-ce que tu veux Bunji ?”

La question est directe, sans appel, dénuée de sympathie, presque agressive ou plutôt sur la défensive.

“Si c’est mes parents qui t’envoient, tu peux partir de suite, ça ne sert à rien.”

La colère augmente dans la voix de la jeune femme qui crache presque. Elle est d’ailleurs bien heureuse de ne pas faire réellement face à Bunji. Il ne peut pas voir toute la rage qui suinte de son regard, de chaque parcelle de son corps et de son cœur, et c’est sans doute mieux comme ça.

“Je ne veux voir personne.”

Ces derniers mots ne sont qu’un murmure. Même pas sûr que l’homme de l’autre côté de la porte les ait entendus. Ils ne sont que fatigue, tristesse, désespoir. Ombline se relaisse tomber sur le bord de son lit en soupirant et sans un mot de plus alors que Milusia tente de prendre le relais en accueillant Bunji d’un petit cri qui ne ressemble en rien aux cris enjoués habituels, mais trahit plutôt une sorte d’appel à l’aide, pas pour elle-même, mais pour sa dresseuse qu’elle ne reconnaît plus, qu’elle n’arrive même plus à toucher et pour qui elle semble s’inquiéter.

— …comme quoi, on a pas toujours ce qu’on veut, Ombline Fheri.
Qu’est-ce que tu vas y faire ? Plonger la tête dans ton oreiller et pleurer ?



Le voyageur et la petite fermière peuvent tous les deux jouer à ce petit jeu-là.
…mais en terme de pure malveillance, Bunji a des années-lumières d’avance sur sa rivale.