Le verre claque contre le bar plus bruyamment qu'il ne l'aurait dû. Peut-être ai-je déjà trop bu. Peu importe. Je n'ai pas encore oublié. Ils sont toujours là, volant autour de moi comme des vautours, prêts à piquer sur mon cadavre à peine froid. Les souvenirs. La douleur. Je ne suis jamais à l'abri de ces bêtes assoiffées de sang. Assoiffé de mon propre sang. Une nouvelle gorgée et ma vision trouble tente de me faire perdre la mémoire. Encore un échec. Je soupire, mon corps tangue, une giclée de la boisson ambrée que je m'enfile depuis plus d'une heure s'écrase sur le surface lisse du comptoir. Mes yeux se perdent dans cette flaque.

Une flaque se forme sur le plancher alors que l'enfant relève le bras pour sécher ses larmes. L'eau salée sous ses yeux se mélange au sang qui s'échappe rapidement de son arcade blessée. Il grogne pour masquer ses sanglots, son corps pris de spasmes soudain s'agite. Il attrape la chaise face à lui avant de l'écraser au sol, rapidement le matelas de son lit est lui aussi envoyer avec violence sur le sol, la lampe de chevet est balancé contre un mur et puisqu'il n'a plus rien sous la main, son pied vient heurter avec fracas la porte de la petite chambre. Ses poings se fracassent contre le mur le plus proche, une fois, deux fois, trois fois. Jusqu'à ce qu'il ne sente même plus la douleur de ses coups, mais seulement celle constante des plaies qu'il se provoque par lui-même. Épuisé, il se laisse glisser contre le mur. À genoux, le front contre le mur froid, il se laisse submerger et commence à pleurer, ses épaules lasse s'affaissant et tremblant sous la violence de l'émotion.

Mes yeux s'ouvrent soudain, mais bien plus lentement que ce à quoi je m'étais attendu. L'alcool probablement. Pourtant les voilà. Les souvenirs qui ressurgissent par surprise. De vrais lâches qui attaquent dans le dos. Les coups bas, il n'y a que ça pour eux. Une nouvelle gorgée de whisky glisse dans ma gorge.

"David… Est-ce que ça va ?"

Une fois les sanglots calmés, l'enfant se retourne et aperçoit le regard apeuré d'un garçon lui ressemblant traits pour trait.

"Oui."

Il ment. L'autre le sait parfaitement. Il s'approche du blessé et lui attrape les mains avec douceur pour contempler les dégâts.

"Il faut soigner ça.
- Dylan…
- Je vais chercher Ethan et Hope pour leur demander de m'aider.
- Dylan…
- Il nous faut des compresses, du désinfectant, peut-être une aiguille et du fil pour ton œil, je vais voir si on a tout ça et après ça ira, tu verras.
- DYLAN !"

David relève la tête vers son frère jumeau, une expression de désespoir indéfinissable peinte sur le visage.

"Soigne-moi et tu iras les chercher. Et avant d'aller les voir, sèche tes larmes, tu vas les faire pleurer eux aussi."

Il ne s'était même pas rendu compte qu'il pleurait, trop perturbé par la vision de son double meurtri de cette façon. Finalement, il sèche ses larmes.

"Je vais chercher ce qu'il me faut, je reviens."

Le verre se vide entièrement dans ma gorge et j'avale cette gorgée comme si elle était ma première goulée d'air après un concours d'apnée. P****n de souvenir. Ils reviennent chaque jour, chaque foutu jour… C'est une bataille sans fin et perdue d'avance. Pourquoi est-ce que tu essayes encore David ? Tu étais ce gamin malheureux, tu l'es toujours et tu le seras à jamais.

"Et voilà, plus qu'un peu d'eau pour enlever le sang et tu es comme neuf ou presque.
- Merci Dylan."

Le soignant se lava les mains dans l'évier de la salle de bain tout en scrutant le visage de son frère jumeau dans le miroir. L'extérieur était réparé, mais l'intérieur était probablement brisé à jamais et ils le savaient tous les deux.

"David… Est-ce que… ?"

Le blessé releva le visage vers son frère qui s'approchait de nouveau.

"Est-ce que c'est elle qui t'a fait ça ?"

Il baissa les yeux face à la question. Que pouvait-il dire ? Ou plutôt que devait-il dire ? La vérité était dure, crue, violente. Il s'était promis de protéger ses frères et sœurs quoi qu'il arrive. Dylan avait beau être le frère jumeau le plus vieux d'une vingtaine de minutes comme il aimait à le rappeler, il n'était pas assez fort pour supporter tout ça. Voilà pourquoi c'était à lui de tout prendre, à lui de jouer les boucliers afin que lui seul subisse, afin qu'ils puissent continuer à sourire.

"Seulement l'œil."

Dylan serra les poings en entendant ça. Son frère avait pris l'habitude de lui mentir, comme ils le faisaient avec leur petit frère Ethan et la petite dernière Hope, mais depuis la dernière fois, depuis qu'il avait retrouvé son frère allongé sur le sol assez mal en point pour qu'il soit obligé de l'amener à l'hôpital pour la première fois, il lui avait interdit de lui mentir sur ce qu'il se passait.

"Tu ne devrais pas subir tout ça tout seul."

David se releva alors que son frère détournait le regard, honteux parce qu'il aurait dû lui aussi être là pour subir sa colère, pour subir ses crises. Le blessé posa ses mains enveloppées dans des bandages sur les épaules de son jumeau.

"Il le faut. La douleur, je peux la supporter. Le fait que tu souffres, non."

8 ans. Ça avait duré 8 ans. On était heureux avant ça. Nos parents souriaient et nous aimaient. Jusqu'à Hope. Jusqu'à ce que notre famille déjà assez modeste devienne pauvre et que notre père ne supporte plus cette vie et ses 4 enfants qui coûtent si cher. Voilà pourquoi tout a explosé. Ce chien est parti, laissant notre mère en lui expliquant que tout cela était de notre faute. L'abandon, la tristesse, tout cela finit par devenir de la rancœur lorsqu'elle a essayé de tout oublier dans l'alcool.

"C'est notre mère David, elle ne devrait pas te faire du mal à toi non plus…"

Une mère qui était censée nous protéger du monde. Nous protéger de la souffrance. Elle était censée nous serrer dans ses bras pour nous faire oublier l'absence de notre père, mais à la place tout ce que nous avons gagné était de la haine et de la peur. Elle buvait trop. Comme moi aujourd'hui. Elle était aigrie et violente. Comme moi aujourd'hui. Et savoir ça me rend encore plus amer. Le verre claque une nouvelle fois contre le bar et j'ai cette envie dans les tripes de le frapper encore et encore jusqu'à ce qu'il se brise dans ma main. Sentir les morceaux de verre qui s'enfoncent dans ma paume pour ressentir quelque chose, pour calmer la colère qui me consume aujourd'hui. Dylan m'avait prévenu que je finirais comme ça. Il avait raison. Il a toujours eu raison après tout.

"David, ton regard est différent. Tu as changé."

L'adolescent a perdu son sourire, il se contente de regarder son jumeau sans répondre un seul mot. Que pourrait-il dire après tout ? C'était vrai. Bien sûr qu'il avait changé, cette enfance l'avait brisé à un point que même lui n'en avait pas conscience.

"Et alors ?"

Dylan détourna le regard un instant, il n'osait pas parler, les mots restaient bloqués dans sa gorge par peur de la réaction de son frère.

"Tu as la même haine dans les yeux."

Deux billes bleues qui s'illuminent d'une colère soudaine.

"Je n'ai RIEN en commun avec elle."

Le plus vieux des deux savait qu'il allait réagir de cette façon, que l'énervement serait sa manière de fuir le problème.

"Tu devrais parler de tout ça, de ce que tu as vécu, à moi ou pas, mais tu te renfermes chaque fois qu'on essaye d'aborder le sujet.
- Parce qu'il n'y a rien à dire."

David se relève rapidement, s'approchant de la porte de la chambre et tournant le dos à son frère.

"Tu viendras à l'enterrement au moins ? Hope et Ethan auront besoin de quelqu'un."

Il tourne alors son regard en direction de son jumeau, un regard où seulement haine et désespoir sont visibles.

"Je crois avoir déjà bien assez fait pour eux et il n'est pas question que j'écoute des personnes qui ne savent rien de ce qu'elle nous a fait subir, nous dire à quel point elle nous manquera. D'ailleurs aucun de nous ne devrait y aller.
- Elle était notre mère ...
- Non !"

Son poing vient frapper le cadre de la porte, faisant sursauter son frère.

"Elle n'était en rien une mère ! Seulement un p****n de fardeau."

J'avais quitté la pièce plus en colère que jamais. Parce que mon frère ne voulait pas comprendre que j'étais incapable de me rendre sur sa tombe. Parce que j'avais 16ans et que j'étais la personne en charge de mes frères et sœurs depuis des années. Parce que la seule chose que ma mère m'avait offert durant toutes ces années étaient des coups et des bouteilles contre lesquels je m'étais promis de ne jamais répondre par peur de ne pas m'arrêter avant qu'elle ne puisse plus jamais me faire de mal.

Dylan était différent, il avait retenu les quelques moments de joie où elle redevenait une mère aimante, ces moments où elle nous préparait le petit déjeuner avec le sourire, ces moments où ils acceptaient tous ses câlins avec un sourire de purs bonheurs, ces moments que je préféraient fuir pour ne pas vomir à cause de la haine viscérale qui me prenaient les tripes. Ces moments étaient les pires pour moi. Ils pouvaient en profiter tous les trois. Moi j'en étais tout simplement incapable. Les premières fois peut-être. Mais chaque fois le retour à la réalité était plus dur. Elle nous promettait de changer, que plus jamais elle ne nous ferait de mal, chaque fois elle mentait et j'étais le seul à le voir. Peut-être déjà trop cynique à l'époque, mais au final, j'ai toujours eu raison.

Nous avons été par la suite confié à une tante qu'on avait pas vu depuis bien des années, elle avait arrêté de nous rendre visite lorsqu'elle s'était rendu compte de ce qu'était devenue sa soeur. Il a toujours été plus facile pour elle de ne pas avoir le problème devant les yeux afin de pouvoir le nier, plutôt que de nous aider à ce moment-là. Maintenant que nous vivions chez elle, il m'était presque interdit d'évoquer les maltraitances que j'avais subies, bien que mon adorable frère jumeau tente par tous les moyens de me faire parler. Je haïssais cet endroit. Je haïssais cette femme qui ressemblait trop à notre mère. Je haïssais ce monde trop beau pour être vrai. Et bientôt la haine que je gardais en moi commença à me pousser loin de ce petit cocon familiale où j'avais été incapable de m'intégrer.

"Comment ça tu vas partir ?"

Ethan avait le visage blême, entendre ces paroles de la voix de son grand-frère qui l'avait toujours protégé était un coup dur.

"Oui, je vais me rendre à Winscor pour faire médecine. Vous n'avez plus besoin de moi ici.
- Tu … Tu ne peux pas nous laisser David …"

Le plus jeune frère se mit alors à pleurer, incapable d'imaginer sa vie sans lui. Peut-être était-il encore trop jeune pour comprendre que son frère en avait besoin, que jamais il ne serait à sa place dans cette maison où tout allait bien. Il était trop brisé pour reprendre un quotidien si simple, un quotidien si facile. Il avait cette impression d'être un Lougaroc qui essaye de devenir un Moumouton pour vivre avec eux. Mais jamais il n'y arriverait.

"Dylan sera là si vous avez besoin et je reviendrai de temps en temps."

Ethan lui sauta alors dans les bras, continuant de pleurer toutes les larmes de son corps, suivi par Hope qui silencieuse fut plus douce que son frère. Cette petite qui n'avait jamais dit un mot et dont le regard montrait bien qu'elle était tout aussi traumatisée par leur enfance que lui, voir même peut-être plus. Elle n'avait connu que ça après tout. Il embrasse son petit-frère et sa petite-soeur avant de quitter la maison avec sa valise. Il les avait prévenu au dernier moment, pour être sûr de ne pas changer d'avis.

"Tu ne comptais pas me dire au revoir ?"

Dylan se tenait devant le portail, les bras croisés.

"Je ne voulais pas que tu me demandes de rester."

Il était bien le seul qui aurait pu le faire rester, le seul qui aurait pu tout foutre par terre. Le seul qui aurait pu avoir raison de sa volonté de partir. Le plus vieux s'approcha alors de son jumeau avant de le prendre dans ses bras.

"Je sais pourquoi tu pars David et tu as bien raison. je sais que tu ne seras jamais capable d'aller mieux ici, tu ne fais que hanter ta chambre sans vraiment vivre, si partir peut enfin t'aider, alors tu dois le faire."

Son frère l'avait toujours compris mieux qu'il ne se comprenait lui-même. Dylan pleura dans les bras de son frère, David en fut incapable et il se dire au revoir sachant tous les deux que c'était la meilleure chose à faire.

La ville c'était bien différent de notre trou paumé, nous qui n'avions vu que des pokémons sauvages, n'ayant pas assez d'argent pour se payer de pokéball, la vision de ces petites bêtes absolument partout autour de moi était presque terrifiante. J'étais encore jeune et le monde m'était inconnu, je n'avais jamais quitté notre maison, ma vie se résumait à prendre soin de mes frères et sœurs et aujourd'hui, maintenant que j'étais ici, prêt à entamer une nouvelle partie de ma vie, j'étais pétrifié. Avais-je fait le bon choix ? Etais-je capable d'évoluer dans un monde sans destruction ? Encore aujourd'hui, bien des années plus tard, je ne connais toujours pas la réponse à cette question.

L'adaptation fut difficile, surtout avec les autres étudiants, j'étais méfiant, toujours à imaginer le pire se cachant derrière les sourires. Les études n'étaient pas si difficiles, j'avais un certain talent pour apprendre, mais la solitude commençait à me peser. Après tout je n'avais jamais été seul, Dylan avait toujours été là, constamment, nous étions très différents, mais inséparable. Pourtant moi qui n'avait jamais eu peur de prendre des coups pour protéger mes frères et soeurs, j'étais incapable de faire le premier pas vers quelqu'un, peut-être avais-je été trop brisé pour réussir à m'intégrer dans un monde aussi sain que celui-ci. J'y ai cru pendant quelques mois, jusqu'à la rencontrer. A une de ces fêtes d'étudiants où les uns finissent trop saouls pour ramper jusqu'au lit et finissent par dormir sur le sol et les autres se découvrent des passions charnelles qu'ils n'auraient jamais soupçonné s'ils étaient sobres.

Au milieu de la piste de danse, elle ne s'arrêtait plus, dansant, riant, elle semblait être la reine au milieu de tout ces gens. Il l'avait déjà aperçu dans les amphis où il avait cours, mais il était incapable de retrouver son nom. Il était venu ce soir seulement pour essayer, mais il avait longuement hésité, c'était la première fois qu'il participait à ce genre d'événement. Peut-être était-ce encore trop tôt. Il voulut fuir pendant un instant, mais son hésitation lui fut fatale. La jeune femme aux cheveux roses s'approcha et lui attrape le bras.

"Hey Max ! On t'attendait plus, tu m'avais promis une danse alors je veux ma danse !"

Elle était saoule, David avait rougit comme jamais auparavant et il était incapable de dire quoi que ce soit, paralysé par la proximité avec cette fille. Que devait-il faire ? Lui dire gentiment qu'il n'était pas la personne voulue et la repousser ? De toute façon, il n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit, qu'elle le tira sur la piste de danse avant de commencer à danser près de lui qui se contentait de rester là sans rien faire. Elle était trop saoule pour savoir s'il dansait vraiment de toute façon.

Regardant tout autour de lui, il se sentait de plus en plus honteux par la situation et il finit par attraper les épaules de la jeune femme pour la faire stopper sa danse un peu trop intimiste.

"Excuse-moi, mais je ne suis pas le bon gars."

Un large sourire s'afficha sur les lèvres de la jeune femme.

"C'est faux, tu es même le gars parfait."

Il ne comprenait pas sa réponse et ça se lisait sur son visage, si bien qu'elle lui fit comprendre avec un mouvement de tête en direction d'un homme qui semblait légèrement plus vieux qu'eux et qui attendait à côté de la piste de danse avec un air agacé et qui ne cessait de les regarder.

"Ce gars commençait à être lourd, j'avais besoin de trouver une excuse pour le fuir. Et tu as la tête d'un gars qui ne peut pas s'empêcher d'aider les gens qui en ont besoin … Et puis tu es assez baraqué pour qu'il hésite à approcher."

David se mit soudain à rire, cette fille n'avait peur de rien.

"J'aurais pu être bien pire que ce gars, comment tu pouvais être si sûr que je n'aurais tout simplement pas essayer de profiter de la situation ?
- Je suis douée pour lire les gens et tu as la tête d'un qui subit les problèmes plutôt que celui qui les crée."

Sans qu'il ne puisse répondre, elle lui attrapa la main et l'emmena dehors, l'entrainant jusqu'à un banc assez loin pour que personne de la soirée ne puisse les voir, mais assez près pour pouvoir avoir un lointain écho de la musique.

"Je m'appelle Jessi au fait.
- David.
- Et bien David, maintenant qu'on est là tous les deux, ça te dit de me raconter ton histoire."

Hésitant, il la regarda, assise sur le dossier du banc et lui debout face à elle.  Elle lui tendit la bouteille d'alcool avec laquelle elle était partie de la soirée. Il fallut un instant à David pour l'attraper et s'asseoir sur le banc à côté d'elle. Ils parlèrent, longtemps, de tout, de rien, il était incapable de raconter ce qu'il avait vécu, pas encore, mais l'alcool le libéra quelque peu et il put enfin se libérer de ce poid. Il ne pleura pas, se contentant de raconter, riant parfois avec ironie aux situations qu'il évoquait comme s'il ne s'était agi qu'une histoire et non pas de son passé. Ils virent le soleil se lever et lorsqu'il eut fini de raconter son histoire, elle descendit du banc, attrapant ses mains pour le forcer à se lever et elle l'embrassa avec une délicatesse qu'il n'imaginait pas qu'elle pouvait posséder. Lorsqu'elle se sépara de lui, il avait rougi, mais il n'avait pas lâché ses mains.

"Euuh … Tu sais … Je ne …
- Je sais … Mais tu avais l'air d'avoir besoin de tendresse."

Jessica. Cette amie qui a fait partie de ma vie jusqu'à ce que je fuis jusqu'ici. Elle m'a soutenu, elle a été ma moitié pendant si longtemps, elle me comprenait, peut-être même encore mieux que mon frère jumeau, elle a été là dans les pires moments et elle faisait partie des meilleurs. Je lâchais le verre que j'avais à la main et qui était à présent vide. Ce qu'elle peut me manquer. Ce qu'ils peuvent tous me manquer. Même si je sais que ma fuite ici était nécessaire, que tout cela était pour leur bien. J'étais devenu toxique et incapable d'apercevoir la beauté du monde. J'étais foutu, je le savais. Attrapant ma veste, je quittais le bar en lâchant un billet. Je ferais mieux de rentrer avant que les souvenirs empirent, avant que je finisse par réellement craquer. La porte claqua derrière moi et je m'enfonçai dans la nuit noire.

Le reste de mes études avait été simple, j'étais vraiment fait pour la médecine, j'avais un talent inné pour comprendre le système du corps humain. Parfois on me traitait de médecin sans cœur, car pour moi les différents cas qui se présentaient n'étaient que des cas et non pas des êtres humains. C'était plus simple d'imaginer ces personnes comme de simples machines ayant un problème techniques, pour comprendre le problème ainsi que pour me protéger si jamais ça venait à mal tourner. Parce qu'un des principes le plus important en médecine est qu'on ne peut sauver tout le monde. Une fois qu'on intègre ça, il est plus simple de faire notre métier.

Jessi qui travaillait dans le même hôpital que moi faisait parti des chirurgien et elle était plus que brillante elle-aussi ne se montrait pas si catégorique sur ce fait, elle était toujours prête à tout pour un patient, elle n'abandonnera jamais, voilà pourquoi souvent lorsqu'un opération avait mal tournée, je me retrouvais dans son appartement à tenter de la consoler. J'étais là pour elle et elle me répétait toujours, à chaque fois qu'elle s'effondrait en pleurant, chaque fois que je la relevais pour la prendre dans mes bras.

"J'espère ne jamais te voir t'effondrer, parce que lorsque viendra ton tour, je ne pourrais rien y faire."

Elle avait raison, elle avait toujours raison. Elle me connaissait bien mieux que moi-même et cela a fini par se vérifier. Il suffit d'une mauvaise semaine, d'une mauvaise nouvelle et le peu de stabilité qu'on a réussi à mettre dans nos vies s'effondre comme si en réalité ça n'avait jamais été là, comme si tout cela n'était que dans notre tête. Je me souviens de cet appel de Dylan, ses mots se sont gravés en moi pour ne plus jamais en sortir.

"Hope est morte."

Son corps se fige alors que le léger sourire qu'il avait sur les lèvres se brise pour ne laisser qu'une expression horrifiée. Il sent le froid l'envahir alors qu'une de ses mains s'agrippent au bureau afin de se retenir, de ne pas tomber, peut-être même de vérifier si tout cela est bien réel.

"Tu sais qu'elle n'a jamais réussi à se remettre de ce qu'il nous est arrivé enfant, elle n'a jamais parlé, elle n'a jamais montré la moindre émotion, elle était éteinte depuis des années. On l'avait placé dans un établissement pour qu'ils prennent soin d'elle, on allait la voir toutes les semaines depuis des années, son état ne semblait pas changer, mais hier …"

Dylan avait tenté de se montrer fort en annonçant cette nouvelle, mais il était incapable de continuer, sa voix se brisa et David entendit ses sanglots.

"Elle s'est suicidée David …"

Il resta immobile, incapable de dire ou faire quoi que ce soit. Comment était-ce possible ? Il les avait sauvés de tout ce malheur. Il avait choisi d'être le seul à vivre avec ce poids. Voilà pourquoi il avait encaissé chaque coup, chaque humiliation, voilà pourquoi encore aujourd'hui il se haïssait lui-même, voilà pourquoi il ne s'adapterait jamais à ce monde, mais s'il avait fait tout ça, c'était pour les sauver, pour qu'ils ne sombrent jamais. Il avait échoué. Hope ne s'en était jamais remise. Elle avait été brisée elle aussi.

"David ?
- Je dois … J'ai une urgence …
- Son enterrement est la semaine prochaine, j'espère que tu pourras te libérer.
- J'essayerais."

Il raccrocha sans un mot de plus. Incapable de comprendre ce qu'il se passait en lui. Il voulait hurler, frapper, se laisser tomber sur le sol et ne jamais se relever.

"David, tu en fais une tête, qu'est-ce qu'il se passe ?"

Jessi s'était approchée, un air inquiet sur son visage.

"Je ne … Jessi … C'est impossible hein ? Je l'ai sauvée. Je l'ai sauvée et elle va bien. C'est vrai qu'elle était jeune, je pensais qu'elle ne comprenait pas … J'avais tort Jessi … J'AVAIS TORT P****N"

Il frappe des poings sur la table en criant, faisant sursauter Jessi et attirant les regards de toutes les personnes qui se trouvaient à portée d'oreilles.

"David, qu'est-ce qu'il se passe ?
- Je dois partir …. Il faut que je parte …. Je reviendrai dans deux semaines. Désolé Jessi, je dois y aller."

Ce jour-là j'ai quitté l'hôpital sans expliquer à qui que ce soit ce que je venais d'apprendre. J'étais rentré chez moi et je m'étais effondré, tentant de noyer le désespoir dans l'alcool. J'avais fini par sombrer, trop saoul pour aller jusqu'à mon lit. Ce jour-là, fut le début de la fin pour moi. Ce jour-là, le peu d'espoir que j'avais de m'en sortir fut détruit.

Le lendemain, à mon réveil, Jessi se tenait assise à côté de moi sur le canapé. Elle avait le visage crispé par une expression de colère et d'inquiétude qui la rendait plus vieille qu'elle ne l'était. Après un sermon sur mon attitude, elle avait fini par me demander ce qu'il s'était passé et j'avais fini par tout lui dire. Elle avait pleuré alors que j'en étais incapable. Elle m'a alors pris dans ses bras en me promettant qu'elle serait là quoi qu'il arrive. Ça ne suffirait pas. Elle le savait.

Le jour de l'enterrement j'étais dans le même état que ce matin-là, incapable de ressentir la moindre émotion. Jessi m'avait accompagné, faisant ainsi connaissance avec ma famille. Dylan et sa femme Megan que je ne pouvais pas supporter ainsi que leur deux enfants Kyle un petit garçon de 2ans bien agité et Amy un adorable bébé de quelques mois. Ethan était là aussi, il ne cessait de pleurer, pourtant en me voyant il avait sourit, un sourire chaud avant de foncer dans mes bras. Ils pourraient  s'en remettre tous les deux. Je le sentais. Ils avaient réussi à avancer, ils pourraient le refaire.

Une fois rentré, j'avais repris le travail, l'air de rien. Je me sentais différent, j'étais différent, comme si le monde avait perdu ses couleurs. Jessi me répétait que ça finirait par passer, j'essayais d'y croire, mais j'étais las et sans émotion. Jusqu'à cette nouvelle tragédie. Jusqu'à ce dénouement qui brisa la dernière barrière qu'il me restait avant l'autodestruction. C'était quelques mois après le décès de ma sœur. Une nouvelle patiente, une gamine de 6 ans avec un problème cardiaque en attente d'une greffe.

"Bonjour Emily, moi je suis le Dr. Jessica Roberts, mais tu m'appelais Jessi, je serais ton chirurgien et lui c'est le Dr. David Cooper, il sera ton médecin."

Pour lui ce n'était qu'un autre cas, une autre machine à réparer, une autre énigme à résoudre. Rien de plus. Du moins pendant environ un mois.

"Docteurs, j'ai fait ça pour vous.
- Oh, mais regarde David, c'est nous, et là c'est toi Emily et … qu'est-ce que c'est ça ?
- C'est de la magie, avec ça vous me sauvez."

David qui n'avait plus rien ressenti depuis la mort de sa sœur, sentit son cœur se briser littéralement et sans même qu'il ne s'en rende compte, des larmes commencèrent à couler le long de ses joues.

"Monsieur le docteur, ça ne va pas ?"

Jessi se tourna vers lui et remarqua ses larmes, mais lui n'avait toujours pas conscience qu'il pleurait.

"David … ? Tu pleures.
- Quoi ? …"

Il effleura sa joue humide de ses doigts avant d'essayer son visage avec sa manche.

"Désolé. Ce n'est rien, j'ai mal aux yeux depuis ce matin."

Jessi savait qu'il mentait, mais elle ne savait pas si cette soudaine remontée d'émotions était une bonne ou une mauvaise chose.

La petite resta des mois à l'hôpital, les médecins multiplièrent les solutions pour lui donner plus de temps pour attendre, quelques opérations, des médicaments, mais rien ne durerait éternellement, il lui fallait un nouveau cœur et son état commençait à devenir critique.

"On ne peut pas rester là sans rien faire …
- David il n'y a rien de plus à faire, on ne peut qu'attendre.
- Mais elle n'a plus le temps d'attendre Jessi !"

Son poing heurta le mur le plus proche.

"David, calme toi …
- Comment veux-tu que je reste calme ? On doit faire quelque chose, on doit la sauver, je dois la sauver. Il y a sûrement un moyen.Il doit y en avoir un.
- David, quand ça n'allait pas tu m'as toujours rappelé qu'en tant que médecin, on ne pouvait pas sauver tout le monde.
- Oui, mais elle, il faut que je la sauve Jessi, j'en ai besoin ...Je ne peux pas … Je dois la sauver.
- Tu ne pouvais rien faire pour Hope et ici aussi, tu ne peux rien faire David. Il faut l'accepter.
- … Vas te faire voir …"

Il partit rageusement en direction de la chambre de la petite Emily qui dormait. Il la regarda pendant près d'une heure, cherchant une réponse, un espoir, n'importe quoi qui pourrait l'aider, mais il n'y avait rien. Jessi avait raison. Il n'avait pas pu sauver Hope et il ne pouvait pas sauver cette petite non plus. Son regard se posa alors sur un œuf posé sur la table de chevet d'Emily. Un oeuf de pokémon que ses parents lui avaient ramené et elle en prenait soin tous les jours, maintenant qu'elle dormait et que les machines l'aidaient, elle était bien incapable de le faire. David récupéra l'œuf et le ramena chez lui afin d'en prendre soin. Il s'en occuperait jusqu'à ce que la petite aille mieux. Parce qu'elle allait guérir non ?

Il apprit son décès le lendemain matin en arrivant à l'hôpital, il accouru en direction de la chambre, le temps semblait s'être arrêté. Jessi était là, elle tentait tout pour la sauver, pour la ramener, mais après presque 40min à se battre, elle annonça le décès de la petite Emily devant ses parents détruits et en pleurs. Elle se tourna ensuite vers David, elle avait besoin de lui, besoin qu'il la réconforte comme à chaque fois, mais cette fois, au lieu de venir vers elle, de lui prendre la main et de la prendre dans ses bras, il se retourna et partit.

Elle savait qu'il n'en était plus capable. Elle lui avait dit un jour, que s'il s'effondrait, elle serait incapable de l'aider. Ce jour venait d'arriver.

Ce fut la dernière fois qu'elle le vit.

Je suis parti sans prévenir. J'ai fait mes valises, écris une lettre lui expliquant pourquoi je devais m'en aller, que puisque je n'étais plus capable de me relever, je n'aurais plus jamais la force de l'aider à le faire. Qu'il valait mieux qu'elle continue sans moi. Aujourd'hui je suis là dans cette nuit noire, seul avec Titane, le miaouss de Galaar qui est sorti de l'oeuf d'Emily et je suis toujours incapable de me relever. Saoul et brisé j'attends seulement que ma vie prenne fin. Je ne sais pas quand cela arrivera, mais peu importe au final.

Je n'ai plus aucun espoir. Seulement ma rancœur et l'alcool.