La….lala…lala…

Une mélopée lente, douce, légèrement lugubre cependant, sort de tes lèvres, alors que tu humes, passant d’une tombe à l’autre, des noms inconnus passant devant tes yeux qui ne s’y attardent même pas. Chose étrange, inhabituelle chez toi, tu tiens un bouquet dans tes bras. Un bouquet de roses.
Enfin, c’était un bouquet de roses.
Car aucune fleur n’est visible, au bout des tiges. Toutes ont disparu.
Comme si on les avait coupées.
Comment pouvais tu offrir des fleurs à qui que ce soit, toi, qui hais par-dessus tout ces attentions douces, ces artéfacts de beauté, ces attentions hypocrites, pour des gens qui, de toute façon, ne sont même plus là pour les voir ?
La simple vue de ces plantes, de cette couleur, te répugne.
C’est avec un malin plaisir que tu as saisi le ciseau, pour toutes les couper.

C’est donc avec ton « bouquet » que tu chemines entre les tombes, appréciant te perdre dans ce domaine appartenant bien plus aux morts qu’aux vivants, chez ces personnes dont tu apprécies bien plus la compagnie que ces vivants bien trop bruyants. Et, si leur âme pouvait revenir en forme de pokémon spectre, sans doute leur demanderais tu comment est l’enfer, comment sera cette future maison qui sera tienne.
Oui, tu as une fascination malsaine pour ce domaine qui n’appartient pas aux vivants. Pourtant, tu sais que ton heure à toi n’est pas encore venue. Malgré ton dégoût pour cette vie fade et hypocrite, ce bruit sourd et vide de sens, tu sais que tu as encore quelque chose à faire.

Tes pas s’arrêtent devant un nom, que tu ne connais que trop bien – et que tu aurais voulu ne jamais connaitre.
« Gabriel d’Armentin »
Ton premier mari, le père de ton enfant – et c’est sur cette pensée qu’un frisson de dégoût parcourt tout ton être.
Oh que tu le détestais.
Sa simple présence t’a enfermée dans une prison dorée, dans une prison dont tu n’as jamais voulue, tout ça à cause de ton statut.
Si seulement tu avais eu un semblant de liberté, alors jamais tu n’aurais accepté ce mariage.
Mais au moins.
Son sort montre ce qu’il en coute, de t’enfermer ainsi.

Un bouquet mort, déposé pour une personne morte. Au fond, n’est-ce pas affreusement approprié ?
Et un simple murmure, à peine audible.
« Rest In Hell, my unbeloved ».

 

Et tu étais toute à tes pensées, Alceste - tes funestes pensées. Et cela te faisait plaisir de lire ce nom sur cette pierre tombale, et ça te faisait plaisir qu'il ne soit plus dans ton entourage.
Et peut-être, bientôt.
Ton autre mari allait rejoindre le premier.

-Désolé si je vous ai dérangé. C’est compliqué avec ceux que l’on n’aime pas, hein ?

Tu te tournes à peine vers la personne ayant prononcé ces mots - une jeune fille que tu ne connais pas. Étonnant d'ailleurs, que tu ne l'aies pas remarqué alors que le cimetière est plongé dans un voile de silence.
Tes yeux se posent sur la tombe d'à côté. Tu remarques les fleurs qui y sont déposées.
Quelqu'un qui viendrait donc pleurer les morts ?
Répugnant.

Tu te redresses de toute ta hauteur - grand et fin squelette que tu es - amusée par sa question, bien que ton visage reste toujours de marbre.

-Difficile, dites-vous ? C'est là tout le contraire, mademoiselle : c'est bien plus facile lorsqu'ils ne sont plus sur notre chemin.

Bien plus facile, oui, depuis que Gabriel n'est plus là, depuis qu'il n'est plus là pour t'enfermer dans ton rôle d'épouse parfaite, d'interférer avec l'éducation de Clorinthe pour en faire une "petite fille parfaite". Et, si tu éprouves la même antipathie pour Loup, lui au moins a la décence de ne pas se mettre sur le chemin de tes méthodes d'éducation.
A ses risques et périls ~

-Bien que, eux au moins ont la chance de pouvoir voir par eux même ce qui se trouve par-delà le fleuve du Styx.

Une chance, oui.
Pour toutes personne ayant effectivement une fascination malsaine pour l'au-delà.
Au fond, tu l'envierais presque.

Tu te tournes alors complètement vers la demoiselle, faisant une de tes fameuses révérences, cette révérence aux gestes exagérément lents, intriguants.

-Comtesse de Nives. À qui ai je l'honneur ?

 

Et tu te moques bien de ce qu'on pourrait dire de toi, dire de tes malédictions marmonnées à chaque fois que ton regard d'orage se pose sur quelque chose qui ne lui plait guère.
Au fond, est-ce si étonnant ? Rien qu'à voir ta silhouette drapée de noir, l'on te croirait constamment en deuil. La mort est un sujet qui te sied si bien, finalement.

-Ca, c’est vrai, ce n’est pas moi qui vais dire le contraire.

Un haussement de sourcil. Tiens, comme c'est étrange. Il est bien rare que la jeunesse te réponde ainsi, te donne une réponse qui te satisfait tout à fait.
Quels beaux desseins vois-tu là. Après tout, la mort n'est qu'une étape inéluctable de la vie, qui peut arriver de manière bien inattendue.

-Mais je n’irai pas jusqu’a souhaiter la mort des autres. Enfin... pas ceux auxquels je tiens tout de même.

Oh. Vraiment.
Et toi, Alceste ? La souhaites tu pour les personnes qui te sont chères ?
Ou plutôt, qui sont les personnes qui te sont chères ?

-Je ne suis pas très pressée de découvrir par moi même. Autant ça m’intéresse, autant je ne veux pas faire l’expérience.
-C'est pourtant un domaine bien fascinant que celui de l'au-delà. L'on connait si bien ce monde ennuyant pollué par l'Homme. Mais l'autre monde ? Voilà enfin quelque chose dont nous ignorons tout.

Quoique. Après réflexion, lui aussi doit être tout aussi pollué par l'Homme. Mais, tu songes avec amusement qu'il n'installera jamais son trône en Enfer, mais qu'il y trainera juste ses chaines.
Ce monde ne te déplairait surement pas, Diable que tu es.

-Maya. Maya Wayne, pour être plus précise, mais le nom n’est pas important.

Tu apprécies la révérence qu'elle t'adresse, un geste de la tête montrant ton approbation. C'est que tu as toujours grandi avec ces manières, alors tu apprécies quand l'on se conforme aux tiennes.
Dans quel moule as-tu été formée, Alceste ?
C'est sur ces pensées que tu réalises à quel point tu as été formatée, et que tu te maudis toi-même.

C'est ensuite une question bien indiscrète qui sort de la bouche de la jeune fille.
A quoi sert donc un titre, de nos jours ?
A quoi a jamais servi un titre ?
C'est bien la question que tu te poses, car elle mérite une réponse claire.
Car toi-même tu te l'ai posée, un jour. Toi au cœur si froid, à l'esprit pragmatique, tu t'es souvent demandé à quoi servent les fioritures sans aucune valeur de ce monde.
Tu les méprisais. Oh oui, toi qui n'aimes que les choses vraies, tu n'aimes pas qu'on cache la laideur humaine par simple prétexte de titre honorifique.
Jusqu'à ce que tu apprennes à t'en servir.

-Ce titre n'a jamais eu de véritable sens, mademoiselle Wayne. Qu'il soit paré d'or ou de haillons, nous restons tous de misérables êtres humains.

Même s'il y a des misérables qui brillent bien plus que d'autres de part leur intelligence et leur ingéniosité.

-Mais il peut toujours apporter quelque chose. Vous-même, pourquoi avez-vous effectué cette révérence ? N'est-ce pas parce que vous avez entendu que je suis Comtesse ?

Tes yeux se posent sur le nom de ton ancien mari, gravé dans le marbre. Lui aussi avait un titre, une fortune.
Et pourtant, lui aussi était un misérable.

-Les titres n'ont de valeur que ce qu'on en fait.

Et toi, Alceste, si autrefois tu les méprisais.
Aujourd'hui, tu comptes bien les utiliser.

 

C'est qu'elle était bavarde, la jeune fille. C'est qu'elle avait du mordant, aussi. Tu ne vas pas dire que cela te plait - tu n'aimes rien, Alceste, et les gens encore moins. Mais au moins ne se cache-t-elle pas derrière de faux semblants.

-Autant je suis d’accord pour la pollution, je ne peux pas critiquer quand je ne suis pas vraiment un super exemple de bonté, autant l’ennui c’est autre chose. Ou alors c’est que cette discussion vous ennuie et je peux partir.

Tu hausses un sourcil. Partir ? Eh bien. Elle pourrait partir quand elle le voulait. Tu n'as certainement pas une tête à retenir qui que ce soit.

-Rien ne vous force à rester ici non plus, mademoiselle.

Alors, si elle reste ici, c'est qu'elle en a décidé ainsi, comme elle l'a si bien dit. En attendant, toi, tu avais aussi tes choses à faire ici. Comme montrer ton irrespect à ton défunt mari en parlant aussi légèrement devant sa tombe.

Et tu vois que tu as appuyé sur une corde sensible. Enfin, rien d'étonnant à cela. Tu as l'habitude que ton titre ne suscite pas que du respect, mais parfois - et surtout - du mépris. S'ils savaient ce que tu pensais d'eux, toi aussi...

-Certains moins que d’autres. Ce n’est pas le principe d’un titre ?

Tu ne réponds pas à cette question qui n'attend visiblement pas de réponse.
Plus que d'autres ? Eh bien, en vérité, oui. C'était le principe d'une hiérarchie. Même si les titres ne correspondent absolument pas à la valeur de l'âme - oh mais elles sont toutes si laides, si hypocrites - c'est cette hiérarchie qui est ancrée dans l'esprit des gens. Et qui les pousse à la respecter.
Ou à se rebeller. Dans les deux cas, elle est si présente...

-Dans le mille. Un réflexe de ma part, certaines habitudes finissent toujours par revenir. Je note que toutes mes futures solutions doivent maintenant être des révérences uniquement pour contredire ceci.

Exactement. Tu baisses ton regard vers elle. Si jeune, si rebelle. Et pourtant, cette forme de rébellion, si prévisible.

-Bien. Donc vous ferez cette révérence tout le temps par pure forme de rébellion ? N'est-ce pas, de cette volonté de renverser ce schéma, une reconnaissance de ces titres, une reconnaissance de leur influence en temps normal ?

Nul désir d'asseoir la domination de ton titre par ce discours, simplement le fait amusant qu'elle même le reconnait via ses actions. Enfin, toi, tu le reconnais aussi, évidemment. Après tout, comment ne pas le reconnaitre quand tu es née dedans.

-Ça répond à ma question. Tant que vous ne commencez pas à vouloir m’écraser avec, ce n’est pas mon problème. Mais vous ne semblez pas être ce genre de personne. Enfin, j’espère sincèrement, je n’ai pas tendance à bien m’entendre avec eux.

Ton regard d'orage se pose sur les yeux verts.
Oh ? Vraiment ?

-Qu'est-ce qui vous fait croire cela, mademoiselle ?

Elle n'a pas tord. Après tout, tu préfères largement obtenir et saisir le pouvoir plutôt qu'on te le donne.

-N'ayez crainte, mademoiselle. Je n'ai rien à obtenir de vous.

Sous-entendu : tu pourrais. Tu l'as déjà fait. Mais cette jeune fille ? Elle ne t'intéresse pas. Heureusement pour elle.

-Il y a bien des manières d'obtenir le pouvoir et l'influence, même sans titre.

Et ça, au fond.
C'est ce qui est le plus dangereux.

 

Oh. Alors elle ne veut pas d’une révolution ? Comme c’est dommage. Voilà une jeune fille qui a pourtant beaucoup de potentiel, tu le vois en elle. Une jeune fille avide de liberté, une jeune file qui a tout l’air de vouloir se rebeller contre le monde.
Et toi qui aimes le chaos, évidemment que tu peux percevoir ce genre de choses.
Mais non, elle ne veut pas. C’est là bien dommage, mais tu ne diras rien, Alceste. Si voir ce fourmillement sans queue ni tête de tous ces gens t’amuse, si entendre leurs cris de peur et de désespoir te fait l’effet d’une douce mélodie, toi en revanche tu as toujours préféré préparer ton coup, comme lorsque tu joues aux échecs.
Comme lorsque tu as mis fin à la vie de Gabriel.
Et c’est bien grâce à ça qu’aujourd’hui, tu te tiens dans cette position. Toi, debout, fière. Face à lui, six pieds sous terre, sous une lourde plaque de marbre.

-En temps normal, je n’en tiens pas compte. Au final j’ai surtout fait cette référence, car vous en avez vous-même réalisé une.
-Eh bien dans ce cas, nous sommes quittes.

Futile discussion autour d’un geste que tu as juste l’habitude d’exécuter, rien de plus.
Mais au fond, toutes les discussions ne sont-elles pas futiles ?

Malgré cela, tu restes, Alceste. Car cette jeune fille a du caractère, et ne semble pas effrayée par tes horribles atours. La Sorcière que tu es n’as pas peur de s’afficher telle quelle, pourtant aujourd’hui, elle ne fait pas fuir. Etrange sorcellerie.

-Il n’a y plus grand-chose à obtenir de moi, et vous ne l’aurez pas dans tous les cas.

Une voix bien assurée, bien fière. Et, pendant un moment, tu aurais presque envie.
De lui prouver le contraire.
Car tu aimes les défis, Alceste. Mais voilà, tu baisses ton regard vers elle, tu la scrutes, tu essaies de te souvenir de son nom quelque part, mais rien ne te vient. Après tout, le seul son que tu apprécies entendre est le vieux grincement des portes de ton manoir, ou alors – surtout – les cris de peur des gens osant s’aventurer dans ton musée des horreurs.
Tu n’as effectivement rien à soutirer d’elle.

-Quel dommage.

Est-ce de la provocation ? Est-ce de la taquinerie ? Oh, rien de tout ça en vérité, simplement des faits.
On aurait du mal à y croire, mais tu es une femme joueuse, Alceste.

-Après c’est qu’une question de choix. Ce que vous voulez utiliser ou non. Moi j’ai choisi. Ensuite, c’est de savoir pourquoi.

Au fond, elle avait raison. Au fond, c’était juste ça. Simplement ça.
Enfin, pour le commun des mortels. Pour toute personne voulant vivre, loin des ennuis, vivre sa vie tranquillement.
Mais toi, Alceste, tu veux un peu plus que ça.

-Vous n’avez pas tort, mademoiselle. Néanmoins, n’est ce pas là une chose ennuyante ?

Et c’est là une véritable question.
Car toi, tu n’en sais rien. Toi, tu as choisi de faire les choses de manière un peu plus complexes. Toi, tu n’aimes pas la monotonie des jours banaux et de ta vie de famille parfaite qu’on t’a imposée.
Toi, tu veux bien plus que ça, Alceste.

-Il n’y a rien de mal à préparer ses armes, mademoiselle. Songez-y : qui sait ce que l’imprévu peut faire tomber sur nos têtes.

Et l’imprévu.
Ne porte-t-il pas ton nom ?

 

Tu sens que la demoiselle face à toi est légèrement tendue. Néanmoins, elle continue de parler, elle continue ce débat qui, tu te le demandes, a un sens. Au moins cela s'annonce intéressant.

-C’est ennuyant uniquement si l’on décide que ça l’est. Ce que je fais de ma vie est tout sauf ennuyant.

Et au fond, tu te demandes.
Si pour toi, la chasseuse de connaissance, la chasseuse de mort, cette vie bien remplie ne serait pas mortellement ennuyante.

-Si vous le dites.

Toi, Alceste.
Tu le déciderais surement.

Le pokémon de Maya saute dans ses bras, et tu observes un moment ce moment de complicité.
Complicité que tu n'auras jamais. Tu n'as pas envie de ce genre de relations qui, pour toi, est compliqué futile. Les sentiments sont si volatiles, ils peuvent changer du jour au lendemain, au moindre coup de tête.
La domination, elle, est différente. La peur instaure une crainte et un contrôle bien plus puissant que des sentiments volages.
C'est à ce genre de relations, que tu aspires.
C'est ce genre d'outil, que tu prépares.

-Ne dit-on pas que les outils nous façonne ? Utiliser ce genre de moyen ça reviendrait a retourné à ce que j’ai décidé d’arrêter d’utiliser. Ce qui est légèrement contre-productif.
-C'est là votre choix. Un choix que je ne ferai pas.

Car les outils, Alceste.
Tu les vois partout. Dans chaque personne, dans chaque pokémon, dans chaque chose. Tu es une femme prévoyante, Alceste.
Depuis ton enfance, tu ne vois les autres que comme des outils.

-Et si vous voulez vous faire une faveur, n’embarquez pas vos enfants dans tout ceci. Ils vous seront reconnaissants.

Et cette fois.
Tu glisses tes yeux d'orage vers les verts de ton interlocutrice.
Voilà quelque chose que tu n'apprécies pas, Alceste. Car s'il y a bien une seule chose que tu apprécies en ce bas monde horriblement laid et ennuyant, c'est ta fille. Clorinthe, cette enfant chaotique et terrible.
L'instrumentaliser ? Voyons, tu l'as juste élevée.
Et jamais tu ne toléreras que l'on te la retire.

-Mon enfant se porte très bien, je vous remercie de ne pas vous mêler de ce qui ne vous regarde pas.

Ton ton est ferme, dur. Mais c'est bien la seule fois que tu deviens protectrice, Alceste.
Aurais tu encore une part humaine ?
En revanche, si elle veut entrer sur ce terrain-là.
Alors toi aussi, tu vas y entrer.

-J'imagine que vos parents ont mal utilisé leurs outils.

T'aventures tu sur un terrain qui ne te regarde pas, Alceste ? Ce n'est que de bonne guerre.

 

Et vous dérivez sur un terrain qui concerne directement vos vies privées.
L'une enfant. L'autre parent. Évidemment que vous n'allez pas avoir la même vision.

-Mes parents disaient la même chose. Techniquement, ils n’avaient pas tort. En pratique, ils avaient faux sur toute la ligne.

Et tu ne réponds rien, même si au fond, tu te demandes.
Qu'est-ce qu'elle insinue par-là ?
Oh tu serais curieuse de voir cette jeune fille si fière devant Clorinthe.

-Ou alors que l’outil est assez malin et têtu pour forger sa propre destinée.
-Et qu'ils aient été trop faibles et naïfs pour l'arrêter avant.

Toi non plus tu n'en démords pas, Alceste. Elle veut jouer à ce jeu, elle veut te pousser dans tes derniers retranchements ?
Alors tu attaqueras plus fort, Alceste.

-Et encore, mes parents étaient assez bons. D’autres discutent à peine avec leur enfant. Parfois, ça marche. D’autres deviennent incroyablement tristes avant de se dire qu’une famille c’est dans le cœur, pas les liens du sang. Mais je comprends qu’infliger son ressenti envers des enfants c’est bien plus simple. Incroyablement, lâche aussi.

Eh bien eh bien, si tu avais appris comment faire, peut être aurais tu ri, Alceste. Voilà qu'une gamine à peine adolescente prétend tout savoir de la relation entre un parent et un enfant, par le simple prétexte qu'elle a été une enfant et qu'elle s'est sans doute occupée de son pokémon. Pense-t-elle remettre tes sombres idées en question, par ce discours ? Pense-t-elle accomplir quelque chose de noble, en parlant à la place d'une enfant dont elle ignore tout, et qu'elle n'a jamais vu ?
Oh bien sur que non. Tu sais garder ton sang-froid, Alceste - sauf lorsqu'on te pousse dans tes derniers retranchements - mais ce n'est certainement pas cette demoiselle qui le fait. En fait, son discours te dégoûte.
Qui sont donc ces jeunes ignorants pour pouvoir se prétendre héros anonymes d'un quotidien dont ils ignorent tout ?

-Vous semblez tenir à votre fils ou à votre fille. Alors, ne faites pas l’erreur de mes parents. Contruisez avec votre enfant. Pas pour votre enfant.
-Je vous prie de ne pas parler à la place de ma fille, mademoiselle Maya. Vous ne savez rien d'elle, vous ignorez jusqu'à ma manière de l'élever, mais vous prétendez me conseiller sur la manière de l'élever. Je suis mieux placée pour savoir ce qui est mieux adapté pour elle.

Même si au fond.
Elle n'a pas tort.
Car c'est bien toi qui a élevé Clorinthe dans ce cadre de vie, dans ce manoir sombre et poussiéreux, c'est également à ses premières années que Clorinthe a visité ton musée des horreurs, c'est toi qui lui a inculqué toutes tes valeurs.
Toutes tes mauvaises valeurs.
Au fond, la demoiselle a raison. Si Clorinthe est devenue si cruelle aujourd'hui, si elle a pour ambition d'écraser au lieu de coopérer, si elle a une adoration pour le chaos et déteste l'ordre, si les couleurs et les paillettes lui brûlent les yeux autant que le glauque et la haine l'attirent, c'est car elle a suivi ton exemple.
Et, comme tu l'as dit.
Tu as bien forgé tes outils. Car pas une seule fois Clorinthe ne s'est sentie forcée.
Peut-être ta relation avec elle en aurait été différente, si ça avait été le cas. Tu es décidément une femme sans cœur, Alceste.
Et tu ne vois pas l'utilité d'en avoir un.

-Vous avez l’air de ne pas trop apprécier cette histoire de nom. Mais je présume que vous avez des obligations et que c’est pour ceci que vous restez avec. C’est très courageux, sincèrement moi j’aurai fui. Mais ne voulez-vous pas libérer votre enfant de tout ceci ?

Tu clignes à nouveau de l'œil. Encore cette histoire de nom.
Cela semblait la tenir à cœur.
Et tu te demandes un instant si elle aussi a eu une position, ou en tout cas un certain nom qui l'empêchait de prendre sa vie en main.

-Vous semblez savoir à quel point ce n’est pas facile, mademoiselle.

Oh non. La société est souvent bien plus forte qu'une misérable volonté humaine.
Sinon, malgré ton nom et ton rang, tu n'aurais pas eu à épouser deux hommes que tu n'aimais pas. Sinon, tu n'aurais pas eu à porter un enfant d'un homme avec qui tu ne voulais pas partager ton intimité.
Mais dans ton malheur, tu as su trouver en cet enfant que tu ne désirais pas une seule chose à ne pas haïr.
Même aujourd'hui ça te fait encore bizarre. A une antipathique comme toi, à qui on promettait un funeste destin. A une psychopathe comme toi, qui promettait un funeste destin à tous ceux le médisant.

Alors non, Alceste. Tu ne laisseras personne te la prendre.

-Ma fille fera ce qu'elle souhaite.

Dis-tu, simplement, et surtout, sincèrement. Tu souhaites apprendre à Clorinthe comment utiliser son titre à bon escient, comment utiliser son héritage pour pouvoir plus l'agrandir encore. Mais, surtout, la dernière chose que tu lui souhaites, c'est d'épouser un homme niais comme Gabriel, comme son père qu'elle n'a que peu connu, et dont elle n'a hérité heureusement que peu de gènes.

Et, si la discussion entre vous deux commençait à être tendue, la proposition de Maya était la dernière chose à laquelle tu t'attendais. Tu baisses la tête vers sa silhouette plus petite que la tienne, l'inspectant de haut en bas. Elle a un caractère très fort, et tu ne doutes pas qu'elle ne se laisse pas abattre par les épreuves de la vie. La couleur trop vive de ses cheveux agresse un peu trop tes rétines, c'est bien dommage sinon tu aurais accepté rapidement. Mais soit.
Tu aimerais bien voir comment elle se débrouille avec ta petite démone, qui est loin d'être avide de liberté comme cette demoiselle, mais qui a plutôt une soif de pouvoir particulièrement précoce. Peut-être alors changera-t-elle de discours.

-Me voilà fort étonnée. Mais si vous le proposez, mademoiselle, pourquoi pas. Ainsi vous pourrez voir de vos propres yeux comment cette enfant se porte, et ce qu'il en est d'une véritable éducation.

Car oui, Alceste.
La véritable éducation, c'est la tienne. Pas celle qui rabaisse constamment son enfant, pas celle qui rejette ses choix et ses désirs.
Mais plutôt celle qui fait adhérer à tes idées. Si bien qu'aujourd'hui, Clorinthe partage ta vision du monde, tes valeurs, et en est fière.
Tu tends un morceau de papier à la demoiselle, lui laissant le choix de le prendre ou pas.

-Domaine de Nives. Vous le reconnaitrez.

Il n'y a qu'à te voir pour deviner quel genre de domaine est-ce.