Sérieusement, qu’est-ce que je suis censé faire de ce bout de papier ? Un type, probablement complètement timbré, m’a donné ce truc pendant que j’étais sur le chemin du taff, ce matin. Une sorte de parchemin millénaire comme on en voit dans Indiana Jones, scellé par une noisette de cire avec les bords écharpés.

« Si j’l’ai ouvert ? T’es un malade. J’y touche pas. »
« Bah ! J’sais pas moi ! T’es même pas un peu curieux ? »

Évidemment, j’ai direct envoyé un SMS à Quincy pour qu’on mange ensemble que j’lui montre.

« Bon, et il t’a dit quoi l’vieux ? »
« Que c’était un machin-bidule-qui-pourrait-changer-le-cours-de-l’univers. Ah ouais, et aussi un truc sur le fait qu’y avait un autre gardien de parchemin chelou et qu’il fallait surtout pas qu’on se rencontre parce que rassembler les deux parchemins mènerait à la destruction de notre continuum espace-temps. »
« Waaaah, trop stylé ! »

Ça n’a absolument rien changé à ma vie. Mais plus les jours passent, plus j’y pense. D’une anecdote marrante à raconter aux potes, j’commence à me demander pourquoi il m’a filé c’truc. En me renseignant sur le net, je tombe sur des histoires de sectes, puis de complotisme, puis de paranormal. Et si au début j’y crois pas pour un sou, faut avouer qu’ils sont convaincants quand ils s’y mettent. Un jour, je tombe sur cette interview, un type de Montréal qui enquête sur des phénomènes étranges qui se produisent à Montréal. Ça n’a rien à voir avec mon problème mais j’ai toujours voulu visiter le Canada, et faudra bien que je commence quelque-part si je veux comprendre ce qui m’arrive, non ? En plus, ça y parle anglais j’crois. Bref, j’ai écrit un mot pour le publier dans les magazines locaux, en espérant qu’un mec calé en paranormal pourra m’expliquer ce que c’est qu’ce fichu parchemin.

Tout du moins, c’était le plan. Mais alors que je foule le sol Québécois, je commence à me demander si c’est vraiment une bonne idée. Et j’me dégonfle. Et j’jette le mot à la poubelle.

Quand j’ai raconté cette histoire de numéro de téléphone Canadien qui m’appelle à ma mère, elle a tout de suite grillé le fait que j’avais jeté un truc à la poubelle avec mes coordonnées et mon identité dessus. En bonne maman qu’elle est, elle m’a passé un savon et je lui ai dit, en bon fils exemplaire que je suis, que je ne recommencerai pas.

Ça, c’était sans compter sur le fait que j’ai un instinct de survie proche de zéro, donc j’ai pas répondu à l’appel de cet inconnu mais j’ai bel et bien fait mes recherches sur internet avec un annuaire inversé. Et c’est là que les choses se sont corsées. L’identité du type me dit quelque-chose sans que j’arrive à savoir quoi exactement. Où est-ce que j’ai déjà vu ce nom ?

J’en sais rien. Donc je me dis que ce doit être un démarcheur, un vendeur de tapis, juste un mec qui voulait mon fric.

Et de toute façon, ce n’est pas pour chercher davantage de questions sans réponses que je suis venu à Montréal. Donc, concentration ! Après de brèves recherches, je trouve enfin les locaux de ce magazine qui parlait d’événements paranormaux. Même si j’ai pas eu le cran de leur envoyer mon mot ou de l’afficher quelque-part, je compte bien faire le déplacement pour leur expliquer ma situation et voir si ça les intéresse. S’ils aiment les trucs mystiques, c’est sûr qu’ils vont adorer mon petit souci de parchemin.

Quand je pousse la porte des locaux, une multitude de boîtes aux lettres professionnelles sont alignées sur le mur qui me fait face et… il y a déjà quelqu’un en train de parler avec la dame de l’accueil, alors je prends mon mal en patience et mes yeux se posent distraitement sur les boîtes aux lettres.

Et c’est là que je reconnais le nom. Natsu L. Fuji. Journaliste. Numéro inconnu. Annuaire inversé. J’écarquille les yeux, incapable de savoir si ce type m’a stalké ou si les astres se sont alignés pour me faire flipper.

Ok, là, c’est flippant. Et l’hypothèse des astres qui s’alignent commence à être limite plausible. Après m’être avancé près de la secrétaire pour lui demander à voir ce fameux « Natsu L. Fuji », les boîtes aux lettres ont commencé à s’ouvrir, se refermer, littéralement distribuer le courrier mais d’une manière… eh bien, virulente. Un peu à la manière des lettres dans le premier Harry Potter. Je sursaute, me retourne, et mon cerveau refuse catégoriquement de digérer ce qu’il vient de voir, me forçant à me retourner pour faire à nouveau face à la secrétaire à côté de moi.

Un type finit par descendre à l’accueil, mais j’avoue que je ne fais pas trop, trop attention à lui pour l’instant. J’veux dire—merde ! Je sais que je suis venu dans les locaux d’un magazine qui s’intéresse aux phénomènes paranormaux, mais j’pensais pas mettre les pieds dans un endroit effectivement hanté…

Et tandis que je suis encore pétrifié parce qu’il est en train de se passer, j’entends la voix du type en question—qui m’attrape le bras pour me sortir de là et me dire qu’il est celui que je cherche. Ah bah tiens ! À la bonne heure ! Il me montre le fameux papier que j’ai jeté à la poubelle et me demande si j’en suis l’auteur.

« Ah ! J’le savais ! » Je m’exclame, content d’avoir réussi à comprendre un truc tout seul. Non parce que moi, les énigmes d’habitude… voilà quoi. « Ouais. Ouais c’est moi ! Mais euh… vos boîtes aux lettres, elles sont un peu… vivantes non ? »

Juste un peu, hein.

« Et puis comment ça, on est l— »

Pas le temps de finir ma phrase. Le sol se fout à trembler sous mes pieds et je regarde juste à temps pour faire un bond en arrière. Mon corps se gèle sur place une fois que je me pense hors de danger et… une énorme faille s’ouvre entre Natsu et moi, comme pour nous séparer. Non mais c’est quoi ce bordel ?! J’suis venu pour un parchemin, pas un exorcisme !

Alors—euh… j’ai pas peur des araignées. J’ai pas peur des insectes de manière générale parce que mon crédo dit que la petite bête va pas manger la grosse. Ça, c’est vrai jusqu’à ce que la petite bête vienne en bande organisée pour avoir ma peau. Genre, comme ce qu’il est en train de se passer actuellement. J’aurais juste jamais, jamais dû écouter mon instinct. J’aurais dû rester à Kobe, avec mon frère, mes potes, mon taff et je n’aurais jamais dû aller mettre mon nez dans les emmerdes, voilà tout ! Le type me fait signer de le rejoindre, et j’avoue n’avoir aucune envie de rester ici alors je prends mon élan, je saute au-dessus de la faille et j’entends un « shplookrsh » sous mes pieds. Je ne sais pas combien d’araignées j’ai écrasé, mais cheh. Je m’en fiche.

Et là, il se met à pleuvoir des grenouilles. Des. Grenouilles. D’ailleurs, Natsu essaye encore de me dire quelque-chose, de m’expliquer un truc sauf qu’il se fait interrompre par une grenouille qui lui tombe sur le coin de la gueule. Et là, c’est la grenouille qui fait déborder le vase parce qu’il explose littéralement et me hurle ce qu’il essaye de me dire depuis le début. Que lui aussi, il a un machin-bidule-qui-pourrait-changer-le-cours-de-l’univers, et c’est là que j’me souviens des mots du vieux. Fallait surtout, surtout pas qu’on s’rencontre et que les deux bouts s’retrouvent ensemble. Sinon, boom, fin du monde.

Je regarde le ciel. On n’en est pas loin, là.

Je sais pas quelle idée je me faisais de la fin du monde mais clairement… pas celle-là. J’ai presque envie de dire que c’est un peu nul. Sérieusement, l’univers n’a rien trouvé de mieux que des grenouilles, des failles dans le sol et des grenouilles ?

« Mais du coup… ça veut pas dire qu’on devrait genre… vraiment pas être là ensemble ?! »

Et pile quand je pensais que rien ne pouvait être pire… un bourdonnement suivi d’un énorme tremblement me fait presque perdre l’équilibre et je me retourne pour voir un gigantesque vaisseau alien. Génial. Je vais mourir.

Bon bah au moins, Natsu est sur la même longueur d’onde que moi. Et pour le coup, il est vif le bonhomme ! À peine entendus, il me crie des adieux et file aussi loin que possible.

« Ok… euh… bah à la prochaine ! Enfin, non du coup ! Surtout pas ! »

Je reste figé un instant mais je finis par l’imiter, essayant de ne pas écraser les grenouilles sur mon chemin—par contre les araignées, rien à secouer. J’avoue que pour ma santé mentale, je lance même pas un regard au vaisseau d’aliens. J’ai pas envie de voir ça et en plus, je sais que si le monde continue à tourner après cette journée—on va en entendre parler à la télévision pendant les dix ans à venir.

Du coup je cours, comme si ma vie en dépendait. L’orage se calme, y a plus trop de grenouilles à l’horizon quoique quelques boîtes aux lettres sur mon chemin continue à foutre le zbeul. Et je cours sans savoir où je vais ! Je prends le bus, je prends le métro, je prends un taxi, et j’suis à l’aéroport. Mes affaires sont restées quelque-part là-bas mais honnêtement, c’est pas ce qui me préoccupe et c’est pas comme si y avait quoi que ce soit de cohérent dans cette épreuve d’interforum.

Une fois à l’aéroport, je prends un billet pour Kobe et je m’envole dès que possible.

Et je jure sur ma vie que je dors quinze heures d’affilée une fois rentré. Je passe plusieurs jours scotché devant la télévision, à snober le boulot parce que j’ai quand même vu des grenouilles pleuvoir et un vaisseau alien. Ça me suffit. J’apprends plus tard qu’ils étaient tout pipous en fin de compte et ne venaient que pour voir cette magnifique Statue de la Liberté qu’on voit depuis j’sais plus quelle galaxie ont-ils dit.

Quelle semaine à chier, n’empêche. Plus jamais de la vie je prends une décision importante. Des fois j’entends encore ma boîte aux lettres qui me parle, j’espère que je rêve…