Midi-trente. Le soleil dardait ses rayons assassins, écrasant tout le monde sous une chaleur accablante. Il y avait du vent pour pallier en partie au problème mais c’était bien loin d’être suffisant. D’aucuns déconseillaient de s’exposer au soleil à ces heures-ci mais cela n’avait pas empêché Auguste de le faire même s’il prit toutes les précautions du monde. De l’eau en quantité suffisante, une bonne crème solaire et le voilà prêt à affronter les chaleurs de l’été. Il avait besoin d’un peu de tranquillité. Du temps pour lui, seul avec ses pensées et ses Pokémons. D’aucuns jugeraient cela malsain au vu des derniers bouleversements dans sa vie mais il avait de calme loin de toute l’agitation qui parcourait Lumiris pour le moment. Quelques heures, voilà tout ce dont il avait besoin. Après, il se serait recomposer un masque et serait prêt à affronter les prochaines jours.

Il s’était aujourd’hui rendu au Lac des Cygnes, près de Mirawen. C’était un coin aussi joli et apprécié des promeneurs mais pour lui qui était là depuis ce matin, il n’avait pas croisé beaucoup de monde. Il fallait dire que par un temps pareil, les gens préféraient faire bronzette à la plage.  Tant mieux. Cela faisait moins de monde ici. S’il avait dans un premier temps souhaité simplement s’allonger dans l’herbe et profiter du temps qui passait, le Champion ne résista pas longtemps à la tentation de mettre les pieds dans l’eau.  Pantalon retroussé jusqu’aux genoux et poches débarrassées de tout objet craignait l’eau, il appréciait le contact de l’eau froide contre sa peau. Il en avait même profité pour faire sortir quelques-uns de ses Pokémons. Magicarpe parce qu’il avait besoin d’un milieu spécifique pour sortir de sa Pokéball, Laporeille parce qu’avoir l’occasion de se balader était essentiel à son bien-être, Coupenotte car ce dernier n’avait pas souvent l’occasion de sortir et enfin Braségali pour surveiller tout ce petit monde. Auguste n’avait pas des yeux dans le dos et il aurait bien besoin d’une paire de bras supplémentaire en cas de problème. Il pensait surtout à Valkyrie, la Laporeille, qui avait tendance à jouer avec les limites posées par son dresseur, comme une adolescente cherchant systématiquement à mettre ses parents sur les nerfs.

« Vous avez quartier libre mais ne vous éloignez pas. » souffla-t-il à ses trois petits Pokémons.

Charlie n’était pas compris dedans mais cela, il n’avait pas besoin de le préciser. Il avait droit à ses moment où il pouvait se balader librement mais quand les compagnons plus jeunes et plus faibles étaient de sorti, il savait très bien qu’il avait à jouer un rôle de surveillant. Auguste les regarda donc avec attention, satisfait de voir que Pain était bien accepté dans le groupe. Il s’agissait du Pokémon de Bambi à la base mais certaines circonstances avaient mené à ce qu’il en devienne le propriétaire. Plus doux que son ancienne dresseuse, le Pulsar s’était vite fait aimé du Pokémon. Il était mignon, en quelque sort. Un peu bête, faible à en désespérer mais gentil comme tout. Bon, il avait visiblement subi des traumatismes puisque dès qu’il était comme paralysé dès que le Ranger élevait la voix, même quand les remontrances ne lui étaient pas adressées. Bambi n’avait jamais été tendre avec lui et si les souvenirs d’Auguste étaient corrects, elle avait plus d’une fois souhaité sa mort. Que le poisson soit perturbé n’était guère étonnant.

Malgré tout, deux choses restaient étonnantes. Deux éléments qu’il ne parvenait pas à s’expliquer. Premièrement, il avait été abattu en comprenant qu’il ne reverrait jamais Bambi. Elle l’avait toujours maltraité et il était triste de son départ… ? Le Pulsar avait du mal à suivre mais il semblait bien que c’était cela. Est-ce qu’à force d’être malmené, il avait fini par développer une espèce de syndrome de Stockholm ? Pas impossible. Et enfin, dernier détail non sans importance, la perte de sa dresseuse semblait avoir provoqué des changements d’ordre physique chez Pain. Il avait carrément changé de couleur ! A l’origine, il était d’un rouge tout ce qu’il y avait de plus classique mais quelques jours après qu’Auguste en soit devenu le gardien, il avait commencé à s’éclaircir de plus en plus et à présent, il arborait une vive couleur d’or.  L’homme n’avait jamais été confronté à cela  et les quelques recherches menées lui avaient indiqués qu’il s’agissait d’un phénomène très rare.

« Je me demande quelle tête elle ferait si elle te voyait ainsi… » murmura-t-il en caressant distraitement la tête de son Magicarpe doré, « La connaissant, elle aurait sûrement essayé de te vendre au plus offrant. »

Il sourit. Ça aurait bien ressemblé à Bambi de faire ça, tiens. Pain n’aurait pas à s’inquiéter auprès de lui en tout cas car il en prendrait soin comme il chérissait tous ses autres Pokémons. Puis, avec Tyranocif, c’était l’héritage que lui avait laissé la jeune femme décédée, ne pas respecter ses dernière volontés ne lui viendrait jamais à l’esprit.

Assis sur la rive avec les pieds dans l’eau, Auguste regardait ses Pokémons jouer à se pousser dans l’eau avec malice. L’après-midi était belle et le coin s’annonçait tranquille. Tout était bien jusqu’à ce qu’un claquement de langue du Braségali attire son attention. C’était sa manière à lui de dire que quelque chose approchait. Pas nécessairement un danger mais cela ne changeait rien au fait qu’un individu ou un Pokémon approchait et de par sa nature inconnue, Charlie se tenait sur ses gardes. Auguste, lui, demeurait serein, sachant pertinemment que son Pokémon réagirait s’il s’agissait bel et bien de quelque chose d’alarmant.

Auguste se décida à relever la tête lorsqu’il entendit son prénom. Il détourna les yeux de ses Pokémons toujours occupés à jouer dans l’eau et les posa sur la silhouette qui arrivait vers lui. Ses yeux s’écarquillèrent de surprise lorsqu’il se rendit compte que le promeneur ne lui était pas inconnu.

« Hey ! » lança-t-il, accompagnant ses salutations d’un geste de main.

Il hésita pendant quelques secondes sur le nom de cette personne jusqu’à ce que cela lui revienne. Aria. Oui, c’était ça. Même s’ils se connaissaient, dire qu’ils étaient familiers aurait été un mensonge. Ils s’étaient rencontrés une fois, par l’intermédiaire d’Ekaterina. Le Pulsar n’était pas peu fier de s’être souvenu du prénom de la jeune femme. Après qu’elle l’ait interpellé ainsi, il aurait eu l’air bête en avouant avoir oublié comment elle s’appelait. Charlie, voyant qu’elle et son dresseur se connaissaient, se détendit. Il n’avait pas à s’inquiéter et préféra donc garder un œil sur les trois petits Pokémons dans le lac. Même si l’eau était peu profonde là où ils étaient, un accident était si vite arrivé. Mieux valait qu’il garde l’œil ouvert.

« Je ne m’attendais pas à te croiser par hasard, surtout pas ici. »

Dans ce petit coin de nature, il supposait ne pas rencontrer grand-monde mais croiser quelqu’un qu’il connaissait, ça c’était une surprise ! Il se sécha les mains en les frottant sur son t-shirt et se releva, sortant les pieds de l’eau, pour s’approcher d’Aria. L’herbe lui chatouilla la plante des pieds alors qu’il couvrit les quelques mètres le séparant de la jeune femme.

« Comment vas-tu, depuis le temps ? » demanda-t-il une fois face à elle, « Wow ! J’en connais un qui n’est pas heureux de me voir. »

Alors qu’il se penchait vers elle pour lui faire la bise, il avait remarqué la petite créature frémissante au creux de ses bras. Il s’agissait d’un Mimiqui et à en juger par la manière dont il tremblait, il n’avait pas l’air d’apprécier qu’un étranger s’approche de sa dresseuse. Si la réaction était tout bonnement adorable, cela n’empêcha pas le Champion de faire aussitôt un pas en arrière. La réaction du Pokémon Spectre était imprévisible et dans le doute, il avait préféré reculer. C’était préférable à être blessé inutilement.

« Je ne vais pas te la voler, ahah. »

D’aucuns trouvaient les Mimiquis effrayants. Avec leur chiffon aux couleurs d’un Pikachu, Auguste comprenait qu’on puisse les trouver lugubre et pourtant, c’était l’un des rares Pokémons de ce type-là qu’il trouvait irrésistible. Que celui-ci se montre protecteur envers Aria ne faisait que renforcer cette impression.

« Qu’est-ce qui t’amènes par ici, sinon ? Tu profites aussi du beau temps ? »

Elle tâcha immédiatement d’apaiser sa Mimiqui. Elle frémissait toujours, à croire qu’on l’avait mise sur vibreur mais, après les explications de sa dresseuse, elle eut l’air de se calmer un peu. Bon, elle et Auguste n’étaient pas amis mais ça, c’était un détail que Guila n’avait pas besoin de savoir. Mieux valait qu’elle pense Aria proche de ce jeune inconnu, ça lui ferait réfléchir à deux fois avant d’avoir une réaction déplacée. La créature spectrale n’avait pas l’air d’être aux anges mais au moins, elle était calmée. Il allait se contenter de cela pour le moment.

Auguste haussa un sourcil lorsqu’elle mentionna sa mésaventure dans la jungle. Pour qu’elle soit coincée plusieurs jours dans la jungle, ce devait être un sacré accident de bus ! Une chance que ses blessures n’aient pas été trop graves – elle avait l’air en forme – et qu’elle n’ait pas eu de complications à rester dans la chaleur et l’humidité de la jungle. C’était un véritable repère à bactérie, avec ces conditions…

« Content que tu t’en sois sortie entière, en tout cas. » dit-il sans chercher à fouiner pour en savoir plus, « C’est tout à fait ça. J’avais besoin de repos, de prendre un peu l’air. Du coup je suis venu ici. Difficile de trouver un meilleur endroit pour profiter d’un après-midi ensoleillé, n’est-ce pas ? »

Selon ses goûts à lui, du moins. D’autres préféraient prendre du bon temps à la plage ou à faire autre chose mais pour lui, passer quelques heures dans un endroit tranquille où la température était à ce point délicieuse, c’était le remède idéal pour oublier un moment les maux de son esprit.

« C’est l’occasion parfaite pour certains de mes Pokémons de se dégourdir les jambes aussi. »

Magicarpe, Laporeille et Coupenotte étaient ses trois Pokémons les moins entraînés et à cause de sa casquette de Ranger et de Champion d’arène, ils devaient souvent rester dans leur Pokéball. Une après-midi à jouer et courir partout leur ferait du bien à eux aussi.

Auguste reporta son attention sur son « amie » car cette dernière fit à son tour sortir un de ses Pokémons. Il ne fallut guère plus de quelques secondes pour que le Pulsar reconnaisse qui était réellement cet Ossatueur d’Alola. Un grand sourire prit place sur ses lèvres quand il le vit entamer sa danse.

« Il a déjà évolué ? Eh bien, tu n’as pas traîné ! Il est superbe en tout cas, et il a l’air beaucoup plus énergique que lorsqu’on l’a croisé au cimetière. »

D’Osselait abattu et dépourvu de toute joie de vivre, il était devenu un bel Ossatueur qui ne cherchait pas à cacher la joie s’étant emparée de lui en reconnaissant un visage familier. Auguste aussi était content de le voir en si bonne santé mais les réjouissances furent de courte durée car il senti quelque chose lui tapoter le mollet.

« Qu’est-ce qu’il y a, Tiamat ? »

C’était son Coupenotte qui appuyait sa tête contre la jambe de son dresseur, l’air pressé. Intrigué celui-ci finit par poser les yeux sur sa Laporeille, qui tenait à bout de bras une silhouette qui brillait de mille feux, juste à côté de lui.

« Qu- ? »

Les pièces du puzzle s’emboîtèrent très vite dans la tête du Pulsar. Tiamat et Valkyrie et à ses pieds, Pain introuvable près de la berge… Alors, la forme lumineuse, ce devait être le Magicarpe. Pour avoir déjà vu ce phénomène des dizaines de fois, Auguste était au courant qu’il s’agissait d’une évolution mais là, tout de suite, il n’avait pas l’air réjoui du tout.

« Donne-le, vite ! »

La pauvre avait juste voulu montrer quelque chose d’intéressant à son dresseur, elle ne devait pas comprendre la raison pour laquelle il avait haussé le ton. En temps normal, il aurait été le premier à bondir d’excitation mais là, on ne parlait pas d’un Flabébé qui, en se métamorphosant, prenait quelques centimètres et une poignée de grammes. Non, il était ici question d’un futur Leviator, un monstre marin qui mesurait plus de six mètres de longs pour plusieurs centaines de kilos. Autant dire que c’était le dernier Pokémon qu’on souhaitait voir évoluer pile à côté de soi.

Le Ranger attrapa son Magicarpe par la queue et le lança de toutes ses forces en direction du lac. Il n’avait guère envie de voir quelqu’un se faire écraser quand Pain prendrait sa nouvelle forme, ce qui, selon toute vraisemblance, n’allait pas tard. A peine le Pokémon eut-il touché l’eau que la transformation arriva. Projetant de l’eau partout au point d’arroser généreusement les deux personnes présentes. Bon, c’était toujours mieux que de fini avec un os cassé parce que Leviator était apparu deux pas d’eux.

« Ben ça alors ! C’est maintenant que tu évolues, toi ? » lança-t-il gaiement avant d’éclater de rire.

Auguste plaqua ses cheveux humides sur son crâne après les avoir ramenés en arrière. C’était moins une. A choisir, il préférait cent fois prendre une douche improvisée que de se retrouver sur le corps massif d’un Léviator ayant évolué au mauvais endroit.

« C’est sûrement ça, oui. » renchérit-il avec un sourire complice, « Désolé que tu sois trempée. »

Rien de trop grave en perspective. Ils étaient mouillés, oui, mais en principe, le contenu de leurs poches n’avait pas trop souffert. C’était la principale crainte des gens vis-à-vis de l’eau. L’électronique n’aimait pas beaucoup cet élément. Il s’agissait de la raison pour laquelle on ne poussait plus les gens dans les piscines comme on pouvait le faire il y a dix ou quinze ans.

« Je ne m’attendais pas à ce qu’il évolue si tôt. Je t’épargne les détails mais à la base, ce n’était pas mon Pokémon. Je m’en occupe depuis peu et je m’attendais à ce qu’il lui faille un certain temps pour s’acclimater à son nouvel environnement. »

Sans compter que sa dresseuse originelle n’avait pas été tendre avec lui, elle ne l’avait en plus jamais entraîné et encore moins témoigné d’affection. Le voir évoluer maintenant avait surpris le Pulsar. A raison. Il n’avait néanmoins pas s’en plaindre. C’était la preuve qu’il avait admirablement bien rempli son rôle et qu’à ses côtés, Pain avait réussi à s’épanouir en dépit de son arrivée récente dans la grande famille que formaient Auguste et ses Pokémons.

« Et regarde toi maintenant, un beau Léviator ! »

Pour toute réponse, la bête en question se jeta dans l’eau et recommença à éclabousser tout le monde de plus belle. Etrange comportement. D’aucuns auraient été tentés de penser cela mais le dresseur, lui, savait de quoi il en retournait. Il n’avait pas changé le moins du monde, constata l’homme avec dépit. Il avait reculé de quelques pas afin d’échapper à cette nouvelle douche. Aria en avait fait de même et lorsque leurs regards se croisèrent, il haussa les épaules, l’air contrit.

« Une vieille habitude qu’il traîne depuis toujours. Dès qu’il ressent une émotion trop vive, il perd tous ses moyens et utilise Trempette. J’espérais que ce tic disparaisse avec l’évolution mais il y a encore du chemin à faire. Je le reconnaîtrais entre mille juste avec ça… Tiens moi cela, s’il te plait. »

Il déposa entre les mains de la jeune femme son portable et son portefeuille. Là, au moins, ils seraient à l’abri de l’eau. Leur propriétaire décida quant à lui de se rapprocher de la rive du lac et même à mettre les pieds dans l’eau pour s’approcher de l’immense créature.

« Pain, du calme. Ce qu’il t’arrive est normal. »

Se voulant rassurant, Auguste parlait d’un ton doux mais ferme à son Pokémon. Avancer encore de quelques pas était dangereux, surtout quand on savait qu’un coup de queue du Léviator pouvait faire de sérieux dégâts. Le trempetteur fou se rasséréna peu à peu, l’épuisement jouant certainement un rôle dans tout cela, permettant au Champion d’arriver à ses côtes pour lui caresser le flanc.

« Là, pas la peine de paniquer. » souffla-t-il, enfoncé dans l’eau jusqu’à la taille.

Calmé. Enfin. Pain se laissa cajoler un moment avant de s’éloigner plus loin dans le lac. Sans doute était-il désireux d’essayer son nouveau corps. Plus fort mais aussi très différent, cet aspect représentait un tournant dans sa vie de Pokémon. Auguste se demandait ce que lui ressentirait, si les humains étaient eux aussi capables d’évoluer. Eh. Une question que demeurerait à jamais sans réponse.

Le Ranger regagna la rive et rejoignit la terre ferme ou l’attendais toujours Aria. Leurs retrouvailles avaient déjà été mouvementées mais à présent, les choses devraient être plus calmes. En principe. Dans tous les cas, Auguste n’allait pas laisser passer l’occasion de faire un brin de conversation avec elle.