J’avais dit oui tellement facilement, sans même réfléchir à la seconde option, sans même réfléchir à quel point je serais nerveuse et à quel point j’aurais peur de décevoir l’entièreté de ma famille et mon colocataire. J’y étais pourtant préparée. J’avais pourtant toujours baigné dans la coordination. Je savais ce que c’était. Ça me rendait malgré tout bleue. Tout du long que nous avions été en déplacement, j’avais senti des vertiges me gagner. J’avais eu envie d’annuler, de dire à Yul que je préférais que l’on rebrousse chemin. Je m’étais retenue. Il semblait tellement heureux à l’idée de concourir avec moi, je ne pouvais me permettre de lui gâcher ce petit bonheur, aussi réconfortant soit-il. Et là tout de suite, alors que nous étions à deux secondes d’entrer en scène, j’avais envie de reculer. Les mots me brûlaient les lèvres, l’eau bondait mes yeux. Était-ce ça que mes parents appelaient le trac ? Non parce que c’était tout sauf stimulant. C’était limite angoissant. Je me sentais comme si un homme deux fois plus corpulent que moi me retenait, m’empêchait de me mouvoir… mais tout ça… c’était interne. Ça se passait dans ma tête. Je me savais nocive pour ma personne, mais je ne l’avais jamais vécu avec autant d’intensité. À ce stade, j’avais envie de me cacher dans la penderie la plus grande que je puisse trouver et m’y enfermer, à double-tour, jusqu’à ce que je meurs de faim ou de solitude. « Oui… allez-y… » avais-je laissé tomber faiblement. De telle manière que je doutais que Yul eut pu m’entendre. Il fonçait vers la scène avec tellement de courage. J’aurais aimé avoir ne serait-ce qu’une once de cette confiance qui habitait ses tripes. J’aurais l’air bien vite nulle à côté de lui. Entre la prestance et le charisme dont il faisait preuve, j’avais de bien maigre qualité. À la limite, j’étais adorable et c’est la seule chose que l’on aurait pu dire de positif.

Je l’entendis parler. Il faut dire que les coulisses n’étaient pas bien loin. J’étais figée. Il s’amusait. C’était limite s’il ne riait pas, lui-même, de sa présence et du concours. Je mordillai mes lèvres par nervosité. C’était mon tour. Le regard rivé vers le sol. Les épaules cambrées. Je n’avais rien d’une coordinatrice d’expérience, je n’avais rien que quiconque dans cette salle eut pu m’envier.

Un grand soupir. « Respire Lya, redresse-toi. ». C’était ce que mon cerveau ne cessait de me répéter comme si c’eut été d’une telle facilité que même mon instinct n’arrivait pas à comprendre pourquoi je me laissais autant gruger la couenne par l’anxiété. Une prestation publique. Mon instinct et moi savions très bien que c’était ce qui me rendait aussi déconfite, mais deux âmes semblaient habiter mon corps à ce moment précis. Deux âmes qui avaient, chacune, une vocation différente. L’une souhaitait faire de moi une starlette comme mes parents l’étaient, l’autre appréciait son petit coin d’ombre inconnu du public. J’aurais aimé que la première gagne facilement son combat, mais visiblement, elle avait besoin d’aide.

J’attrapai mon béret et le laissai tomber au sol. J’entendis la foule applaudir. C’était l’heure. Je sortis de derrière les rideaux, croisant Yul. Son parfum me frappa comme un espresso le matin. Je relevai la tête. « Tu es sur scène maintenant Lya, c’est le moment où jamais pour montrer que tu peux le faire. » J’ignore pourquoi ces pensées ne m’étaient pas venues avant, mais voilà que je marchais vers l’avant-scène avec davantage d’affront. Je regardais le public. Je laissais la chaleur de la lumière caresser ma peau. Je laissais l’entrain me gagner. L’anxiété me quitter. Je profitais. « Coucou vous tous… pour ma part, je suis Lyanora. J’ai longtemps voyagé avant d’en venir à me présenter à vous. J’ose espérer pouvoir vous faire profiter du brin d’authenticité qui m’habite. Profitez du moment. Yul est très doué aussi et j’espère que nous saurons vous satisfaire. » Ces paroles avaient été cathartiques. Je ne me sentais plus pareil. Ce qui avait commencé sur une hésitation s’était terminé par un ton très affirmé. J’aurais voulu clamer que j’étais une Caelum. Que je sortais avec Alaric Onde. Que j’avais appris auprès d’Even Ifflys. Que j’étais prête. Mais rien de plus ne sortit. Au contraire, sans même attendre la réaction du public, j’avais fait volte-face. Je retournais en coulisse. Comme si je cherchais à le provoquer.

J’imagine que c’est ce qui lançait les hostilités de ce concours. J’imagine que c’est la trace que je laisserais. Une fille au regard passionné qui n’attend même pas que le public réagisse pour agir. Comme si elle n’en avait pas besoin. Comme si le simple fait que l’adrénaline de scène la gagne était suffisant à la faire devenir une bête de scène incontrôlable. Était-ce ce que j’étais ? Non, sûrement pas. Avais-je seulement une once de ce culot en vrai ? Non, clairement pas. Mais sur scène, on devient un personnage dominé par des instincts qui nous échappe parfois. J’étais là pour m’amuser, pour Yul. Pas pour le public, pas pour la gloire. Quiconque avait décrypté mes mots l’avait compris ? Ou était-ce un masque ? Un masque d’humilité simulé pour charmer un public qui, visiblement, avait envie d’être là. J’avais la réponse. Yul avait la réponse. Pas le public, ni la championne coordinatrice qui nous jugeraient. Heureusement, je n’étais pas là pour gagner nécessairement et en serait moins déçue si ça devait me nuire.

« Bon succès monsieur Yul ! » dis-je à mon colocataire en le croisant à mon retour de scène. Mon ton était ardent, sans provocation, mais ardent. Je m'étais laissée gagner par l'énergie du public; la vulnérable Lyanora que j’étais au quotidien avait laissé sa place à une audacieuse Caelum. C’était dans ma nature… j’imagine.