Retomber sur ses pattes. Prendre le temps de le faire. Ça me semblait tellement flou auparavant quand mes parents me mentionnaient ces mots. Cette phrase, je l’avais tant entendue et ne l’avais pourtant jamais comprise. Jamais avant cet instant où on l’on m’avait sacré Miss Lumiris. J’avais presque senti mes jambes se dérober. Je ne m’y attendais pas. Dans toute mon humilité, ma candeur, je ne pensais pas être de calibre et voilà que j’avais été propulsé sur l’avant-scène des coordonnateurs. La fille sans ruban l’emporte. L’héritière des Caelum pose la main sur le prestigieux titre. Partout on avait parlé de moi. Si Alaric était le seul de notre couple à se faire interrompre pour des séances d’autographes, je venais de changer les choses. Il n’était plus possible pour nous d’avoir ces petits moments de paix dès que l’on souhaitait sortir de notre résidence. Même pour Yul ce ne devait pas être facile.

On essayait tout de même, de vivre normalement j’entends. On souhaitait se voir en privé à l’extérieur. Mes parents y arrivaient et ils étaient bien plus connus alors pourquoi pas nous. C’était moi le problème en réalité. Je n’y arrivais pas. J’avais du mal à gérer les foules, à leur dire que c’était assez et à quitter pour poursuivre ma route. Ça me rendait anxieuse, ça me grugeait. Alaric le voyait bien. Pourtant, il m’avait imploré pour que l’on se permette cette sortie aujourd’hui. Le printemps amenant son lot de belles choses, il m’avait convaincue que les chutes à proximité de notre domicile nous offriraient une vue merveilleuse. Évidemment, je l’avais cru. Ça allait de soi. Il avait toute ma confiance. Il m’avait demandé de l’y attendre. Je m’étais exécutée. Prenant Princesse avec moi, j’avais marché jusqu’à la cascade, fuyant les rassemblements, me cachant des passants. Ça ne me ressemblait pas, mon sourire normalement accueillant était devenu fuyant. J’imagine que le succès ne m’allait pas si bien.  J’osais me répéter que ce n’était qu’une phase d’adaptation nécessaire, que tout le monde passait par là avant de finalement accepter ce qui lui tombait dessus. Mais normalement, les gens avaient travaillé très fort pour en arriver là. Ce n’était pas mon cas. J’avais simplement regardé des gens faire avant et avait répété ce que j’avais vu.

Alaric avait néanmoins raison, ça me ferait du bien de sortir un peu. De voir autre chose que les pièces de notre résidence. De respirer l’air de la nature. De faire sortir mes Pokémons. Si ma Rozbouton était la seule que j’avais osé amener de peur d’attirer trop l’attention, elle n’en serait pas moins heureuse. Une petite sortie juste elle et moi. Ça ferait du bien. Dès que je mis le pied dans la clairière, elle chantonna. Je ne pus m’empêcher de sourire. Il est vrai que le paysage était rafraichissant, que sa beauté enchantait. La dernière fois que j’étais venue ici, c’était avec mademoiselle Madelyn, et la visite avait été fort chaleureuse. De par le paysage et l’engouement de nos pokémons.

Je pris une bonne bouffée d’air et souris en m’asseyant sur l’un des bancs. Princesse s’emmitoufla aussitôt contre moi et je souris. La petite douceur qu’elle était me faisait plaisir à m’affectionner ainsi. Je la caressai. Cette résolution du nouvel an que j’avais prise de devenir la nouvelle championne de type plante me plaisait toujours autant et le soutien de ces petits bourgeons qui ensoleillaient mes journées n’avaient rien pour me faire changer d’idée. Je sortis de mon sac l’un de ces encens plante que je traînais souvent. Quitte à attendre mon amoureux, autant joindre l’utile à l’agréable. Qui sait ce qui pouvait sortir de ces chutes après tout. C’est le genre de milieu où tout type de pokémon peut vivre.

« Non ! » criais-je surprise. Je ne l’avais pas entendu venir. Pas le moins du monde. Je m’étais laissée surprendre par son arrivée saisissante. Je sentis Princesse contre ma taille s’affoler et j’entendis mon encens se fracasser contre le sol. Il ne servirait plus à rien. J’espérais au moins ne pas l’avoir utilisé en vainc et qu’il aurait eu l’effet que j’espérais. Les mains de mon amoureux sur les yeux, je le laissais languir dans le silence. Je ne répondais pas. Il avait fait peur à ma Rozbouton donc je le taquinais à mon tour. Le petit Pokémon Bourgeon s’était niché sous ma jupe et refusait de sortir. Même si je la caressais du bout des doigts. Elle restait sous les tissus comme s’il y eut fait plus chaud. C’était factice, évidemment. Le vent filait sous ma jupe comme il filait à découvert, mais pour autant que ça puisse la consoler un minimum, je ne bronchais pas. Au contraire. La chaleur de son corps, le battement de son cœur, ça avait quelque chose de rassurant. Quelque chose qui me rappelait que j’avais encore une once de contrôle sur les choses qui m’entouraient. Le contrôle, c’est rassurant, j’imagine. Je n’ai jamais été tellement control freak après tout. D’un mince sourire, je sens un filet de vapeur se libérer de ma bouche. Je pose mes mains sur celle d’Alaric et les enveloppe du froid des miennes. « Je-ne-sais-pas ? Est-ce un fan drôlement entreprenant ? » dis-je en un murmure amoureux. Un ton apaisant, voire réconfortant. Je savais qu’il n’apprécierait pas cette réplique. Qu’il n’aimait pas particulièrement mon nouveau titre, mon nouveau succès, que ça le mécontenterait probablement. Avec toute la force que j’avais je soulevai sa main droite et la portai vers ma bouche pour embrasser ses jointures. « Ou serait-ce le plus important de ces admirateurs ? Monsieur Onde ? » dis-je sur un ton toujours aussi mielleux, tentant de me racheter de ma précédente plaisanterie qui l’avait probablement tiraillé. Je tournai lentement la tête espérant lui arracher un bais-

Ah non… la nature en avait décidé autrement. J’étais visiblement trop calme à son goût. Elle ne me reconnaissait pas. Poc. Un petit cri bestial. En alerte, je me raidis d’un coup. J’imagine que c’était dans ma nature de paniquer à la moindre occasion. Sans tenir compte de la Princesse qui se réchauffait toujours sur mes cuisses et de la pression que je tenais toujours sur les mains de mon amoureux, je me levai. Un nouveau cri. Cette fois celui de ma Rozbouton qui avait, vraisemblablement, été surprise de ce mouvement brusque. J’aurais pu dire la même chose d’Alaric que je continuais de tenir, qui était probablement à mi-chemin entre tomber à la renverse sur le banc et réussir à maintenir son équilibre. Je ne sais pas. Je ne regardais pas. Je ne faisais pas attention. Comme d’habitude. J’étais davantage concentrée sur l’impulsion. L’impulsion que ce bruit avait créée. D’où venait-il ? Qu’est-ce qui avait tombé ? Pas mon encens. Elle avait chuté bien avant. C’était autre chose… et ce cri draconien n’avait rien à voir avec celui d’un encens. Parce que oui, on est d’accord, les encens ça ne crie pas. Je crois. Je n’en ai jamais entendu crier du moins.

Aux aguets, je fixe le paysage. D’abord la cascade, puis les arbres, puis le sol. Rien. Je ne vois rien d’anormal. « Alaric ! Dites-moi, je n’ai pas rêvé, il y a bien eu un cri, non ? » dis-je en panique, libérant enfin ses mains de leur geôle épidermique. Le dernier rempart qui m’empêchait de m’affoler comme j’en avais l’habitude. Qui me maintenait dans une sérénité relative. Je courus vers la palissade, espérant localisant la source de la plainte qui s’était fait entendre à nouveau quand j’avais accroché une pomme du bout du pied. Geste qui avait d’ailleurs créé la panique chez ma Rozbouton. Je m’expliquais mal pourquoi elle réagissait ainsi, mais je l’avais vue, du coin de l’œil, se ruer vers la pomme. Avait-elle faim ? Non, elle avait mangé avant de quitter notre résidence.

Aux abords de la clôture, je ne vis rien non plus. Je ne comprenais plus rien. Il n’y avait, à nul endroit, aucun signe d’un Pokémon en détresse. Nulle part. Ni cri persistant ni visuel sur ledit animal à secourir. Je revins vers le banc. L’air déconfit. « Je ne comprends pas… je suis pourtant certaine d’avoir entendu une plainte… d’avoir entendu quelque ch… » Ma phrase resta en suspens. J’avais vu les fleurs. L’arrangement qu’Alaric avait apporté par pur désir romantique. Mes yeux s’imbibèrent. « Mais ce n’est pas mon anniversaire ! » hurlai-je en m’allongeant au sol pour me cacher derrière ma Rozbouton qui parlait avec la po… C’était des yeux… cette pomme avait des yeux. Je ne rêve pas. Cette pomme regardait mon Pokémon et lui répondait. J’hésitais entre hurler de surprise ou pleurer de désarroi tant je ne savais pas comment réagir au présent de mon copain. J’étais désemparée.

Ce sont finalement les larmes qui triomphèrent. Un mélange entre la joie de recevoir cette attention et la culpabilité d’avoir frapper cette pomme en cherchant ce qui avait créé. La pauvre devait avoir chuter d’un arbre et avoir rouler jusqu’à mes pieds sans que je ne m’en rende compte et sans faire gaffe, je l’avais frappé. Avec puissance. Je lui avais fait mal. Quelle horrible personne j’étais. « Alaric, je ne vous mérite pas… je lui ai fait mal… mais merci… mais elle a bobo par ma faute. » Le volume de ma crise augmentait. Je remerciais à répétition avant de rappeler que j’avais blessé un pauvre Pokémon sauvage que j’avais pris dans mes bras et auquel je tentais de donner une certaine forme de tendresse via des becs-aux-bobos maladroits et des excuses à peine compréhensibles tant je pleurais… créant, par ailleurs, l’incompréhension chez ma Rozbouton… J’étais décidément maudite par les Dieux. Chaque jour, chaque fois, il fallait que je devienne toujours un peu plus malchanceuse. Que je pose un geste qui soit contre mes valeurs. Pauvre entourage qui avait à se coltiner mes sauts d’humeur.

Je le fixais curieuse. Comment avait-il la patience de me supporter ? De m’apaiser. Je ne pouvais m’empêcher de réaliser la tendresse de cet homme qui avait, fort heureusement, croisé ma route à Némérya alors que je débarquais à peine. Je regardai le fruit vivant prisonnier de mes bras. Je regardai les pansements que me tendait Alaric. Je regardai la pomme. Je n’avais jamais vu ce Pokémon, je n’en avais jamais entendu parler. Qu’est-ce que c’était au juste ? Je regardai à nouveau les médicaments. Je libérai le fruit de mon étreinte et le posai au sol. Rozbouton l’accueillit aussitôt. Souriante. La pomme jubila, sauta sur place. Elle s’était déjà remise de la commotion cérébrale que je lui avais causée ? Ou je ne lui en avais pas causé finalement ? Avais-je réagi trop vite ? Avais-je sombré dans une crise de larmes qui n’avait pas lieu d’être ? Comme toujours finalement. Je réagissais avant d’analyser proprement la situation et lui, cet ange devant moi, endurait tout ça. Je bénissais le ciel de l’avoir mis sur ma route pour cette raison. Il était probablement le seul à avoir la patience de me subir comme ça, jours après jours. J’attrapai les médicaments que mon amoureux me tendait et regardai à nouveau la pomme. En avait-elle réellement besoin ? Elle semblait heureuse. Lui avais-je fait si mal ?  « Princesse ? » dis-je en regardant mon petit bouton de fleur. Elle me regarda. Aussitôt, comme si elle eut été la plus attentive des enfants. Absorbée par mes mots. Je lui montrai les pansements. « Votre ami en a-t-il besoin ? » Elle fit non de la tête. Évidemment. J’avais paniqué pour rien. Comme d’habitude. Je baissai la tête et déposai les médicaments dans l’herbe. Je relevai la tête. Souriante. Comme si rien n’était arrivé. J’étais décidément épuisante à suivre.

Je portai enfin attention à ce qu’Alaric préparait. Un pique-nique. Une activité d’une simplicité, pourtant réconfortante en ces temps plus difficiles pour moi. Je jouai le jeu. Je me levai et le rejoins sur la nappe. Attrapant le bouquet au passage. Je m’assieds. J’humai l’arrangement floral et sourit. Il y avait en cette odeur quelque chose de tellement réconfortant et agréable. Je les portai au nez du bel homme avec qui je partageais mes jours. « Sentez-les ! » Comme si c’eut été nécessaire. Comme s’il ne l’avait pas déjà fait. Lorsque l’on achète des fleurs, tout le monde a ce réflexe d’en respirer les effluves avant de les offrir. Alaric n’y faisait certainement pas exception. Je les collai pourtant contre son nez en riant. « Elles sentent si bon. » Je les poussai encore plus contre lui, plaisantant avec ce cadeau, espérant qu’il me trouve drôle, espérant qu’il apprécie ma taquinerie et ce moment de gaieté qu’il créait en moi. Si j’étais quelques peu instables et trop encline à me laisser aller à mes émotions, je ne pouvais nier que j’étais plutôt facile à combler, à rendre heureuse, à faire sourire. J’imagine qu’il y avait là-dedans une partie de mon charme. L’appréciation de l’instant, vivre le moment présent. C’était une chose que j’avais comprise, voire assimiler assez rapidement.

Mon ventre échappa un borborygme. C’était l’heure. J’avais faim. Je retirai le bouquet de fleur du visage de mon amant et le déposai près de la place que j’avais choisie. « Donc ! » Je l’avais dit si fort que j’avais vu les trois Pokémons se retourner vers moi, surpris. Je les comprends. J’aurais, moi aussi, été surprise si l’on avait crié avec tel volume alors que le calme de la nature était aussi grand. Je me levai pour me poster près du banc où j’avais été assise plus tôt. Là où Alaric avait déposé ses effets. « On mange quoi ? » dis-je en faisant volteface. Une volteface si prompte qu’elle m’étourdit légèrement. Je regardai le panier. J’y vis l’œuf. Évidemment que je l’aurais vu. Je n’étais pas aveugle, juste un peu écervelée. Je n’étais pas non plus suffisamment idiote pour ignorer la nature de l’objet. Je reconnaissais bien un œuf de Pokémon. Ce n’était pas le premier que je voyais non plus. Était-ce qu’il avait prévu manger ? Non. Alaric n’était pas un homme mauvais. Il n’aurait pas osé. Pas devant moi au moins. Il savait… ou du moins j’imagine qu’il savait à quel point j’aurais culpabilisé de goûter la chair… l’entièreté d’un bébé Pokémon. Le simple fait que je puisse avoir un doute me dépassait. Comment pouvais-je douter de la sympathie, de la bonté et de la générosité de celui que j’aimais ? C’était évident que nous ne mangerions pas cet œuf. Pourquoi l’avait-il apporté ici ? Voulait-il l’abandonner ? Ça ne lui ressemblait pas. Encore moins. Il avait certainement prévu s’en occuper. Ce devait être ça. Il voulait s’en occuper tellement bien qu’il l’amenait partout. C’est juste qu’il avait manqué de bras. Je souris. « C’est un œuf de quoi que vous couvez, Alaric ? » lui dis-je avec curiosité. Toujours aussi polie. Toujours en le vouvoyant. Il était plutôt particulièrement que l’on se soit rencontrer il y a presque un an et que je le vouvoie toujours aussi volontairement. Ce n’était pas naturel de vouvoyer son conjoint, mais c’est un combat qu’il était difficile de gagner. C’était trop encré dans mes valeurs. Trop fort pour que je réussisse à le combattre de moi-même.

Un mouvement. Un mouvement vif attira mon attention. C’était rapide. Près de la chute. L’attention que j’eusse porté à l’œuf partit aussitôt. Toute ma concentration était porté vers ce mouv… poisson. Avait-il volontairement sauté hors de l’eau ? « Alariiiic… » dis-je inquiète, lui pointant le Pokémon. « Votre cuisine a attiré un nouvel ami… » dis-je avec un peu de panique dans la voix, sur le ton de la blague, voulant porter son attention vers le Pokémon que je ne me sentais pas apte d’aider. Il faut dire que la peau visqueuse des poissons avait tendance à me dégoûter. C’était l’un de mes caprices de gosse de riches, j’imagine.

Il était beau. Je le regardais admirative. Ce n’était évidemment pas la première fois que je le voyais torse nu, lors de notre premier baiser il était en maillot de bain. Je crois que c’était le moment, ce qu’il avait bâti qui me faisait l’admirer autant. Il s’était donné la peine de cuisiner, de dresser une ambiance pour que je me sente mieux, moins morose, moins nerveuse. C’était adorable. Il était adorable. Vraiment. J’étais chanceuse d’être tombé sur lui pendant mon périple. Il m’avait permis de trouver un joli bonheur, quelque chose de profond, si bien que j’eus perdu cette motivation de retrouver ma sœur dans l’immédiat. J’avais déjà trouvé quelque chose qui me comblait, pourquoi chercher davantage ? « Merci. À vous aussi Alaric. » J’imagine que c’était mon seul regret, mon incapacité à lui exprimer mon amour par des surnoms, aussi absurdes eussent-ils été. Hélas, je n’y arrivais pas. Je ne croyais pas que c’était affublant, mais je n’y arrivais pas. Je ne pouvais que le regarder, l’admirer dans son courage. Il avait bouché ce poisson seul. Non pas que c’eut été particulièrement un exploit, mais je l’admirais malgré tout. Je l’admirais pour tout. Son courage, son évolution, ses bégaiements qui s’estompaient. Je l’aimais. Simplement. Sans condition. C’était irrépréhensible.

Je jetai un œil rapide vers ma Rozbouton et le Verpom qui s’amusaient en roulant dans l’herbe. Pour la première fois depuis terriblement longtemps, je réalisais que j’étais choyée par la vie. J’échappai un sourire, un vrai sourire. Honnête. Je m’étais remise de mes émotions. « Je vous aime… » susurrai-je pour mon amoureux, délicatement, une tendresse dans la voix. Je pris l’œuf en souriant. Quel beau cadeau. Un cadeau attentionné que j’appréciais particulièrement. C’était le témoin qu’il m’accordait sa bénédiction, qu’il me soutenait. Je ne le lui avais jamais dit pendant ma réflexion. Il l’avait appris dans les gradins au concours de Miss Lumiris. Obtenir son soutien ainsi me comblait. « Dites, Alaric, ça ne vous a pas fâché d’apprendre mon objectif pendant le concours ? Je veux dire, auriez-vous voulu savoir avant que je ne l’annonce publiquement ? » C’était toujours un peu un défi de ne pas l’appeler monsieur, mais j’y parvenais, fort heureusement. Ça avait été un grand pas vers l’avant dans notre relation.

Je tendis la main pour attraper un morceau de sandwich que je portai à ma bouche avant de le mordre. « À saveur de triangle. Mes préférés. Merci ! » Qu’est-ce que je racontais ? C’était absurde le triangle ne goûtait rien. Alors oui. C’était psychologique, mais les sandwichs coupés en rectangles, je trouvais ça sec, moins bon, il y avait trop de croûtes alors que les triangles… c’était la perfection. Je ne saurais l’expliquer de façon scientifique, mais c’était quelque chose d’important pour moi, bien que ce fût absurde. J’échappai un rire qui dérangea ma Rozbouton qui, curieusement vint nous rejoindre sur la nappe et se blottir contre moi. Elle ne voulait plus jouer ? Le Verpom la rejoint, se blottissant contre elle. Que se passait-il donc ? Pourquoi mon rire les avait attirées vers moi ? Princesse ne poussa qu’un petit cri frétillant. Je souris et lui passai une main sur la tête. Main que le Verpom interrompit. Lui aussi. Lui aussi il souhaitait se faire dorloter. Je m’exécutai sans questionnement. C’était prompt, mais j’imaginai qu’elle m’avait adoptée – et non pas le contraire – malgré l’incident survenu plus tôt. Je portai la main vers quelques croustilles et les lâchai devant les deux Pokémons puis regardai mon copain. « Oui ! c’est bon. Elles aussi, elles adorent votre cuisine. » dis-je en gloussant.

Je terminai mon triangle et quittai la position d’appui pour les deux Pokémons, m’approchant d’Alaric avant de poser ma tête sur ses genoux, comme on le voyait souvent dans les films puis je le regardai. Longuement. Fixant son menton, espérant qu’il baisse les yeux pour que je soutienne son regard. « Merci aussi pour tout ça… j’en avais besoin » minaudais-je en effleurant son bras du bout des doigts. J’eus un frisson et je réalisai, je ne voulais pas que ce moment se termine ou qu’il s’estompe. J’étais bien là maintenant. Pour la première fois depuis des mois, je me sentais respirer. Cette pression contre ma poitrine avait disparue. Il ne restait plus qu’un immense soulagement. Un immense soulagement amoureux et chaleureux. Je glissai mes doigts entre les siens et de l’autre bras, je tirai l’œuf contre moi pour le tenir au chaud en même temps que je tapotai la nappe pour encourager les deux Pokémons plante à me rejoindre. Ils s’exécutèrent, sans hésiter, collant l’œuf contre mes vêtements. C’était beau. Une belle image romantique. Un moment pur. « On fait une jolie famille » dis-je en un souffle, déposant un baiser sur le creux de son pouce.

Je m’étais laissée avoir à mon propre jeu. Ma propre sensualité s’était retournée contre moi et voilà que mon tendre m’avait acculé contre un mur. Un mur doux que j’avais accueilli avec un petit rire retenu, un mur romantique contre lequel mon dos s’appuyait avec grande joie. Un mur rassurant peint avec toute la tendresse du monde. J’avais accueilli son baiser en le lui rendant. Là, étendue sous son ombre, les yeux fermés, nos lèvres se caressaient, le souffle de son nez frôlant mon visage. La chaleur me gagnait. Avait-il calculé la moindre de ses décisions de telle manière à en arriver à cette conclusion ou s’était-il laissé influencer par la puissance de la spontanéité ?

Quelle importance ?

L’une de mes mains glissa derrière sa tête et je commençai à dessiner des cercles sur sa nuque, caresse insoupçonnée, expression de mon accord. C’était comme ça chaque fois. Dès l’instant où la tension se sentait, dès l’instant où je me laissais portée par ses caresses, je portais ma main à sa nuque, comme si ça avait été un lien intarissable qui nous unissait, qui unissait nos deux corps. Un pont entre mon corps et le sien. Mon autre main se glissa jusqu’au bas de son dos, sous son chandail. Je me laissais allée, dominée. Par le moment, par l’environnement, par ce vent frisquet qui caressait nos corps, par ce contraste qu’il devait lui aussi ressentir. Ça aussi, ça faisait longtemps. « Je vous aime… » il n’y avait une qu’une seconde où nos lèvres ne s’étaient plus touchées. Il n’y avait qu’une seconde où j’avais pu lui chuchoter ces mots. Je l’avais fait, lui ravissant un frémissement que je pus ressentir à travers mes mains. Une caresse douce et je me dérobai à son emprise, plaquant ma tête contre le sol.

Je le regardai un instant, contemplant ses traits. Je le regardai droit dans les yeux, porteurs des souvenirs et de toutes ces raisons pour lesquelles je l’aimais. Je chatouillai, du bout des doigts, le bas de son dos et souris à nouveau en m’empara de ses lèvres, appliquant une légère pression es espérant pouvoir le faire tourner pour me positionner sur lui. Comme si j’avais eu une seule chance de rivaliser avec sa force. Cette soudaine démonstration d’amour à l’endroit de mon ambition me rassurait et pour la première fois depuis longtemps, je me confirmai que j’étais au bon endroit au bon moment. Je mordis sa lèvre inférieure et passai mes jambes par-dessus ses mollets et retentai de le faire basculer. Ma tête suivit le mouvement de sa chute sans que jamais nos lèvres ne se quittent. Je me plaçai par-dessus lui, les genoux cernant ces hanches. « J’ai déjà gagné mon premier combat… » lui dis-je en portant un baiser dans son cou. Un baiser doux et sensuel que fis durer avant de coller mon front contre le sien, de plonger mon regard dans le sien, le bout de nos nez se caressèrent et je souris. « J’ai hâte de découvrir le dessert. » Je le regardai encore un moment, comme ça, comme si je photographiais le moment.

Une pause dans cette immaturité imprudente. Une pause dans l’infernale cadence de nos vies qui avançaient si rapidement depuis que notre première rencontre. Une pause pour savourer la tendresse de notre amour. Je souris. Comme si j’étais à nouveau adolescente. D’un doigté habile, je remontai son sweatshirt, libérant son ventre à l’étreinte mordante de la fraîcheur printanière. Je mordis ma lèvre. Je ne poussai pas plus loin. Je recommençai plutôt à l’embrasser. Comme si je voulais jouer avec le feu, comme si je voulais tester sa limite. Jusqu’où irions-nous dans cet environnement sauvage et public. J’échappai un petit rire nerveux « J’ai l’impression d’être de retour au lycée… » de retour à cette époque où je fuyais mes parents pour être irresponsable parfois, où je fuyais ma sœur pour qu’elle ne croise pas mon petit ami secret. Je me sentais jeune, revigorée par la fougue de mon amoureux. Son étreinte m’avait fait oublier mes soucis. Son baiser m’avait fait fondre. Sa tendresse m’avait amenée là où il l’avait voulu s’il avait été le moindrement calculateur.

J’étais piégée. Capturée par un geôlier avec qui je partageais mon lit. Capturée par le havre de paix qu’il m’avait servie. Capturée par le bruit constant de la cascade qui ne pouvait qu’être apaisant. Ici, je nous sentais intouchables. Notre paix ne pouvait pas être violée. Nous étions ces invincibles adolescents qui refusaient de vieillir. Un nouveau baiser et mordillai à nouveau ses lèvres toujours goûteuses de ce sandwich qu’il avait avalé. J’eus un petit rire avant de reprendre mes caresses et ce baiser. Comme s’il avait pu comprendre mon amusement, comme s’il avait pu goûter mon plaisir de la même façon que j’avais goûté ses lèvres. Comme si nous étions tatoués d’une complicité sans pareil.