J'allume ma cigarette en déambulant sur le trottoir. Me cachant sous ma capuche, je mire les passants niant mon passage. Je commence à bader : j’ai l’impression de me promener à Volucité. Il y a les mêmes travailleurs fatigués, les mêmes types chelous dissimulés dans le noir des ruelles et les mêmes daronnes qui font leurs courses dans les magasins bon marchés. Les grandes allées sont lumineuses et impeccables mais lorsque l’on s’aventure aux abords, ce ne sont plus les mêmes buildings huppés qui gâchent le paysage.

Je contemple un instant Snubbull. Ce dernier commence à avoir l’habitude que je le promène en laisse, il devient de plus en plus calme lors de nos promenades : il sniffe gentiment le pied des gens, ne tire pas sur la corde, fait des petits pipis mais pas de gros popos dans les lieux et moments embarrassants. La moindre tendresse que je lui porte, il me la rend puissance 10. Je commence à prendre plaisir à passer du temps avec lui et pouvoir phaser à ses côtés.

J’inspire profondément avant d’expulser la fumée des poumons. Ces haies de H.L.M si parfaitement symétriques me rendent nostalgique. L’appartement familiale doit se trouver quelques parts au cinquième étage. Et si ma famille m’y attend ?

Je continue ma route sans quitter ces lignes de bâtisses des yeux. En voyant les linges tendus sur les balcons, j'ai eu un pincement au cœur. J’ai envie que maman lave mon linge.

Je me barre de l’impasse, la clope au bec. En me perdant dans cette jungle urbaine, j’essaie d’aller à sa périphérie pour m'en sortir. Depuis que j'ai fumé ce truc spécial avec PP, je revois ma vie d'autrefois comme des déjà-vus à répétition. Mon cerveau s'est transformé en un sac de nœud pas possible au point que j'oublie la raison principale de mon escapade. Sans vraiment en avoir conscience, j’arrive au lieu de rendez-vous.

« … J’suis où là ? »

Je peux entendre des lignes hautes tensions et autres bruits mécaniques venant de la centrale. Les quelques réverbères l’illuminant me permet de reconnaître ce lieu.

« Ah mais oui c’est vrai … P’tain. »

Un rire nerveux s’échappe de ma bouche avant de se faire taire par ma cigarette. Aujourd’hui, je revois l’adorable Astelle pour faire un peu d’exploration. Je suis à la recherche d’un pokémon particulier, j’espère trouver celui qui complétera mon équipe.

« Elle devrait pas tarder ... »

J'ai vraiment eu du bol d’atterrir ici. Il faut que je me concentre et pas que je fasse de conneries. Je tire une dernière fois sur mon mégot en surveillant du coin de l’œil la centrale. J’ai entendu dire que les humains ont désertés, laissant les pokémons électriques faire la loi. Soit je risque de croiser un dresseur redoutable, soit des pokémons surexcités et imprévisibles. Un frisson d’excitation me parcoure l’échine. Je crois que je prends goût aux péripéties, d’autant plus quand je suis en compagnie de mon amie !

J’écrase le cul de clope dans mon cendrier portable, patientant sagement l’arrivée d’Astelle.

Modération:

— Je m’appelle Astelle Dumas, s’annonça poliment la petite postière. J’ai récemment été acceptée en stage à la Dracoposte de Sunyra.

— Ooooooh ! Mais oui, je me souviens de toi ! Hé, regarde, Mihael, c’est la petiote dont je te parlais !
— …celle qui s’était planquée dans la besace de ton Dracolosse ?
— Ouais ! On était déjà à mi-chemin quand je m’en suis rendu compte ! Haha… j’ai cru que sa maman allait m’assassiner.

L'air un petit peu tendue, Astelle faisait face aux employés du siège de la Dracoposte.
Elle ne s'attendait pas à ce qu'on la reconnaisse...
Ni même à ce que les employés se partagent des anecdotes à son sujet.

— Je… je suis confuse que vous vous rappeliez cette histoire, murmura Astelle d’une toute petite voix.

La jeune stagiaire avait pris le train toute seule, au petit matin, pour faire le trajet jusqu’à Voltapolis.
La branche de Sunyra l’y avait envoyée pour visiter le siège, s'y présenter, mais également pour mettre à jour son équipement.
Le pokématos, notamment, devait être configuré pour répondre proprement à ses besoins. La technologie GPS de la Dracoposte était en évolution constante, et se faire expliquer le système par les techniciens du laboratoire était devenu un genre de tradition.

C’était sa première fois ici. Et elle était un peu gênée.
Les employés s'attroupaient autour d'elle et faisaient des commentaires un peu semblables à ceux des visiteurs du poképarc quand ils découvraient un bébé pokémon.

— Allez, viens par-là ! Je vais m’occuper d’ton matériel ! s’exclama une grande femme au visage constellé de taches de rousseurs. Bon sang, ça m’rajeunit pas d’te voir… quand j’pense que t’as rejoint la maison, toi aussi. Ça m’fait grave plaisir !

La jeune fille cligna un petit peu des yeux, puis accepta timidement la main qu'on lui tendait.
Cette employée lui faisait penser à quelqu’un.
— Merci de vous occuper de moi !
Avec le sourire, Astelle accompagna son aînée vers le laboratoire.

***

La jeune fille vérifia une dernière fois son matériel. Elle avait des pokéballs, sa panoplie de dracopostière, quoi d'autre...?
Sur le conseil des employés de la Dracoposte, Astelle avait pris soin de télécharger une carte de la Centrale Electrique sur son pokématos, et elle avait consulté le Réseau Dusk afin de prendre connaissance des dernières nouvelles (un des derniers dresseurs à avoir visité la zone mettait notamment les gens en garde contre la prolifération des Smogos, et le fait qu’un Elektek particulièrement soupe-au-lait y avait été repéré).

Mieux valait prévenir que guérir : Astelle avait rempli sa besace de potions, d’anti-para et d’antidotes.

Marchant dans les rues de Voltapolis, en suivant les directives bien pratiques de son GPS, la petite postière avait un air déterminé sur le visage.
Cette fois-ci, Manon l’avait conviée à une vraie activité de dresseuse !
Une chasse au pokémon électrique ! Ce n'était plus de la rigolade, c'était même potentiellement dangereux !

Certaines parties de la Centrale Electrique étaient fermées aux travailleurs et les pokémons y étaient retournés à l’état sauvage.

C’était l’occasion de faire ses preuves.

La motivation faisait briller le regard de la jeune fille. Elle trottinait sur le béton, une main posée sur le dessus de sa tête, pour empêcher sa casquette de postière de s'envoler. Peut-être qu'aujourd'hui, elle allait capturer son premier pokémon vraiment sauvage !
Ayant repérée son amie à l’entrée de la zone désaffectée, Astelle se précipita pour la rejoindre en lui faisant de grands signes de la main.
— Hé, Manooo… commença-t-elle, avant de glisser sur une barre de fer abandonnée et – patatra ! – de se casser la figure par terre. …ouille !

~ Demande d'apparition d'un premier pokémon sauvage ~

J'aperçois au loin une petite brune bien équipée foncer vers moi. À peine je lui rends son signe de main qu'elle se vautre splendidement par terre. La première chose que j’aurai tendance à faire, c’est m’inquiéter sur son état de santé et de bien-être. Cette fois-ci, c’est un grand éclat de rire qui sort de ma bouche.

« Bah Astelle ! Ça va ? T’as rien de cassé ? »

Je la rejoins très vite pour la relever rapidement. Je chasse la larme de joie du coin de l’œil avant de donner une accolade à la jeune fille.

« Ça c’est de l’entrée ! »

Je ne peux pas m’empêcher de glousser en repassant la scène dans ma tête. Une fois la demoiselle remise sur pied, je caresse sa tignasse comme pour la rassurer. J’arrête les airs hilares et je lui fais un sourire des plus tendre. Je ne veux pas qu’elle imagine que je me fous de sa gueule, c’est juste que c’est super marrant les chutes inattendues.

« Je suis contente de te voir ! T’as l’air bien équipé, t’es prête ? »

J’ai hâte d’aller explorer l’endroit. Qui sait ce que l’on va y découvrir ? C’est le bon moyen d'entraîner PP. Ce dernier est le plus à l’aise dans les explorations urbaines et n’a aucune faiblesse contre le type électrik. Son enthousiasme est très contagieux.

Alors que j’écoute les répliques de mon amie, mon doigt me chatouille intensément. Je n’ai pas pris garde au début, pensant que ce sont des fourmis et qu’il suffit de gigoter sa main pour que la sensation s'estompe. Or, quelques minutes après, l'impression s’intensifie par des petits sursauts et frissons me parcourant le corps. Agacée, je décide de jeter un œil à ce majeur qui me titille.

« AAAAH C’EST QUOI CA »

Une espèce de sangsue m’électrise le majeur. Ce bâtard me paralyse de par ses guiliguilis incessants. J’ai beau me trémousser et triturer mon doigt mais rien n’y fait, il est fixé. L’agresseur ressemble au premier abord à un pokémon eau mais son halo jaune et les courants électriques qui l’entourent me disent le contraire. Je panique spontanément, tentant vainement de me débarrasser du têtard.

« MAIS P’TAIN IL VEUT PAS ME LÂCHER »

Je ne supporte pas qu’on me colle ainsi. Mon chien, voyant ma détresse, se jette sur le pokémon ne manquant pas d’avaler mon membre. Mes yeux sortent de leurs orbites, criant sur mon chien d’un air affolé.

« ABRUTI MANGE PAS MA MAIN AUSSI »

La bestiole sauvage se libère grâce à une étincelle. Mon doge est propulsé quelques mètres plus loin tandis que je retombe sur les fesses. Et dire qu’il y a deux minutes, j’ai rigolé du sort de ma pote en me vantant intérieurement de rester cool en toute circonstance. Ma Coolattitude a été ruiné par ce suceur de doigt.

Je m’approche de la brunette comme une gamine revenant vers sa mère une fois qu’elle s’est cassée la binette. Je lui montre l’ampleur des dégâts en faisant un vilain doigt d’honneur.

« R’gard’ c’t’enc♪l* il veut pas partiiir … »

Une autre présence vient troubler notre rendez-vous mais mon attention est concentré sur le pokémon électrophore. Ce dernier ne mouve pas d’un centimètre, se délectant de mon échine. Pour y mettre un terme, je le fais disparaître dans ma pokéball.

Modération:

Non, elle n’allait pas se laisser abattre !
Les joues un peu rose, Astelle se releva en acceptant la main de son amie.
— Je vais bien ! Ce n’est rien du tout ! dit-elle avec aplomb, en regardant Manon droit dans les yeux.
En vérité, ses genoux lui faisaient un petit peu mal sous son pantalon. Mais elle était venue avec l’intention de partir à l’aventure ! D’explorer la Centrale ! Une vraie dresseuse n’aurait pas fait de scène pour un aussi petit bobo !

Enfin, normalement… car la suite des événements prit Astelle complètement par surprise.

"Miam ! Un doigt, mon plat préféré !"

Astelle observait son amie se débattre avec l'Anchwatt en clignant doucement des yeux.
Euuuh… En agitant son doigt mordillé par un pokéanchois, la dresseuse qui s’était courageusement interposée entre elle et le Méga-Ectoplasma chouinait comme une enfant. Le décalage entre la Manon de ses souvenirs, et la grande pleurnicheuse qui lui faisait face, laissa Astelle un petit peu confuse. Son visage n’en montra rien, mais alors que la jeune fille fouillait dans son sac à la recherche d’un pulvériseur d’Anti-Para…
T'es mignonne, Manon... pensait Astelle de tout son cœur.

— Ne bouge pas. Ce n’est rien de grave, dit gentiment la jeune fille en saisissant le poignet de son amie.
De l’autre main, elle pulvérisa de l'Anti-Para sur le corps du pokémon. Le produit l’amena à se détendre un tout petit peu, et sa succion devint moins intense.
— Maintenant, tu devrais pouvoir le faire entrer dans une pokéball.
Sans prêter attention au processus de capture, Astelle mit également un peu d’Anti-Para sur le doigt de Manon, puis l’enveloppant d’un mouchoir, elle commença à lui masser le majeur. Avec le pouce, une phalange à la fois.
— Est-ce que ton doigt est tétanisé ? Est-ce que l’effet de la paralysie s’est étendu jusqu’au poignet ? demanda Astelle en tirant un peu sur le bras de Manon, afin de la faire reculer. Ne restons pas juste à côté de lui. Si la capture échoue, il va peut-être se mettre en colère.

Astelle posait sur la situation un regard qui l’étonnait elle-même.
Elle s’était préparée avant cette excursion à la Centrale. Elle avait lu ce qu’il y avait à redouter sur la paralysie et sur les pokémons électriques qui y vivaient. Et étonnamment… confrontée à une situation dont elle comprenait les risques, face à un pokémon sur lequel elle s'était informée : la petite postière se sentait très calme.
C’était inédit. L’excitation était bien présente, mais comme en sourdine, sans l’empêcher de réfléchir. Sans l’empêcher d’agir.
Sa voix était claire. Ses pas légers. Ses pensées limpides.
Et si en sortant de la pokéball, l’Anchwatt se montrait agressif, elle était prête à envoyer Mini-senpai sur le champ.
— Concentre-toi, Manon ! lui intima finalement la jeune fille en serrant sa main dans la sienne, sans quitter la pokéball du regard.

~ Tentative de Capture du Chenipotte ~
(Utilisation de la réduction de l'événement Moumouton. Coût en SD divisé par deux.)

Astelle, adorable comme elle est, abrège mes souffrances en détendant le têtard à coup de spray Anti-Para. Les petits yeux du pokémon se ferment et ses succions se font moins intenses. À ce moment-là, quelque chose se produit avec le bébé.

Avant de le capturer, je le berce dans mes bras comme un poupon. Ses prunelles me lorgnent avec curiosité et confiance. Je caresse son petit menton avec un grand sourire serein.

« Il est trop mignon    »

Ma copine m’a appris un truc : les Anti-Paras calment les monstres nerveux comme lui. Cela pourra mettre utile si il a fréquemment ce mécanisme. Je pense pouvoir aisément le gérer : après tout, je ne suis pas à mon premier pokémon imprévisible et délirant.

« Je sens qu’on va accomplir de grande chose, toi et moi. »

Ce sont sur ses mots que l’Anchwatt accepte de pénétrer dans son nouveau chez soi. J’ai l’impression qu’il est bien plus facile d’attraper les bestioles qui m'inspire d’office que l’inverse : probablement parce que je suis bien plus déterminée et démonstrative. Je tourbillonne pour faire la danse de la réussite avant d’accueillir le nouvel arrivant. PP, qui a été expulsé à une vingtaine de mètres, nous retrouve avec tout son enthousiasme. Le têtard électrique réapparaît en se tortillant dans les airs.

« Bienv’nue à toi ! Petit … petit … Ouais, on verra plus tard pour le nom. »

L’anchwatt s’approche de moi pour écouter ma requête.

« Dis moi, tu connais un peu l’bled ici ? Tu peux nous faire visiter ? »

Je doute qu’il ait vraiment compris mais il est joyeux et détendu, c'est déjà ça. Au lieu de nous guider, la bestiole revient sucer mon doigt. Je pouffe de rire.

« Bon, j’doute qu’il nous mènera quelque part mais c’est pas grave, on va faire la visite nous même ! »

Je m’adresse à Astelle, contaminée par l’allégresse générale.

« Merci Astelle, t’as trouvé le bon plan ! J’sais pas comment, mais il a l’air plus serein. »

Après l’avoir remercié, je l’invite à s’avancer avec moi vers la zone désaffectée. J’ai donné pour mission à mon bulldoggo de fouiller les lieux et de nous éclairer. Il carapate vers le mur perforé où seules ses fesses sont capables d’y entrer. Pendant ce temps-là, nous nous dirigeons vers l’entrée principale en tapant la causette.

« Ça s’est bien passé ta journée ? Rholala, moi faut trop que j’te raconte, y’a deux trois jours j’ai passé une journée de foliiie ! »

Je baisse la voix comme pour me méfier des oreilles indiscrètes.

« J’ai fais une mission pour la police avec un mec, on a dû aller dans les souterrains de la ville pour infiltrer dans un réseau de malfrat ! C’était super dangereux ! »

Moi qui n’est pas l’habitude de conter ma vie, je lui narre mon épopée en revivant la scène.

Merci les modos, à bientôt:

Confrontée à la danse de la victoire, Astelle esquissa un sourire, puis recula de deux pas pour regarder Manon gigoter. C’était une première capture de réussie !
Ç’avait été moins difficile qu’elle ne se l’était imaginée… mais il n’était pas question que ce succès la rende imprudente ! En capture, on ne savait jamais sur quoi on risquait de tomber. Un petit Anchwatt, c’était une chose, mais la situation serait bien différente si elles rencontraient finalement l’Elektek de la rumeur, ou tout autre pokémon dangereux !

— De rien, répondit-elle joyeusement aux remerciements de son amie, avant de lui tendre le pulvérisateur d’Anti-Para. ...tiens, je te le donne ! Si ça peut t'éviter de perdre un doigt, c'est pour le mieux.

Elles s’engagèrent ensemble dans la zone désaffectée de la Centrale.
Bien que Pépé soit parti en éclaireur, Astelle avait entièrement l’intention de rester concentrée sur son environnement. Décochant de petits coups d’œil furtifs à droite et à gauche. Derrière les vieux bidons et les câbles usés qui s'amoncelaient sur le sol. La vigilance était de mise. Un pokémon sauvage pouvait jaillir de sa cachette d'un moment à l'autre !
...mais Manon semblait d’humeur plus… légère.

La jeune stagiaire prêta l’oreille aux histoires de son amie, d’abord poliment, sans quitter le périmètre des yeux.
Et puis… en ralentissant petit à petit le rythme. Incapable de rester concentrée.

— Pour la police… Un réseau de malfrats… Super dangereux…? chuchota la jeune fille, se recroquevillant un peu davantage à mesure que Manon en rajoutait sur ses péripéties.

Immobile, Astelle prit le temps de digérer le récit.
Réservant sa réponse avec une expression inquiète sur le visage, elle contemplait son amie.
Est-ce qu’il n’y avait pas quelque chose d’un peu bizarre avec Manon, aujourd’hui ?
La jeune femme paraissait fébrile, inattentive, agitée.
Prompte à se fâcher, s'apitoyer et s'enthousiasmer, presque sans transitions.

Et puis... ce qu'elle venait de lui raconter.
Une histoire de trafic de baies. De l’espionnage. Une escapade dans les égouts.
N’y tenant plus, Astelle finit par retenir son amie par la manche, l’arrêtant tout net.
— Manon… tu m’inquiètes, dit-elle tout bas, l'observant par en-dessous. …pas juste ce que tu me racontes. La façon dont tu le racontes aussi…

La jeune stagiaire maintint le contact visuel, et physique. Ses deux mains posées sur les bras de son amie, comme pour l'inviter à lui faire face et à lui rendre son regard.
— Qu'est-ce qui t'arrives...?

Dans sa grande bonté, mon amie m'offre le spray apaisant. Le posséder me suffit pour être sereine : je me dis que je pourrais aussi l'utiliser sur Jojo ou même PP lors de leurs crises d'euphorie. Par la suite, j'ai été d'avantage joviale même si cela ne révèle pas de ma véritable humeur. C'est une journée dont je crains la fin car forcément au bout d'un moment, je serais de nouveau confrontée à mes malheurs. Mes soucis me rongent et c'est ce qui explique ma logorrhée.

J'aurai cru que cela serait passé inaperçu, que nenni : Astelle a la mine soucieuse et me stoppe en accrochant mon pull.

« Manon … tu m’inquiètes. »

Je fais mine de ne rien comprendre avec un gros point d’interrogation au dessus de la tête. Des craintes submergent dans mon esprit ; oh non ! J’espère que la CBaieD ne modifie pas mon comportement de manière négative, j’aimerais pas qu’elle le remarque et en pâtisse. Ceci dit, en relatant mes précédents dires, l'adolescente doit penser que je me drogue dure. Restant dans le thème du sujet, je glousse avant de la rassurer :

« Ah mais t’inquiète, ça s’est très bien passé ! Et non, je prends pas de Baie Koka. C’est absolument pas ma came.

- … pas juste ce que tu me racontes. La façon dont tu le racontes aussi … »

Je déglutie bruyamment. Alors qu’Astelle cherche un contact visuel, mes yeux la fuient comme la peste, vraisemblablement mal à l’aise. Je pourrais lui mentir en la réconfortant avec mon enthousiasme sauf qu’avec elle, c’est impossible. Elle a cette aura qui me donne confiance et envie de m’exprimer. C’est comme si je sais qu’elle ne me jugera pas et mieux, me ragaillardir. Il faut dire que c’est pas mon genre de m’apitoyer sur mon sort devant les autres mais je suis prête à me jeter à l’eau. D’un air détaché, je lui révèle mon tracas.

« C’est rien, c’est juste que … J’ai eu une mauvaise nouvelle ce matin et j’aime pas trop y penser. »

Je baisse la tête, désolée de ressentir autant de peine. Ce terrible pincement au cœur ressurgit et j’ai du mal à ne pas grimacer. Attendant la réaction de mon interlocutrice, je lui précise ce qui me pèse sur la conscience.

« T’vois, c’est ma mère qui m’payait la bouffe. Elle m’envoyait un peu d’argent tous les mois. Et j’suis sûre qu'à chaque virement qu’elle faisait la débectait, j’avais dû insister pour qu’elle me le fasse. »

Je lève la tête, le rictus aux lèvres. J’entraîne doucement mon amie à marcher avec moi avant de compléter mon histoire. J’en profite pour saisir son petit bras et l’enrouler au mien.

« Du coup c’était cool, j’avais d’l’argent pour me nourrir et me loger pendant que j’trouvais ma place sur l’île. On avait jamais parlé de date limite où elle l’arrêterait de m’virer d’la tune et pourtant ... »

Je soupire en détournant la tête.

« ... elle m’l’a stoppa du jour au lendemain. J’ai rien reçu pour le mois de Mai. Et j’ai dû attendre au moins de trois jours avant de pouvoir l’appeler. »

En me remémorant ces épisodes, je revis les nombreux coups de téléphone et la voix insupportable de mon grand frère me répétant sans cesse : ‘‘Rappelle plus tard, là elle est occupée’’ ou ‘‘Là, elle taffe’’. Je serre les dents en contenant ma rage. Je me trouverai idiote de faire subir ça à mon acolyte.

« … Et tout ça pour qu’elle me dise que j’suis assez grande pour me débrouiller toute seule, comme ma sœur. Sauf que ma sœur, elle a un taff et un mec qui lui rapporte des biffs ! Le pire, c’est qu’elle ose me dire ça, mais pour motiver mon frère à bouger son gros cul, là elle fait l’autruche ! »

J’hésite à frapper le débris qui touche ma chaussure. Heureusement, ma raison me rappelle à quel point c’est stupide et qu'avec ma chance légendaire, je risque de douiller plus qu’autre chose. Je pousse un râle, abattue. Je freine un instant pour ouvrir mon sac et présenter mon second problème à Astelle.

« Puis y’a ça aussi. »

À l’intérieur trône un œuf brillant parsemé de tâches verdâtres. Je fixe mon amie en faisant la moue.

« Ça fait bientôt 5 semaines et il n’a toujours pas éclot ! »

Je pose ma besace en sollicitant ma postière d’y jeter un œil.

« Peut-être parce que je ne suis pas h24 sur lui à m’en occuper. Tu crois qu’il faudrait que j’m’asseois d'ssus ou qu’j’le mette sous mon t-shirt pour le couver ? »

Je ricane lorsque soudain, un bruit sourd averti mes oreilles. En voulant alerter ma pote, ma face se fige sous la surprise.

« Astelle, ton coude ! Il te suce le coude ! L-l'Anchwatt ... »

Comment a-t-il pu atterrir là ? La dernière fois que je l'ai aperçu, c'est lorsqu'il m'a tété le pouce, avant de prendre le bras de ma copine. Le salopiaud, il veut chatouiller la petite postière !

Modération:

Astelle se cramponna au bras de son amie.
Attentive au son de sa voix, elle se laissa guider dans les corridors délabrés de la Centrale Electrique et appuya délicatement la tête contre son épaule.
Des problèmes d’argent. Des problèmes familiaux.
La jeune fille resserrait réflexivement son étreinte quand la voix de Manon se faisait plus triste.

En effet, maintenant qu’Astelle y songeait, son amie séjournait à l’hôtel.
Ce n’était pas l’option privilégiée des dresseurs. En général, ceux-ci se contentaient de passer une nuit ou deux au Centre Pokémon avant de reprendre la route. Avec ses habitudes plus sédentaires, Manon dépensait probablement plus d’argent. S’il s’agissait juste de se nourrir, trouver du travail pour subvenir à ses besoins n’aurait pas dû être trop difficile en tant que dresseuse, mais quand on y ajoutait la question du logement, et les éventuelles dépenses annexes… cela devenait plus compliqué.

Le jeune stagiaire afficha une petite moue perplexe.
...mais il y existait des solutions, n’est-ce pas ? Fraîchement débarquée à Lumiris, Manon n’avait simplement pas encore mis le doigt dans l’engrenage.
La petite postière prit une grande respiration, pleine de résolution. Comme pour doucement interrompre la litanie de son amie, Astelle lui effleura la joue de sa main libre. Juste du bout des doigts.
— Ça va aller, Manon… dit-elle d’une voix rassurante. Je… je ne peux pas faire beaucoup plus que t’écouter pour les soucis que tu as avec ta famille, mais… pour touuuuuuuuuut le reste : je suis là !

Non, elle n'avait pas crié. Mais elle avait mis sacrément d'énergie dans ces quelques mots.
— Et tu peux compter sur moi, ajouta-t-elle, alors même qu’elle rougissait d’embarras en s’écoutant faire ce genre de déclarations grandiloquentes.

Toussotant pour se donner une contenance, elle reprit.
— Est-ce qu’il ne faudrait pas que tu commences par essayer d’économiser l’hôtel ?
Je ne crois pas que le Centre Pokémon puisse te recevoir pour de trop longues périodes, mais… pour commencer, je pense qu’en leur expliquant la situation, à Sunyra, ils devraient te trouver une petite place au dortoir pour quelques temps. Je suis presque sûre que si j’en fais la demande à mon superviseur, il pourra te recommander.

Les idées continuèrent à fuser. Son amie avait un problème, et en vrai petit électron libre, Astelle avait bien l'intention de monopoliser toutes ses ressources pour pouvoir l'aider.
— Pour le reste… il suffit de trouver du travail ! Comme ce que tu as fait pour la police, mais en moins dangereux.
A la Dracoposte, j’entends se plaindre presque tous les jours du fait qu’on tourne en sous-effectif ! Ce ne sera peut-être pas un emploi régulier, mais peut-être qu’ils auraient quelques tâches à te confier ! Je leur poserai la question en rentrant.

Elle serra un peu plus fort le bras de son amie, dans un geste protecteur et câlin.
— Ça va aller, lui répéta-t-elle d'une voix douce. Le cas échéant, je te ferai rentrer en cachette dans ma chambre et je m’occuperai de toi, de toute façon.
Comme un pokéchien qu'on trouvait un jour de pluie, tout tristounet dans son carton, et qu'on rapportait en douce à la maison. Non pas que la comparaison fut très flatteuse ; Astelle s'imaginait déjà ramener son amie dans sa petite chambre d'emprunt, à la Dracoposte de Sunyra, et la dissimuler adroitement à son superviseur. Est-ce que Manon rentrerait dans le placard ? Ou sous le lit ? Elle était plutôt grande, alors ce n'était pas bien sûr...

Les idées continuèrent à faire leur bonhomme de chemin dans la tête de la petite postière, et même si celles-ci prenaient un tour plus sombre, elle continua à lister les possibilités.
— …mais si malgré tout, ça ne va toujours pas…
Astelle prit un air malheureux.
— …alors il faudra peut-être que tu envisages de quitter Sunyra. C’est une toute petite ville… les opportunités de travail n’y sont pas nombreuses… je suis sûre qu’ici, à Voltapolis, tu n’aurais aucun mal à trouver de l’embauche, régulièrement…

Simplement y penser lui mettait le moral dans les chaussettes.
Pourtant… quelles étaient les chances qu’elles continuent à se voir ainsi ?
D’ici quelques temps, Astelle aussi poursuivrait son stage dans une autre ville de Lumiris.
Tôt ou tard, elles finiraient bien par suivre des chemins séparés.

Dans un silence qui avait quelque chose d'un peu douloureux, elles continuèrent à cheminer dans la Centrale. Manon décida sagement de changer le sujet pour le moment, et lui dévoila le contenu de son sac. La distraction fut des plus efficaces. Astelle posa un regard à la fois tendre et émerveillé sur l’œuf pokémon.
— …c’est un œuf de pokémon ! cria-t-elle tout bas, en se retenant presque de plonger sa tête dans le sac. T’asseoir dessus… ? Non-non-noooon ! Surtout pas ! Mais j’ai lu dans un livre que pour éclore, il fallait qu’il passe du temps au contact d’autres pokémons !

Enamourée par le bébé pokémon à venir, Astelle oublia tout de sa résolution. Prêter attention à son environnement ? Guetter la venue de pokémons sauvages ? Inutile, elle était désormais complètement déconcentrée.  
Si bien, qu’elle ne remarqua pas du tout le passager clandestin qui lui suçotait le coude.

Miam ! Un coude, c’est bon aussi !

Effectivement, son amie avait raison. Le bras qu’elle avait entrelacé à celui de Manon ne bougeait plus du tout.
— …ah, oui. Mon coude est totalement paralysé, dit-elle doucement en essayant de remuer son membre tétanisé. Impossible de bouger. Zut, alors.
Ceci dit, quelque chose dans le ton de sa voix trahissait le calme de la jeune fille.
Elle ne paraissait pas beaucoup s’inquiéter de la situation. Au contraire, puisqu'elle ajouta…

— Plus le choix : il va falloir me garder avec toi pour toujours ! lui lança-t-elle par en-dessous, en tirant malicieusement la langue.

…

...

...

…mais blague à part, ce serait quand même plus sage de lui décrocher l’Anchwatt.
Pour poursuivre leur exploration de la Centrale Electrique, Astelle n’aurait pas trop de ses deux bras…

~ Demande d'apparition d'un pokémon ~

« Je… je ne peux pas faire beaucoup plus que t’écouter pour les soucis que tu as avec ta famille, mais… pour touuuuuuuuuut le reste : je suis là ! »

Lorsque je lui ai raconté mes broutilles, la brunette s’est montrée comme prévue compatissante et attentive. Par la suite, elle m’a donné quelques conseils que j’ai noté dans un coin de mon crâne. Il est difficile de sacrifier son confort mais je suis sûre qu’en me renseignant davantage, je trouverai où me crécher. Les auberges et les Centres Pokémon sont beaucoup moins chers et même si je n’ai pas le luxe de coucher seule, il y a suffisamment de structures dans le pays pour héberger les aventuriers. Ma copine m’assure qu’à Sunrya j’ai la garanti d’avoir un toit grâce à son coup de main. J’esquisse un large sourire de reconnaissance, sentant le nuage pluvieux se disperser au-dessus de ma tête pour laisser place au soleil.

Mon amie se blottit contre mon bras avec tendresse. Elle déblatère toutes les idées fusant dans son esprit, me donnant par la même occasion ses états d'âme. La demoiselle est en train de se faire une montagne sur ma crise et je compte bien démystifier ses inquiétudes.

« Aah mais tu sais Astelle, si j’suis partie de la banlieue c’est pas pour y revenir ! Perso’, je suis tombée amoureuse de Sunrya et j’aimerais vivre là-bas. Mais avant cela, j’aimerais faire le tour de la région et pour cela, il m’faut d’la tune ! »

Je la serre un instant contre moi en frottant amicalement sa caboche. Avant d’introduire le problème de l’œuf, je mets un terme au sujet précédent :

« Merci pour toutes ces solutions, j'retiens c'qu'tu m'dis. Tu m’as permis d’avoir un peu de recul sur ma situation, et c’est pas aussi terrible que j’le pensais ! T’es géniale Astelle. »

Quant à mon bébé, il me semble évident qu’il faut passer du temps avec lui. Ceci dit, je n’ai pas songé comme la postière de la nécessitée de la compagnie des autres pokémons. Même si mes compagnons ont été valeureux à vouloir le sauver des satanés Feuillajous du parc de la Saule, leur fibre maternel est inexistante. Pour eux, c’est chacun pour sa gueule et on victimise les bleus. Par contre, Ophélia et PP n’ont pas bronché quand je leur ai présenté Mama, ils ont fait une de ces faces quand je leur ai annoncé qu’elle ferait partie de l’équipe, ça a été tordant. En évoquant la Kangourex, l’idée de lui exposer l’avorton me traverse l’esprit. C’est un pokémon très attentionnée et protectrice bien qu’avec moi elle se montre très distance. J’en conclus qu’avec l’œuf, elle aura plus de faciliter à côtoyer les autres.

Je n’ai guère le temps de détailler ma future stratégie d’éclosion, perturbée par le bruit sourd que j’ai repéré et la sangsue électrique qui se délecte du membre de mon amie.                                                                                                                      
« … Mon coude est totalement paralysé, Impossible de bouger. Zut, alors.
- T’inquiète j’vais t’aider !  »

Je chope le foutu pot-de-colle, prête à l'arracher de sa proie. J’avertis Astelle afin qu'elle puisse concentrer son énergie de son côté afin de faire céder l'Anchwatt. Malheureusement, je l’extorque vainement, trop obstiné à manger ce coude. D’un coup, un éclair de génie m’incite à lui chatouiller son petit ventre.

« AHAHAHAHAHAH »

Brusquement, je me retrouve propulser contre un mur, le pokémon ayant succombé aux guilis. Sauf qu’au moment où mes fesses cognent le sol, une explosion accompagnée d’un flash lumineux nous éblouit, explosant soit dit en passant nos tympans.

KABOUM

Le bâtiment déjà instable se met à trembler de plus belle : les murs se fissurent et le sol se dérobe sous nos pieds. Encore sonnée des chocs, je peine à remonter et joindre mon amie. Une fois rétablie, j’attrape son poignet pour nous enfoncer dans la bâtisse. Je stoppe ma course lorsque nous nous sommes suffisamment éloignée du drame.

« Putain mais c’est quoi c’bordel ? »

Immédiatement, je remémore mon Snubbull. Une angoisse s’empare de moi et me pousse à crier son nom. Quelques secondes plus tard, le calme s’impose, installant une lourde ambiance. Ce suspense est insoutenable alors je le brise en interpelant mon pokémon.

« PP ! »

J’ai l’impression que mon cœur va lâcher : je prie pour qu’il ne soit pas coincé dans les débris. Mais lorsque je décide d’aller le récupérer, une ombre atteignant presque aussi grande qu’Astelle surgit devant nous. Le brouillard causé par le grabuge met du temps à se dissiper, me laissant le temps d’imaginer le monstre se brandissant devant nous. Dans la crainte, je presse le corps de mon amie contre le mien.

« WOUMF.
- P-p-p-p PP ? »

Ce n’est plus la petite canaille que je connais. Je n’aurai jamais imaginé qu’un Granbull atteigne cette taille : c’est un gigantesque toutou qui nous arbore là ses trophées de chasse.

« Qu-qu’est-ce que t’as dans la gueule ? »

Coincé entre ses dents, un pauvre Smogo plein de suie. J’approche mon molosse pour délivrer ce malheureux pokémon.

« Lâââââche, lââââche ... »

Je recule, prenant le temps de réfléchir. Il ne le lâchera pas si il n’y a pas autre chose pour le remplacer. Mince, j’aurai dû apporter sa balle favorite. Je soupire avant de jeter un œil à l’Anchwatt enroulé dans mon bras. Il observe passivement la scène avant de remarquer mon regard.

« T’aurais pas une idée toi ? » lui adresse-je.

Il est trop mignon avec sa bouche en cul de poule, dommage qu'il s'en sert uniquement pour têter. Je me retourne vers Astelle qui me donnera plus d’options que lui.

« Il va pas r’cracher l’pauvre Smogo si on lui donne pas aut' chose et j’ai zappé d’amener sa baballe ... T'aurais pas une idée ? J'ai qu'des friandises et j'ai pas envie qu'il s'goinffre ... »

Je me sens idiote d'avoir négligé mon inventaire avant de partir. Cependant, je suis convaincue que la petite stagiare aura de l'inspiration.

Modération:

« T’es géniale, Astelle. »
La géniale Astelle avait comme de petits papillusions sauvages dans l’estomac.
Dans un état second, un peu gaga, il n’était pas étonnant qu’elle ne se soit pas affolée de la présence de l’Anchwatt sur son coude. En fait, elle aurait même voulu profiter de ce prétexte pour rester accrochée au bras de Manon plus longtemps, comme un vrai petit Dodoala.

L’explosion la tira de sa rêverie d’un seul coup.

KABOUM

Astelle sursauta avec un cri de panique. Le flash de lumière crue lui mit les larmes aux yeux.
Désorientée, elle sentit son cœur s’effondrer dans sa poitrine : le sol venait d’avaler son amie et l’Anchwatt.
— Manon… !
La jeune fille tomba à genoux au bord du trou, explorant ses profondeurs d’un regard terrifié.
— Est-ce que ça va…? murmura-t-elle, en tendant les mains dans l’espoir d’aider la jeune femme à remonter.

Son amie s’en sortit sans gros bobo, mais pour Astelle, le mal était fait.
La jeune fille ne parvenait plus à s’arrêter de trembler. Tout à coup, les choses ne se passaient plus comme prévues. Et tous ses préparatifs lui apparaissaient inutiles. Toute sa belle assurance avait volée en éclat.
Incapable de réagir, elle laissa Manon s’emparer de son poignet et se mettre à courir.
Incertaine de la raison pour laquelle elles se précipitaient, ses pensées tournaient à vide.

« PP ! »
Entendant Manon crier. Ou peut-être, réagissant simplement à la panique qu’elle percevait dans sa voix, Astelle releva de petits yeux hagards. Les mécanismes grippés de son cerveau recommencèrent à tourner lentement.
Elle voulut ouvrir la bouche pour…
…chercher à rassurer Manon ?
…l’aider à orienter leurs recherches ?
Elle-même n’en savait trop rien, mais une ombre titanesque fit irruption pile à ce moment-là.

La jeune fille n’eut même pas le temps d’avoir peur.
Sans réellement distinguer quel genre de pokémon monstueux venait de les rattraper, son amie l’avait serrée contre elle, comme pour lui faire écran de son corps. Non… pas encore… songea-t-elle, les larmes aux yeux, incapable de voir autre chose dans cette silhouette que la présence terrifiante du Méga-Ectoplasma de la dernière fois.

« WOUMF.
- P-p-p-p PP ? »

Libérée de l'étreinte, Astelle tomba mollement à genoux, comme une poupée de chiffon.
Elle regarda – sans comprendre – son amie interagir avec le pokéchien immense, mais à ce stade, même réaliser que le pokémon n’était pas dangereux ne lui était plus suffisant.
Avachie par terre, elle faisait juste de son mieux pour ne pas se mettre à pleurer.

Elle avait été nulle, sur toute la ligne.
Dès la seconde où la situation avait pris un tour un tant soit peu inattendu, elle avait été incapable de faire quoi que ce soit.
Qu’est-ce qu’elle faisait ici… ?
Elle n’était bonne qu’à faire le pitre. Son bras droit, encore un peu ankylosé, était même là pour témoigner de l’ampleur de sa bêtise. Si elle n’éclatait pas en sanglots, c’était simplement parce qu’après ce qui venait de se passer, recevoir la tendresse de Manon n’aurait fait que la mortifier davantage.

« T’aurais pas une idée toi ? »
Huh… ? Toute à son chagrin, la jeune fille n’avait pas vraiment suivi ce qui se passait.
Se retenir de pleurer lui demandait déjà toute son attention. Mais heureusement, Manon ne lui parlait pas. Elle s’adressait au petit Anchwatt.
…elle faisait bien. Il serait sûrement plus utile qu’elle dans cette situation.
— Il va pas r’cracher l’pauvre Smogo si on lui donne pas aut' chose et j’ai zappé d’amener sa baballe... T'aurais pas une idée ? J'ai qu'des friandises et j'ai pas envie qu'il s'goinffre... lui demanda finalement Manon.

Cette fois-ci, Astelle se frotta rapidement le visage de sa manche avant que son amie ne remarque le problème. Elle se releva un peu maladroitement, en s’appuyant de la main gauche seulement sur le sol, puis observa le Granbull en se massant nerveusement le coude.
Ce graaaaaaaaaaaand pokéchien, c’était donc Pépé…
Astelle ne savait pas si elle devait se sentir enthousiasmée ou intimidée.
Elle se rapprocha à pas mesurés pour contempler la petite boule mauve qu’il gardait logée dans sa gueule : un Smogo.

— Ah… ! Tu ne peux pas manger ça, Pépé ! s’exclama-t-elle aussitôt, presque malgré elle. C’est très toxique, tu vas te rendre malade.

Avec un empressement mâtiné d’une petite pointe de panique, la jeune stagiaire farfouilla dans sa besace. Pépé n’était pas un chien très raisonnable, mais ce n’était pas un mauvais pokémon non plus.
Il aimait bien jouer avec elle. Et, euh, la léchouiller dans des proportions déraisonnables.
Sûrement que là, tout de suite, il ne pensait également qu’à jouer.
Un peu inquiète, Astelle récupéra le Poképlumet qu’elle avait achetée avant de venir.
C’était un jouet qui servait exactement à ça : distraire les pokémons.

Avec un sourire un peu mi-figuy mi-résin, la jeune fille se rapprocha pour chatouiller délicatement le cou du molosse de sa petite plume.
— Allez, Pépé… donne-la baballe, le cajola-t-elle doucement en faisant remonter le poképlumet, l’agitant devant ses yeux, puis sous ses naseaux. S’il te plaaaaaît… ?

La truffe du pokéchien remua une fois. Deux fois. Et puis, dans une véritable déflagration de morve féérique, Granbull éternua le Smogo, qui fila à la manière d’une boule de bowling en direction d’un tas de vieux bidons. Strike.

Astelle suivit des yeux le Smogo avec un air à la fois catastrophé et coupable.
— Ah… euh, tu veux bien aller voir s’il va bien, dis… ? murmura-t-elle, en continuant d’agiter le Poképlumet sous le museau du molosse, qui suivait des yeux son mouvement hypnotique en remuant sa petite queue. Je vais tenir Pépé occupé, pendant ce temps...

~ Demande de relance d'apparition de pokémon ~

D’une voix presque maternelle, la petite Astelle répète au chien rebelle à quel point c’est pas bon de tenir un pokémon poison dans sa gueule, d’autant plus quand on est un pokémon de type fée. Le doggo hoche la tête en mirant la brunette, interloqué par ce qui va sortir de la sacoche. Dans sa main droite se révèle un joli poképlumet, saisissant immédiatement l’attention du gros molosse.

Ses yeux globuleux louchent sur le plumeau narguant son museau. Ses babines bavent et se déversent sur le sol telle une averse d’automne interminable. Sa conscience est tiraillée par le fait de vouloir garder sa proie et d’attraper le jouet comme un fou.

Seulement, avant même qu’il décide de quoi que ce soit, la plume chatouille tellement ses narines qu’il libère dans un flot de morve le Smogo inerte.

« WAFROUM »

J’ai eu le droit à une belle saucée verte, apercevant à peine la boule violacée percuter les bidons vides. Je sors mes malheureux mouchoirs en papier tentant désespéramment d’enlever les tâches visqueuses sur mon sweat.

« T’es vraiment dégueulasse PP ! »

Le concerné ne s’intéresse aucunement à moi, trop captivé par l’instrument d’Astelle. Cette dernière me demande timidement d’aller jeter un œil sur la victime pendant qu’elle gère le clebs. Je m’exécute sur-le-champ avant de foncer vers les barils.

J’ai dû extirper cette pauvre bête qui se retrouve avec une grosse bosse sur la tête. Il pue la mort à cause des mucosités de PP et son gaz putride mais cela ne m’empêche pas de le prendre dans mes bras pour le ramener à ma pote.

« Alors là j’te dis, ‘se relèv’ra pas avant un bout d’temps. » annonce-je toute de suite la couleur à ma copine.

En zieutant le Granbull, je constate le décès du plumeau, zigouillé par les dents du canidé. Il a du s’acharner dessus, obstiné à l’attraper. Malheureusement pour lui, sa gueule est bien trop grosse pour un objet aussi fin, alors il a tordu la perche et décapité le plumet. Mon attention se ré-focalise sur Astelle que je remercie chaleureusement.

« J’étais sûre que t’allais gérer ! Au moins, le Smogo est libéré et PP aura évité un aller simple au Centre Pokémon. »

Je scrute les environs pour trouver un endroit où se poser. En traversant les débris, nous pourrons accéder à un espace moins chaotique et moins dangereux. J’avertis immédiatement mon amie en l’entraînement machinalement par la main. Je siffle histoire d’avoir Granbull au pied. Vu son gabarit et la puissance de sa mâchoire, j’aimerais éviter des ennuis supplémentaires.

Une fois à l’abri, je pose mon sac prêt d’un fragment de béton avant de m’avancer dans cette grande salle délabrée en m’étirant.

« Pfouah ! Décidément, à peine débarqué, on a pas de répit. »

Je ricane en me retournant vers mon amie. Je n’ai pas fais beaucoup attention à elle à cause des mes tracas et des imprévisibilités des pokémons. En l’observant avec recul, je la trouve étrangement en retrait et plus calme qu’habituellement. J’aurai pensé qu’elle serait toute aussi dingue que moi d’explorer des zones inconnus et d’y vivre des aventures, mais ce n’est pas le cas. Les sourcils froncés par l’inquiétude, j’avance d’un ou deux pas avant de m’arrêter les jambes croisées et les mains dans le dos.

« Ça va Astelle ? »

Mon ton est plus doux et aiguë que d’habitude. J’aurai voulu poser la question avec une certaine insouciance or mon timbre dénote mon appréhension. J’aurai également souhaité allumer ma cigarette mais je ne veux pas m’éloigner encore une fois de mon ami. Je viens me poser prêt d’elle, prête à l’écouter. Je sais qu’il y a quelque chose, alors je ne tolérai aucun « ça va, t’en fais pas ». C’est ce qu’exprime mes yeux lorsqu’ils la toisent.