Gouttelettes froides sur les épaules qu'il balaie du bord de sa serviette – le corps comme ensommeillé par la douche brûlante dont il sort tout juste, il s'écroule en travers du lit de sa chambre d'hôtel. La fenêtre, ouverte, laisse filer la brise fraîche de la soirée dans la pièce. Le bras en travers du visage et les yeux clos, la notification qui résonne dans la pièce le fait sursauter. C'est à tâtons qu'il récupère son téléphone, tandis que les notifications poursuivent leur petite symphonie. À la vue des trois lettres qui apparaissent sur son écran, Cael ne peut s'empêcher de sourire – il ouvre l'application, grimace au survol des messages et commence à pianoter.

Il verrouille son téléphone et le repose près de lui, les yeux de nouveau clos mais les sens en alerte – paré à fondre sur son appareil sitôt que le petit sifflement retentira de nouveau sur un message de son amie.

Ton coude accoudé contre le comptoir, tu prends une gorgée de café. Heureusement qu'Ellende t'avait rappelé que tu avais une machine à café ! Sérieusement, comment avais-tu pu l'oublier ? Bon. Tu préfères quand même les lattes aux cafés bien basiques, mais un café demeure un café. Surtout en soirée après une si longue soirée. Pixel était couché en travers de la cuisine, sur le carrelage, faisant presque office de tapis et tes autres pokémons dormaient ou jouaient dans les salles de jeux. Tu avais du temps pour toi, pour écrire, pour réfléchir. C'était toujours agréable. Sourire sur tes lèvres alors que tu lis la réponse de ton ami.

Demain, tu allais avoir un bénévole qui allait se charger du premier tour de garde - sans toucher à la salle 3 bien entendu - ce qui te donnerait une matinée pour dormir et tu allais très clairement en profiter pour respirer.

Il rouvre les yeux à la sonnerie, déverrouille et sourit doucement, bien malgré lui, tandis que ses yeux parcourent les lignes de son amie. Il aime bien, quand elle est comme ça – qu'elle parle, développe, argumente ; quand elle s'emballe quand elle raconte et qu'elle a l'air d'aimer ce qu'elle fait. Il se redresse pour s'asseoir sur le matelas, sa serviette humide abandonnée près de lui sur les draps.

Portable abandonné sur le lit, il s'en retourne reposer la serviette sur le porte-serviettes de la salle de bain, enfile un haut simple et le jogging des soirées d'ennui – celles où, par chance, les heures de tournage sont parvenues à l'épuiser suffisamment pour qu'il se tienne (presque) à carreau. Et puis, les lumières éteintes, il vient s'accouder au rebord de sa fenêtre, vapeur de cigarette électronique entre les lèvres.

Vous vous étiez connus grâce à l'instagram du jeune homme, des films qu'il faisait plus particulièrement. Quand tu avais découvert son instagram officiel, tu l'avais bien entendu suivi et au bout d'un moment, soutenant les causes pour lesquelles il militait, tu lui avais envoyé un message privé. Suite à quoi tout avait naturellement découlé, les connexions entre vous t'avaient parus étrangement simples. Et les réunions autour des cafés étaient agréables, toujours une bouffée d'air frais dans ton quotidien, entre deux journées trop chargées. Un havre de paix en quelque sorte. Tes doigts pianotèrent sur l'écran de ton téléphone

Petit rire qui s'échappe d'entre tes lèvres. Pendant qu'il s'habille, tu en profites pour te lever, bien contourner Pixel et te diriger dehors, sur les marches devant le refuge. Heureusement, il ne pleuvait pas, mais tu pouvais sentir l'odeur de la pluie qui s'en venait. Pendant la nuit, ça allait tomber. Tu allumas une cigarette, en pris une bouffée avant de reporter ton attention sur ton téléphone, traîner sur les réseaux sociaux pour sourire de nouveau quand il te réécrivit.

Il dessine des cercles dans les volutes de vapeur qui s'échappe d'entre ses lèvres, saveur sucrée sur le palais qu'il prolonge dans le crépitement de l'appareil. La brise monte du bas des rues jusqu'aux étages les plus hauts perchés, tout en haut de l'hôtel où se trouve la chambre empruntée le temps du tournage. Il songe, brièvement, qu'il faudrait qu'il se remette à ses recherches d'appartement – pour s'installer pour de bon à Lumiris et devenir autre chose qu'un touriste de passage. L'avenir assuré pour quelques années par ici, le Pokéwood toujours en recherche active d'acteurs parés aux plus grands rôles du cinéma moderne, il a hâte plus qu'il n'a peur – mais l'administratif le met toujours un peu en déroute, c'est plus fort que lui ; aux premiers formulaires son esprit est déjà loin.
Il soupire et baisse de nouveau les yeux sur son téléphone – retrace en sens inverse le fil de ses pensées parties trop loin pour se recentrer dans le présent.

C'est qu'il a les élans divas – ou môme capricieux. Cael, toujours dans la démesure, prends ce qui lui chante (mais jamais de force et toujours de gré ; c'est que pour ses sourires on donnerait beaucoup, c'est que pour l'entendre rire on le laisse s'emballer). Il donne beaucoup – parfois trop – alors, quand c'est lui qui demande – et il demande peu, malgré tout – on veut bien lui céder – c'est jamais bien méchant quand ça vient de Cael. Des revendications d'enfant – c'est aussi simple que j'aimerais bien qu'une amie vienne faire un tour ici.

Brise apaisante, douceur d'un autre temps. Il y avait si longtemps que tu ne t'étais pas simplement posée dehors pour respirer, inspirer, expirer. Pour exister sans davantage de prétention (tu n'avais jamais vraiment de prétention) et pour l'heure, c'était plutôt agréable. Dans la lumière apportée que par les lampadaires, la nuit était neuve et nouvelle. D'un éclat particulier, d'un éclat entraînait, réconfortant. Tu te souvenais des longues promenades quand le soleil quittait le ciel. Ton téléphone qui vibra te poussa - à ton tour - à te concentrer un peu plus sur l'heure actuelle, sur ce présent effréné ne te donnant pas vraiment de pause (mais c'était ainsi que tu l'avais voulu).

Ce Farfuret avait donné beaucoup de fil à retordre et surtout, beaucoup d'inquiétude. Surtout pour toi qui vivais avec de l'anxiété, qui ne dormais pas parfois à cause de cette anxiété tournant dans ta tête, tu n'avais pas pu faire autrement que de t'inquiéter outre-mesure pour ce pokémon recueilli en plein gel, ayant perdu une oreille et se déchirant l'autre par angoisse extrême. Il commençait à prendre ses marques dans le refuge et tu ne voulais pas trop le bousculer pour ne pas défaire tout le chemin parcouru. Souffle discret mourant sur tes lèvres asséchées, souffle discret se perdant dans le vent soufflant dans les arbres et la vie nocturne de Sunyra.

Instant de surprise lorsque ses yeux frôlent les mots alignés sur l'écran ; très vite la stupeur se change en un rire désabusé et, tandis qu'il pose sa cigarette électronique sur le petit rebord de la fenêtre pour libérer ses deux mains sur le clavier, il ne peut s'empêcher de songer au ridicule de la situation.

Il s'esclaffe, seul face au paysage de la ville qui s'étire sans fin sous ses yeux. Il entend la rumeur de la capitale qui monte des rues, le bruit pas si lointain des voitures qui filent sur les routes, de la musique qui lézarde le long des murs depuis un immeuble en face de sa chambre d'hôtel. Des éclats de voix en bas – des éclats de vie. La jeunesse s'amuse et il est encore tôt – il voudrait être en bas lui aussi, insouciant et un peu ivre.

Téléphone sur les genoux, tu ne pouvais pas t'empêcher de rire. Un fou rire libérateur, aussi fatigué que fatiguant - mais comme personne ne passait dans la rue ça allait. Vraiment ? Il n'avait jamais regardé correctement les emballages ? Cette naïveté venait d'illuminer cette nuit qui s'annonçait si longue et encore plus épuisante que la journée en elle-même. Lorsque le fou rire s'estompa, tu pus reprendre une bouffée de fumée, la relâcher dans les airs en regardant celle-ci disparaître, chassée par le vent. Puis tu repris ton téléphone, toujours aussi surprise et amusée par ce texto qui était venu égayer ta nuit.

De ton côté, la rue était silencieuse, presque morte et à Unys, tu aurais eu peur. Mais au milieu de Sunyra, ce silence perturbé par les bruits des pokémons dans les arbres et un peu partout t'apparaissait comme un salut que tu ne pouvais refuser. Dont tu ne pouvais point ne pas profiter.

Il soupire, mais sans s'en formaliser plus que nécessaire – il a fini par comprendre, Cael. Comprendre que Lys est comme ça – incertaine et peu sûre d'elle, persuadée de tout le contraire de ce qu'elle est. Il n'essaie plus tout à fait de la raisonner ni de la contredire – qu'importe le nombre de compliments, un cœur déterminé à ne pas y croire n'y croira jamais tant qu'il s'y refusera. Alors il se contente de faits : sa douceur ou son empathie ; qualités nécessaires et intrinsèques à son travail au refuge.

Les messages dans le désordre, la conversation en décousu ; les yeux et l'attention de Cael s'égarent morceau par morceau sur les bouts de phrases qui surgissent, font brièvement sens et puis se dispersent. Fautes d'inattention, fatigue éprise de son esprit, les doigts loupent les touches et ses yeux les accords. Il peine mais ne lutte plus – quand il ne parvient plus à s'adapter au monde qui l'entoure alors, un peu, rien qu'un peu, il espère que ce soit le monde qui s'adapte un peu à lui.

Parfois, le doute reprenait le dessus. Tu te demandais si tu étais "assez", si on en avait pas marre de toi et qu'on osait tout simplement pas te le dire, parfois oui, tes démons revenaient et tentaient de nouveau de te noyer. Mais tu ne te laissais pas faire. Tu t'accrochais aux paroles de tes amis, aux gestes qui avaient prouvé à plusieurs reprises que les voix ne pouvaient pas avoir raison, et tu t'accrochais. Une nouvelle fumée dans les airs, tes poumons s'emplissaient de cette fumée nocive qui venait pourtant couper l'appétit. Et ça avait toujours été l'effet recherché quand tu prenais une cigarette. Ton sourire ne s'en allait pas alors que tu lisais les nouvelles phrases de ton ami.

Ta logique n'était clairement pas toujours la meilleure, mais bon, en quoi serait-ce grave ? Tu souriais et tu t'amusais, n'était-ce pas là le plus important ? Cette nuit était douce, agréable. Enfin, cette fin de soirée plutôt que nuit vu que l'heure n'était pas encore si avancée.

Il se saisit du combiné posé sur la table de nuit et suit les indications photocopiées sur une étiquette à côté pour contacter le rez-de-chaussée. Sa commande passée, en une poignée de secondes éhontées, il raccroche et s'en retourne à son Discord.

Le vent était frais. Si agréablement frais que tu ne pouvais qu'en profiter. Profiter de la brise sur ton être frigorifié qui ne désirait tout de même pas rentrer, profiter du calme autour de toi, profiter de la discussion agréable avec ton ami. Profiter tout simplement, il n'y avait rien de plus que tu ne puisses faire que profiter. Tu aurais bien aimé que Caël soit là et que vous observiez les étoiles ensemble à parler sans véritable but, seulement que le temps continue de s'écouler. Parfois, une présence dans ta vie, ça manquait. Une présence amicale, une présence amoureuse, peu importe. Une présence dans les nuits comme celle-ci.  

Le rire était au rendez-vous. Agréable était la discussion. Un sourire amusé sur les lèvres, tu prends une nouvelle bouffée de fumées, puis tu écrases ta cigarette désormais terminée en t'en ouvrant une autre. Tu fumais beaucoup, ce soir. Mais les pensées restrictives revenaient et tu n'arrivais pas à les gérer. Tu finis par te lever, décidant de marcher un peu, de te dégourdir les jambes.

Tandis que s'affiche en bas de son écran la petite ligne Lys est en train d'écrire – les quelques mots qui rassurent en rappelant que quelqu'un, quelque part, est en train de penser à nous –, il s'égare sur ses autres réseaux sociaux. Il esquive du regard les débats sourds et muets qui l'ennuient, fait défiler les stories de ses proches et des autres d'une tape légère à droite de son écran. Le sourire au bord des lèvres il survole les commentaires sous sa dernière photographie de grimpe urbaine publiée sur son compte secondaire, prend le temps d'en liker quelques uns à la volée. Il prenait le temps, autrefois, de répondre à chacun d'entre eux – au fil des années ça n'a plus été possible. Il voudrait, Cael, qu'il y ait plus d'heures dans une journée, il voudrait pouvoir donner à chacun la même attention, leur offrir de son temps sans compter – il ne le peut pas. Il l'a souvent appris à ses dépends – loin d'être inaccessible, toujours volontaire pour un selfie avec ses fans ou une conversation dans la rue quand on le reconnaît ; malheureusement trop souvent pressé. Occupé à courir entre les tournages, les plateaux télévisés, les chaînes de radios, les bâtisses abandonnées et sa vie privée qui ne l'est souvent plus tout à fait.
Il soupire, exhale un nuage de vapeur opaque et sucrée – fait glisser l'application et s'en retourne à sa conversation pendant quelques instants délaissée.

Avant qu'il n'ait pu écrire un seul mot il entend qu'on frappe à sa porte – il abandonne sur son lit son téléphone et sa cigarette électronique, glisse sa main dans ses cheveux et déverrouille avant d'ouvrir. Il remercie chaleureusement en récupérant le plateau qu'on lui tend, recule et referme soigneusement en s'appuyant le dos contre la porte – les mains prises. Ceci fait il pose le plateau sur sa table de nuit et s'affale sur son lit – reprend sa lecture et laisse traîner ses doigts un moment au dessus des touches avant de répondre.

Il soupire en jetant un coup d’œil vaguement las en direction de sa fenêtre – installé sur son matelas, il ne discerne plus que le ciel étoilé et le sommet des plus hauts buildings de la capitale.
Dans une autre vie, il n'aurait pas à s'inquiéter de ses amies qui traînent les rues la nuit – dans une autre vie il n'aurait pas à craindre tous les scénarios qu'il sait trop fréquents, qu'on nie mais qu'il connaît, de loin, pour avoir tant de fois œuvré au côté des concerné(e)s.

Il roule sur son lit pour se saisir de sa pokéball, posée entre deux fringues dans son sac de voyage ouvert, et presse le bouton du bout des doigts pour libérer son poney miniature qui s'ébroue.

« Tu fais toujours la gueule ? »

Elle le fixe, une poignée de secondes, puis se détourne et s'allonge à même le sol, dos à lui. Il hausse un sourcil en ricanant, hausse les épaules et se rallonge – c'est elle qui loupe le confort du lit, après tout. Pas lui.

La nuit était calme et jeune, elle était douce, rythmée par les coups de vents. Tu souriais, tes écouteurs dans tes oreilles, la musique résonnant. Les rues étaient désertes, ton unique âme comme fantôme les hantant. À Unys, on t'avait déjà insulté alors que tu te promenais, traité de tous les noms parce que tu ne répondais pas. Des sans-abris très souvent. À Unys, tu avais appris à te plonger dans ta paranoïa jusqu'à craindre de sortir même en plein jour. Mais ici, la paix résonnait alors que tes pas te menaient dans les rues tout aussi désertes, illuminées par les lampadaires. C'était doux. Tu étais seule. Main dans la main avec la solitude depuis tellement longtemps, depuis trop longtemps même. Mais ce n'était pas grave. Tu étais en mesure de l'accepter, tu étais en mesure de l'encaisser, de la supporter cette solitude qui te guidait, qui t'accompagnait.
Un pas après l'autre. Le sourire qui demeurait sous tes lèvres alors que tu respirais à fond, continuant de fumer. Parce que tu faisais partie de ceux en mesure de fumer alors qu'ils marchaient. Tu te souvenais de ta mère qui devait toujours être arrêtée, être immobile, pour pouvoir fumer, se griller une clope.

Tu te posas contre un mur tout près de toi quand tu entendis ton téléphone vibrer, glissant la cigarette correctement entre tes deux doigts pour prendre à deux mains ton téléphone et lire les messages envoyés par Caël. Quelque part dans ce monde, dans cette région qu'est Lumiris, quelqu'un pensant à toi, quelqu'un prenait le temps de t'écrire. Quelque part dans cette région endormie, quelqu'un était éveillé et trouvait que tu valais la peine qu'il gaspille quelques minutes à te répondre.

Jamais tu ne voulais inquiéter les autres. Tu étais celle qui s'inquiétait et c'était le rôle qui te convenait, alors tu n'appréciais pas quand les rôles étaient échangées. Tu étais ainsi, c'était tout simplement ainsi. Et pourtant, un sourire sur tes lèvres. S'inquiéter pour toi signifiait inévitablement qu'il tenait à toi.
Quelqu'un tenait à toi et aussi douloureux que ce soit, c'était toujours apaisant. Même si tu avais toujours trouvé plus simple d'être détestée.

Il s'agite – et son lit ne lui est jamais apparu aussi inconfortable qu'il l'est, ce soir. Il se tourne et se retourne, se redresse puis se rallonge, goûte son thé du bout des lèvres et manque s'y brûler, repose la tasse et se lève pour s'étirer au milieu de la pièce. Les muscles douloureux, la fatigue sur les paupières mais l'esprit trop vif pour qu'il s'apaise – il lance une playlist au hasard sur la page d'accueil de son Spododofy, fredonne faux en tirant une nouvelle fois sur sa cigarette électronique (cherche, dans la nicotine, un quelque chose qui ferait ralentir ses idées).
Quand il se réinstalle au bord de son lit c'est par dépit, sous l’œil curieux d'Hécate qui hennit doucement en se redressant pour venir poser sa tête sur les genoux de son dresseur.

« Ah, ça y est ? T'arrêtes de faire la tête ? »

Il murmure en glissant ses doigts entre les crins de sa frange tandis qu'elle ferme les yeux – de sa main libre il récupère brusquement son portable, dont il avait malgré lui oublié l'existence.

Il s'affaire déjà à enfiler ses baskets, glisse une main dans ses cheveux encore humides pour tenter de les coiffer à la va-vite, intime à sa Ponyta de le suivre – quand bien même elle ne paraît pas très enjouée à l'idée de quitter le confort de la chambre qu'elle paraît apprécier bien plus que lui.

C'est une fois près de la porte qu'en tâtant ses poches il réalise qu'il a oublié son téléphone – et jamais terminé de répondre.

Un. Deux. Trois.

Un pas devant l'autre. La musique dans tes oreilles, Casper sur ta tête, tu continues de marcher. La musique était une merveilleuse compagnie pour une marche. Tu ne sortais jamais sans tes écouteurs, de toute façon. T'isoler du monde, t'isoler de tous les bruits qui pouvaient te faire paniquer, te plonger dans une détresse irrationnelle que tu ne serais jamais en mesure d'expliquer. Que tu ne pourrais jamais expliquer, que tu ne tenterais jamais d'expliquer tout simplement.

Quatre. Cinq. Six.

Un autre pas. Tu arrivas devant un café ouvert 24h/24 et un sourire étira tes lèvres alors que tu commandas un thé Earl Grey en te disant que quelque part, ce serait comme si tu le buvais avec Caël. Suffisait de l'imaginer suffisamment fort pour que ce soit vrai, n'est-ce pas ? Tu aurais aimé que ça fonctionne ainsi. Plus la nuit avançait, plus le sentiment de solitude détruisait ton coeur et te donnait presque envie de pleurer. Mais ça faisait si longtemps que tu n'avais plus pleuré. Tu ne savais même pas si tu en étais aujourd'hui encore capable. Pendant que tu attendais ta commande, tu décidas de regarder ton téléphone. Ooops... toi aussi, tu l'avais fait attendre une réponse.

Tu eus un tout petit sourire à observer ton téléphone. Caël était un rayon de soleil. Tu ne regrettais pas d'avoir pris l'initiative de lui envoyer un message sur Instagram, vraiment pas. Et tu espérais qu'il ne regrettait pas d'avoir pris le temps de te répondre, de son côté. Ce serait bien triste que ce soit le cas. Mais quelque part, ton esprit te soufflait que ce ne serait pas surprenant. Qui voudrait bien réellement être ami avec toi ?

Tu fus interrompu par ton thé qui venait de t'être donnée et tu bafouillas quelque chose entre bonne soirée-nuit en remerciant la personne et lui donnant du tips. Tu t'éloignas légèrement pour t'asseoir sur un banc et poser ton thé avant de reprendre ton téléphone et terminer de répondre.

Les doigts sur le bouton d'appel de l'ascenseur et puis l'attente interminable – il balance son poids d'un pied sur l'autre, hésite et puis dévale les escaliers. De loin, deux ou trois étages plus bas, il croit entendre la petite mélodie qui indique l'ouverture des portes au dessus de sa tête – las, trop épuisé pour être patient, il poursuit sa course, Hécate sur ses talons qui semble presque flotter au dessus des marches (il la soupçonnerait presque d'utiliser ses dons psychiques pour ne pas avoir à galoper dans les escaliers). Parvenu à l'extérieur il respire enfin – dans l'air frais de la nuit il regrette presque de n'avoir pas emporté de veste pour couvrir ses bras nus qu'un courant d'air couvre de chair de poule. Sa cigarette électronique dans une main et son portable dans l'autre, il pianote sur Dusk Maps pour trouver un commerce ouvert à proximité – heureusement, la nuit est encore jeune et la capitale encore vive, et la liste s'allonge et la plupart ne sont pas si loin.

Une notification apparaît au bord de son écran, ses yeux survolent le commentaire et son esprit oublie ses promesses. Il dévale la rue en enfilant ses écouteurs, dodeline de la tête en fredonnant faux dans les allées – c'est sans réfléchir qu'il finit par pousser la porte de la première supérette qu'il croise qui n'a pas encore baissé son rideau. Le caissier le salue sans le regarder, les yeux baissés sur son portable, et les seuls autres clients de la boutique sont quelques jeunes un peu turbulents qui se chahutent dans un rayon, les bras chargés de chips et de jus de fruits.

Il s'arme de paquets au hasard – sucré, salé, des échantillons de malbouffe pour occuper les heures où il ne dormira pas – et d'un pack de bières, adresse un sourire au caissier fatigué et paye avec son téléphone portable avant de retourner à la fraîcheur de la nuit. Les écouteurs glissés dans son col, il hésite et puis part à la recherche d'un square, d'un banc ou d'un rebord de trottoir sur lequel s'installer – jette son dévolu sur un muret quelconque.

Il a déjà oublié le thé qui l'attend.

Soft and slow, watch the minutes go

Une gorgée de ce thé réconfortant pour chasser la masse sombre de pensées qui cherche à t'attraper, t'assaillir. Respirer, lentement, profondément. Respirer et prendre quelques nouvelles gorgées de ce liquide brûlant et pourtant apaisant en attendant que ton téléphone se remette à vibrer, t'indiquant l'arrivée d'un message.

Il arrivait que ton appartement t'apparaisse comme cruellement vide, comme cruellement dépourvu d'âmes. Il arrivait que la solitude te prenne comme ça, à la gorge, sans prévenir alors que tu avais appris à bien la gérer. Et l'idée que quelque part, on pense à toi (on t'écrive) était également un baume dans ce coeur qui commençait à s'agiter.
Pourtant, tout allait bien, dernièrement. Tout allait terriblement bien. Tu avais ton refuge. Tu avais tes amis (Ellende, Lilith, Izaiah et Caël notamment). Pourquoi cette descente ?
Le mois.
Avril. Le mois expliquait tous les tourments de ton esprit actuellement. Et plus tu essayais de faire abstraction du temps qui passe, plus celui-ci te paraissait cruellement visible et destructeur. La distraction de la vibration de ton téléphone fut accueilli par ton être comme un salut.

Pourquoi n'étais-tu pas en mesure de te convaincre toi-même de cette phrase, hein ? Prêcher la bonne parole, pousser à ne pas trop se soucier de son alimentation, tu étais bonne pour le faire auprès des autres, mais jamais de toi. C'était assez triste, quand tu y pensais. Mais tu étais parfaite dans le rôle du "fais ce que je dis, mais pas ce que je fais" et même avec les années passées, tu n'avais pas changé. C'était toujours la même chose.
i'm still learning

Casper s'était glissée sur le banc et s'était posée tout contre toi, occasionnant un sourire sur ton visage. Les pokémons, tu t'étais souvent demandé ce que tu ferais sans leur présence.
Et la réponse, tu ne l'avais jamais trouvé.

Caël te manquait. Oui, clairement. Tu avais hâte de pouvoir le revoir, lui reparler en face à face, lui préparer ce fameux chocolat chaud avec chantilly et guimauves parce que tu aimais rendre les autres heureux, ceux qui comptaient pour toi surtout. Et c'était ton ami, ça allait de soi qu'il comptait pour toi.

La brise légère remonte la rue et mord sa peau le long de ses bras dénudés. Genou plié et talon posé sur l'assise du banc, les yeux clos, la tête renversée et offerte au zéphyr qui fait trembler les feuillages épaissis par l'été qui s'avance doucement sur Lumiris, Cael laisse le fil de ses pensées chanceler d'un bord à l'autre de ses idées. Il en oublierait presque le monde – il en oublierait la soirée qui s'écoule, le tournage du lendemain, le bruit des sabots d'Hécate qui frappent l'asphalte quand elle poursuit une feuille battue par le vent et même les messages qui s'alignent sur l'écran de son téléphone et qu'il n'aperçoit pas, perdu dans les phosphènes qui éclatent sur l'écran noir de ses paupières closes.

Bien qu'il soit l'un des animaux les plus sociaux que cette Terre Mère ait porté, de temps à autres la solitude lui plaît mieux – l'anonymat que lui offrent ceux qui ne le reconnaissent pas, et les instants volés loin des caméras. Il n'y a, autour de lui, aucun murmure, aucun flash ni aucun cliquetis – les sons familiers d'une ville qui ne dort pas encore et laisse les veilleurs en paix.

Hécate donne un coup léger dans son genou, qui le force à rouvrir les yeux pour la regarder qui mâchonne la feuille qu'elle est finalement parvenue à attraper. Il se fend d'un rire déconcerté, effleure son chanfrein du bout des doigts avant qu'enfin, son attention se reporte sur son téléphone.

Il récupère ses écouteurs abandonnés à son col et les enfile de nouveau, en retournant fouiller dans ses playlists désordonnées. Il en possède un nombre incalculable, et certaines se répètent – il les crée sitôt qu'il en a l'idée, en oubliant quelquefois qu'il a déjà eu la même, quelques semaines auparavant. Quand il réalise, il n'a pas le cœur de transférer toutes les pistes enregistrées de l'une à l'autre – alors, il les date ; et pour lui c'est comme de rouvrir une boîte à souvenirs à chaque fois qu'il ouvre Spododofy (joindre les chansons aux dates, se souvenir pourquoi et comment).

Ses playlists couvrent un champ des possibles infinis – toutes les humeurs, tous les bonheurs et tous les cafards ; des pour combler l'ennui, d'autres pour se pousser aux tâches ingrates qu'il n'aime pas. Beaucoup d'autres qu'il écoute pour courir et grimper. Une bonne partie des listes porte les noms des personnages qu'il a incarnés – la musique a toujours été pour lui une façon de mieux appréhender les rôles qu'il doit endosser.
Son cœur loupe toujours un battement quand ses doigts frôlent Jeremy et qu'il ne sait plus cliquer (se serre un peu quand les yeux coulent sur Will&Jerem qu'il n'a plus jamais réécoutée).

Le pouce presse au hasard – les accords francs l'éloignent de ses dérives embrumées.

i'll never wake without an overdose... of you

Tu avais posé ton regard sur les étoiles brillantes dans le ciel.
Tu avais posé ton regard sur là où tu te disais qu'elle était.
Tu espérais qu'elle te regarde de là où elle se trouvait, qu'elle pouvait te voir, qu'elle t'attendait comme toi tu l'attendais. Était-ce la raison pour laquelle tu étais aujourd'hui encore seule ? Était-ce la raison pour laquelle tu t'enfonçais dans une certaine solitude ? Parce que tu attendais son retour dans ton lit, parce que tu attendais que sa chaleur fasse fuir le froid de ton existence, de ce lit trop grand pour toi. Tout en sachant que jamais ça n'allait se produire, parce que les morts, ça ne revient drôlement pas à la vie. Mais quelque part, tu ne pouvais cesser d'espérer. Parce que le manque te tuait, te minait, te brûlait les veines.
Parce que le manque ne s'éteignait pas malgré les années qui venaient, qui passaient. Le manque ne s'effaçait pas.

Nouvelle gorgée de ce thé pour apaiser les esprits enflammés. Nouvelle gorgée pour tenter de s'ancrer de nouveau à la réalité. Ce thé était apaisant, réconfortant. La chaleur et l'amer du Earl Grey venaient apaiser doucement les tourments de ton esprit alors que tu t'accrochais à ce goût envahissant tes papilles sur ta langue. C'était toujours mieux que de laisser les pensées tournoyer et t'étourdir encore et encore, comme elles le faisaient si bien lorsque tu t'allongeais le soir en tentant de laisser le sommeil te prendre et te bercer.

Douce brise sur tes joues, douce brise sur ton visage. Tu appréciais la nuit de Sunyra, bien différente de celle à Unys, bien différente de celles de ton enfance. Tu apprenais doucement à te réconcilier avec la nuit, avec la noirceur, même si aujourd'hui encore tu ne pouvais dormir dans le noir complet. Nouvelle gorgée alors qu'un doux sourire épuisé se dessinait sur ton regard, Casper à tes côtés qui observait également cette merveilleuse nuit dans laquelle vous vous étiez plongées en décidant de vous promener. Enfin, tu avais décidé de te promener et Casper avait suivi parce que Casper suivait toujours. Tu ne pouvais aller nulle part sans que ce pokémon spectre-fée soit à tes côtés. Ce qui ne te déplaisait pas non plus.
Les yeux dans les vagues, tu finis par te rappeler que... Tu discutais avec Caël et que sans doute qu'il attendait une réponse de ta part.

La voix d'Halsey accompagnait tes pensées nocturnes. Son nouvel album résonnait dans tes oreilles alors que tu posais ton téléphone sur tes cuisses pour continuer de boire ton thé. Manic, l'album. Les musiques résonnaient jusqu'au plus profond de ton être, te rappelaient qui tu étais.
Te rappelaient également à quel point tu pouvais être pathétique, à quel point parfois respirer était tout ce que tu pouvais faire et au final, c'était tout ce qui était important à certains moments. Respirer. Même si c'était tout ce qui te semblait possible certains jours, c'était déjà bien.

La musique avait toujours accompagné tes journées, tes nuits, tes moments sans sommeil. Tu n'avais jamais pu imaginer une vie sans musique, sans les notes résonnant dans tes écouteurs, ou la musique classique qui accompagnait tes tournées dans le refuge parce que c'était la musique qui jouait en boucle pour aider à apaiser les pokémons là-bas.
Des études avaient prouvé que la musique classique avait des effets apaisants sur les cerveaux des pokémons et que ça pouvait aider à gérer le stress des situations auxquelles ils n'étaient pas habitués. Et comme tu cherchais à rendre leur séjour dans ton refuge le moins angoissant possible, tu laissais la musique résonner doucement entre les murs du refuge. Les bénévoles et employés savaient qu'ils ne devaient pas éteindre les radios.

Tu lis les mots envoyés par ton ami et tu ne peux que sourire en lançant la musique, te laissant bercer par les accords musicaux, et les paroles de ce groupe que tu connais très bien. Douce chanson.

Cette fois, son attention ne se détourne pas de son téléphone – parce que sa réponse il l'attend, un peu plus impatiemment que le reste. La musique, c'est quelque chose de particulier – et s'il n'a jamais frôlé le moindre instrument, jamais chanté autrement que faux sous la douche, il n'imagine pas une vie faite de silence ou des seuls bruits du monde. Il a besoin de ce quelque chose d'un peu plus beau, la langue universelle des artistes qui disent bien mieux les mots du cœur qu'il n'en sera jamais capable lui-même, lui qui ne sait qu'endosser des rôles qu'on écrit pour lui, raconter des histoires qui ne sont pas les siennes. Existence aussi authentique qu'artificielle.

Sitôt que le lien apparaît sur son écran, il clique dessus – avise le titre qu'il recopie dans l'instant sur Spododofy. Il sourit en reconnaissant l'artiste – souvenirs d'autres musiques de la même, et aujourd'hui il pense toujours un peu à Lys quand il reconnaît ses tubes à la radio. Il presse play et se réinstalle confortablement sur son banc, ignorant déjà les vivres achetés une poignée de minutes avant, tout entier rappelé à leur conversation.

Même s'il n'aura jamais l'expérience nécessaire pour comprendre – rien que son empathie et une écoute sans faille, un esprit prêt à tout entendre et à tout accepter, prêt à tout croire des aveux de ceux qui lui portent assez de confiance pour lui parler de leurs highest highs comme de leurs lowest lows. Lui qui n'a jamais tout à fait souffert de rien – lui démesuré, lui tourbillon, lui turbulence mais pas tant que d'autres (pas tant que Lys). Ça lui a toujours suffit – d'être celui qui acceptait sans questionner, et même sans appréhender toutes les subtilités.
Il n'a jamais eu besoin de comprendre pour répondre je te crois et je suis là.

i could never hold a perfect thing and not demolish it

Nouvelle gorgée de thé pour apaiser, pour respirer, pour effacer tous les torts, tous les travers. Pour oublier que tu es humaine, oublier que ton cerveau déconne. Oublier. Une nouvelle gorgée de thé pour chasser le froid de dehors, une nouvelle gorgée de thé pour réchauffer. Une nouvelle gorgée de thé.
Il va falloir rentrer, Lys. Mais tu ne veux pas rentrer. Continuer de te perdre dans les rues de Sunyra - sans vraiment te perdre non plus, il ne faut pas exagérer. Nouvelle gorgée de thé. À un moment donné, il n'y aura plus de thé.
Ton téléphone vibre, ton sourire s'impose sur ton visage. Tu connais l'origine du message, tu sais qui vient de t'écrire, tu connais le nom qui va s'afficher. La notification et le pseudo discord, tu les connais. Et tu es contente. Contente qu'il te réponde, contente de lui parler, contente. Petit rayon de soleil dans la nuit qui devient menaçante. Et tes pensées qui t'emportent trop profondément. Il ne s'est rien passé, alors pourquoi dois-tu être ainsi ?
Respirer. Doucement, lentement. Nouvelle gorgée de thé pour respirer.
'cause it's 3 am...

Et cette impression de vide qui revient,
et cette sensation de folie qui prend aux tripes.
Il faut rentrer Lys, tu es autant perdue à l'intérieur qu'à l'extérieur. Et le vent frais sur ton visage qui te ramène parfois à la réalité. Tu dérapes. Mais tu ne peux pas trop déraper maintenant : on a besoin de toi, alors ne te perds pas trop. On a besoin de toi dans ton refuge, on a besoin de toi, les pokémons ont besoin de toi, tes bénévoles ont besoin de toi.
Mais ils pourraient se débrouiller sans toi, n'est-ce pas ? Ils pourraient. Mais ne dérapes pas trop, Cael a besoin que tu restes ici, présente. Tu ne voudrais pas que le soleil s'éteigne.

Tu ne pouvais pas imaginer un monde de silence, sans musique, sans rien pour t'exprimer. Tu ne pouvais pas imaginer un monde où les mots s'échappaient, tu ne pouvais pas imaginer un monde sans mélodies pour accompagner ton quotidien.
Et tu n'avais pas réalisé. Tu n'avais pas réalisé avoir marché, pour te rendre chez toi, trop partie dans tes pensées, trop enfoncée dans tes pensées, tu n'avais réalisé qu'une fois devant la porte de ton refuge, que tu étais rentrée. Tu pousses la porte, tu soupires, tu verrouilles. Trois fois. Toujours vérifier trois fois. Et tu poses ton thé presque vide sur le comptoir pour répondre à Caël. Tu viens de voir l'heure. Aïe.

I don't know why you hide from the one

Les doigts ont frôlé le nom de l'artiste sur l'écran, les titres interpellent et la voix envoûte – c'est si facile de succomber au charme, de fermer les yeux et d'écouter comme les notes filent et comme les paroles s'enlacent autour de son cœur. Cael ne connait pas – ou trop peu – ces douleurs, ces violences, toutes ces injustices que le monde inflige – pour lui, ce n'était qu'une parenthèse, quelque chose qui prétend oublier trop aisément pour que ce soit vrai.
(Cael au milieu des étoiles mais toujours au bord du vide – il oublie trop vite que son jeton gravé un an il y a renoncé il y a longtemps et qu'il suffirait d'une faille, d'une seule, d'un infime pas de côté pour…)

And close your eyes to the one

Cael est de ceux qui écoutent en silence, hochent la tête, sourient, disent « je t'aime » quand d'autres se détestent d'être ce qu'ils sont – Cael est de ceux qui restent, de ceux qui s'improvisent pilier, de ceux qui entendent et acceptent. De ceux qui murmurent dans la nuit « t'es tellement plus de choses que malade, si tu savais » et qui espèrent qu'un jour, c'est à eux qu'on dira « je te crois ».

Mess up and lie to the one that you love

Hécate s'ébroue puis pose sa tête sur les genoux du Météores pour attirer son attention – ses prunelles se détachent de son écran pour observer comme le poney s'éloigne et entame un galop effréné dans l'allée. Ses sabots tonnent fort sur la terre sèche du chemin lissé par les hommes – il jette un coup d'œil en l'air, en direction des fenêtres et des balcons des immeubles qui les entourent.
Il n'est pas encore si tard qu'il faille déjà s'inquiéter…

When you know you can cry to the one

C'est facile, c'est si facile avec elle – avec Lys qui ne réalise même pas, comme elle est belle et comme elle est précieuse, comme elle est grande et comme elle est forte (guerrière aux yeux de Cael, victorieuse de tant de champs de bataille qu'il n'envisagera jamais). Elle ne sait pas, et peu importe combien il pourrait le lui répéter, elle ne saura jamais, comme il la contemple, comme il l'admire, petite Lys toujours aussi vaillante (même quand elle trébuche).

Always confide in the one

Et, quand la petite bulle devient grise, c'est de solitude qu'il s'éprend – tout à coup, plus personne ne pense à lui, plus personne ne lui écrit. Les notifications défilent sur son écran mais ce sont tous ces likes impersonnels, les commentaires d'un public qui ne le connaît pas tout à fait. Disparus, les trois petits points qui clignotent pour lui dire qu'on ne l'oublie pas. La nuit s'étire et, avec elle, les esprits s'en vont vers d'autres rêves qui ne le concernent pas.

Il songe, un peu de biais, un peu cabossé – est-ce que certains parlent de moi comme elle parle d'Halsey ? Est-ce qu'il raconte l'histoire des autres quand il parle, quand il joue ses rôles, quand il monte au créneau des idéaux qu'il porte au cœur ? Est-ce qu'il a changé la vie de quelqu'un sur cette terre, quelque part, loin, fait trembler quelqu'un qu'il ne connaît pas ?
L'inspiration fébrile.

Dans ses oreilles, les musiques défilent – il ignore combien de temps il reste là, les yeux clos, à écouter. À écouter pour de vrai, pour saisir le sens de tous les mots, de poids de tous les aveux. Les airs sont entraînants, les lyrics déchirants – doucement, tout doucement, il apprend ;
il apprend un peu d'elle, un peu de toutes ces choses qu'on ne dit pas.
Peu à peu, il comprend (tout juste ce qu'il faut).

Il est tard et il fait froid quand il daigne enfin rouvrir les yeux – un peu bousculé, un peu chaviré. Gelés, ses doigts peinent à pianoter sur l'écran. Pourtant, c'est plus fort que lui – ces mots-là l'ont marqué plus que d'autres…

Ces mots-là, c'est comme s'ils étaient faits pour lui, pour elle, pour eux.
De lui, à elle.
Si simples et si évidents – trop importants pour qu'il les garde pour lui.

You can be kind to the one that you love.

cold

Il faisait si froid, tu avais si mal ;
Douleur qui se poursuit et le brouillard si intense qui t'entoure alors que tu luttes contre l'inconscience, en chemin pour l'hôpital, alors que tu n'as même plus la force de tenir debout et un nom qui vient : Cael. Tu savais qu'Izaiah avait été à la centrale - tu voulais tellement le retrouver et le serrer dans tes bras - mais tu ne savais pas où était Cael et tu voulais. Tu voulais savoir. Tu avais besoin de savoir. Et tu avais pris ton téléphone. Dans tes mains, tu l'avais serré. Vue tellement brouillée que les lettres dansaient.
Mais tu avais besoin de lui écrire. Tu avais tellement besoin de sa présence, besoin de ses mots, besoin de ton ami.

Le coeur accélère, la respiration se perd.
Cael, sois en bon état. Les messages ne s'envoient pas. Poids sur la poitrine. Temps qui ralentit. Cael. Messages non-envoyés. Cael. Il faut qu'il soit en sécurité. Il doit être en sécurité. Il est beaucoup trop pur pour avoir assisté à tout ça, beaucoup trop pur, faut le protéger, tu veux le protéger. Tu veux. Tu as besoin de lui et tu ne veux pas qu'il ait vécu ce que tu viens de traverser. Ce que tu n'oublierais jamais.  

Et le bruit du téléphone si lointain
son éclat sur le sol, que tu entends
vaguement, très vaguement, trop vaguement
et
le noir qui prend.