Les lampes du Compacteur à Ordures s’illuminèrent soudain.
Astelle avait le souffle court et le visage souillé. Soutenue par Léo, elle se redressait à demi, le regard rivé sur la créature rose et gluante. Elle dut cligner plusieurs fois des yeux pour s’acclimater à la luminosité.

Face à elle, le pokéblob se trémoussait confusément, toujours coincé dans l’entrebâillement de la porte. Finalement convaincu que toute cette affaire n’était qu’une terrible méprise, et qu’il n’y avait pas lieu de se battre, le curieux pokémon avait cessé d’attaquer.  
Astelle eut un doux sourire, illuminant son visage sillonné par les larmes.
— Merci de nous avoir écoutés, lui dit-elle avec tendresse.
Malgré des débuts difficiles… ils allaient réussir à s’entendre. Cette pensée lui mettait du baume au cœur.

Avec un petit mot de remerciement pour Léo, qui l’avait rattrapée et empêchée de s’effondrer dans la pile de détritus, la jeune fille se dégagea précautionneusement. Elle conservait une main posée sur son ventre, comme pour tenter d'y contenir la douleur. Le débris métallique qu’elle avait reçu dans l’estomac lui avait coupé le souffle. Se tenir debout toute seule était une telle torture qu’elle devait rassembler tout son courage pour ne pas simplement se recroqueviller sur le sol et pleurer. L’hématome ne serait pas beau à voir.
Comme pour ignorer la souffrance, comme pour rassembler sa volonté, Astelle se força à prendre une grande inspiration : elle n’avait pas le temps de geindre ou de se faire dorloter !

Toujours pleine de détermination, la jeune fille se rapprocha du pokéblob à pas prudents, pour continuer à lui parler d’une voix douce et rassurante.
— Ne paniquez pas. Tout va bien se passer. Est-ce que vous êtes coincés ? Est-ce que je peux vous aider à sortir de là ?
Pouvait-elle toucher la créature ? Elle était couverte de déchets divers, et imbibée d’un curieux fluide rosé. Mini-senpai, à l’intérieur de sa casquette, avait lancé un Rune Protect en arrivant, afin de les prémunir des risques d’empoisonnement et de maladies, mais s’il s’agissait d’un pokémon Poison… le contact restait dangereux.
Astelle plissa les yeux, cherchant à voir si elle pouvait le nettoyer un peu et identifier ce mystérieux pokéblob.

Tout en l’observant, elle rappela Flambino-ôtoto à son bras, et récupéra la potion vide qu’elle lui avait confiée.
— Tu as fait du super travail, p’tit-frère ! Ta grande-sœur est si fière de toi ! lui chuchota-t-elle amoureusement dans les oreilles, avant d’y déposer un baiser.
Cette façon dont le pokélapin s’était jeté à travers la pluie de détritus, esquivant les projectiles comme un petit footballeur en plein drible, avant de sauter sur le pokéblob pour soigner sa blessure avait été incroyable ! Un jour, son petit-frère-lapin serait un grand champion !

Tandis qu’elle commençait prudemment à retirer les détritus qui recouvraient le pokémon, des bruits se firent entendre à l’intérieur de la Salle de Repos. Manon ! pensa Astelle aussitôt, soudainement ré-énergisée de la tête aux pieds ! L’espace d’un instant, elle oublia tout à fait qu’elle avait mal au ventre, qu’elle était couverte de saletés, ou même coincée en compagnie de Léo à l’intérieur d’un Compacteur à Ordures, ce qui n’avait rien d’une destination de vacances idéale.

C'est possédée par un mélange de soulagement et d'excitation qu'Astelle haussa le ton. Impatiente d'entendre lui répondre son amie ! Ceci dit, elle maîtrisa soigneusement ses paroles. S'exprimant sans forcer, et sans intonations brusques (pour ne pas trop inquiéter ce pauvre pokéblob !).
— Manon, c’est toi ? demanda-t-elle avec une voix toute pleine de soleil. Dis bien à tout le monde de ne pas attaquer notre nouveau copain, monsieur (ou madame !) le pokéblob ! On va essayer de le décoincer en douceur, d’accord ? Et on va faire ça aussi vite que possible, parce que je n’aime pas beaucoup patauger dans les papiers gras et dans les boîtes de kebab (les employés de la Centrale ont la même hygiène alimentaire que toi !).

...en plus, si ça se trouve, maintenant que le courant est revenu, le compacteur à ordures va se mettre en marche eeeeeet…

La jeune fille eut une petite grimace ahurie. La réalité de ce qu’elle était en train de dire lui apparaissait enfin.
— …et ça te fera de la purée de bestààh. Haha… à l’aide.

***

— [Première Action] Astelle se rapproche du pokéblob pour l’examiner, le maintenir au calme et le nettoyer un peu. Elle cherche à déterminer quel serait le meilleur moyen de le décoincer, sans l’effrayer ou le rendre violent.
— Elle avertit Manon (et le reste du groupe) de ses intentions.

Miracle, la stratégie de bourrin fonctionne ! Le pauvre compteur ayant prit pour son grade, fini par céder et illuminer les deux salles qui s’offrent à nous. Enthousiasmée par notre réussite, je bondis comme un Flambino en brandissant mon poing.

« Bien joué les gars, on est trop fort ! »

J’aurai très bien pu patienter le temps qu’on se répartisse les tâches mais autre chose me hante l’esprit : la disparition d’Astelle et Léo. Certes ils ne nous ont pas quittés depuis très longtemps mais vu l’obscurité de l’endroit où ils sont, ces derniers n’ont pas pu exploré grand-chose . La seule explication plausible quant à leur absence, c’est qu’ils sont en danger ou coincés quelque part puisque même si ils ont dégoté quelque chose, ils auraient du revenir nous prévenir. Alors de manière instinctive, je carapate vers la salle de gauche en renfermant préalablement Ophélia dans son chez soi.

L’endroit semble beaucoup moins hostile une fois éclairé : c’est un lieu propice à la détente composé d’une large table ornée de chaises pliables, d’une kitchenette et d’un espace télé. La première chose attirant mon regard est cette longue chaise immaculée assez moderne qui invite sournoisement mes fesses à se poser dessus. Cependant, je ne m’en préoccupe pas tout de suite : il faut d’abord retrouver nos acolytes avant d’explorer cet environnement. Étant arrivée la première, j’en profite pour gueuler sans vergogne en évitant d’éclater les tympans de mes camarades :

« ASTEEEELLE LÉOOOO V’Z’ÊTES PASSÉS OÙÙÙÙÙ ?!
- Manon, c’est toi ? »

Une voix chaleureuse et familière surgit dans mon dos : c’est Astelle ! C’est bien utile de hurler quand les personnes que l’on recherche sont juste à côté, pauvres amis. En me retournant, j’aperçois cette lourde porte qui s’impose dans un coin de la salle de repos. Vu les panneaux informatifs, cette pièce n’est pas comme les autres car en plus de puer la mort, il est extrêmement dangereux de pénétrer le domaine. Malheureusement, c’est ici que je retrouve ma meilleure amie et le rouquin.

« Mais, mais … C’est un incinérateur de déchet ?! Ou un compacteur ? Mais qui est l’architecte qui a foutu un p’t☼*n d’incinérateur dans la salle de r’pos ?!! »

Alors que je commence à m’indigner,  Astelle m’informe des détails de l’évènement et ce n’est qu’à ce moment là que je remarque le gros tas violet qui bloque la porte. Comment ai-je fais pour ne pas l’avoir remarqué plus tôt alors qu’il prend toute la place et dégouline sur mes chaussures ? Examinant avec minutie la scène et écoutant les avertissements de ma copine, je décide enfin d’agir. Frappant mon poing dans ma main droite, je fixe avec détermination ce portail en acier rouillé.

« Bon. J’vais vous aider les gars, tenez bon. »

À ces mots, je jette deux pokéballs en l’air en conviant Mama la Kangourex et PP le Granbull pour cette mission. Craquant nos phalanges, échauffant notre nuque et plaçant Bébérex dans un lieu sûr, nous sommes prêt à secourir mes camarades. Mais avant cela, j’interroge ces derniers :

« Vous savez dans quel sens faut pousser ou tirer la porte ? Si il faut pousser de mon côté, hésitez pas à tirer et vice-versa ! Plus on s’y met et plus on aura d’chance d’vous dégager de là. »

Mes yeux se dirigent maintenant sur mes deux grosses bêtes, prêtes à en découdre. C’est avec autorité et sérieux que j’ordonne :

« Mama, PP, utilisez Gonflette ! Faut qu’vous vous donnez à fond parce que là, c’est pas un p’tit obstacle qu’on a là. Il nous faut d’la force ! »

Pendant que mes pokémons raidissent leurs biscoteaux, je les mime avec ardeur en étant persuadée que ma force va se décupler avec la leur. Depuis qu’ils sont petiots -surtout avec PP-, j’ai pris l’habitude de les accompagner durant leurs combats et entraînements en imitant leurs postures et chorégraphie. Je suis convaincue que les pokémons sont d’autant plus productifs et motivés lorsqu'on s'investit avec qu'eux. Maintenant, on est au taquet !

Tout d’abord, j’essaie de mouvoir la porte pour comprendre de quel côté l’ouvrir. L’engin est giga lourd mais le fait de l’avoir bougé même d’un iota me permet de savoir où pousser et où tirer. Faisant attention à ne pas écraser le pokémon gluant, j’essaie de me caler près du seuil afin d’observer à la fois mes pokémons et mes collègues de mission.

« Léo, Astelle ! Faut qu’vous poussez un max la porte vers nous ! Quant à nous, on va essayer de la tirer. Mettez-y toute vot’ force ! »

Un simple regard dans leur direction suffit à Granbull et Kangourex pour s’activer : ayant compris le mécanisme, les deux monstres agrippent l’ouvrant avant de le ramener vers eux. L’opération est très compliquée mais à force de persévérance, l’entrée va se dégager et libérer le pauvre pokéblob prisonnier. Du moins, c’est ce que j’espère.

Hélas, la porte ne bouge pas d'un iota, la seule chose que  je réussis à accomplir c'est d'écrabouiller un peu plus le pauvre PNI*.
Je pousse un grand râle pour expulser la frustration de mon âme avant de caresser naïvement le crâne du gros monstre visqueux pour me faire pardonner. En me re-focalisant, mon attention se dirige sur les pancartes et tout ce qui se présente autour de la barricade : si cette dernière est aussi massive et difficile à mouvoir, c'est qu'il doit y avoir un système quelque part. Touts indices sont bons à prendre que ce soit un interrupteur, un levier, des consignes ou peu importe. Dans tous les cas, hors de question de laisser mes amis croupir ici.

Pendant ce temps, Bébérex l’enfant récalcitrant se promène dans la pièce. Ce gourmand localise parfaitement la mini-cuisine, lieu de tous les délices. Il sait qu’à la maison, il est interdit pour lui d’aller dans la kitchenette ce qui est très frustrant pour un bébé curieux et glouton comme lui. Cette fois-ci, le marmot va avoir le droit de fouiller dans le frigo ! Fripon comme il est, celui-ci ouvre les placards, le réfrigérateur et les tiroirs sans trouver quoique ce soit de comestible à se mettre sous la dent. Le bambin poursuit ses recherches, en fichant le bazar dans le coin cuisine.

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* : PNI = Pokémon Non Identifié

Event central - Salle des opérations

Et la lumière fut. Jenna manque de sautiller de joie devant leur réussite, soudainement prise d’une mini fierté de son groupe qui parvient enfin à la détendre. Cependant les réjouissances devront attendre, maintenant que les lumières sont allumés il faut partir à l’explorations des deux salles. Et surtout, ni Léo ni Astelle ne reviennent et ça inquiète la verte. Ce n’est d’ailleurs pas la seule, Manon se précipite dans la salle qu’ils ont emprunté quelques minutes auparavant. Jenna n’hésite pas, elle la suit et essaie de les trouver du regard. Mais la seule chose qu’elle voit, en plus de distinguer ce qui ressemble clairement à une salle de repos, c’est une autre porte.

Dont la voix d’Astelle surgit, alors que Manon les appelles. Jenna s’approche rapidement tout comme elle, inquiète. Et ce qu’elle entend de la part de la jeune fille ne la rassure en rien, elle écarquille les yeux en regardant la brune qui s'énerve, sent la peur monter. Il faut agir pour que les deux, ainsi que le pokémon qui les accompagnes, puissent sortir rapidement. Si Manon est celle qui fait sortir ses deux pokémons pour essayer de débloquer le pokémon, Jenna essaie de ne pas être en reste et sort précipitamment le Manternel de sa pokeball.

“Grignot, s’il te plait, utilise coup de main sur le Kangourex.”

Elle le désigne pour être sur qu’il ne se trompe pas, recule et regarde la salle rapidement. Elle entend alors un bruit, en direction des casiers qu’elle remarque, s’y dirige brusquement. Mais à vrai dire, elle ne prête pas attention au bruit qu’elle entend, de toute manière le casier d’où semble produire le bruit est verrouillé par un cadenas. Elle cherche surtout quelque chose qui, peut-être, pourrait aider à sauver la situation.

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"Lancement de la procédure d'élimination. L'incinération commencera dans 5 minutes. Début de la mise en chaleur."

L’annonce avait eu un petit quelque chose d’irréel.
Tout à coup, la porte était close.
Les fours de l’incinérateur allumés.

Et la petite voix de la logique, dans son esprit, lui murmurait qu’elle allait mourir.

Mais pas seulement elle.
Minidraco, Flambino, Poulpaf, Charmillon, Nigosier et Théffroi.
Rien qu’à elle seule, elle portait le poids de sept vies.
Et puis, il y avait Léo et son Caninos.
…et le petit Métamorph.

Astelle sentit un grand vide se creuser dans sa poitrine.
Ce n’était pas possible. Pas normal.
Une telle chose ne devait pas pouvoir se produire.
Est-ce qu’on pouvait laisser faire tant de victimes ?
Accepter de perdre tant de vies, si facilement ?

La réponse s'imposait d'elle-même.

Non, c’était hors de question.
Dans son regard, la détermination brillait d'un éclat solaire.


***

Le bruit de coups sur la porte attira son attention.

Léo…
Leurs yeux se trouvèrent, brièvement, et aussitôt… les mots s'écoulèrent naturellement de la bouche d'Astelle.
— Ça va aller, Léo, dit-elle, en se demandant d’où elle puisait cette assurance. On ne construit pas une pièce de ce genre sans y intégrer un dispositif d’arrêt d’urgence. Pour prévenir les accidents.

Rester sans rien faire, dans pareille situation, c’était le plus difficile.
Le sentiment d’impuissance était un poison. Privée depuis toujours du droit d’accomplir quoi que ce soit par ses propres forces, Astelle le savait bien. Pour éviter la panique, il fallait s’activer. Et pour cette raison… en dépit de cette partie d’elle-même qui désespérait de se presser contre la porte, et d’entendre la voix de Manon… la jeune fille se résolut à laisser Léo lui partager les informations.

C’était peut-être le plus sage, aussi…
Vu l’état de tension dans lequel elle se trouvait, si elle entendait son amie lui demander « si tout allait bien ? », d’une façon qui détonnait trop de son attitude bourrue habituelle… si elle entendait de la panique dans la voix de Manon... elle était certaine de craquer.

"Pour lancer la procédure de désactivation, respirez un bon coup et installez-vous confortablement.
Insérer la clé dans l'emplacement approprié et laisser le mécanisme agir.
Ne bougez-plus. Mettez-vous à l'aise.
Et désignez votre sacrifice. Une seule détonation arrêtera le mécanisme."

Léo lut les notes d’arrêt d’urgence d'une voix forte.
S’il avait été question d’un bâtiment ordinaire, le compacteur à ordures aurait simplement été muni d’un gros bouton rouge, sur lequel appuyer en cas d’accident. Mais Astelle commençait à comprendre que la Centrale de Voltapolis n’était pas ordinaire.
Il y avait quelque chose de malsain dans ces installations. En les envoyant sur le terrain, on leur avait mentionné la possibilité que la Team Mistral ait posé des pièges, mais…
…la petite postière commençait à se demander si la Centrale elle-même ne cachait pas quelques sombres secrets. Le texte cruel qu’elle avait sous les yeux tendait à confirmer ses suspicions.
Ces installations mystérieuses, cette architecture complexe, ces zones désaffectées et interdites au public…

…elle prendrait le temps d’y penser plus tard.
Parce qu’il y aurait un plus tard.
Trop de vies dépendaient de leur succès pour seulement envisager l’échec.

— Prenez le temps de bien fouiller la pièce, ajouta-t-elle à la suite de Léo, s'adressant aux personnes dans la Salle de Repos. La clef devrait se trouver à proximité.
Ensuite, est-ce qu'il y aurait un siège qui attire votre attention ?
L’ingénieur en charge du dispositif n’était vraiment pas très net… mais cet « installez-vous confortablement » est le seul indice valable dont nous disposons pour trouver un éventuel panneau de commandes.

Astelle pinça les lèves en repensant aux consignes. La notion de sacrifice qui y était évoquée la mettait mal à l’aise. La petite postière avait évité de s’adresser directement à elle, tout ce temps.
Elle n’avait pas voulu initier la conversation. Elle n’avait pas voulu entendre l’inquiétude dans sa voix.
Ce n’était pas un fardeau qu’elle se sentait capable de porter.
…mais, il lui était impossible de ne pas la mettre en garde.
— …Manon, si tu t’assois, fais attention.
Ces installations ont été pensées par un tordu. Impossible de savoir à l'avance ce qu'il entend par sacrifice...

Ses lèvres remuèrent davantage, sans produire le moindre son. Avant que la digue ne se brise, avant de se laisser désactiver par ce besoin de chercher du réconfort auprès de son amie, Astelle se détourna précipitamment. Il fallait qu'elle fasse quelque chose. Qu'elle pense à autre chose.
Surtout, ne pas rester inactive.
Ses yeux se posèrent sur le petit Métamorph.
Lui… contrairement à Léo et Canaille. Contrairement à elle, Mini-senpai et Flambino…
Lui, était tout seul, dans cette situation. Sans personne pour lui offrir de soutien, ou le consoler.
Dans un geste maternel, la jeune fille ramassa le petit pokéblob avec précaution, et le serra doucement contre sa poitrine.
— Tu as encore mal quelque part, mon petit ? Hoeeew-hoeww* ? Tu vas voir, tout va bien se passer… lui chuchota-t-elle. On est tous ensemble dans le pétrin… et c’est tous ensemble qu’on va s’en sortir.

A la base, elle avait pensé que l’étrange pokéblob était un Grotadmorv ou un Miasmax. Un pokémon capable de supprimer les déchets. Mais manifestement, les raisons de la présence de Métamorph dans le Compacteur à Ordures étaient peut-être un peu plus complexes que ça…
Quant à cette forme qu’il avait adoptée… était-ce quelque chose qu’il avait vu et copié ? Ou bien simplement un mécanisme de défense quelconque ? S'occupant l'esprit en multipliant les questions, Astelle toucha gentiment le petit pokémon du doigt.
— Dis-moi, toi qui étais là avant nous, est-ce que tu saurais comment nous aider ?

Métamorph était-il entré par la porte ? Y avait-il sous cette pile de déchets un improbable conduit de ventilation pour évacuer la fumée dégagée par l’incinération ? Ou peut-être qu’il avait déniché un objet quelconque pendant qu’il fourrageait dans les détritus ? S’il y avait encore quelque chose d’utile dans cette salle, le pokéblob était bien mieux placé qu’elle pour le savoir.
Astelle contempla la pile d'ordures. Faute d'une meilleure idée, peut-être ferait-elle bien d'essayer d'y dénicher un indice ? Mais fourrager dans les détritus à l’aveugle, sous le coup de la panique, lui semblait tout sauf raisonnable. Mieux valait compter sur le petit Métamorph.

Parce qu'elle n’était pas seule.
Qu'elle n’allait pas pleurer.
Et qu'elle n’allait pas céder.

Ses lèvres furent parcourues d’un frémissement infime.



Tout allait bien.
Manon était là. Juste derrière la porte…
Et cette fois encore... son amie allait la sauver.

Astelle baissa les yeux. Métamorph fut le seul à les voir couler sur ses joues...
Ces larmes de terreur. Rapidement essuyées, et ignorées.

***

— Trop de personnes et de pokémons dépendent d’elle, Astelle se refuse à craquer.
— Elle tente de soutenir Léo, et le laisse se charger de communiquer avec Manon à travers la porte (elle en crève d’envie, mais craint aussi de perdre son contrôle sur ses émotions).
— Elle doute franchement du bien-fondé des installations de la Centrale, et commence à trouver tout ça sérieusement louche.
— [Première Action] Elle ramasse et rassure le petit Métamorph, qui lui, doit se sentir bien seul dans cette situation. A tout hasard, elle lui demande ensuite s’il n’aurait pas connaissance d’un élément qui puisse les aider à s’en tirer.
— Pour le moment… elle maîtrise sa peur. Mais pour combien de temps, encore ?

— *Hoeeew, c’est le bruit de douleur qu’a émis le Métamorph en se faisant blesser dans la modération secrète. Astelle l’utilise pour essayer de communiquer avec lui.

Event central - Salle des opérations

Durant sa fouille précipité, Jenna se saisit d’un morceau de papier qu’elle trouve dans le premier casier qu’elle ouvre, le regarde rapidement et lit les mots “Glace éternelle” indiqués dessus, sans rien de plus. Mais elle n’a pas le temps de s’y affairer plus que ça, le pose sur la table avant de revenir à sa fouille. Il n’y a rien de plus malheureusement, dans celui-ci du moins. Elle se lance dans la fouille du deuxième casier, fronce les sourcils quand elle touche le liquide et l’observe brièvement tandis qu’elle récupère des morceaux de papiers et de photos déchirés au point de ne pouvoir rien y voir véritablement dessus, qu’elle pose une fois de plus sur la table. Il y a également une note, t aché de ce liquide, mais composé de chiffres et de mots qui ne font pas véritablement sens pour elle. Une pokéball, brisé, s’y trouve également, et les interrogations se font. Elle se demande bien ce qu’il a pu se passer, ici, et le bruit dans le dernier casier ne la rassure pas plus. Si il y a quelqu’un à l’intérieur, il faudrait mieux pouvoir l’ouvrir rapidement.

Mais il n’y a pas le temps d’y songer
Les problèmes ne font que s’aggraver.

Alors que l’accès entre les deux salles se décoince, la porte se referme brutalement. Surprise d’abord pour ce bruit brusque, elle se retourne pour voir ce qu’il se passe. Et puis une voix, des mots, et Jenna pali d’un seul coup.

"Lancement de la procédure d'élimination. L'incinération commencera dans 5 minutes. Début de la mise en chaleur."  Ca tourne dans son esprit, ça ne fait pas sens tout de suite véritablement, mais il y a le mot “danger” qui en ressort. Elle se trouve là, figée, jusqu’à ce qu’un coup contre la porte lui fait comprendre que non, ce n’est pas son imagination. Astelle et Léo sont en danger.

Elle approche la porte, paniquée, tente de l’ouvrir mais rien n’y fait. La voix de Léo retentit, elle lève les yeux en direction de la vitre pour le voir au travers. Et elle se dit que ce sont eux qui sont en danger, eux qu’ils faut sauver, alors la peur doit être d’autant plus grande chez eux. Elle n’a pas le droit de les laisser tomber, par le droit de flancher.

“On est là, on va vous sauver je vous le promet !”

Elle n’est pas certaine si ses mots ont pour but de les rassurer eux ou elle, mais en les prononçant elle se convainc d’agir. Elle écoute attentivement le message lu par Léo, essaie d’y réfléchir en reculant. Puis, à la demande d’Astelle, ses yeux se tournent directement en direction de la chaise blanche.

“Il y a bien une chaise, assez étrange, peut-être qu’il y a quelque chose à en faire oui… Je… Je vais appeler de mon côté l’autre groupe, peut-être qu’ils auront quelque chose pour stopper le processus. M… Monsieur Joeffrey, s’il vous plaît, regardez s’il n’y a pas quelque chose dans la salle qui pourrait nous renseigner aussi….”

Elle n’est sûre de rien, mais pourtant c’est la seule idée qui lui vient en tête. Alors qu’elle se déplace en direction du téléphone cependant, elle se saisit de la note tachée, se disant que peut-être celle-ci aurait un lien avec le cadenas sur le casier, que ce dernier peut-être comporte de quoi   elle s’y affaire, se saisissant rapidement du combiné tout en exécutant la notice pour appeler. Elle ne s’assure pas vraiment que quelqu’un lui répond, encore moins de qui il s’agit, qu’elle commence à parler.

“C’est Jenna, il se passe quelque chose de grave…. Astelle et Léo se trouve dans le compacteur à ordure et…. Le système s’est mis en route…. Il s’agit d’une incinération, si… Si vous avez quoi que ce soit de votre coté qui peut-être sert à arrêter la machine, ils ont trouvé une notice… Il y a une clé à insérer quelque part, est-ce que vous avez un emplacement… ?”

Sa voix tremble, ses idées restent flous, et pendant ce temps elle se saisit du bout de deux doigts le liquide pour essayer d’en décoller une partie lentement afin de rendre le, potentiel, chiffre masqué à côté du mot “R.E.P.O.U.S.S.E” plus visible.

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Parmi les interrupteurs et les écriteaux à peine lisible, une clef brillante capte mon regard. Égarée sur le panneau de commande poussiéreux, je l'inspecte minutieusement en remarquant sa forme insolite et complexe contrastant totalement avec le tableau de bord. Perplexe quant à son utilité, je la range tout de même dans la poche de mon short avant d'annoncer ma trouvaille à tout le monde.

« Ok les gars, j'ai une clé ! J'l'ai trouvé sur le panneau, elle doit forcément rentrer quelque part et permettre de manipuler cette foutue porte. »

Dans tous les cas, cet objet n'est pas là par hasard et c'est mon devoir de trouver la serrure adéquate. Soudainement, une voix distordue interrompt notre investigation pour nous annoncer une effroyable nouvelle.

« Lancement de la procédure d'élimination. L'incinération commencera dans 5 minutes. Début de la mise en chaleur. »

J'en reste baba, niant tout d'abord l'urgence de la situation avant d'entendre les clic-clacs et les grondements de l'incinérateur.

« Bordel.
- Oh bordel. »

Je réalise enfin le danger : c'est officiellement la merde.
Tentant tant bien que mal de garder mon calme, je rejoins mes deux amis coincés pour prendre contact.

« Manon t'es là ? Ou quelqu'un d'autre ?
- Oui ! Oui c'est moi !
- Y a procédure de désactivation de notre coté pour ouvrir la porte, faudrait une clé. »

Malgré le vacarme du crématoire, je me concentre sur la consigne énoncée par le rouquin.

« Ok, ça tombe bien j'ai trouvé une clé ! “Ne bougez-plus.” ... “Mettez-vous à l'aise.”, “Désignez votre sacrifice.”,  “Une seule détonation arrêtera le mécanisme.” ... P#t@iin j'ai vraiment du mal à comprendre.»

Pour chercher rapidement et efficacement un objet important, mon Granbull est le meilleur dans le domaine : rien n'échappe à sa truffe ! J'invite donc le molosse à renifler la clef nacré afin de dégoter le verrou fissa.

« Prenez le temps de bien fouiller la pièce, la clef devrait se trouver à proximité. Ensuite, est-ce qu'il y aurait un siège qui attire votre attention ? »

Tout d'un coup, les compléments d'informations d'Astelle me font tiltent : cet étrange siège que j'ai aperçu en arrivant, c'est sûrement celui-ci dont elle parle ! En y réfléchissant, il ressemble fortement au bibelot que j'ai déniché et leurs similitudes ne sont pas un hasard.

« Ok, ça marche ! , je rassure Astelle avec des mots me réconfortant également, Ne t'en fais pas Astelle, c'est pas possible que tu meurs, t'es comme l'héroïne d'un shonen, c'est IM-POS-SIBLE qu'tu crèves tu m'entends ?! T'es là pour accomplir des exploits, pas pour t'faire griller comme un poképoulet ! »

Sur ces mots, je me dirige vers la chaise longue en écoutant les réflexions de Jenna. Ayant prit note des évènements, la demoiselle va prévenir le deuxième groupe tout en poursuivant ses fouilles. Mais lorsqu'elle demande à Jeoffrey de nous soutenir, je fais immédiatement demi-tour vers lui pour être certaine qu'il reçoit bien le message. Enroulant mon bras autour de son cou, je le menace mielleusement :

« Dis moi mon p'tit Jojo, ça t'dirais de bouger ton joli p'tit c♡l pour nous donner un coup d'main ? Sinon crois moi tu risques pas de pas marcher droit demain. »

J'aurai pu lui mettre ma main aux fesses pour l'intimider davantage mais il risque d'écrire un thread sur Twotter en m'accusant sur le #metoo de l'avoir agressé et j'ai clairement pas envie d'avoir les féministes sur le dos. Je me contente simplement de lui offrir un regard des plus salace en reluquant pernicieusement son derrière. Avec un peu de chance, ma demande sera plus convaincante que celle de Jenna. Ces hommes là, croyez moi, il faut les mener à la baguette pour en tirer quelque chose !

Sans même écouter les mises en garde d'Astelle, j'atteins l'assise high-tech en m'y vautrant comme une goujate. Mon gros chien va très vite m'indiquer l'endroit où insérer la clé alors je me contente d'évacuer le stress accumulant en respirant profondément. Après tout, les directives nous recommandent de se détendre.

« Jojo, tu pourrais aider la p'tite Jenna dans ses r'cherches ? Ou sinon tu m'couvres. Comme tu veux, choisis c'que tu veux mais bouge. »

Pendant ce temps, Mamarex gronde son petit qui est en train de défoncer le bras en plastique. Une chance qu'il n'ait mordu qu'une phalange, la marsupial intervient juste à temps ! Elle invite son bébé à s'emmitoufler dans sa poche où du lait chaud l'attend impatiemment.

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Event central - Salle des opérations

Après son monologue, Jenna manque de craquer sous l’angoisse qui monte de plus en plus, la paralyse presque alors qu’elle essaye de se concentrer pour retirer le produit collé au papier du bout de ses doigts. Mais, rapidement, une voix se fait entendre, et entendre le soutien de Sage la permet de se calmer, ne serait-ce qu’un peu.

“Merci beaucoup !”

C’est tout ce qu’elle parvient à dire, la voix toujours autant tremblante, avant de regarder la pièce dans les moindres recoins visible, puis se tourne en direction de Manon et de la porte.

“Ils vont chercher un moyen d'arrêter l’incinération, je… Je suis certaine qu’on va trouver.”

Elle ne peut que prononcer ces mots, pour au moins se rassurer. Et à cet instant Jenna pourrait, presque, rire de la façon dont Manon demande à Jeoffrey son aide, même si elle en lâche un léger bruit d’amusement qui s’efface à la seconde qui suit en se détendant quelques secondes. Mais la situation ne lui permet pas plus, son regard accroche les objets traînant sur la table, s’en approche et poser le téléphone et la note à coté pour se mettre à fouiller parmis eux et vérifier que rien ne pouvant les aider s’y trouve.

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Oh m#rde.
Au moment où j'inserre la clé à l'intérieur de la serrure trouvée par PP, des sangles surgissent de nulle part emprisonnant mes poignets et chevilles. Impossible de bouger ! J'ai beau me débattre il n'y a rien à faire. Un hic de stupeur traduit mon effroi avant de me figer complètement, sous le choc.

« ... C'-c'est une BLAGUE !? »

Ça y est, mon cœur palpite à fond la caisse, ma respiration s'accélère en s'amplifiant de plus en plus et mon corps grelotte comme jamais. La seule manière d'affronter cet événement extrêmement anxiogène c'est de rire à gorge déployée.

« AHAHahahAHahAHAHAHAhaHahAHAH »

Glousser comme une truie me permet de ne pas fondre en larme. Même si mon corps me dit tout le contraire, je me persuade que tout ceci est un grand canular. Hors de question de perdre la face devant Astelle et mes acolytes au risque de les stresser davantage.

Soudain, la voix de Jigsaw interrompt mon fou rire. Elle nous révèle avec un timbre terrifiant l'horrible jeu dans lequel je me suis foutue.

« Bienvenue. J'espère que votre séjour en ces lieux fut agréable. Si vous écoutez ce message, c'est que le destin vous offre un choix des plus cruels. Devant vous, dans l'incinérateur, se trouve une personne qui vous est cher, dont l'existence risque de quitter notre monde. Ce qui est bien dommage, disons-le ! Mais ne craignez-rien, je vous offre une solution pour sauvez vos amis. »

Surtout, ne pas perdre son sang froid. Il faut dompter sa peur et affronter la situation avec calme et détermination. MAIS COMMENT VOULEZ-VOUS QUE JE FASSE QUAND UN PISTOLET EST COLLÉ SUR MA TEMPE ET QUE CETTE CHAISE SE TRANSFORME EN UN VÉRITABLE FAUTEUIL DE DENTISTE !? Les consignes nous ont révélé une affreuse réalité : si je veux sauver mes amis, quelqu'un va devoir appuyer sur la gâchette en ayant une chance sur deux de me liquider. En somme, soit je sacrifie mes partenaires soit moi-même. La décision est déjà toute faite dans ma caboche mais clairement je ne suis pas prête de mourir. Pendant plus d'une minute, je reste plantée sur la chaise les yeux écarquillés et la bouche-bée en peinant à réagir : compliqué de réfléchir et passer à l'action quand un dilemme de la sorte s'impose à toi. Finalement, ce sont les complaintes et les sanglots de mes copains prisonniers qui vont me convaincre.

« M-Marco s'est déjà amusé à faire l'jeu de la roulette russe ... Eheh ... » je me murmure.

Et dire que mon frangin se vante d'avoir risqué sa vie mais quand je vais lui raconter mon aventure, il va pas en croire ses oreilles. Mais serais-je encore là pour me la péter devant lui ? Il me manque. Ils me manquent. D'un ton grave, j'appelle Jeoffrey.

« JOJO. »

Des mèches cachent mon visage parce que je n'assume pas ma vulnérabilité. Pour se protéger, mon cerveau se convainc que tout ceci n'est qu'une supercherie, que tout va bien se finir et que la seule façon de digérer cet instant abominable, c'est de faire des vannes vaseuses.

« Ça t'dirait ... De tirer ton coup ? » je lui demande d'une voix suave, le regard lubrique et rieur accompagné d'un haussement de sourcil tendancieux.

Je pouffe comme une débile tellement le désespoir me ronge de l'intérieur. Mon être tremble comme une feuille et mes yeux sont incapables de retenir mes larmes. Ma respiration est de plus en plus bruyante comme si à chaque inspiration je me prépare à subir la sentence. Après quelques longues secondes d'hyperventalition, je m'époumone :

« QUELQU'UN, N'IMPORTE QUI D'VOUS DEUX ! VENEZ TIRER POUR QU'ON EN FINISSE. VITE ! »

Hors de question de perdre une minute de plus, même si je vais sûrement me pisser dessus, je veux libérer à tout prix Astelle et Léo.

Mon Granbull, complètement impuissant, vient poser sa grosse tête sur ma cuisse. Jamais je ne l'ai entendu gémir ainsi, cela me fend le cœur. Bravo sale clébard, à cause de toi je vais craquer.

« T'inquiètes mon chien, tout va bien aller. Je suis là. »

Mon minois mouillé de larme et de sueur contraste avec mon grand sourire. Granbull n'est pas plus rassuré, il baille pour la première fois à s'en décrocher la mâchoire avant de me lécher la main et se taire. Quant à Mama, elle occupe son fils en détournant son regard de la scène. La marsupial fait mine de ne rien voir mais sait pertinemment que la situation est dramatique.

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« QUELQU'UN, N'IMPORTE QUI D'VOUS DEUX ! VENEZ TIRER POUR QU'ON EN FINISSE. VITE ! »

— NOOOOOOOOOOOOON !
Est-ce la mienne, cette voix brisée ? Je ne me reconnais pas. Je cède. Je suis…
…je suis en train de tomber en morceaux.
— S’il doit t’arriver quelque chose, alors… alors…
La vérité hideuse s’écoule de ma bouche.
— Je préfère encore mourir ! Et pas que moi. Mes pensées font surface dans un grand flot d’hystérie. Je préfère encore que nous mourrions tous !
Je pleure. Je halète. Toute entière secouée par les mots qui remontent le long de mon œsophage. Ces choses noires et hideuses qui hantent la mer de mes pensées, que j’avais toujours refusées de m’avouer.
C’est ma vérité, toutes les vies de ce côté de la porte valent moins que celle de Manon.

Je ne suis venue ici que pour l’impressionner. Parce qu’elle aime me voir en confiance. Parce qu’elle rayonne de fierté quand elle me voit briller. Parce que lorsqu’elle m’aime, je m’aime un peu aussi.
Mais au fond… au-delà des faux-semblants et des apparences, tous ces gens que nous cherchons à sauver… je m’en fiche. Ma bonté est pleine de faussetés. Mon altruisme juste un subterfuge, la cape d’un héros dont Manon drape mes épaules.
Au fond de moi, je suis telle que j’ai toujours été. Prête à abandonner toute chose, et puis tout le monde aussi.

Tout comme j’ai délaissé ma maman malade, mon papa solitaire et mon frère de cœur afin de partir en voyage. Afin de m’échapper. Afin de voir le monde. Sans un regard en arrière, ni une pensée pour les conséquences.
L’éternelle esclave de ses rêves et de ses désirs.
Voilà ce qu’est vraiment Astelle Dumas. Un simple monstre d’égoïsme.
Et après la liberté, après le voyage… l’objet de ma convoitise porte un nouveau prénom.

— Manon… je m’en fiche de la Centrale… je m’en fiche de tous ces gens… je m’en fiche de tout Lumiris…
C’est ma vérité. Celle que je livre à la face de la mort.
Pas la mienne, car celle-ci serait un sacrifice encore trop romanesque.
Celle-ci ferait encore partie du jeu.
…mais celle de Manon, non, elle invaliderait le jeu dans son entièreté.

— …si tu meurs, je n’y survivrai pas non plus…
Les sanglots étranglent ma voix. Mes jambes ont perdu toute force.
C’est tout mon monde qui est en train de s’effondrer.

Je sais que ça n’a rien de rationnel. Je sais que ma boussole s’est déréglée, à un point ou l’autre de nos aventures.
Je sais que je ne veux plus vivre dans une Lumiris sans Manon. Pas même pour une seule seconde.
Je sais… que je vais devenir folle, si quelqu’un ose lui faire du mal.

Mon modèle. Mon héroïne. Mon amie.
Et tout mon amour aussi.

— Manon… ne fais pas ça…
Je voudrais en appeler à la logique. Je sens les arguments bouillonner à la lisière de mon esprit. Je sens aussi l’horreur, qui palpite, tandis qu’une partie de moi se révulse à chacun des mots que je prononce. Mon cœur est en train d’exploser. L’air me manque. Je m’effondre sur la porte. Je sais que je ne peux pas la faire bouger, que je ne peux pas sortir… mais je veux juste qu’elle m’entende mieux, me sentir plus proche de Manon, tant que c’est possible.

J’ai sombré. J’ai perdu la tête. Mais comment aurais-je pu faire autrement ?
C’est toute la lumière de mon existence qui menace de s’éteindre.

Je me dégoûte. Je m’écœure. Et je m’en fiche.
— …à quoi bon être un héros… si tu n’es plus là pour me regarder…

J’ai un goût de bile et d’ordures dans la bouche. La morsure de l’acier brûlant en train de me cuire la paume des mains. Et je m’en fiche.
— …je t’interdis de mourir… je t’interdis de faire la maligne…

J’entends les cris d’inquiétude de Flambino et de Minidraco. Les excuses de Léo. Et je m’en fiche.
— …si tu t’en vas… je pars avec toi…

Pour moi… il n’y a plus que Manon, de l’autre côté de la porte, avec un pistolet sur la tempe.
Et nos deux vies en jeu.

Event central - Salle des opérations

Un nouveau morceau de papier en main, c’est ce qu’en ressort la fouille désespéré de Jenna. Rien que des couleurs, qui en premier abord lui semble totalement futile et n’aidera pas. Pas pour ça, pour sauver Astelle et Léo, et elle s’en désespère. Pourtant, cela fait réagir étrangement Jeoffrey, et si tout d’abord elle se dit que ce n’est pas le moment, il faut avouer que ça l’intrigue très vite, les couleurs des pierres qu’il pose sur la table.

Un rubis, deux saphir, trois émeraudes, quatre citrines et cinq améthystes.

Non, ce n’est pas le moment pour ça, bien qu’elle se trouve en voyant qu’il y a cinq pierres, cinq couleurs.

Elle doit penser à Léo. Et à Astelle.

A vrai dire, le bruit dans le casier se fait de plus en plus fort et avec la peur qui monte de plus en plus, elle sent presque la colère se fait ressentir tant que cela devient désagréable, pour elle.

C’est à ce moment là que Manon se retrouve prise au piège, sur sa chaise, maintenant attachée sans pouvoir bouger. Choquée, Jenna s’avance d’un coup vers elle, avant de se figer en entendant la voix masculine enregistrée.

Tout ceci n’est qu’une blague, n’est-ce pas ?

Elle entend la porte se faire cogner brutalement, la voix de Léo qui hurle. Léo, Léo. Manon hurle aussi, pourquoi elle ?. Astelle supplie, non pitié je veux pas.

Les voix se mélent, les bruits se font de plus en plus fort. Ca tape, dans le casier. Et ca en est aussi insupportable que ce supplice.

“CA SUFFIT !”

Elle tremble, et ses pas la guident sans réfléchir vers le casier en serrant le mot de son poing serré bien trop fort pour ne pas en avoir mal. Que ce bruit cesse. Ses doigts tremblants tentent de composer la seule combinaison de chiffres qui lui vient en tête en faisant le lien entre l’ordre des couleurs et le nombre de chacunes des pierres : 43125. S’acharne sur le cadenas mais sa vision troublée par les larmes ne lui permet pas vraiment de voir si le casier est véritablement déverrouillée.

C’est à ce moment que le Brocèlome de Léo, qui jusqu’à là se contentait de voler derrière elle en compagnie de Live, vient se poser sur son épaule et se coller à son visage pour un geste de réconfort, alors qu’il semble tout aussi inquiet. Jenna le regarde, surprise, se calme l’espace d’une seconde. Mais rapidement, cela ne fait qu’aggraver un peu plus son état. Léo.

“Je veux pas….”

Lentement, elle se tourne vers la porte où se trouve Astelle et Léo, sent l’envie de vomir qui la saisit violemment et elle lutte pour que ses jambes ne cèdent pas. Un rire malade sort de ses lèvres, alors qu’elle laisse échapper ces quelques mots.

“Je suis désolé, Manon. Je suis désolé, Astelle.”

Elle approche alors Manon, l’hésitation n’étant plus présente malgré ses larmes et son corps tremblant face à ce qu’elle compte faire.

Et puis...

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Event central - Salle des opérations

Tout vrille, dans son esprit. Joeffrey, son Ténéfix, Live, Grignot, elle. Le combat, ses blessures, Manon, et puis le coup de feu. Son envie de faire sortir Léo, Astelle, il n’y a que ça qui tourne dans son esprit, un instant lui fait oublier combien son acte pourrait être criminel. Ce n’est que quand la porte semble s’ouvrir derrière elle, que le coup de feu est déjà tiré depuis une dizaine de secondes, que son acte et les conséquences lui paraissent subitement réels.

Si horrible, surtout.

“Manon…. ?”

Elle la regarde, recule effrayée, et puis l’interpellée bouge, semble aller, presque, parfaitement bien. C’est alors qu’elle s’éloigne, jette un coup d’oeil à Léo et à Astelle, puis à Jeoffrey.

“… Grignot, merci, tu peux retourner dans ta pokéball.”

Elle le fait rentrer, approche le combiné du téléphone pour le prendre, les mains encore tremblantes.

“Tout…. Tout va bien, tout le monde est sauf, merci.”

Elle raccroche, au moment où il lui semble entendre une voix masculine à laquelle elle ne fait pas trop attention. Soudainement, elle réalise l’existence de la personne attaché, près du casier. Et sa colère, juste avant, alors qu’elle ne pouvait plus supporter ce bruit. Elle recule de nouveau, baisse les yeux en posant les mains sur ses blessures.

“… Je vais les rejoindre.”

Elle ne laisse pas le temps aux autres de vraiment réagir qu’elle s’éloigne, se saisissant du post-it à coté du combiné sans trop y prêter attention. Elle arrive dans la petite salle du début, se fige d’un seul coup. Il y a les blessures qui la fait brusquement souffrir, quand elle y pense un peu trop, les images qui tournent dans son esprit et fait monter en elle un haut le coeur. Et puis.

“Je suis Damien”

Son corps entier frissonne.

Mais la suite, faisant envoler rapidement l’inquiétude de le savoir ici, la fait bien plus trembler. Ce n’est pas possible. Elle recule, se retrouve sans faire attention à se cogner contre le distributeur et vacille. Elle tombe, physiquement, mentalement.

Elle était venue ici pour sauver des gens, sauver la ville.
Pas pour manquer devenir une meurtrière, pas pour mourir ici.

Relève toi.

Elle sent tout l’espoir la quitter, seule la peur demeure, et le courage de se relever n’est plus là.

“Je suis désolé.”

Relève toi, bon sang.

Fini, elle perd, contre ce haut de coeur qui ne l’a quitte pas, tousse et tremble en larmes, Elle est là, figée, et il faut bien deux minutes pour qu’elle reprenne ses esprits, s’éloignant d’un seul coup de là où elle se retrouve.

Elle souhaite un instant faire demi tour, s’assurer que Mamon Astelle Léo et Jeoffrey comptent prendre la fuite, mais elle est incapable de bouger. Alors, sans réfléchir, elle règle la fréquence de son appareil.

“Ici Jenna, à la salle des opérations.”

Sa voix tremble.

“Vincent, c’est ça… ? Quelle est la situation depuis… Votre message ? A t-elle pu être soignée ? Ou avez pu vous en sortir ?”

Pitié, dites que tout va bien.

Un souffle, quelques secondes qui passent, et elle reprend la parole.

“Damien, si tu m’entends. J’ignore ce qu’il a pu se produire mais… Il doit bien exister une solution, quelque part dans la centrale, on ne peut pas se laisser abattre maintenant, d’accord ? ”

Mais même elle, elle n’est pas sûre d’y croire, quand sa voix s’évanouit et que le silence reprend place. Elle n’y croit plus, à la seconde où ses larmes la saisit violemment.

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Les révélations d’Astelle déchirent mon cœur en mille morceaux. Ses propos ne me choquent pas puisque je pense exactement la même chose qu’elle, jamais je n’aurai pu supporter de vivre avec sa mort sur la conscience. Ce qui me chagrine le plus, c’est qu’on est obligé d’en arriver là.

Mes doigts frêles se plantent dans les plis de PP alors que j’effleure doucement sa caboche. En constatant les grosses gouttes s’écraser sur mon jean, je réalise avoir craqué comme une fillette. Jamais je n’aurai imaginé un jour porter un tel poids sur mes épaules : le fait de mourir en sachant que mon amie me suivra quoiqu’il arrive me prouvera que ma vie n’est qu’un vaste échec, du début jusqu’à la fin.

« Astelle ... » je murmure entre deux sanglots.

Impossible d’articuler d’avantage. Mes mirettes brillantes se tournent vers Jenna pour la fixer intensément, la suppliant de mettre fin à cet Enfer. Lorsque la demoiselle se résout enfin à le faire, Jeoffrey lui barre brusquement la route.

« Dégage. Hors de question que je te laisse la tuer. J'en ai rien à faire que t'ai du sang sur les mains, que tu deviennes ou non, une meurtrière. Cette fille... J'la connais pas. Mais je ne te laisserai pas me la prendre. » 

Mes yeux sortent de leurs orbites et ma mâchoire tombe sur mes cuisses. Qu’est-ce qui se passe là ? Pourquoi Jeoffrey vient nous faire perdre du temps ? Mes joues rougissent malgré moi tandis que le jeune homme défi la pauvre Jenna en l’attaquant sans vergogne. Pendant un bref instant, j’ai l’impression d’être l’héroïne d’un shojo se faisant sauver par son prétendant tsundere AU PIRE MOMENT POSSIBLE. J’ai beau être flatté par son attention, la vie de mes amies est plus précieuse que la mienne et il est hors de question de perdre son temps à se chamailler.

« B-bordel Jojo c’est pas l’moment ! Ils vont s’faire cramer, on a plus le temps ! »

Je renifle comme une dégueulasse avant de sécher mes joues sur mes épaules. Il n’y a rien à faire, le gars ne m’écoute pas. Je n’ai plus qu’à subir les secondes en me demandant vraiment si je vais crever. En me redressant sur le siège, je lève les yeux au plafond pour regarder ma vie défiler comme un film. Puis, l’image fatiguée mais lumineuse de mon père apaise instantanément mon esprit.

« Papa … Je serai la première à te retrouver ... »

Jenna, toute balafrée, atteint malgré Jeoffrey la gâchette. Je la contemple avec des mirettes pleines de reconnaissance et de douceur. Je suis convaincue que c’est elle qui morfle le plus parmi nous, la demoiselle ne le mérite clairement pas et c’est pour cela que je la remercie.

« NON ATTENDS !
- Merc-... »
PAN.

Ce violent bruit de détonation fait cogner ma tête contre la cage. Par réflexe, mon crâne s’est éloigné du son dans l’espoir de ne pas abîmer le tympan. Malheureusement, ce n’est pas cet automatisme qui va me secourir puisque la balle va s’implanter dans mon crâne quoi qu’il en soit. Normalement, je devrai sentir une douleur atroce avant d’être envahie par une paix intérieure et marcher jusqu’au bout du tunnel. Alors pourquoi, mise à part un bourdonnement incessant dans l’oreille, je ne vois aucune lumière ?!

Je mets du temps à réaliser mon état. En ouvrant les yeux, je me retrouve encore sur cette maudite chaise. Cette dernière me libère de mon mauvais sort tout comme l’incinérateur ayant enfin délivré nos chers collègues. Le molosse remarquant que sa maîtresse est saine et sauve, se jette sur elle en la plaquant contre l’assise.

« Aaaah dégage PP, j’veux plus être coincée sur cette foutue chaise, PLUS JAMAIS !!! »

Une fois remise sur pattes, mon stress s’évacue sur la machine de torture. Celle-ci encaisse mes coups de poings et pieds pleins de rage, me laissant même quelques écorchures sur les phalanges. Aussitôt la colère expulsée de mon corps, je me précipite vers Astelle pour l’étreindre passionnément et m’écrier d’une voix aiguë et tremblante :

« ASTELLE ! »

Mon timbre diffère complètement de d’habitude, révélant tout le soucis que je me fais pour la demoiselle. Cachant mon visage dans le creux de son cou, je me mets à chouiner en la serrant de plus en plus contre moi.

« A-Astelle, j-j’ai vraiment eu peur, tellement peur qu’il t’arrives quoiqu-... »

Ne parvenant plus à parler, j’attends de me calmer et respirer normalement avant de poursuivre. Malgré les odeurs pestilentielles embaumant ma copine, le simple fait de la toucher et de l’enlacer suffit à me réconforter. Décollant mon corps du sien après quelques longues secondes, je m’éloigne légèrement en agrippant ses épaules. Je m’adresse à la postière comme une maman inquiète :

« Plus jamais, JAMAIS tu t’écartes de ton groupe pour foncer dans un endroit que tu n’connais pas ! »

Ma morale est inutile. Astelle est suffisamment intelligente pour tirer des leçons toute seule mais c’est ma manière d’exprimer à quel point je tiens à elle. Culpabilisant tout de même de ma réaction, j’ébouriffe affectueusement sa coiffure grasse.

« Mais bon, l’plus important c’qu’tu sois saine et sauve ma belle. Juste, reste près de moi, je ne veux pas risquer te perdre à nouveau … »

Après une dernière tendresse, je décide d’aller voir tout le monde pour m’assurer que tout va bien. Malheureusement, Jenna s’est barrée si vite que je n’ai pas le temps de lui dire quoique ce soit et Léo s’en va la rejoindre aussitôt. Plaqué contre le mur, Jeoffrey fait tellement pitié dans son piège en soie que j’ordonne PP d’aller lui donner un coup de main. Enfin, j’aperçois derrière la grande table un bonhomme saucissonné au pied des casiers.

« AH ! »

Le malheureux pope dans mon champ de vision tel un screamer dans un jeu d’horreur. C’est donc de lui dont Léo demande de ‘‘s’en occuper’’ ! Remarquant que personne ne veut se dévouer, je décide de m’en charger en compagnie de mes deux clébards.

« Mama, tu peux rentrer. Désolée de t’avoir obligé à vivre ça. »

La Kangourex ne semble pas m’en vouloir, au contraire, elle est soulagée de pouvoir rentrer en toute tranquillité.

« Bordel, j’ai besoin d’une cigarette. »

Aussitôt dit, aussitôt fait, je farfouille dans mon paquet à la recherche d’une belle cibiche que je coince entre mes lèvres. Par la même occasion, je tends une clope à Jojo qui s’est finalement relevé de sa contre-attaque.

« T’es fumeur ? Tiens, j’t’en fais cadeau. On en a tous besoin après c’qu’y vient d’se passer. »

J’allume ma sèche en protégeant la flamme du briquet avant de passer ce dernier à mon voisin. Après deux trois lattes, je quémande à Jeoffrey :

« Tu peux m’aider à porter ce gars sur une chaise ? On va l’interroger. »

Je galère de plus en plus à soutenir son regard doré. Toute cette adrénaline accumulée bouscule mes hormones en faisant croître ma libido aux mauvais endroits, aux mauvais moments. Je me refocalise tant bien que mal sur la situation en attrapant l’homme-saucisson par les pieds. Une fois que mon acolyte est prêt, nous l’installons sur la première chaise qui vient. Avant de débuter l’interrogatoire, je me tourne vers Astelle.

« Astelle ! Je n’bouge pas d’ici, tu sais où m’trouver. »

Je m’avance vers elle en saisissant ses menottes.

« Si tu veux partir, tu peux … Mais si tu as le moindre soucis, j’veux qu’tu m’préviennes. Si tu peux pas revenir, laisse un tissu ou une mèche de ch’veux sur ton chemin. PP te retrouvera en deuspi ! »

Je dépose un tendre bécot sur son front avant de la laisser avec son libre arbitre. Ayant présentement une phobie des chaises, je m’assois avec culot sur la table en toisant l’inconnu en face de moi.

« Eh ben, v’z’êtes pas beau à voir mon pauvre homme. »

Je me penche vers l’individu pour lui ôter le foulard de la bouche. Écœurée par les différents fluides imbibés dans le tissu, je le jette loin de nous. Granbull pensant que c’est pour lui, carapate comme une fusée vers ce formidable joujou pour le déchiqueter avec bonheur. En croisant mes gambettes, j’offre une cibiche à notre homme-saucisson tout en gardant ma grimace patibulaire.

« On peut savoir c’que vous faites ici ? C’est pas tous les jours qu’on r’trouve un mec coincé dans l’casier. »

Je ne peux m’empêcher de pouffer de rire, regrettant de ne pas avoir vu le pauvre homme sortir du casier comme une boîte à malice. Je tire longuement sur ma cigarette en espérant une réaction avant de renchérir.

« Vous allez nous en parler tranquillement, d’accord ? J’ai pleins de questions à vous poser mais j’vais commencer doucement. Qui êtes-vous ? Pourquoi et comment vous vous êtes retrouvés dans un tel pétrin ? »

Soudain, un message d’alerte maximal est divulgué par une voix masculine et étrangement familière qui nous recommande de quitter immédiatement le bâtiment. Un silence un peu gênant suite à cette effroyable annonce s’installe dans la pièce mais très vite je parviens à le briser.

« Pour l’instant on bouge pas. Fumons tranquill’ment nos clopes. Ensuite on vous ramènera avec nous puis on v’détachera mais avant ça, j’veux qu’vous répondez à mes questions. »

Mes yeux noisettes se plantent dans les siens, totalement impassibles.

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— Jenna, je t’en supplie, arrête ! implorait-elle d’une voix brisée.
Épaule contre épaule avec Léo, elle ne ressentait rien de la fournaise.
La chaleur, même, ne montait pas assez vite.
Qu’ils soient incinérés sur le coup. Qu’ils meurent. Que cessent leurs tourments.
Que disparaissent toutes les raisons qu’il existait de faire du mal à…
— Manon…!
Ses poings rejoignirent ceux du jeune homme à ses côtés. S’abattant contre la porte avec l’énergie du désespoir.

— …c’est mon trésor… le seul que je possède…
Le Minidraco sous sa casquette fit écho à ses paroles dans un rugissement de détresse.
Plus que nul autre, il comprenait les sentiments de sa petite sœur de clan.
Cupides et égoïstes… les dragons étaient ce genre de créatures.

— Vous n’avez pas le droit de me la prendre… !
Mais ni les griffes ni les crocs d’Astelle n’avaient la force d’enfoncer la porte.
Son souffle se heurtait à l’acier sans heurt. Ses rugissements piteux étaient pareils aux cris impuissants d’un nourrisson. C’était trop tôt. Elle ne pouvait rien faire.
Elle était faible.

PAN
Astelle hurla. Elle hurla si fort qu’elle crut que sa gorge se déchirait.
Le coup était parti. La porte s’ouvrit soudain, et la petite postière s’effondra par terre. Elle tremblait de tout son corps. La détonation lui battait les tempes. Haletante, le visage noyé de larmes, elle se redressa sur les coudes… et se pétrifia.
Il y avait du sang par terre.
— Non… non… non… non…
La jeune fille releva lentement son regard qui ne voyait plus, brouillé par le chagrin et le désespoir.
Elle avisa la silhouette indistincte de l’amie qui était si chère à son cœur, anéantie à l’idée de lui découvrir un trou fiché dans le crâne et… sentit une délicieuse étreinte se refermer sur son corps fluet.
— ASTELLE !
— Ma… Manon… !
Avec un cri presque animal, la Dracopostière planta ses griffes dans les flancs de Manon. Lui rendant une étreinte qui faisait mal. Jalouse et dévorante.

— A-Astelle, j-j’ai vraiment eu peur, tellement peur qu’il t’arrives quoiqu-...
Manon nicha son visage au creux de son cou. Pour de longues secondes.

Et Astelle sentit finalement s’apaiser la tempête qui hurlait dans son cœur. Aussi facilement, elle retrouvait son équilibre. Brique par brique, elle se reconstruisit pour faire face à cette personne qui lui inspirait tellement de force et de courage. Tout à coup, elle n’était plus faible.

Elle n’avait plus envie de geindre et de pleurer.
Manon était en vie. Manon pleurait à chaudes larmes dans son cou. Et plus son amie montrait de détresse, plus elle-même puisait de force. Cette force dont elle avait tant besoin pour réconforter Manon.
— Tu as été très courageuse, tu sais…? lui murmura-t-elle d’une voix cassée, tout contre son oreille. Trop courageuse, en fait.
Ses mains sales remontèrent le long de l’échine de son amie, puis se perdirent dans ses cheveux.
— Je refuse de te revoir risquer ta vie ainsi, mais…
…c’est précisément parce que tu es comme ça, que je t’aime tant.
La jeune fille eut un sourire rayonnant, que même une avalanche de détritus n’aurait suffi à salir.

Les deux amies échangèrent un regard pétillant de tendresse, et Astelle sentit que cette complicité qui lui était si chère se réinstallait entre elles. Pour sa part, parce qu'elle ressentait encore le besoin de ventiler son inquiétude, Manon se redressa pour la saisir par les épaules, et lui adressa un sermon inquiet.
— Plus jamais, JAMAIS tu t’écartes de ton groupe pour foncer dans un endroit que tu n’connais pas !
— Oui môman. Oui, oui.
— Mais bon, l’plus important c’qu’tu sois saine et sauve ma belle. Juste, reste près de moi, je ne veux pas risquer te perdre à nouveau …
Mini-senpai émit un petit cri d’inconfort quand la main de Manon vint se perdre sous sa casquette pour lui caresser les cheveux. Astelle, elle, acquiesça à la manière d’une enfant sage. Elles échangèrent un nouveau sourire, et puis, avec un air doux et lumineux, la jeune fille déroba une dernière étreinte à son amie.
— …moi non plus, je ne veux plus jamais ça. Mais ça ne se reproduira pas, Manon. J’y veillerai.


La crise était passée. Cependant, la fin de cette crise ne signifiait pas qu’elles étaient hors de danger. Astelle devait s’y préparer, et pour ça… se poser quelques instants, et réfléchir. Tandis que les pokémons de Manon s’occupaient de libérer Joeffrey, la jeune fille s’installa avec les siens sur la petite chaise, près du téléphone.
Elle avait récupéré le Métamorph par terre, toujours sous la forme d’un cadeau de Noël.
Le regard peiné, elle s’excusa auprès de Flambino et du Métamorph, puis de tous les pokémons à l’intérieur de sa besace.
— …je me demande ce que vous pensez de moi, à présent…
La jeune fille baissa la tête. Aujourd’hui, elle avait… dévoilé beaucoup de ces horreurs qui restaient normalement profondément enfouies en elle.
— …au moment le plus crucial, je vous aurais abandonnés.
Les larmes lui montèrent aux yeux. Parce que c’était la stricte vérité.

— …ici et maintenant, ce n’est ni le lieu ni le moment, mais il faudra que nous ayons une petite discussion tous ensemble, plus tard…
Sa voix, déjà enrouée d’avoir trop crié, se cassa un peu plus encore.
— …pour que vous puissiez me dire… si vous souhaitez vous trouver une dresseuse plus aimante… et plus raisonnable.
La réprobation immédiate qu’elle sentit, qui allait jusqu’à faire vibrer ses pokéballs, la fit doucement sourire. Ses pokémons n’étaient eux-mêmes pas très raisonnables.
Charmillon et Poulpaf étaient fous amoureux d’elle.
Flambino avait été entraîné par sa maman, et était pratiquement devenu son petit-frère d’adoption.
Théffroi et Nigosier, eux… étaient honnêtement trop bêta (chacun à leur façon) pour comprendre le sens de sa question…
Quant au Minidraco posé sur sa tête… lui présenter des excuses était inutile.
Lui-aussi… était un dragon.
— …nous en reparlerons.

Astelle voulut se relever, mais s’immobilisa en plein mouvement. Elle grimaça. Dans le feu de l’action, elle l’avait oublié, mais son estomac lui faisait toujours un mal de Ponchien. Une main sur son ventre blessé, elle prit le temps de reprendre son souffle et ses forces. Sa tête lui tournait un peu, et ce n'était pas le moment de s’effondrer !
Elle remarqua alors que, dépassant de la poche de poitrine de sa veste d’uniforme, se trouvait toujours la brochure de Noël que lui avait remise Léo.

Sans personne pour l’observer, Astelle coula un regard pensif vers le téléphone.
…puis composa le 36 30, le numéro du Père Noël.
— A… Allô… monsieur le Père Noël…?

Elle avait un petit peu honte de faire ça, mais…
...une petite postière qui ne faisait pas de bêtises ne se serait pas appelée Astelle Dumas !

Deal de faire ça en RP ? 8D:

***

Astelle raccrocha le téléphone d’un air confus. Les pokémons de Manon avaient fini de libérer Joeffrey, et celle-ci rappelait finalement son Kangourex en lui présentant des excuses pleines de sollicitude. La jeune fille eut un sourire attendri. Comme d’habitude, elle trouvait que le rapport que son amie entretenait avec la famille de Kangourex était adorable. Et se sentait même un petit peu jalouse.

Profitant de la distraction momentanée de son aînée, Astelle se planta devant Joeffrey.
Petite chose crasseuse aux grands yeux clairs, elle chercha bravement le regard du coordinateur taciturne. Maintenant qu’elle faisait face à l’homme, des sentiments contradictoires agitaient sa poitrine. Et lui, que pensait-il à cet instant… ? Face à celle qu’il avait voulu laisser mourir.
Un silence tendu se matérialisa entre eux… que la jeune fille rompit de la façon la plus surprenante qui soit.
— Merci... d’avoir voulu la sauver, souffla Astelle, ponctuant ces brèves paroles d’une demi-courbette orientale. "Papa  Joeffrey." Peu m’importe la raison, je… vous en suis reconnaissante.

Une petite touche d’humour polissonne égailla sa voix au moment de ce « Papa Joeffrey ».
Astelle prit une courte inspiration puis poursuivit, se demandant si ses mots ne risquaient pas de seulement glisser sur la carapace de cet homme.

— …Manon est impulsive, maladroite et… et toute pleine de Poum-Poum Tchaa-Tchaa ! C’est la personne que j’aime le plus au monde, alors… continuez de veiller sur elle, d’accord ? Si vous faites ça… nous serons quittes, vous et moi.
Elle réitéra sa courbette. Joeffrey n’en aurait peut-être rien à faire de ses sollicitations. Elle n’avait aucun moyen de le savoir. Bien qu’empathique, il était trop tôt pour qu’elle puisse lire dans la façade nonchalante et égocentrique du coordinateur… mais dès les premières secondes, elle avait refusé de se fier à cet air mauvais qu’il dégageait.

Astelle pensait que les gens avaient le droit d’être égoïstes, cupides ou lubriques.
Sa meilleure amie elle-même provoquait souvent une première impression terrible chez ceux qui n’avaient pas la patience de regarder au-delà de son caractère cru.
Il n’existait personne qui n’ait pas de défaut.
…mais rares étaient les individus profondément, et entièrement méchants.
Pour quelque (mauvaise ?) raison que ce fut, Joeffrey avait choisi de se battre pour sauver Manon.
Et à sa place, la jeune fille non plus, n’aurait pas hésité une seule seconde.
Pour cette simple raison, Astelle ne pouvait pas le détester ou lui en vouloir.
— …j’ai envie de croire en vous, murmura-t-elle en s’éloignant.


Tout en traversant la Salle de Repos, Astelle paraissait songeuse.
Ses propres actes, et ses propres paroles la troublaient.
Elle avait toujours été irresponsable, mais depuis quand faisait-elle si peu cas de sa propre vie ? Depuis quand pensait-elle qu’il y avait des choses, des sentiments… pour lesquels elle accepterait volontiers de se sacrifier ?
Et si la valeur qu’elle accordait à sa propre existence ne regardait qu’elle… comment avait-elle pu oser négliger celle de Léo ? Et celles de tous leurs pokémons ?
Dans l’incinérateur, ses priorités lui étaient apparues avec une acuité limpide.
Sans crier gare, Manon s’était emparée de toute la place qui existait dans son cœur.  
…est-ce que son amie ressentait la même chose pour elle ?
…était-ce la raison pour laquelle elle avait supplié de tirer ?
Simplement y repenser lui mettait les larmes aux yeux.

— Astelle ! Je n’bouge pas d’ici, tu sais où m’trouver.
Oh...! Tout en faisant méditativement le tri dans le nécessaire de premiers soins qu’elle emportait toujours en voyage, Astelle avait commencé (sans même le réaliser) à se diriger vers la porte. …à croire que même si ses pensées demeuraient confuses, ses pieds, eux, ne perdaient pas de vue le chemin à suivre !

Fufufu... on était une petite postière de vocation, ou bien on ne l’était pas ! (Rêvasser tout en marchant, c’était la marque des meilleurs Dracopostiers !) Et effectivement… la jeune fille se rendit compte qu'elle n’ignorait rien de ce qu’elle devait faire à présent.
Elle avait finalement les idées claires.

Véritable Vaututrice, Manon fut sur elle en un instant ! Elle lui captura les mains entre ses serres, et lui posa un petit coup de bec sur le front.
Astelle se sentit comme un petit animal à sa merci.
— Si tu veux partir, tu peux … Mais si tu as le moindre soucis, j’veux qu’tu m’préviennes. Si tu peux pas revenir, laisse un tissu ou une mèche de ch’veux sur ton chemin. PP te retrouvera en deuspi !
Obéissante, elle fit renifler sa casquette au Granbull, afin que celui-ci puisse la retrouver plus tard, en cas de besoin.

— Tu es sûre que ce n’est pas parce que je sens la poubelle que tu me suggères de partir à demi-mots ? interrogea la jeune fille avec un sourire malicieux.
C’est plus sérieusement qu’elle poursuivit, livrant véritablement le fond de sa pensée.
— En fait… l’état de Jenna m’inquiète. Je vais aller voir ce que je peux faire pour elle. Probablement pas grand-chose, mais je vais au moins désinfecter et panser ses plaies. Je reviens tout de suite après.
Avant de s’éclipser, elle laissa le petit Métamorph décider de s’il voulait l’accompagner ou bien rester dans la Salle de Repos.

***

Tandis qu’elle suivait les fines traces de sang qu’avait laissées Jenna sur son passage, une annonce radio résonna dans les locaux.
« Je suis Damien, affecté à la salle des réacteurs. Nous avons commis une erreur, ou perdu trop de temps. Les réacteurs sont en surchauffe, et le panneau de contrôles affiche désormais un message d'erreur. Le réacteur s'apprête à exploser. Où que vous soyez, quoique vous fassiez... Sortez, si vous le pouvez. Si l'accident se produit, il ne reste de toute façon plus rien à sauver, ici. Sinon vos vies.  
Mais si quelqu'un... Si quelqu'un ici est au courant de quoique ce soit qui puisse nous aider... Qu'il parle maintenant, ou qu'il se taise à jamais. »

Sarcasmes. Défaitisme.
Ces mots vous inoculaient la faiblesse comme un poison.
— Pffff...

Plus que la peur ou que l’émoi…
Cette annonce provoquait un sursaut d’agacement chez Astelle.

Qu’il parle maintenant, ou qu’il se taise à jamais ? Cette réplique avait sa place dans un théâtre, ou à un mariage. Ce n’était pas une chose à dire quand des dizaines de personnes vous écoutaient, la terreur au ventre.
— C’est toi qui devrait te taire, Damien, grommela la petite postière. Radio-animateur d’opérette.
Même en fuyant dès maintenant, il était probablement trop tard. Les autorités avaient évacué Voltapolis justement parce qu’elles craignaient l’ampleur de l’explosion.
Leur seule chance était de lutter. De ne pas baisser les bras. De faire preuve de cohésion.
Et on pouvait faire ça sans chouiner à la radio.

Tout en accélérant le pas, elle écrivit rapidement un message à Manon.
Pro du SMS, sa vitesse de rédaction était pratiquement supersonique.
« Tu as entendu l’annonce ? Je vais voir si je peux me rendre utile.
Rejoignez-nous quand vous y verrez plus clair sur le statut du prisonnier.
(Et raflez tout ce qui attire votre attention qu’on aurait pu oublier dans la Salle de Repos.)
Manon :
— évite les chaises.
— n’explose pas.
— s’il est trop tard, je voudrais mourir dans tes bras.
ps : ce serait quand même nul de perdre la vie sans avoir jamais embrassé de garçon. »
Est-ce qu’elle en faisait un peu trop ?
Ses doigts tremblaient. La vérité et l’humour se mélangeaient dans ce dernier message, et Astelle n’avait pas le temps de faire le tri dans ses sentiments. Elle rangea son pokématos, et avisa la présence de Jenna et de Léo, tous deux enlacés sur le sol du couloir.
…oh. Manifestement, ils avaient pris de l’avance dans leur propre planning. Les petits veinards.

Se retranchant discrètement dans un angle, Astelle s’empara d’une pokéball à l’intérieur de son sac.
— Brume Capiteuse, dit-elle dans un souffle.

Tendant le Théffroi vers le couloir, elle laissa s’écouler ce parfum de matcha doux et agréable vers les deux jeunes gens. Il n’y avait pas de temps à perdre mais… Astelle pouvait bien leur accorder dix petites secondes de tendresse pendant lesquelles Léo ne fleurerait pas bon les ordures.
Trop vite, cette étreinte éphémère dut cesser.

— Finis les câlins, c’est à mon tour, déclara Astelle en faisant irruption à côté de Léo, à qui elle fit signe de se pousser pour lui laisser la place. …pas de lui faire un câlin, hein ? Je vais prendre deux minutes pour la soigner de mon mieux, après quoi, il nous faudra nous dépêcher.
Le Théffroi continuait à dispenser cette brume verte et apaisante, qui imprégnait leurs vêtements, et atténuerait le parfum des détritus.
— Respire bien. La Brume, je veux dire. Pas mon odeur de poképoulet rôti. Il faut te détendre.
S’emparant du visage de Jenna entre ses mains, c’est de gestes aussi vifs que précautionneux qu’Astelle la nettoya d’une petite lingette humide.

La jeune femme avait pris des coups. Les contusions infligées par les attaques Punition et Feintes seraient douloureuses, mais pas critiques. Les plaies nombreuses causées par le Combo-griffe, toutefois, représentaient un plus grave problème pour de fragiles humains. Perte de sang, et donc anémie. Infections, car ni Joeffrey ni son Ténéfix ne fréquentaient beaucoup Monsieur Savon. Et des cicatrices qui vous duraient parfois toute une vie.
La petite postière fronça les sourcils.
— …retire ton haut, il me gêne. Léo, tu peux rester, mais tourne-toi s’il te plaît.

…tout en procédant aux soins, la jeune fille contemplait le visage défait de Jenna.
Quelque chose dans son air hagard… lui faisait bouillonner l’estomac.
— C’est cette annonce qui te met dans cet état ? Ou ce qui vient de se passer avec Manon ?
Les deux, probablement. Épongeant les plaies de la poissonnière avec un onguent cicatrisant confectionné par sa Tata Ombline, Astelle plissa les yeux.
— Tu sais… je comprends que ce qui est arrivé n’est la faute à aucun d’entre nous.
Toi, Jeoffrey, Manon… vous avez tous voulu agir pour le mieux.
Le seul responsable est celui qui a élaboré ce piège cruel.

La voix d’Astelle avait quelque chose de raisonnable. Et de tranchant.
— …mais tu ne crois quand même pas que tu vas t’en tirer aussi facilement, pas vrai ?
Alors même que tu viens de me tirer une balle dans le cœur, tu t’imagines vraiment… que tu as le droit de baisser les bras, comme ça ?
Je te l’interdis. Si tu restes prostrée maintenant, le sang et les larmes auront été versés en vain.
Est-ce que tu t’es battue contre Jeoffrey pour rien ? Est-ce que tu t’es faite taillader pour rien ? Est-ce que tu as manqué de tuer la personne que j’aime le plus au monde pour rien ?
…contrastant avec la sévérité de ses paroles, le regard d’Astelle se fit subtilement plus doux.
— …est-ce que tu nous as sauvés d’une mort certaine pour rien ?

Terminant de serrer les bandages autour des blessures de Jenna, la petite postière retira sa veste d’uniforme, dont elle drapa pudiquement sa patiente.
— C’est ta responsabilité. Celle que tu as prise en appuyant sur la gâchette.
Alors tu vas te lever, Jenna. Et tu vas te battre. Et on va se battre.
Elle prit la main de Jenna, mais aussi celle de Léo, et en les invitant à se redresser, Astelle les serra toutes deux avec force.
— Tous ensemble. Jusqu’à la toute dernière seconde.

***

Récap’:

Pendant que l'inconnu révèle ou non de précieuses informations, je me dirige vers la kitchenette tout en restant attentive au monsieur. La cuisinière est un véritable foutoir : tout est éparpillé, le contenu du frigo renversé et un bras en plastoc à un moitié rongé gît pathétiquement sur le sol. Mais qui a bien pu foutre un tel bordel !? Franchement, aucun respect.

En inspectant un peu plus en détail le bras-mannequin, j'aperçois les câbles le rattachant à un engin électrique. Un petit écran indique ceci : "249. Hyperglycémie, taux de glucose élevé". Mais qu'est ce que cela veut bien dire ? C'est alors que je remarque les flacons d'insuline, de glucagon et de biseptine sur le sol. D'un coup, un éclair de génie ravive mes neurones avec une brillante solution. J'interromps donc l'interrogatoire pour qu'on se penche un instant sur mon exploit.

« Eh les gars ! »

Mon regard croise celui de Jeoffrey puis celui du vieux en les questionnant :

« Vous savez à quoi ça sert ? Et vous m'sieur, ça vous dit rien ? »

Mes yeux reviennent sur l'affiche puis sur le membre artificiel. Je tâte du bout des pouces de l'avant-bras jusqu'au coude avant de saisir une seringue et de l'insuline.

« Et si j'baissais l'taux d'glucide, y s'passerait quoi ? »

En vérité, je doute qu'ils aient la réponse car la seule manière de l'avoir, c'est d'essayer. Je me lance alors en imbibant mon mouchoir en soie de biseptine avant de l'appliquer dans le creux du bras. C'est avec un certain amateurisme que je prélève l'insuline, que je tapote la seringue pour retirer les bulles d'air et que j'insère l'aiguille dans la peau désinfectée. En injectant la substance dans le mannequin, je récite mon cours :

« Il n'y a qu'une seule hormone capable de réduire l'excès de sucre dans le sang : c'est l'insuline. »

Heureusement que le membre est factice, si c'est celui d'une véritable personne, elle aurait chouiné toutes les larmes de son corps en plus de finir traumatisée des piqûres. Après quatre tentatives pour planter l'aiguille là où la veine est censée être, l'insuline pénètre finalement le faux bras.

« Surtout, ne pas l'foutre en hypoglycémie. J'vais déjà baisser jusqu'à 140 puis on verra c'que ça donne ... » je marmonne dans ma barbe inexistante.

Brusquement, mon Nokia3310 se met à vibrer. En terminant ma cigarette, je lis le tendre message de ma petite Astelle.

Astelle a écrit:

“ Tu as entendu l’annonce ? Je vais voir si je peux me rendre utile.
Rejoignez-nous quand vous y verrez plus clair sur le statut du prisonnier.
(Et raflez tout ce qui attire votre attention qu’on aurait pu oublier dans la Salle de Repos.)
Manon :
— évite les chaises.
— n’explose pas.
— s’il est trop tard, je voudrais mourir dans tes bras.
ps : ce serait quand même nul de perdre la vie sans avoir jamais embrassé de garçon. ”

Un sourire illumine mon visage pseudo-patibulaire. Coinçant mon mégot entre mes lèvres, je pianote sur le clavier portable.

Manon a écrit:

“Tkt, je suis sur un bon coup là j'texpliquerai mon coup de génie (si ça marche) qd on se retrouvera.

Lol t'es trop mignonne, promis je vais pas crever comme ça. Et toi non plus hein ! Hors de question que tu meurs sans que tu te sois dépucelée les lèvres. T'façon si c'est pas un garçon, ça sera moi héhéhé.

Bisous ma belle à taleur. ”

Je me relève en faisant voler ma longue crinière d'un air bien péteux avant de reprendre ma place, sur le bureau.

« Voilà. On verra ce que ça donne, ça s'ra la surprise. Mais rev'nons à nos Moumoutons : qui êtes vous et que faites vous ici mon vieux ? »