Quel endroit austère. Quel endroit hautain. Un souffle ignoble me transperçait alors que je mettais pied à terre et que j’observais l’imposant manoir. Non. Le château. Ça, c’était un château, pas un manoir. Ça n’avait rien d’un manoir, ni l’architecture ni l’humilité. Je connaissais Lise, je ne m’en serais pas attendu à moins, évidemment. Elle empestait le désir de luxe et de montrer sa richesse au monde. Je savais tout ça et même en le sachant, j’étais sidérée. Je m’attendais à un manoir majestueux, je m’attendais à une résidence loin de la modestie et de ce que je pouvais observer à Port-Corail. Je m’attendais à nombre de choses, mais pas à ça. Pas à cet excès démesuré. Et pourtant, pouvais-je dire que j’étais vraiment surprise ? Non. Le goût pour le luxe de cette femme était de forte renommée. Tout le monde savait. Tout le monde l’entendait. Personne n’imaginait. Personne ne pouvait imaginer une telle chose. La limite du cerveau humaine saturait d’abord. Elle atteignait un cap avant de pouvoir concevoir qu’un bâtiment tel que celui-ci existait. On m’aurait parlé d’un vestige fantaisiste dans un film, j’y aurais cru, j’aurais vu cette œuvre d’art architectural… mais pas en vrai, pas comme résidence d’une personne que je connaissais.

Ou que je croyais connaître.

Cette stupide promesse que j’avais faite à Iris m’avait menée ici. Chez Lise Gray. Chez cette femme que j’avais osé insulter avec l’intention de la briser récemment. J’avançais vers l’immense portail en tremblant, une chair de poule envahissant mon sang normalement bouillant. J’avais peur. Peur de ce que cette femme pouvait me réserver. Il me semblait évident qu’elle n’aurait pas oublié notre quiproquo. Il me semblait évident qu’elle voudrait m’empêcher d’obtenir ce badge… et pourtant j’étais venue. J’avais tout de même choisi cette arène sur les dizaines d’autres qui existaient.  Elle était puissante. Utiliserait-elle ses plus puissantes ressources simplement pour détruire l’excès de confiance que je lui avais manifesté ? Pitié non. Je m’étais montré forte sur l’impulsion du moment, sous la forte tension qu’avait créé la pression. Je n’étais même plus l’ombre de cette femme qui lui avait craché dessus. J’en avais les apparences, mais pas le caractère. Tant d’accumulation avait expliqué ce phénomène qui m’avait moi-même surprise. Elle me le rappellerait, je m’en doutais. Cette joute en serait une importante pour moi… car je savais. Je savais que quoique mes décisions seraient, quoique je puisse dire, elle le retiendrait contre moi pour me remettre à la place que je méritais à son avis ; sous sa botte.

Le choc des divas. Comme on en voyait à la télévision. Les deux titulaires du titre de Miss Lumiris qui se feraient face en ayant aucune affection l’une pour l’autre. Du moins, s’il y en avait eu avant, nous l’avions toute deux perdu. Dans quel recoin de mon esprit ce combat me pousserait-il ? Jusqu’où irions-nous ? Saurais-je être suffisamment véhémente pour prendre le dessus dans cette éventuelle guerre froide ? J’en doutais. J’en doutais fortement. Il n’y avait aucune chance que je fasse à nouveau ressortir le pire de ma personne. Les étoiles n’étaient pas aussi bien alignées que l’autre fois.

Pourtant, je devais y faire face. Poussant la lourde porte, je sentis mon souffle se rompre. Pas par émerveillement – bien que le spectacle sous mes yeux fut joli, – mais plutôt parce que je sentis la pression que j’imposais asséné mon esprit d’un coup de glaive puissant, je me sentais mourir, je me sentais transportée vers une transe que je m’expliquais peu. J’avais le regard sévère, les yeux rivés sur cet endroit, ce téléporteur qui brillait. L’endroit qu’on m’avait décrit comme le début du combat. Le début de l’affrontement contre Lise. L’épreuve spectre.

Malgré son mécontentement, je rappelai Altesse à sa Pokéball et je posai les pieds dans l’appareil. Un vertige me prit. Une nausée s’empara de mon estomac. Et mon contact oculaire avec ce vase que je regardais fut rompu. Ça commençait. Je sentis mes ongles s’enfoncer dans les paumes de mes doigts. Je vis le décor changer pour une pièce bien plus sombre que ce hall d’entrée.

Était-ce ici que tout se déroulerait ? Non. Sûrement pas. Elle n’était pas là. L’autre diva était absente de la pièce. Un rapide regard m’avait suffi à le comprendre. Je portai ma main à ma poitrine, comme si ça aurait pu soulager mes nausées et je posai les pieds hors du téléporteur qui se désactiva. « Madame Lise ? » la candeur de ma voix caressa les murs de pierre et envahit de son écho curieux l’entièreté de cet endroit. Vide, visiblement. J’avalai bruyamment ma salive. J’avais déjà peur. J’étais déjà intimidée. Je faisais pitié. J’étais si faible d’esprit.

Elle l’emporterait. J’étais encore moins confiante maintenant que lorsque j’avais affronté Auguste. Évidemment ce serait pire en combattant une personne avec qui j’avais un passif malsain.

Elle était là. Elle n’était pas loin. Juste devant moi, aussi élégante qu’elle pouvait l’être au quotidien. C’était une chose que je ne pouvais pas lui enlever : si elle m’avait insupporté sur la croisière Ariwa, il n’en restait pas moins qu’elle savait soigner son apparence et bien paraître, qu’elle savait s’imposer comme une force de la nature. Et ça fonctionnait. Je me sentais fondre sous son regard accusateur, je me semblais mourir d’avoir omis une étape. On m’avait prévenue. On me l’avait dit et j’étais, malgré tout, passée sans attend qu’on m’ouvre la voie. Elle n’avait qu’à être là. « Vraiment désolée pour les inconvénients, madame Lise. » dis-je piteuse. Si j’avais été vociférante sur le paquebot qui nous avait amenées au large, je n’avais plus rien de cette femme brave et culottée qui avait engueulé l’imposante Lise Gray. Je n’étais plus qu’une fillette à la mine déconfite. Était-ce le plan que je m’étais établi ? Conquérir le public, s’il y en avait, par la simple pitié que pouvait inspirer ma candeur et mon manque de bravoure. Non. Clairement pas. Mais une personne me méprisant suffisamment pouvait aisément s’imaginer ce scénario. C’était forcément le cas de Lise. J’avais eu le culot de l’affronter sur une impulsion que je peinais toujours à m’expliquer. « Je voulais m’excuser, également, pour ce que je vous ai dit sur la croisière. J’étais dépassée par tout ça. » Ajoutais-je en jetant un regard larmoyant vers elle, ressassant cette journée macabre de laquelle personne ne voulait se souvenir.

Mais ce n’était pas ce qu’elle voulait entendre.

Si pour moi les caméras ne changeaient rien, c’était probablement tout autre chose pour elle. Là où j’avais toujours prôné la transparence et l’authenticité en tant que Miss Lumiris, je savais que Lise avait été aux antipodes. Je savais qu’elle et moi ne serions probablement jamais amies malgré notre titre commun. Je ne me berçais pas d’illusions. Je me doutais que j’étais ici aujourd’hui pour être humiliée. Je savais que j’étais ici parce qu’elle voulait me faire regretter ces mots que je lui avais dit de façon véhémente. « Je… oui pardon… ce n’est probablement pas l’endroit. Nous pourrions parler après ? » dis-je quand elle posa sa question teintée par le reproche et la haine. Haine incommensurable que je pouvais comprendre. Même moi j’aurais été en colère. Même moi j’en aurais voulu à cette personne condescendante qui m’avait prise de haut. Je la comprenais. C’est d’ailleurs ce qui marqua mon hésitation. Je savais la réponse. Je l’avais apprise assez tôt lors de conversations avec Izaiah. Seulement, je figeais. On aurait dit que je m’en voulais davantage qu’elle ne m’en voulait. On aurait dire que j’étais ma rivale plus que je n’étais la sienne. « Appel des Ombres Éternelles… » soufflais-je enfin avec un désespoir dans la voix. Grise désertion de mon corps, ce désespoir était le manifeste de mon regret. Le percevrait-elle ? L’userait-elle ?

Probablement.

Je déglutis bruyamment et m’avançai dans l’arène fraîchement illuminée. Cette fois, je n’avais pas fait la même erreur qu’à Nemerya, cette fois je n’avais pas dévoilé de Pokémon en avance, j’étais suffisamment désavantagée comme ça. « Madame Lise, je peux vous demander un truc ? En toute transparence ? » laissais-je entendre de ma portion du terrain. Ce combat commençait, mais pas avec un enchaînement d’attaques ou l’appel de nos Pokémons. La première guerre était verbale. La première bataille était une conversation que l’on se devait d’avoir. Le premier échange dépendrait de sa réponse. « Ce jour-là. Sur la croisière. Vous avez ressenti quoi ? » lui demandais-je enfin. Dans quel but ? Je ne voulais pas savoir si elle avait eu peur ou si elle avait été attristée du décès du doyen. Ça ne m’intéressait pas. Je voulais savoir si je l’avais blessée. Je voulais savoir si j’avais eu une emprise sur elle. Je voulais savoir si je devais m’en vouloir d’avoir dit ces mots. Je devais savoir. Ces simples mots changeraient tout mon rapport à ce combat.

Une mélancolie s’était éprise de ma gorge. Un regret tangible qui me rappelait ô combien cette journée-là j’avais été une exécrable personne. Voulait-elle vraiment savoir ce que j’avais ressenti sur le navire. Cherchait-elle à comprendre pourquoi je m’en étais ainsi prise à elle ? Ou cherchait-elle simplement à quel moment j’étais devenue cette femme à la parole facile qui se laissait excéder par ses émotions ? Pourquoi cette question alors qu’elle avouait m’en vouloir ? Pourquoi s’intéressait-elle à moi. Ma tête s’enfonçait dans un profond labyrinthe duquel je ne pourrais me libérer, prises dans ces dédales tous similaires qui débouchaient sur des conjonctures plus ou moins efficaces. Que voulait donc Lise Gray ? Elle me détestait, pourquoi alors devais-je devenir le sujet ? Pourquoi voulait-elle me cerner ? Que planifiait-elle ? « J’ai eu peur. J’ai eu très peur. Dès l’instant où monsieur Cirrus s’est endormi… » C’était ma façon de traduire sa mort, c’était ma façon de nier l’évidence de la noirceur de ce jour. Je n’utilisais jamais les mots du champ lexical de la mort, je préférais tout nier en bloc avec des contes de fée plus ou moins avisés. Je préférais ne pas m’avouer cet élément. Cette journée avait été suffisamment horrible. « Et je me suis sentie trahie. Quand la sbire me retenait en otage, j’ai eu l’impression que vous ne vouliez pas vraiment m’aider. J’ai eu l’impression que la mort m’attendait. J’ai eu l’impression que chaque mot que vous utilisiez me conduisait sur la ligne verte, vous savez, le corridor des mises à mort dans les endroits où la peine de mort existe toujours. Plutôt que de trouver une alliée en vous, j’ai compris que vous me détestiez… dès le déjeuner. Dès l’instant où j’ai mangé mes crêpes et que vous vous êtes invitée à notre table. Je me suis sentie jugée, mise de côté et détestée. Je n’ai pas encore été capable de trouver pourquoi vous me détestiez, mais j’ai au moins compris votre mépris. » Je pris une pause. Ma vue s’embrouillait. J’allais pleurer. J’avais du mal encore à ce jour avec ce moment éprouvant. Cet instant où j’avais dit adieu à l’entièreté de mes proches avant de trouver seule une solution. « Je ne suis peut-être pas la plus fûtée en apparence, ni dans les décisions instantanée, mais je sais réfléchir, je sais voir, je sais quand on ne m’estime pas. Vous venez le confirmer… mais je n’en aurais pas eu besoin… » Je savais déjà. Je savais déjà tout ça… j’avais juste besoin de l’entendre. Ces mots s’étranglèrent dans ma salive et un sanglot que je ravalai.

J’attrapai une Pokéball dans mon sac et je la lançai dans l’arène. « Chère Dauphine ! Vous serez ma première combattante une nouvelle fois. Faites de votre mieux dans ce combat. Madame Gray est forte. Ce sera un défi d’affronter ses Pokémons. Ne vous mettez pas trop de pression. » Mère protectrice qu’elle était, ma Cacturne savait bien que quelque chose clochait, elle l’entendait. Elle acquiesça simplement quand les caméras se tournèrent vers elle. Son regard devint perçant. Elle ne perdra pas de vue cette cible. Il était hors de question qu’elle me déçoive… même si je lui avais dit le contraire. « Dauphine, je vous demanderais de couvrir vos arrières s’il vous plaît. » Elle s’exécuta. Sans broncher. Presque en dansant. En effectuant un tour sur elle-même, ses épines sortirent de son derme et grossirent. Elle était prête. « Dans la cabine. Quand les ailes m’ont poussé. J’étais comme une adolescente. Je voulais comprendre, mais rien de ce que je faisais ne semblait convaincre ma mère, vous en l’occurrence, que je faisais les bons choix. La peur, la tristesse et la rage me déchirant l’intérieur, j’ai eu besoin de cracher sur quelqu’un quand j’ai vu mon plan s’effondrer. Dès l’instant où il aurait parlé, j’aurais tenté de le retenir. Par n’importe quel moyen et plutôt que d’avoir une fuit insatisfaisante sur les épaules… au moins nous aurions pu comprendre. Ne vous demandez-vous pas, vous, madame Lise, pourquoi ils font tout ça ? Pourquoi ils prennent le temps de tout saccager s’ils prétendent vouloir sauver la région ? Ça ne colle pas pour moi. J’ai besoin qu’on m’expliquer. Je croyais avoir l’occasion, mais monsieur Even et vous avez tout gâché en tentant de le poignarder. Il ne pouvait pas gagner. Pourquoi le condamner à mort tout de suite ? Pourquoi vouloir le mettre à notre botte ? Il était déjà coffré, encerclé. Il était déjà fait. Vous ne croyez pas que pour Lumiris, ç’aurait été bien de comprendre comment limiter ces attentats ? Je me suis rebellée contre vous parce que non seulement vous m’aviez presque condamnée à mort, mais en plus, vous aviez refusé, par pur orgueil de discuter avec cet homme… » Je soupirai. Un bref soupire qui semblait vouloir tout dire. J’étais essoufflée de cette histoire.

« Maintenant Dauphine, agissez, ne vous faites pas prier ! » Ma cacturne sourit et fonça vers l’Exagide. Un coup direct. Un coup rapide. Son poing tourna au noir près du sol alors qu’elle défilait à toute vitesse vers le Pokémon adverse, ses épines toujours rivées vers l’ennemi, menaçantes et imposantes. « Quand je suis sortie pour le chercher. Je l’ai trouvée. Il se préparait à s’envoler, mais il m’a dit une chose que je n’oublierai pas. Vous êtes intelligente Miss Lumiris. Ne laissez personne vous dire quoi faire. J’aurais aimé vous expliquer, mais vos amis étaient prêts à me tuer… je n’ai pas fini ce que j’avais à faire. » Le discours n’était pas exact. Loin de là. Mais il correspondait aux mots et a la morale que je retenais. « En dehors d’Alaric, mon fiancé, et de Valencia, ma sœur, personne n’a jamais considéré que j’avais une once d’intelligence… pour des raisons qui peuvent sembler évidentes… Eux, la capitaine comme eux deux… ils ont compris que mon intelligence n’était pas dans la stratégie ou le militarisme. Elle est affective. Elle est romantique. Je veux comprendre l’autre pour mieux comprendre le monde. Je suis humaine, j’ai des défauts. Mais sur Ariwa, j’étais nettement inférieure en talent de dresseuse à la plupart des invités, mais j’étais là. Et ceux que je voyais comme mes ennemis semblaient m’estimer davantage que mes alliés… ne trouvez-vous pas ça aberrant madame Lise ? Que j’aie plus confiance en monsieur Hyouga que vous en sachant tous les crimes qu’il a commis et en n’étant pas intéressée à me joindre à sa cause ? Ne trouvez-vous pas idiot que dans cette élite des dresseurs que l’on s’est nous-mêmes inventé, on doive choisir si l’autre vaut ou ne vaut pas la peine… Et si tous les humains avait une chance égale ? » Des yeux, je continuais de suivre ma Cacturne des yeux et de me concentrer sur le combat. Mon discours ne devait pas nuire à ce combat si je voulais à mon tour pouvoir jouer mon rôle dans cette région. Si je voulais pouvoir influer sur ces jeunes dresseurs comme les champions actuels le faisaient… avec davantage d’empathie.

« Maintenant Dauphine ! » Le poing obscur de mon Pokémon monta pour se choquer contre le Pokémon adverse, si tant était qu’elle ne s’était pas couvert. « Quand je me suis sentie poussé des ailes, comme vous dites, j’ai eu l’impression d’enfin me libérer d’un fardeau psychologique que je m’imposais. Respecter l’élite pour avoir une chance de devenir, à mon tour, championne. Respecter l’élite pour qu’ils me laissent une place à leur côté. Vous faites partie de ces gens que j’appelle élites, madame Lise. Je vous respectais. Mais ce jour-là, vous vous êtes bornée, vous vous êtes braquée et j’ai compris que j’aurais beau essayé, nous ne serions jamais amie. Au mieux, rivales… mais nous savons toutes les deux que vous êtes une bien meilleure dresseuse que moi. » Cette fois, je me tus. J’avais fini ce discours interminable. J’avais fini de livrer ce que j’avais ressenti et j’avais entamé les hostilités. C’était le début de choc à la fois physique et psychologique.

Et si j’étais morte. Et si je ne m’étais pas délivrée des griffes de cette sbire, aurait-elle agi de la même façon. Au discours qu’elle tenait, je comprenais que Lise n’était pas le genre de femme à se remettre en question. L’autre avait tort, jamais elle. L’autre avait des défauts, elle était parfaite. C’est ce qu’elle m’inspirait : l’image d’une femme austère prête à tout pour parvenir à ses fins. J’ignorais de quelles illusions je m’étais bercée pour croire que ç’aurait pu être différent, mais je l’avais fait. J’avais espéré. J’avais eu espoir. À tort. Je me trompais visiblement trop souvent sur la bonté du cœur des uns et des autres. J’avais trop de foi en cette humanité à la quelle j’appartenais. « Et si j’étais morte ? Vous auriez fait quoi si j’étais morte ? » hurlais avec délivrance de mon coin de l’arène avec tout le tonus que je me connaissais. J’avais écouté ses mots. J’avais compris ses mots. Ils ne me correspondaient pas. Là où j’étais en ouverture, elle était complètement fermée, incapable de se dire que sa méthode n’était pas forcément cohérente avec l’idéologie que tentait d’avoir la région, celle pour laquelle nous militions.

La rédemption.

La seconde chance, l’avantage de pouvoir échouer une seconde fois puis de recommencer… Comme elle venait de le faire. Comme elle venait de changer son Pokémon. D’un Exagide, nous passions à un Banshitrouye. Je la maudissais. De mon équipe, Cacturne était la mieux désignée pour combattre le Pokémon acier et voilà que s’envolaient mes espoirs avec ce Pokémons plante. La flamme sortant de la bouche de la courge ne fit qu’amplifier mon angoisse. Cette botte secrète sortit de nulle part me nuisait grandement. Elle en avait sûrement d’autres et je devais être prête à les affronter. Heureusement, j’avais planifié une défense, elle ne subirait simplement pas le contrecoup. Tant pis. Il fallait passer à la suite des choses. « Dauphine ! Vengez-vous ! » Dans un mouvement vif, à peine Cacturne eut-elle reculé qu’elle hocha la tête et fonça vers son adversaire, une aura violacée autour de son poing. Encore des dégâts physiques, encore une attaque directe, c’était ce qu’avait à offrir ma pauvre Dauphine profitant de la distraction du Pokémon adverse pour choisir le moment de son attaque. Cet instant où la liane enflammée s’enfonça dans le sol fut celui où elle frappa. « Bien ! Maintenant on enchaîne avec un coup malin très chère. »

Ses épines suintèrent une sécrétion violacée et en remontant son poing elle tenta d’effleurer la Courge. « Comme moi, vous avez entendu ce qu’a fait Hestia par le passé madame Lise, non ? Dans cette histoire, si l’on oublie les meurtres, les attentats et les trahisons… ne sommes-nous pas les méchants ? Ceux qui ont dérobé leur terre à un peuple pacifique qui n’avait rien demandé ? À toute médaille, il y a un revers. Vous remettez-vous seulement en question ? » lui dis-je à titre de réponse après les deux offensives de mon Pokémon. Cette discussion entre deux égos aussi puissants soient-ils l’un et l’autre n’était pas près de s’achever. « Sur la croisière, j’ai compris que je devais me faire mon propre opinion, que personne ne serait toujours là pour me dire quel chemin emprunter. C’est ce que j’ai fait en m’emportant contre vous. J’ai décidé que vous ne seriez pas celle qui me dicterait comment agir. Je me suis opposée à vous car vous étiez ce symbole que je cherchais, celui qui me noyait sous l’eau m’empêchant de me dévoiler telle que j’étais. » concluais-je au moment où l’élan de ma Cacturne s’interrompit et qu’elle retrouva sa place au sol. Elle souriait, comme moi.

À quel moment m’étais-je demandé si cette femme avait des regrets ? À quel moment m’étais-je convaincue qu’elle conviendrait avec moi d’un accord ou d’une alliance ? À quel moment m’étais-je dit que cette femme aurait la capacité d’écouter ma défense. Chaque ouverture que je lui proposais débouchait vers une fermeture toujours plus autoritaire. Chaque mot que je lui soufflais était balayé du revers la main par cette étroiture d’esprit que je peinais à m’expliquer. Je ne comprendrais pas. Je ne comprendrais jamais. C’était vainc. Peu importe ce que je dirais, elle me rabrouerait par sa véhémence. Alors soit. Je me plierais à sa volonté, je continuerais de m’insurger contre elle et de m’y opposer dans mon coin. Sans qu’elle n’en entende parler. Je la rejoindrais dans ce groupe des élites que l’on reconnaissait. Je deviendrais ce visage connu qui lui inspirait de le dépassement et l’introspection… si au moins elle gagnait ça. Si au moins. « Je vois. Vous appartenez donc à ces gens qui ne se remettent pas en question. » Je sonnais comme une femme qui cherchait à la recruter sous l’influence de l’un ou l’autre des groupes. Je sonnais comme ces chasseurs de tête qui avait misé sur le recrutement de cette femme. Ce n’était pas le cas. Je tentais de la comprendre, de décortiquer ses gestes et ses paroles. Si je me remettais trop en question, elle, pas assez. Elle avait toujours raison.

Le jet de flammes me rappela à la réalité que nous vivions, à ce combat que nous menions. J’abandonnai le regard de Lise pour vraiment me réfugier dans cette espère de synchronicité nécessaire à un combat. Ma Cacturne était toujours droite, sa Banshitrouye faiblissait tranquillement. Je devais préparer la suite. « Dauphine, vous savez ce que vous avez à faire. » Ma Cacturne hocha la tête. Elle était prête à subir la chaleur de ces flammes. Ça lui ferait mal, mais elle était prête. Elle le fit. S’allongeant au sol, simulant la victoire de son opposant. Et dès qu’elle s’approcha pour asséner son exploforce, ma Cacturne se releva et bondit dans les airs en manquant pas de caresser de son poing la figure du Banshitrouye. « Bien ! Et maintenant, accueillez vos futurs adversaires ! » hurlais-je. Il n’en fallut pas plus pour que d’un mouvement ample se libère une foulée d’épines qui se juchèrent dans le sol du côté de l’arène de Lise. Son côté était maintenant un champ de mine et je souriais, sachant que la hauteur avait bénéficier à mon Pokémon pour réussir ce coup.

« De toute façon, à quoi bon discuter de tout ça, eh, madame Gray ? Je veux dire, vous êtes ici depuis bien plus longtemps que moi… avez-vous déjà eu l’impression d’avoir du poids sur les initiatives du doyen ou sur les mesures radicales employées par Hyouga et son équipe ? Moi pas. On est, au mieux, les pions pour acheter la paix ou les arguments pour faire ployer le genou à l’autre camp. Je tends à croire que c’est la raison pour laquelle nous étions sur Ariwa. Pour effacer toutes les menaces d’un seul coup. Après, ça n’a pas fonctionné… mais j’ai la conviction que si les masques n’étaient pas tombés si vite, nous serions tous dans le même état que monsieur Cirrus maintenant. » Ça m’avait souvent effleuré l’esprit, l’éventualité que nous aurions tous pu mourir en mer. Étais-je la seule ? J’espérais que Lise me rejoindrait sur cette piste, qu’elle exprime le même doute. Si je n’étais pas la seule à le croire, peut-être pourrait-on semer davantage de méfiance chez nos amis… peut-être éviterions-nous des trépas comme celui de Cirrus. Peut-être sauverions-nous, au moins, nos amis. Si on ne pouvait pas se sauver entre nous.

Une part de moi continue d’être exaspérer par l’étroitesse d’esprit de cette femme. Hors de question, malgré tout, de me laisser déstabiliser. Hors de question de la laisser prendre l’avantager sur le plan psychologique. Je lui souris malgré tout. « Oh ! Pardonnez-moi Madame Gray. L’idée n’était pas de vous déplaire ou de vous brusquer. Je vous estime magnanime. J’imagine juste que l’on diffère majoritairement sur ce point madame. Là où vous construisez votre vie pour vous, en fonction de vos idéaux, et que vous ne laissez personne s’interposer entre vous et vos objectifs… Moi, je fais la même chose, mais avec les autres. J’existe pour eux. Ils me définissent. Parce que je n’existe pas seule. Je n’ai pas votre force d’esprit. » Si je n’avais pas été aussi polie constamment, ces paroles auraient semblé insolentes. Elle ne l’était pas. Si elles étaient un poil cinglantes, elles se voulaient purement vertueuse. Je ne la prenais pas de haut. Je passais ma vie à me remettre en question de toute façon, ça n’aurait pas été crédible. Pas venant de moi. Et juste avant que je ne lui laisse entendre le doute qui pesait dans mon esprit, elle me rappela que nous n’étions pas amies. Je le savais. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle le soit, et pourtant, j’avais eu mal. Comme si une fine aiguille avait pénétré mon échine et que mon corps s’en était retrouvé paralysé. Ce fut pire lorsque je ne me sentis pas la force de prévenir Dauphine du nouveau souffle de flamme qui allait l’envelopper.

« Madame la Dauphine ! » Ma voix s’étrangla dans l’arène. Un cri à en glacer le sang fit écho contre les murs de l’imposante pièce. « Vous aussi ! » Je n’eus pas le courage d’en dire plus avant de commencer à paniquer, à me remettre à ces émotions et à me dérober à la dimension réelle. L’avais-je perdue ? Avais-je réagi trop tard ? Lise avait-elle gagné cette guerre de mots ? La chaleur du feu caressa jusqu’à ma peau et je m’agenouillai pour caresser le sol qui se tempérait… lui qui devait être si froid normalement. Je ne quittai pourtant pas le terrain des yeux, avec l’espoir qu’elle se tiendrait toujours debout.

La fumée se dissipa lentement et je l’avais derrière cette armure à laquelle elle avait pu recourir. Je souris. Je jubilai de joie. Parce qu’elle ne m’avait pas fait faux bond. « Dauphine. Merci ! Impressionnez-la maintenant ! » Mon Pokémon se recroqueville sur elle-même et d’elles sortent une multitude d’épines suivi d’une traînée liquide. Elle se redresse, voilà qu’une énorme épine s’envole vers le Banshitrouye avant que Cacturne ne saute pour atterrir au moment du toucher sur la tête de la courge. Et je souris. Espérant que cette attaque soit suffisante pour que la courge tombe. Espérant que ce soit la dernière de ce vis-à-vis. Espérant retrouver cet Exagide ou découvrir le dernier Pokémon que cachait la championne.

« Vraiment, je réitère. L’objectif n’était pas de vous vexer. Seulement, il y a des faits pour lesquels je m’en veux ce jour-là… et j’espérais pouvoir m’excuser, mais je me rend compte que peu importe les motifs, peu importe la discussion que nous aurions, vous n’accepteriez jamais une excuse de ma part. » Parce qu’elle était au-dessus de ça. Parce qu’elle ne voulait pas de ma pitié. Elle voulait une raison de m’en vouloir et de me détester et je lui avais servi ce prétexte sur un plateau d’argent.

Il y avait eu dans mes mots de sincères compliments. Il y avait eu de sincères excuses. Elle les avait balayés de la main en croyant que je jouais la carte de la victime. Soit. Il faut croire que nous en étions à une phase hostile de notre relation. C’était peine perdue. Nous étions toutes les deux des murs l’une pour l’autre. Elle ne me comprenait pas, je ne la comprenais pas. Je devais accepter ce fait. J’aurais espéré, au moins, tamiser notre mésentente, j’aurais aimé, au moins, laisser s’éteindre une flamme de colère entre elle et moi. J’aurais voulu qu’elle accepte au moins que son point de vue, comme le mien avait de la valeur. « Si c’est ce que vous voulez croire. » S’évanouit dans ces mots un bref sanglot. S’évanouit dans ces mots mon espoir que nous puissions toutes les deux représenter notre profession sans constamment éblouir les autres d’une dispute interminable. Tant pis. J’avais échoué. J’avais espéré, j’avais prié. Je ne l’avais pas fait assez fort. Je m’étais encore déçue, je n’en avais pas fait assez une nouvelle fois et je sombrais lentement à ce funeste constat que je tentais de repousser. C’était coulé dans le béton. Il n’y avait aucune fraternité entre nous deux. Je l’avais tuée. J’avais étranglé de mes mains l’entièreté de nos sentiments positifs jusqu’à ce qu’ils suffoquent et s’éteignent dans un souffle glacial qui caractérisait notre relation.

Froide. Glaciale. Malsaine.

Je serrai la main contre la poitrine et regardai le terrain. Sous l’impact de la feinte, Banshitrouye était tombée. Je souris. Il y avait au moins ça qui allait comme je le voulais. Il y avait au moins ça qui se déroulait bien. Il y avait au moins ça qui fonctionnait. « Ma chère, vous connaissez la suite. Attendez un peu. » Cacturne se dandina jusqu’au centre de l’arène et se prépara à accueillir la suite du combat. Elle vint vite. Très vite. Je n’eus même pas le temps de réagir que fusait des coulisses un Lanssorien qui s’abattit sur Dauphine. Il avait forcément subi les dégâts de picots et son repli m’annonça qu’il les subirait à nouveau. Tant mieux. Ça écourterait les choses. L’envie de quitter cette salle se faisait de plus en plus forte. J’aurais aimé que ce soit en raison de son humidité, mais c’est plutôt parce que j’étouffais les larmes de mon échec. « Ma Dauphine, préparez-vous ! C’est maintenant l’heure de préparer la succession. » Elle hocha la tête et aussitôt, un lasso violacé se forma autour de son cou, un lasso qu’elle projeta sur l’Exagide fraîchement arrivé.

Mais il n'eut pas le temps d'atteindre sa cible. Elle poussa un cri de guerre et je fermai les yeux. Je savais qu’elle chuterait. Elle le savait aussi. Elle était prête à cette réalité. « Vous avez été fantastique. » sanglotai-je d’une voix étranglée que je tentais de garder normale. Je ne voulais pas être ce bébé pleurnicheur qui s’en voulait de voir tomber ses Pokémons dans un combat. Je ne voulais pas être celle que Lise avait décrite. Je ne voulais pas être cette personne que tout le monde jugerait. Pas ici. Pas devant elle. « Resserrez ! » Trop tard. Un bruit sourd et funeste retentit, son corps venait de claquer contre le sol. L'Exagide avait été trop rapide. Je pointai ma Pokéball vers elle et la rappelai. Elle avait fabuleusement combattu. J’embrassai la balle et la rangeai. C’est ce que nous avions voulu. C'est ce que nous avions planifié... mais ça avait échoué. Avant qu'elle ne puisse resserrer l'étreinte du lien du destin, elle tomba.

En ayant vu son dernier Pokémon, j'avais maintenant un avantage stratégique. Je pouvais planifier du plus haut de ma connaissance la suite du combat. Je dessinais, mentalement, le schéma pour la suite. L'un cas comme l'autre aurait du mal contre cet Exagide. Je maudissais le type Acier qui compliquait toute ma stratégie. Je choisis pourtant. « Ma douce Pervane, il est l’heure d’apposer la sentence. » De la silhouette rouge se libéra ma Pomdrapi. La pomme agitée poussa un rugissement sourd. Elle était prête. « Je n’ajouterai qu’une chose madame Lise. Vous n’avez pas totalement tort. » Mais moi non plus. Moi non plus je n’avais pas complètement tort. Ma philosophie se valait autant que la sienne, mais je ne le dis pas. Par ces mots, j’espérais la flatter. Par ces mots j’espérais attirer un peu de sa clémence. « Préparez-vous au pire » Ma voix tua le drame précédent qui avait caractérisé mon timbre. Il ne restait plus qu’une détermination. Il ne restait plus que l'espoir de voir tomber ce Pokémon rapidement. Je savais à quel il pouvait être un redoutable.

J’étais si près du but.

D'un hurlement qui fit vibrer la terre, Pervane voltigea lentement en tournant sur elle même avant qu'un mur de fer ne s'élève entre elle et l'Exagide. Un mur qui lui servirait au moins à encaisser les attaques un peu mieux, à défaut de pouvoir les bloquer. « Bien, maintenant, il faudrait tenter de l'effrayer, vous pouvez le faire ? » Un petit cri, comme d'habitude et elle s'éleva légèrement pour fuser sur son adversaire à une allure folle avant de se cacher à nouveau derrière le rempart qu'elle venait de construire.

Malgré les picots, malgré l’offensive de Pomdrapi, l’Exagide ne semblait même pas faiblir. Comme s’il n’avait subi aucune blessure, comme s’il était impossible pour lui de souffrir. Il n’avait pas peur. Évidemment puisqu’il avait un avantage très net. Évidemment puisqu’il était plus puissant. Il aurait été irréaliste qu’il me craigne, qu’il craigne l’aspect adorable de mon Pokémon. Je le voyais fondre sur ma Pomdrapi et je me sentais impuissante. Je ne dominerais probablement pas ce duel. Pourtant je voulais. Je voulais tellement assoir une réputation par ce combat, je voulais tellement prouver au monde ce que je valais. Dès l’instant où la charge aérienne happa mon Pokémon, je poussai un cri d’effroi. Il faudrait que je prenne des mesures de sécurité plus appliquée pour couvrir cette pauvre Pervane. « La différence, toutefois, entre vous et ces autres gens qui pourraient ne pas m’apprécier, c’est qu’ils me connaissent probablement mieux. » marmnnai-je entre mes dents pour qu’elle ne m’entende pas, étouffant mon cri avec l’espoir que les caméras captent ces mots, mais pas elle. Parce que je ne voulais pas qu’elle vocifère à nouveau de son humeur amère. J’avais bien compris qu’il répliquerait toujours de manière à rejeter la faute sur les autres, que son unique jugement comptait et cette confrontation que nous avions me déconcentrait plus qu’elle ne m’aidait. Même si j’aurais quitté cette arène, pas avec une amie de plus, mais avec un soutien supplémentaire pour mon ascension, un respect mutuel.

Ça n’arriverait pas.

Trop braquée, trop à cheval sur ses opinions, je ne gagnerais pas. Je finirais par flancher, m’excuser, dire que tout était ma faute, m’en vouloir et retourner dans les bras de l’homme que j’aimais pour qu’il me réconforte de ses mots les plus. « Pervane ! Faites pression. » Un petit rugissement se fit entendre et elle projeta de petites graines sur l’Exagide. Des graines qui tourneraient en semis dès qu’ils entreraient en contact avec le Pokémon ou le sol. D’une manière ou d’une autre, elles resteraient là jusqu’à ce que j’achève un Pokémon… peu importe lequel. « Et si vous pouviez prendre vos distances et trouvez une couverture, cet adversaire est trop fort ma douce Pervane. » Elle aurait aimé pouvoir refuser, je le savais. Elle aurait aimé pouvoir se dérober à mes ordres et foncer tête première, parce qu’elle était comme ça : une tête brûlée qui obéissait à ses propres convictions, mais elle n’était pas, pour autant, une idiote sans nom.

Son battement d’ailes s’affranchit et elle s’éleva lentement vers le plafond de l’arène, hurlant sa frustration, pestant de toute son impertinence en décrivant des cercles loin au-dessus de la tête de son adversaire. Prête à foncer sur lui à la première ouverture que je lui signalerais. Et je ne manquerais pas de le signaler. Parce que je voulais gagner ces duels. Parce que je voulais l’emporter. Pour mes projets, pour ma propre estime personnelle, pour prouver que j’avais une certaine valeur à Lise… même si elle ne l’avouerait probablement jamais… et que je ne parviendrais jamais à le lui faire avouer. « Et si l’on changeait de sujet, ça nous ferait du bien… même si… Non, laissez… Madame Lise. Pourquoi avez-vous choisi de devenir championne ? » Si la personne me refroidissait, ses volontés m’intéressaient, parce qu’elles pouvaient m’aider à comprendre les rouages de la gestion d’une arène… et, au moins, je faisais un effort pour m’intéresser à elle.

« Oui.   » La réponse avait été instinctive. Normalement je doutais, je me laissais dominer par mes incertitudes. Pas cette fois. Pas devant elle. J’étais certaine maintenant. C’est pour ça que je faisais ces arènes, pour vaincre Hayato. Pour prendre sa place. Et j’y arriverais. Je n’avais pas les mêmes motifs qu’elle, je n’arrivais même à répondre à cette question qui tournait en boucle dans ma tête. Les arènes étaient-elles simplement une façade ? Quelque chose qui lui permettait de s’élever ou y avait-il plus noble derrière ? Inspirer les autres femmes, peut-être. Ça avait probablement réussi, d’ailleurs. Si même moi j’avais eu écho de cette image puissante qu’elle imposait, alors le mot devait s’être bien passer. « Mais je veux juste aider. Je ne veux pas forcément être reconnue. Je veux simplement pouvoir aider ces personnes qui se jettent à la poursuite des badges et qui n’en comprennent pas les rudiments.   » rétorquais-je aussi droite qu’elle l’avait elle-même été, la prestance en moi. Le peu d’assurance que j’avais eu pour répondre par l’affirmative s’était déjà dissipé. Comme d’habitude. Pourtant, on disait que les champions devaient dégager de l’assurance… peut-être pas autant que Lise, mais tout de même un peu. Je n’en avais pas une once. J’étais la parfaite opposante que l’on pouvait victimiser sans qu’elle ne puisse réellement rétorquer.

« Allez-y chère Pervane. Faites tomber les cieux.   » dis-je plus ou moins concentrée, sans voir qu’à l’horizon, il n’y avait que le bouclier de l’Exagide pour l’accueillir. Elle s’était couverte. C’était le risque à courir avec ce genre d’attaques, se faire annuler l’attaque pour pas grand-chose. Elle l’avait au moins protégé, ça lui avait au moins permis d’être là un peu plus longtemps. « Tentez de le restreindre ensuite !   » criai-je avec l’espoir infini que ça fonctionne.

Sans garantie.

Pervane commença à arpenter les cieux en décrivant un immense huit et plongea vers le Pokémon adverse, trouvant, dans le bouclier, un mur qui l’arrêta nette avec qu’elle n’hurle qu’un souffle bleu ne se forme en cercle autour de l’Exagide, prêt à se refermer, prêt à affirmer son emprise sur le Pokémon adverse. Je souris, espérant que cette stratégie fonctionne, car je serais vite à cours.  

Je levai les yeux vers mon adversaire, toujours debout, imposante, splendide… et je souris à nouveau. Comme si, soudainement, elle était devenue une amie. Comme si soudainement, j’oubliais toute notre dispute qui avait eu cours plus tôt. Ce n’était pas le cas. J’étais simplement stimulée, inspirée. « Et quelle est la suite ? Y a-t-il un « Après la vie de championne spectre » ?   » demandais-je curieuse. Incertaine de ce que je cherchais avec cette question. Cherchais-je la connaître ou à savoir ce que pourrait être mon rêve une fois que je serais à sa place dans ma propre arène.

Je n’avais pas la réponse. J’espérais qu’elle me la livre. Est-ce que tous les champions rêvaient de la ligue ?

J’imagine que l’humanité et la bienveillance des uns peut se gagner à force de tenter de percer une même carapace. J’imagine qu’il vient un moment où la haine cesse de parler lorsque l’on réalise qu’il n’y a d’autres choix que de subir cette personne que l’on préfèrerait ne pas voir. Elle devait avoir traversé cet instant de déni où elle aurait préféré me voir quitté sans que ce combat n’ait lieu. Elle passait enfin à autre chose et faisait preuve de l’ouverture que j’aurais aimé qu’elle démontre avant. Même si je ne parvenais pas à avoir pleinement confiance en le moindre de ses propos. Elle jouait pour les caméras. Ça se voyait. Tout était calculé, jusqu’à l’inclinaison de son menton. Elle voulait bien paraître. Là où moi, je voulais être plus que paraître. Je voulais me présenter comme j’étais, pas sous une couche de mensonge que je me faisais à moi-même avec l’espoir qu’on les gobe. Je n’avais pas l’assurance pour les maintenir de toute façon. Je n’étais pas de cette étoffe. Je n’étais pas comme elle. Je pouvais l’admirer pour ça… ou la mépriser, ça ne changeait pas grand-chose. Ni pour elle ni pour moi. Elle serait toujours l’inaccessible étoile qui échapperait éternellement à ma compréhension.  

La rêverie cessa dès l’instant où l’Exagide se décide à contrecarrer. Mon cœur s’arrêta de battre quand je vis sa lame se colorer d’une aura bleutée. J’ignorais si j’avais le cœur trop sensible ou si c’était l’affection envers mon Pokémon qui me prenait ainsi de douleur. Mais lorsque la lame toucha Pervane, je crispai le visage, parce que je ne voulais pas voir la suite. Je ne voulais pas la voir pleurer sa douleur. Je ne voulais pas la voir grimacer, parce que je n’avais jamais voulu envoyer mes Pokémons à l’abattoir en venant ici. Pas plus que je ne voulais que ce soit le cas dans le futur. Pas plus que je ne voulais voir un enfant se blesser quand je marchais dans la rue. Je retins le cri crispant qui caressa mes lèvres. Je retins l’impulsion sauvage de me ruer vers mon Pokémon et me concentrai plutôt sur Lise, sur sa voix, sur sa question. Elle était la seule chose qui pouvait passer au-delà de la barrière que j’avais élevée en fermant les paupières. Elle était la seule à pouvoir m’extirper de cet effroi qui me grafignait la poitrine. « Mes parents. Je leur ai promis que je pourrais percer comme coordinatrice sans eux. C’est la seule chose qui n’aie jamais guidé mes pas. » Ma voix, à son tour, me faisait mal, je peinais à bouger le moindre muscle. Mon corps, en entier, trahissait la douleur qui me traversait de voir mon Pokémon souffrir.

Et le second cri survint

Déchirant jusqu’à la dernière parcelle de calme qu’il me restait. Il n’avait plus qu’une lourdeur anxieuse dans mon corps. Une lourdeur qui m’implorait de me résigner. Je ne pouvais pas. Je ne voulais pas. Pas alors que j’avais eu une vague impression de dominer pendant le premier affrontement. Cet Exagide gâchait tout. Son potentiel offensif était trop élevé et chacune des attaques du répertoire de ma Pomdrapi le laissait indifférent.

J’ouvris enfin les yeux pour découvrir mon Pokémon haletant, épuisé, faible… mais toujours debout. La prochaine fois, c’était la fin. Je le savais. Elle aussi. « J’ai déjà atteint mon premier objectif... Un homme m’a dit un jour que j’avais plus d’impact que je ne croyais en avoir… et je commence à le croire. Si je peux aider quiconque à devenir un grand dresseur, alors ça me conviendra. Je n’en suis pas une, je n’en serai probablement jamais une. Ma chère Pervane, faites tout ce que vous pouvez pour faciliter le travail de notre Altesse. C’est son tour. » Elle s’envola, se dissimula dans les ombres, pour ressurgir derrière l’Exagide. C’était sa dernière offensive contre lui. Une nouvelle tentative pour l’apeurer. Et au moins où son cri m’arracha une surprise. Je souris, la rappelant à sa balle. Elle avait fini pour l’instant.

J’attrapai la balle de ma Fragilady dans mon sac et la propulsai sur le jeu. « Ma chère Altesse. C’est votre tour. Montrez-lui. » Elle trépigna de colère avant de regarder son adversaire. Je la savais en colère. Comme à chaque fois où elle sortait de sa balle, ce foyer qu’elle méprisait tant.

J’aurais eu beau hurler à plein poumon pour qu’Altesse échappe à ces deux attaques que ça n’aurait rien changé. Lise avait joué l’assurance, elle cherchait à me terrasser de la pire des façons, avec cruauté et dédain. On disait que certains champions laissaient parfois davantage de chance à leurs challengers, pas elle. Elle mettait tout ce qu’elle avait pour me vaincre et je sentais le contrôle m’échapper tranquillement. Si j’avais un plan, il pouvait échouer n’importe quand. Son Exagide était bien plus résistant que je n’aurais pu l’imaginer. Un dédain gagna mon visage quand, dans sa folie, ma Fragilady se laissa gagner par l’attrait de l’Exagide. Il fallait que ça arrive, évidemment, il faudrait que je cherche les inepties nuptiales de deux Pokémons qui se connaissaient à peine. « Votre Altesse. Je ne peux qu’imaginer la passion qui vous gagne. Mais cette baffe qu’il vient de vous tendre témoigne que votre passion est à sens unique, par pitié, j’ai besoin de vous sur ce coup. Il faut déployer toute votre force pour le faire tomber. Nous pleurerons son trépas ensemble plus tard. Mais maintenant, profitez de sa position pour que la verdure des prés l’envahisse. » Impuissante, je croisais les doigts pour que mon Pokémon m’écoute. Impuissante, je croisais les doigts pour que cet Exagide tombe, pour qu’il ne reste plus que Lanssorien entre ce badge et moi.

Et Arceus dut entendre mes prières. Une myriade de feuilles s’envola d’Altesse pour foncer avec vélocité vers l’Exagide. De toutes les attaques qu’elle connaissait, celle-ci était de loin la plus puissante, la botte secrète qui me permettait d’encore prétendre à la victoire. « Merci ma chère. Prenez soin de vous avant la suite. Ça fera du bien. » Mais ça, elle s’y refusa. Pour ça, elle jugea que son amour était trop grand. Je soupirai alors qu’elle s’affairait à récolter des feuilles qu’elle avait laissé tomber pour offrir un bouquet à son bien-aimé. Je résorbai la tension qui tendait à m’emporter. Je résorbai mes poings qui se serraient. Je résorbai mon amertume vis-à-vis de Lise.

« Stupide stratégie. » soufflais-je simplement pour que personne ne l’entende. Un sifflement qui me froissa, malgré tout, en entier. J’avais juré. J’avais insulté. La détestais-je à ce point ? Étais-je suffisamment furieuse pour me sentir de jurer au milieu d’un affrontement ? Oui. La réponse à ces questions était oui. Je devenais injurieuse, comme elle. Je remuai les bras et portai mes mains, moites, à ma taille. « Je refuse d’être comme vous. » pestai-je. Pour elle, ces mots seraient vides de sens, ou elle en profiterait pour flatter son égo et me baver de défauts qu’elle avait pu observer. Je trépignai sur place, tentant de contenir le maelstrom d’émotions et d’inhibitions qui, lentement, triomphait dans sa croisade.

Pour une fois, j’avais le sang chaud. Chaud bouillant.

J’aurais pu en être insultée. J’aurais pu m’insurger devant ce changement soudain d’adversaire. Et pourtant. Pourtant, j’étais satisfaite, heureuse de ne plus avoir à subir l’humilité inexistante de Lise et ses sourires narquois. Peut-être me souviendrais-je positivement de cette arène, peut-être oublierais-je cette conversation froide et pleine de rancœur que nous avions eue. Peut-être que je ne me souviendrais que d’Esil, que j’oublierais la peste qui servait d’égérie à l’arène spectre. Et d’une manière je l’espérais. De la même manière que j’espérais oublier cet Exagide qui m’avait menée la vie dure et mise en bien mauvaise posture. Sa chute était glorieuse. Pour moi. Un soulagement aussi grand que celui de voir que Lise ne reviendrait pas. Pas aujourd’hui. L’inquiétude sur mon visage s’en était allé. Elle était l’ombre qui m’empêchait de sourire et qui ternissait l’imposant château qui lui servait d’arène.

Esil n’eut qu’à se présenter que déjà, j’avais commencé à agiter les hanches, comme si j’avais dansé, comme lors de ce combat avec Izaiah jadis. J’étais à ce point joyeuse. Était-ce mon, ô combien mérité, triomphe sur l’Exagide ou le départ de ma prédécesseur au titre de Miss Lumiris ? Qui sait. Même moi je n’avais pas la réponse exacte. C’était un tout. Deux valeurs indissociables qui m’avaient rendue ainsi heureuse. « Enchantée madame Esil. Vous êtes une jolie fraîcheur dans ce combat. J’apprécie. J’espère que vous êtes plus aimable… » chantonnais-je, guillerette. Il y avait toujours, avec moi, cette franchise, ce besoin ardent de laisser sortir de ma bouche toute chose qui se manifestait dans ma tête. Surtout lorsque je me retenais depuis un moment. Et Arceus était témoin de combien je m’étais retenue pour ne pas insulter Lise. Pas devant elle. Maintenant qu’elle avait quitté, même si les caméras répéteraient ces mots à l’infini, je n’avais pu me retenir. Je la détestais. « Vous feriez quoi si j’étais prise en otage, lame sous la gorge, et que vous étiez la seule à pouvoir m’aider. » ajoutais-je sans l’ombre d’une censure, un doigt d’honneur directement à l’endroit de sa patronne. Un doigt d’honneur qui me fit rire. Tout ça, cette rivalité, n’était visiblement qu’un jeu pour moi. Les sentiments étaient vrais. Les prétextes de ma colère et de ma haine étaient bien réelles. Mais la superficialité de Lise, son manque d’humilité, son égoïsme ne faisaient que m’amuser avec le recul, aussi court soit-il.

Lanssorien de retour, je souris. Mes plans se mettaient en place. Le manque d’offensives m’allait. Il me permettait de toucher du bout des doigts le peu de repos dont j’avais besoin. Il me permettait de profiter du moment, de saisir l’opportunité. Les flammes multicolores entourèrent Altesse et je souris. Comme si c’eût été prévu. Ça ne l’était pas. « Votre Altesse, ne vous laissez pas faire. Parfumez la pièce et concentrez-vous sur les offensives physique, je vous en prie. » dis-je avec hâte à ma Liligant. Il était hors de question que cette noble fleur se laisse vaincre par un feu-follet qui la consumerait lentement, mais sûrement. Hors de question qu’elle vive avec cette sensation de brûlure dans le corps. De ses pistils se libéra un nuage opaque rosée qui l’enveloppa. Cette douleur qu’elle manifestait physiquement disparut. Son dos se décambra et mon sourire devint plus grand lorsque du cœur de sa couronne, de la fleur sur sa tête, elle expulsa des graines brunâtres de fort diamètre. « Bien joué ! » renchéris-je devant son effort.

Sa réponse convenait. Plus que la réalité. Moi non plus je n’aurais jamais abandonné quelqu’un. Moi aussi j’aurais trouvé une façon d’agir. Je n’aurais peut-être pas stérilisé le ravisseur, je n’avais pas ce culot, mais j’aurais agi. J’aurais agi comme j’ai agi. Coûte que coûte. Et cette Esil semblait avoir cette même conscience que j’avais… bien qu’elle fût plus barbare dans sa façon de l’exprimer. « Merci. Par contre, il faudrait soigner votre agressivité. C’est de côtoyer Madame Lise qui vous rend aussi tendue et vulgaire ? Si vous voulez, chez moi, c’est plus calme. Je peux vous offrir une pension et vous rémunérer comme le fait Madame Lise quand j’aurai mon arène. J’ai les moyens. » Si tout Lumiris n’était pas déjà au courant, c’était maintenant chose faite. Demain, je ferais la une des journées à potin. Lyanora Caelum. Lise Gray. Deux divas, une haine réciproque. Miss Lumiris s’approprie l’assistante de la championne Spectre. Caelum, une fleur au venin spectral. Ces grands titres qui défilaient dans ma tête ne m’effrayaient pas. « Enfin… si vous en avez envie. Il faut dire que j’ai peu de confiance en votre employeur. Sur la croisière Ariba, c’est exactement ce qui s’est passé. J’étais retenue captive, menacée. Elle n’a que discuter avec ma ravisseuse, elle a exposé ma célébrité et mon utilité plutôt que d’agir. Et je lui en veux. Cette image de femme forte qu’elle montre partout. C’est sensationnel, c’est pour faire semblant, pour s’octroyer de l’importance. Ce que j’ai vu ce jour-là m’en a convaincue. Je me suis sortie de là seule. Au mieux, madame Lise m’a insultée. J’ai bien du mal à la voir en portrait depuis. »

Et voilà.

Le silence froid qui avait enveloppé la salle ensuite m’avait laissée un frisson sur la peau en souvenir. Si certains avaient eu des doutes sur ma haine, il n’y avait plus de place pour le doute. C’était certain. Les Miss Lumiris d’hier et d’aujourd’hui se détestaient. Mutuellement. Avec une puissance que je ne me serais pas soupçonné moi-même. « Altesse ! » sifflais-je fortement quand Dragapult la chargea, brisant le silence court, mais lourd de sens. Lumiris tout entier était accroché à nos lèvres, tant d’Esil, plutôt méconnue, que des miennes. « Vous tiendrez le coup ? » Elle montrait des signes évidents de fatigue, ça l’avait ébranlée, ça lui avait fait mal. Terriblement mal. Son faible hochement de tête ne suffit pas à me convaincre. « Bien, tentez de vous soigner, sinon nous renverrons Pervane, vous savez quoi faire. » Elle resta debout, pétrifiée. Je me mortifiai. Je l’observai encore un instant. Elle ne bougea pas. « Merci votre Altesse, on renvoie Pervane, revenez. » Son regard se ternit, comme si elle avait eu l’impression de me décevoir. Son corps se raidit un brin et se tinta d’une lumière violacée. Elle brillait, elle éblouissait, comme lorsqu’elle avait évolué. Je lui souris. « Ne vous en faites pas, je suis fière de vous. »

La lumière s’envola vers les plafonds vétustes de l’arène et elle tomba, perdant son éclat. Je la rappelai à sa Pokéball, et fit sortir ma Flapple. « Ma chère, c’est maintenant l’heure de leur en remettre plein la vue ! C’est votre spectacle, remerciez Altesse. » La lueur violette redescendit et enveloppa Pervane. Ses maux et sa fatigue n’existaient plus. Et elle le fit bien comprendre en commençant à s’agiter autour de la zone de combat en volant aussi adroitement que son corps le lui permettait.