━  Je ne suis pas convaincu.

Le sourcil haussé, l'homme me dévisage derrière ses lunettes aux verres légèrement teintés. Bien qu'un peu plus petit que moi, il me semble être au moins deux fois plus large. En reniflant une unique fois, il écrase son mégot dans le cendrier prévu à cet effet tandis qu'il entame pour la troisième fois la lecture des informations contenues dans le dossier qu'affiche l'écran son ordinateur. Je ne suis pas sûr qu'il ait le droit de fumer dans son bureau. Bien qu'il connaisse désormais les quelques lignes me concernant presque par coeur, il ne semble toujours pas y croire.

Le climat méditerranéen de la région me rappelle celui de chez moi, surtout en plein été, mais je fais partie de ces personnes qui supportent mal les températures élevées. Il faut chaud dans le bureau et le silence qui s'installe n'est troublé que par le vrombissement du ventilateur posé sur le bord d'un meuble installé dans le coin de la pièce. Je ne profite évidemment pas de son souffle, dirigé sur le bonhomme qui me fait face, je préfère donc passer le temps en observant ce qui m'entoure.

Deux pokéballs traînent sur une étagère non loin ; je refrène violemment l'envie de me jeter sur l'une d'elle afin d'en libérer l'habitant pour me défaire de cette situation qui semble tourner un peu plus en ma défaveur à chaque minute qui passe. Un peu de bon sens me rappelle que l'idée est mauvaise et m'en dissuade rapidement. Je ne suis après tout pas un criminel, malgré ma situation aujourd'hui.

Bien que le temps soit ensoleillé au possible, le bureau dans lequel nous nous trouvons est très mal éclairé, notamment à cause d'une exposition plein nord et des stores qui couvrent la majeure partie de la surface des deux petites fenêtres. Même en plein jour, le plafonnier et une lampe de bureau sont allumées, voilà qui me semble égoïste et fort peu économe.

━  La région de Fiore n’entretenait jusqu'ici que très peu de relations avec notre partie du monde... au point que je n'ai d'ailleurs encore jamais connu ou entendu parler de l'un de ses ressortissant à Lumiris. Et je suis censé croire qu'ils ont subitement décidé d'envoyer un jeune tel que vous, au CV plus rempli que quelqu'un de deux fois plus vieux... et seul en plus ?! J'ai du mal à y croire. Ces informations sont pourtant bel et bien officielles, j'ai vérifié deux fois déjà…

Je réprime difficilement la formation d'un rictus en coin. Le CV joint au communiqué est évidemment en partie faux, notamment deux-trois petits points : je n'ai jamais participé aux opérations du Pôle -je n'ai même pas envie de citer leur nom ridicule- de Cathy mais cette dernière pensait que l'affirmer donnerait plus de poids à ma présence ici. Elle n'avait peut-être pas tort, un peu de crédibilité ne me ferait pas de mal pour entrer sans encombre ; mais trop en rajouter pourrait au final me nuire.

L'homme en face de moi soupire finalement en tendant déjà une main vers son briquet et son paquet après s'être frotté l'arrête du nez de deux doigts. Je ne suis plus sûr de savoir s'il s'agit d'un douanier ou s'il travaille pour l'immigration, peut-être un peu des deux. Il me toise de nouveau, prêt à rendre son jugement me concernant, sans même que je sache avec certitude si son avis compte vraiment pour quelque chose concernant mon avenir. Je crains de devoir déjà repartir aussi vite que je suis arrivé. Ce qui m'emmerderait honnêtement pas mal puisque le voyage n'est pas le plus court qui soit et que je suis tout simplement censé être à Lumiris pour pouvoir bosser.

━ Bon. Qui que vous soyez et quelle que soit votre affiliation, Lumiris est indépendante et a des lois. Vous devrez vous y plier quoi qu'il arrive, c'est bien compris ?

Je soupire mentalement, de soulagement : je m'étais préparé à m'éclipser de cette situation d'un pas de côté. Fort heureusement, il ne manifeste aucune intention de me renvoyer d'où je viens, ni même de se montrer agressif ou réellement intimidant. Je me contente d'acquiescer en silence à sa question. Le mutisme de ma réponse n'est perturbé que par le claquement du zippo qu'il referme après s'être allumé sa troisième clope depuis le début de notre entretien. Je ne compte évidemment pas enfreindre la moindre loi à Lumiris. Pas tout de suite du moins ! Cela ferait tâche et risquerait d'abréger significativement mon séjour dans le coin.

━ Pour ce qui est de votre... "métier", Lumiris a son propre fonctionnement et vous ne pourrez pas vous présenter à la population comme bon vous semble. Pas d'insigne ou d'usurpation de fonction, ou on le saura vite. Si vous souhaitez être policier ou que sais-je sur notre territoire, il vous faudra passer par le chemin conventionnel, comme tout le monde. Et qu'on ne vous prenne pas à fouiner partout ou à votre foutre dans les pattes des autorités, ça pourrait mal se terminer pour vous.

Je grince légèrement des dents, mais il ne me regarde déjà plus. Comme si j'étais du genre à me mettre dans le pétrin… ce n'est pas parce que les forces de police internarional ont décidé d'un partenariat avec les rangers de Fiore et qu'ils m'ont désigne volontaire pour m'expédier à Lumiris pour y avoir une paire d'yeux supplémentaires que je vais poser ces jolis mirettes sur n'importe quoi. L'homme jette une nouvelle fois un oeil à l'écran de son ordinateur et aux informations que celui-ci affiche. Il relit rapidement mon parcours, comme pour se rafraîchir la mémoire, marmonnant certains passages à voix basse.

Une vie somme toute banale, comme beaucoup d'autres ont pu en vivre à Fiore, né d'un père venant de Galar et d'une mère originaire de Sinnoh qui ont décidé de s'installer dans une région un peu plus reculée avant la naissance de leur fils unique. La banalité, donc, jusqu'à ce que je m'engage, comme beaucoup des jeunes gens de la région, à l'école des rangers, qui a pour but de former les futurs garants et gardiens de la région, de sa faune et de sa flore.

Après deux années de formation intensive - aussi bien sur les Pokémon de leur anatomie et habitudes à leurs comportements sociaux en passant par les diverses façons de prendre soin d'eux en cas de besoin, mais aussi sur la nature qui nous entourait et le respect et la protection que nous lui devons - j'ai enfin pu, à mes 18 ans, devenir un ranger de Fiore, l'une des professions les plus intéressantes et valorisantes à mes yeux.

Je ne l'ai cependant exercée que deux années durant, jusqu'à ce que je me fasse recruter afin de rejoindre les rangs de l'organisation pour laquelle travaille l'agent 836, Dino Blasé, alors que je grimpais encore les échelons. Ça n'a pas l'air comme ça, mais c'est un grand inspecteur de renom, et respecté en plus. Il a même eu sa propre agence à un moment. Pouvoir le côtoyer, même simplement en tant que formateur de temps à autres, était quelque chose que les quelques autres jeunes de ma promotion et moi considérions comme un honneur.

Bref, une fois sortis de l'académie, il fallait bien assigner toutes ces recrues à un poste. Cela se fait habituellement en fonction des compétences et affinités : ceux qui sont jugés débrouillards, un peu fouineurs et capables de d'évoluer avec une relative autonomie - ça veut dire seuls avec un ordre tous les trente-six du mois et bonne chance - pour juste surveiller un coin du monde en mettant leur nez un peu partout sont envoyés dans l'une ou l'autre des régions du globe. C'est donc devenu mon rôle à Lumiris, que j'entends remplir au mieux, même je ne sais pas encore comment on fait pour être partout à la fois ni même si d'autres agents ont été dépêchés dans la région. La communication n'est pas toujours le fort de l'agence. Heureusement qu'il est possible de juste vivre ma vie tranquillement en faisant un rapport de temps en temps s'il se passe un truc un minimum étrange. C'est vraiment pas un boulot compliqué en somme, je pourrais même essayer d'en trouver un officiel à côté.

Alors que je me perds légèrement dans mes pensées, l'homme assis en face de moi se redresse finalement, signe que l'entretien est terminé et qu'il va enfin le laisser filer. Il attrape mon unique pokéball, qui trônait sur son bureau, et me la tend pour enfin me la rendre. Encore un détail qui me complique la vie, ça aussi, d'ailleurs. Je n'ai évidemment pas eu le droit d'emmener l'équipe que j'ai commencé à former à l'académie avec moi, pour des raisons évidentes. Par chance, j'ai tout de même eu le droit d'emporter le Solochi de ma famille ne pas me retrouver seul. Elle n'est pas encore aussi puissante que ce à quoi j'avais pu m'habituer mais elle a du potentiel, elle fera une excellente partenaire, j'en suis convaincu. De plus, je pense qu'emmener en voyage un pokémon à la personnalité comme celle d'Hadès ne peut que nous être bénéfique à tous deux.

Mais suffisamment parlé du passé. Il est maintenant temps que je me soucie de mon avenir et surtout de mon futur immédiat. J'ai en effet accès à quelques fonds mis à ma disposition pour survivre quelques temps, mais il ne s'agit pas d'une fortune, bien au contraire. Avant de vouloir commencer à fouiner et fureter à droite à gauche, il va me falloir trouver un moyen de subvenir moi-même à mes besoins et ceux de mon pokémon. Heureusement qu'il suffit de traverser la rue pour trouver du travail.

En ressortant du bâtiment relativement sombre, je protège mes yeux éblouis du soleil en montant ma main devant mon visage. Ainsi, je regarde la rue qui se présente à moi, porte d'entrée de la ville dont je distingue déjà de nombreux bâtiment. Je n'ai pas la moindre idée de ce que je vais trouver ici, ni même de si je suis censé chercher quelque chose, mais l'aventure promet d'être inattendue. Et puis au pire je serai juste flic et ça ira très bien. C'est quelque chose que je suis tout de même après tout censé savoir à peu près faire, ayant reçu une formation à ce sujet plus poussé que la plupart des policiers.

Allez c'est parti : je me mets en marche pour descendre la rue ; débutant ainsi ma nouvelle vie à Lumiris.