« Parce que tu crois que c’est bien rangé là ? » Avait dit Henry avant de prendre un panier, de tout remettre dedans d’un grand coup de bras et de le coller dans les bras d’Edenael. Le choc entre le sternum du jeune homme et du panier lui fit perdre l’équilibre vers l’arrière. Il manqua de trébucher, ce qui arracha un petit rire sourd à son père. Ce dernier lui tourna le dos et s’en alla dans le back-office.

« Mais qui m’a collé un fils pareil ? » ronchonna-t-il alors que le jeune blond s’affairait déjà à tout reranger convenablement dans les rayons, les yeux vides.

Il monta les escaliers. Et des bruits divers se firent rapidement entendre. Edenael se demandait ce qu’il faisait alors il tendit l’oreille.

« Mais qu’est-ce que ça pue chez toi bordel ! »

Il était dans sa chambre. Et vu le bruit, il était en train de la saccager sans retenue. Le blondinet s’interrompit et fonça à l’étage en montant les marches quatre à quatre.

« Papa, s’il te plaît, arrête. Mais qu’est-ce que tu fais ? »

Henry fouillait sans rien dire. Il regardait tous les recoins, cherchant la source de cette mauvaise odeur dans la pièce. Il avait déjà renversé tous les tiroirs de la table de nuit, jeté toutes les feuilles volantes du bureau par terre, vidé l’armoire sur le lit… Il ouvrit alors un tiroir du bureau, et tomba nez à nez avec trois ou quatre pots de poudre plus ou moins blanchâtres, dont un était très odorant, et visiblement mal fermé.

« Ah Ah ! Saloperie ! Je savais bien que tu cachais quelque chose.
- Papa, s’il te plait. Attends. Ecoute moi !
- C’est ça hein ? Tu te drogues ? T’es majeur et tu te crois tout permis ? Tu veux foutre ta vie en l’air, avec tout ce que je fais pour toi ?! Je vais t’aider, tiens ! »

Le père d’Edenael prit le pot avec lui et se dirigea vers la cuisine.

« Papa, stop, s’il te plait, laisse-moi… »

La gifle stoppa net sa phrase. Il ne voulait rien entendre. Il se plaça au-dessus de la poubelle, celle des déchets ménagers, ouvrit pot et le retourna. Le fils tenta d’articuler, mais les mots qui sortaient de sa bouche étaient mélangés à ses pleurs. Son père venait de jeter le résultat de deux mois de travail. Lui qui avait enfin réussi à créer lui-même une poudre d’herbe rappel. Elle venait de fermenter, ce qui lui valait sa mauvaise odeur.

« Foutu drogué, va. Fais tes affaires. Dans une heure, je ne veux plus te voir. TU TE CASSES ! C’est clair ? »

[…]

Edenael ramassait ses affaires dans sa chambre. Il prit soin de ne rien oublier d’important. Il alternait entre les chaudes larmes, et la volonté de partir de chez lui le plus vite possible. Il allait quitter Skifford… Lui qui y avait passé toute sa vie…

[…]

Il allait passer la nuit au pied de phare de Skifford. Avec la seule lumière d’un lampadaire, il prit son journal dans son sac, seul effet personnel de valeur qu’il avait avec lui, relié, en cuir, offert par sa mère des années auparavant. Il lisait les dernières entrées, et remontait peu à peu.


« Aujourd’hui, et comme d’habitude, j’ai manqué de perdre pied dans le magasin. Je pense que cela doit faire plus de six mois maintenant, qu’un jour n’est passé sans que je me fasse engueuler par mon père. J’ai beau faire de mon mieux, pourtant rien ne change. Il est toujours aussi colérique. Il continue de boire, m’incendie à longueur de journée. Je pense même qu’il fait peur à ses employés. Je pense que ses problèmes avec l’alcool ne font qu’empirer. Il y a encore trois ans, ça allait encore à peu près. Mais depuis le départ de maman l’année dernière, c’est devenu catastrophique. Et vu qu’il a recommencé à boire…. Cela n’ira pas mieux. »

Au fur et à mesure qu’il lisait, les larmes coulaient le long de ses joues.

« Ça y est, aujourd’hui, ma mère est partie. Pour de bon. Je sais très bien qu’elle a quitté Papa car elle ne supporte plus de voir un ivrogne quand elle rentre de ses déplacements. Elle avait un bleu au coin de la lèvre quand elle m’a dit au revoir… J’espère que ce n’est pas ce que je pense et qu’elle s’est simplement cognée, maladroite comme elle est. »
…
« Je crois que mon père a recommencé à boire, je l’ai surpris titubant dans la cuisine cette nuit quand je me suis levé pour boire… »
…
« J’ai servi une dame qui est herboriste aujourd’hui. Elle venait chercher des fournitures pour faire ses préparations. Comme je ne connaissais pas son travail, elle m’a expliqué deux trois choses pendant que mon père s’occupait d’autres clients. Elle m’a dit que contrairement aux médicaments que l’on vend, nous, ses herbes sont globalement plus efficaces et peu chères, mais elles ont mauvais goût et mauvaise odeur, ce qui fait que les Pokémon les déteste. Cela m’a rendu très curieux. Je me demande s’il y a la possibilité de créer des médicaments à base d’herbe mais qui n’ont pas ce mauvais goût. Peut-être que l’on pourrait créer des remèdes plus efficaces pour les Pokémon ! Il faudra que j’en parle avec maman, elle a peut-être des connaissances ou des noms à me donner pour que je fasse des recherches par moi-même. »
….
« Aujourd’hui, j’ai essayé de discuter avec mon père du fait d’avoir un Pokémon. J’ai essayé de le convaincre en disant que ça pourrait être même utile pour la boutique, mais il était catégorique. C’est non, m’a-t-il dit. Apparemment, ça va me distraire dans le travail, et je ne penserai plus qu’à ça… »
….
« Aujourd’hui, mon père a cassé pour la première fois une repousse en rangeant la commande. Il faut dire qu’il a les mains qui se sont mises à trembler depuis quelques jours. Il était très énervé, et j’ai du tout nettoyer pour éviter qu’il ne casse d’autres choses de rage. Heureusement que Maman n’était pas là, je crois qu’il lui aurait vraiment fait peur. »
…
« Aujourd’hui, je suis très fier de papa. Il a décidé d’arrêter de boire. Ça va être très difficile mais je ferai de mon mieux pour l’aider, en attendant que maman ne revienne de son voyage. »
…
Plus il remontait les pages et plus son écriture changeait en celle d’un enfant. Les pages avaient jauni avec le temps, mais le papier de bonne qualité n’avait rien perdu des lettres inscrites.
….
« Wow ! Aujourd’hui on est tombé sur une photo de maman. Elle fait la une du journal comme a dit papa. Elle est si belle avec son grand chapeau et sa robe rose, sur la plage à Alola ! Qu’est ce que j’aurais aimé la voir comme ça, elle est si belle. Je suis très très fier d’elle.  La boulangère de Skifford a dit aujourd’hui a papa que toute la ville était très fière d’avoir un mannequin aussi connu pour représenter la ville dans le monde entier. »

Edenael avait les lèvres salées par ses larmes. Mais un sourire nostalgique se dessinait tout de même. Il ne savait pas vraiment s’il était soulagé de quitter la maison familiale, son travail à la boutique Pokémon de Skifford, ou triste à l’idée de ne plus pouvoir rentrer chez lui, et de perdre totalement ses repères. Le coup de stress passé, la fatigue le rattrapa rapidement. Il s’endormit, adossé à un banc sous le phare, tandis que seul bruit de la marée le berçait, comme toutes les nuits depuis sa naissance.