Trois jours. Cela fait déjà trois jours que je suis revenue à la capitale, pour reprendre mes recherches sur Kieran. La piste de l'académie d'archéologie n'a absolument rien donné, et ce malgré toutes mes observations et mes renseignements. J'ai été très déçue après coup, je ne peux pas le nier. J'espérais vraiment qu'il s'y trouvait, ou que, à défaut, il y soit passé. Mais il n'y avait aucune trace de lui là bas, et personne qui ne le connaissait. En bref, je dois repartir de zéro. Depuis trois jours, donc, logée dans une chambre d'hôtel dont le prix, même convenable, bouffe mes économies à petit feu. Aujourd'hui, c'est ma dernière chance pour trouver un indice, à condition que celui-ci existe, à Nemerya. Après, je devrais repartir de la capitale et retourner chez moi, à Fort-des-Songes. Heureusement d'ailleurs que j'ai pu négocier avec monsieur Deltz pour ne pas prendre mon service de la veille. Il l'a très bien pris, et avait déjà assez de bras et de pattes à disposition. J'ai eu vraiment de la chance, sur ce coup là. Et je ne devrais pas trop tirer sur la corde de la chance, parce qu'elle va finir par casser.

Déambulant dans les rues accompagnée d'Ayshee, qui connaît déjà bien la ville, et Nâga, qui la découvre, je dois bien avouer que je ne sais pas véritablement ce que je cherche, à me balader comme ça. Peut-être que je devrais laisser tomber et juste profiter de ma dernière journée à la capitale, comme toute personne sensée. Mais je n'y arrive pas. J'ai toujours ce ressentiment minuscule, au fond de mon crâne, qui m'empêche de lâcher l'affaire et me chuchote de continuer à chercher jusqu'à ce que je trouve quelque chose. Quelques chose, oui, mais quoi ? Des preuves inexistantes ? Probablement. Je soupire en levant ma tête face au grand ciel bleu, un climat qui me change tellement de celui que je côtoie chaque jour à Fort-des-Songes et à Windoria. Je dois avoir un grain, au fond. Neuf ans qu'il a disparu. Neuf ans qu'il ne donne plus signe de vie. Neuf ans, et il n'a jamais répondu à aucune de mes lettres. Alors, pourquoi est-ce que je continue de le chercher ?

Ce n'est certainement pas la chaussette qui vient de m'arriver en plein visage suite à une rafale de vent soudaine qui va répondre à mes interrogations. Je l'attrape, perplexe. Que Arceus soit loué, elle est totalement propre. Je tourne la tête à droite, puis à gauche. D'où est-ce qu'elle peut bien venir ? Ayshee et Nâga semblent aussi surpris que moi, même si le Séviper se désintéresse bien vite à la situation pour contempler une dame et son Couafarel passer non loin de nous. Ils sont accordés dans leur style d'une façon si étrange que ça pourrait presque en être marrant. Reprenant ma marche, j'avance de façon hésitante dans la rue devant moi. Puisque la chaussette n'a pas l'air d'être arrivée d'une ruelle annexe, c'est que la personne qui l'a perdue doit se trouver tout droit, non ? J'ai à peine le temps de faire un pas supplémentaire qu'un Evoli déboule sous mes yeux. Il tente d'abord d'attraper la chaussette, puis est subitement effrayé par Nâga, qui pourtant n'a rien fait, le pauvre. Enfin, l'Evoli va renifler Ayshee. Mon Absol la toise d'un regard étrange, ce qui la fait reculer pour revenir se planter devant moi, les yeux braqués sur la chaussette.

– C'est à toi, cette chaussette ? Je lui demande en m'accroupissant vers lui. Enfin, à ta propriétaire, plutôt, c'est ça ?

Le Pokémon me répond positivement, alors je lui tends le vêtement, qu'il prend dans sa petite gueule. Sa frimousse semble bien plus illuminée, d'un coup. Je me redresse en le regardant partir en arrière... Jusqu'à une silhouette que, même à cette distance, je reconnaîtrais entre mille. Je me fige, ma mémoire remontant des années en arrière, à une époque où je n'étais encore qu'une enfant. Mais comment c'est possible ? Pourquoi là ? Pourquoi maintenant ? J'ai du mal à y croire. Après toutes ces années...

– Sasha, c'est bien toi ?

Si mes yeux auraient pu me jouer des tours quelques instants auparavant seulement, maintenant que la silhouette que j'ai cru reconnaître s'est avancée, je ne peux plus avoir aucun doute sur l'identité de la personne face à moi. Avant même qu'elle ne me réponde, je sais déjà que c'est elle, et ma stupeur n'en est que plus grande. Sasha Brown. Et donc, si je me souviens bien, cet, enfin, cette Evoli... C'est Elladora. Une boule de fourrure adorable. Visiblement, mon amie d'enfance semble aussi perdue et stupéfaite que moi qu'on se retrouve comme ça, face à face, au beau milieu de la capitale, alors que ça fait des années qu'on ne s'est pas vues. Le hasard est beaucoup trop fort, sur ce coup là. C'est à presque se demander si ce n'est pas le destin. Drôle de destin, d'ailleurs, que celui-ci. Le plus improbable dans tout ça, c'est l'unique sac à dos dont est pourvue Sasha, avec, bien serrée dans sa main droite... Une culotte ?

Je n'ai pas le temps d'en voir plus qu'elle me prend dans ses bras, bien heureuse d'avoir retrouvée une tête qu'elle connaît. Elle semble désespérée, ce qui me fait me demander si elle n'a pas eu quelques ennuis avant d'arriver à la capitale. Parce que oui, en matière de maladresse, il n'y a qu'une seule personne qui me surpasse et arrive à se mettre dans des situations pires que les miennes. Des situations que vous ne pourriez même pas imaginer. Et cette personne, c'est Sasha.

Je la serre fort contre moi, la surprise retombant peu à peu. Il est vrai que ça fait une éternité que toutes les deux, on s'est perdues de vue. La première fois que nous nous sommes rencontrées, c'est quand elle est venue à Kickenham avec ses grands parents et qu'elle a assisté à l'un de mes spectacles de danse. De mémoire, elle avait déjà Elladora avec elle, à cette époque, et même que j'étais jalouse qu'elle ait déjà un Pokémon alors que moi, on me l'interdisait. On avait beaucoup discuté, sans doute autant que ma mère avait échangé avec ses grands parents. Nous avions bien accrochés, toutes les deux, et la fois suivante où elle revint dans la ville, j'ai pu négocier avec ma mère de la voir, puisque celle-ci semblait entretenir de bons rapports avec la famille de Sasha, bien que je ne sache pas lesquels exactement. Une fois l'émotion passée, je la repousse en douceur pour lui faire face et lui souris pour la rassurer. Je suis plus grande qu'elle, maintenant que nous sommes adultes, alors qu'elle a un an de plus que moi. Moi qui me plaignais qu'elle me dépassait toujours de quelques centimètres, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Cette pensée me fait rire, et je me décide ensuite à lui répondre, histoire de l'éclairer un peu :

– Eh bien, comme tu le vois, j'ai pris mon indépendance et j'ai déménagé à Lumiris. Ma mine se rembrunit ensuite. Les explications suivantes sont un peu plus sévères, et même si Sasha connaît une partie de mon passif familial, à travers les lettres que nous nous sommes échangées presque jusqu'à la fin de notre adolescence, elle ne sait pas tout. J'avais besoin de quitter mes parents, ma région... De recommencer une nouvelle vie à zéro, en quelque sorte. Désolée d'avoir cessé de t'écrire, c'était devenu compliqué pour moi.

Réponse trop vague sur ce point, qui allait forcément susciter d'autres questions de sa part. Mais ça viendrait après. C'est à mon tour, maintenant, de l'interroger :

– Mais toi, qu'est-ce que tu fais à Lumiris ?

Ce brusque retour dans le passé en la voyant n'est pas forcément des plus agréables pour moi. Si mes échanges épistolaires avec Sasha ont perduré longtemps, jusqu'à ce qu'un jour, je cesse brutalement de lui répondre, cela me rappelle aussi toutes ces lettres envoyées et qui n'ont jamais reçu aucune réponse, ou même ne serait-ce qu'une confirmation de lecture, à Kieran. Des pensées amères refont surfaces dans mon esprit. L'unique raison pour laquelle j'ai arrêté un jour d'écrire à mon amie d'enfance, c'est parce que ma relation avec mon père s'était dégradée. C'est ce jour là que tout a basculé pour moi et que j'ai tout arrêté. Presque sept mois plus tard, j'étais à la porte. Je n'ai jamais pensé à relancer les échanges à cette époque, alors que je continuais à envoyer des lettres sans retour pour mon frère aîné. Peut-être que c'était parce que j'avais l'impression que si je l'avais fait, j'aurai dérangé Sasha. Après tout, elle avait bien une vie, elle aussi. Et si elle ne m'avait rien renvoyé à cette époque, c'est qu'elle avait de bonnes raisons de ne pas le faire.

Je suis extirpée de mes grises pensées par une Elladora toute joyeuse qui, après avoir vérifié plusieurs fois que j'étais bien la personne à qui elle pensait, a posé ses petites pattes sur mes jambes, le regard brillant, avec toujours cette chaussette de Sasha en travers de la gueule qui la rend on ne peut plus attendrissante. Je caresse le sommet de la tête de l'Evoli tandis que, bien que curieux, Ayshee et Nâga préfèrent pour l'instant rester en retrait, côte à côte tous les deux.

Sasha prend alors la parole et, travaillée à l'évidence par le même sujet que moi, s'excuse platement en disant qu'elle aurait dû penser à me donner son numéro de téléphone, qu'on aurait pu communiquer comme ça, mais que ça ne lui a jamais traversé l'esprit, qu'elle en est désolée... Bref, comme je peux avoir l'habitude de le faire, elle est en train de culpabiliser. Je me rends compte que son idée ne m'a jamais effleuré l'esprit non plus, et pour cause. Mon premier téléphone, je l'ai eu après plusieurs paies, alors que j'étais déjà en dehors de la maison familiale. On avait donc arrêté de s'écrire depuis au moins un an, si ce n'était pas plus, à ce moment là. Je réalise que là n'est pas le problème, au final. On a toutes deux arrêté de communiquer car occupées par autre chose. L'important, aujourd'hui, c'est qu'on se soit retrouvées. J'ai à peine le temps de m'avancer légèrement en voulant aider Sasha à ramasser ses affaires tombées, Elladora tournant autour de moi de façon elliptique pour éviter mes Pokémon -plus précisément, je pense, Nâga- qu'elle a déjà fini de tout remettre à l'intérieur, mis à part la chaussette sur laquelle son Evoli a jeté son dévolu. Même la culotte en dentelle avec laquelle elle m'a câlinée a retrouvé sa place.

Mon amie m'explique ensuite comment elle est arrivée là. Conseil de grand-mère et études d'infirmière bouclées sans poste disponible à Galar, en somme. Je souris. Ça me fait chaud au coeur de savoir qu'elle a réussi à terminer les études du métier qui la fait rêver depuis qu'on est gamines, même si elle n'a pas encore pu pratiquer. Elle est donc arrivée par Port-Corail, d'après ma supposition vis à vis de ce qu'elle vient de me dire, puisqu'elle n'a prononcé que la moitié du nom de la ville. Ça ne m'étonnerait absolument pas qu'elle en ait oublié le nom. Elle a toujours été comme ça, Sasha. Maladroite et tête en l'air. Tête en l'air avec les noms et ses affaires. Stupéfaite, ma mâchoire manque de se décrocher et de tomber au sol quand j'apprends qu'elle les a perdues et qu'il ne lui reste que ce sac à dos, qu'elle trimballe depuis comme un Crabicoque transportant sa maison de roche.

Je ris avec elle avant de saisir la chaussette tenue par Elladora et de lui tendre :

– Tu as oublié de ranger ça dans ta carapace, je crois ! J'ajoute ensuite après une courte pause, un sourire sur les lèvres. Tu es toujours aussi tête en l'air, c'est dingue ! Même moi j'ai eu plus de chance que toi en arrivant dans la région. Mais en tout cas, je suis vraiment très heureuse de t'avoir retrouvée là, aujourd'hui, en un seul morceau.

Je me tourne sur le côté en faisant signe à Ayshee et Nâga de venir. Après tout, ni Sasha ni Elladora ne les connaissent. C'est donc moi qui me charge des présentations, après avoir invité Sasha et son Evoli à s'approcher elles aussi :

– Sasha, Elladora, je vous présente Ayshee et Nâga. J'indique ensuite pour la petite Evoli, qui a repris un air terrifié : Ne t'en fais pas Ella', Nâga est doux comme un ange, et le plus sage des Pokémon que je connaisse. Il est adorable.

Mon pauvre Séviper qui ne rêve que de devenir ami avec des Pokémon mignons pour qui il a une affection particulière n'a, jusqu'à présent, jamais réussi. Il n'a jamais rien fait, pourtant. Mais il les effraie malgré lui. Je pense que ça serait bien qu'enfin, un Pokémon comprenne qu'il est gentil comme tout, un Pokémon autre qu'Ayshee. Et je pense qu'Elladora est la mieux placée pour ça.

Visiblement -et c'est d'ailleurs bien normal- le bonheur de nos retrouvailles est plus que largement partagé. En même temps, c'est tellement improbable qu'on se revoie ici, à Lumiris ! Peut-être que le destin a décidé de faire se croiser nos chemins à nouveau. Et cette fois-ci, je l'espère, on ne se perdra plus de vue. Tout comme moi, Sasha a fait des rencontres plus ou moins positives depuis qu'elle est arrivée dans la région. Je repense moi-même à toutes les rencontres que j'ai pu faire avant de la retrouver, elle.

Ça a commencé avec le toiletteur, celui pour lequel j'ai dû racheter une bouteille de shampoing car brisée par mes soins lors du toilettage d'Ayshee. Je ne suis pas sortie perdante de cette histoire, puisque j'ai gagné un abonnement de fidélité au salon et que ma compagne s'est vraiment attachée au toiletteur en question. Et puis, quelques temps après, Ayshee a disparu pour voler au secours d'un Pokémon en danger. Quelle panique ça a été pour moi ce jour là. Je ne la trouvais nulle part. C'est là que j'ai fait la rencontre de Lys, une adorable jeune femme qui m'a rappelé Kieran. Heureusement que tout s'est terminé sans encombres, car ça aurait pu très mal finir si nous avions retrouvé Ayshee et le Pokémon trop tard. Par la suite a eu lieu mon entretien d'embauche à Windoria, dans le White Spring où je travaille désormais. Amaury Deltz est un patron doux et raffiné, incroyable dans tout ce qu'il réalise et j'en suis très admirative. Et puis, j'ai entamé ma visite touristique de la région, qui a commencé avec Voltapolis. Comme on pouvait s'y attendre, je m'y suis perdue, et j'ai fait une rencontre assez percutante avec Alexen, cette fois-ci. Un charmant jeune homme, je ne peux pas le nier, avec son adorable May.

Je stoppe mon énumération. Ça commence déjà à faire beaucoup, et si je continue comme ça à me remémorer mes rencontres une à une, je pense que j'y serai encore demain matin et que la pauvre Sasha aura soit séché, soit gelé sur place. Mon amie me demande d'ailleurs, après une exclamation de surprise, si Absol n'était pas justement le Pokémon que je rêvais d'avoir enfant. En parallèle, Ella' renifle du bout de son petit museau celui de Nâga. Le grand serpent ne bouge pas d'un pouce. Il ne veut pas lui faire peur. Il se contente d'exprimer sa joie avec une mimique tout heureuse, tout en douceur. Je passe une main dans une mèche blonde que j'entortille autour de mon index lorsque Sasha, débordante de joie, me fait part de sa conviction sur le fait que je deviendrais une dresseuse accomplie.

– Tu sais, je suis encore bien loin d'être une dresseuse accomplie. Je ne suis qu'une débutante pour l'instant. Mais peut-être que dans les années à venir, je deviendrais une meilleure dresseuse.

Je n'en sais trop rien. On s'entraîne durement, avec Ayshee et Nâga, pour progresser, se renforcer. On espère que tous ces exercices porteront leurs fruits.

– Tu t'en souviens ! Je m'exclame ensuite en riant. Absol était l'un de mes Pokémon favoris, avec Drakkarmin et Fantyrm, puisque c'était les Pokémon de mon frère. Et toi Sasha, à part Evoli, quels Pokémon te plaisaient et te plaisent toujours aujourd'hui ?

Nous y voilà donc. Kieran revient, une fois de plus, dans mes conversations, même si ma question suivante n'a rien à voir avec lui. De mémoire, je crois que mon amie l'appréciait beaucoup. Après tout, il était mignon, attentif, et passait du temps avec nous deux quand je le lui réclamais. Pensive, je fixe Elladora qui sautille autour de Nâga, toute joyeuse, alors qu'Ayshee se contente de les observer. Le destin a ramené mes pas sur un chemin commun avec celui de Sasha. En sera-t-il de même avec Kieran ?

Sasha semble en tout cas en être certaine, et sa joie palpable qui se transmet à travers son visage vraiment très expressif me revigore et me fait sourire de plus belle. Je pense un peu trop au passé ces derniers temps. Je suis plus sérieuse que je ne l'ai jamais été dans toute mon existence. Est-ce parce que ça y est, je grandis et je vis ma propre existence, loin de mes anciens problèmes qui pourtant continuent de me tourmenter ? Peut-être. Il faut bien que j'évolue, moi aussi, et dans le bon sens de préférence. Personne ne reste figé dans le marbre, autant physiquement qu'intérieurement. Mon coeur se gonfle quand je vois que mon amie d'enfance n'a rien oublié de toutes nos expériences et nos souvenirs communs.

Gravé dans l'esprit, gravé dans le coeur.

Moi non plus, je n'ai rien oublié. Mon émotivité naturelle refait surface, et j'aurais pu avoir des larmes de joie perlant au coin de mes yeux si Sasha ne nous avait pas ramené dans un sujet plus actuel, et plus, comment dire... Pratique et de première nécessité ? Je me pince l'arête du nez quand elle énumère tout ce qu'il lui faudrait actuellement. A boire, à manger, de nouveaux vêtements à racheter, de quoi charger son téléphone pour qu'elle appelle sa grand-mère, à manger... Ah non, ça, c'est déjà sur la liste. Et quelle liste ! Un rire s'échappe d'entre mes lèvres. Sasha n'a vraiment pas changé depuis tout ce temps, et personne ne la changera, je crois. Puis, passant du Poussifeu au Tiboudet comme elle a si bien l'habitude de le faire, elle répond à ma question précédente, à savoir ses Pokémon favoris, à elle. Elle n'a donc pas de préférence à la base, car tous les Pokémon sous leur forme première, pour ceux qui peuvent évoluer, sont mignons à ses yeux. Cela ne m'étonne absolument pas. Du Sasha tout craché. Elle n'apprécie d'ailleurs pas trop les formes évoluées, si ce n'est celles d'Evoli, qui lui plaisent autant les unes que les autres. Mon regard dévie alors vers Elladora, qui prend plaisir à s'amuser avec Nâga, qui lui agite sa queue et repousse les petites pattes de la boule de poils avec son crâne quand elle lui tapote le museau. Ayshee, toujours en retrait, les observe avec une moue presque satisfaite. Cette scène est vraiment trop adorable. Impossible pour moi d'imaginer Elladora sous une autre forme que celle qu'elle possède actuellement. Mais peut-être que ça viendra ?

Mon cerveau turbine à toute vitesse pour trouver une solution à tout ce dont mon amie a besoin. Il n'y a d'ailleurs pas trente-six options possibles.

– Bon ! Je m'exclame subitement, coupant le silence qui commençait à s'installer. Je te propose déjà d'aller dans la chambre d'hôtel que j'ai réservée pour quelques jours. Il devrait me suffire de prolonger un peu la réservation. Comme ça, tu te poses, ton portable pourra charger et après, on va acheter de quoi manger, de quoi te rhabiller aussi. Est-ce que ce programme te convient ?

J'espère, en tout cas, qu'on trouvera tout ce que Sasha cherche. Peut-être aussi dénicher une laverie en début de soirée, une fois qu'elle aura mangé et fait quelques achats, pour laver certains de ses vêtements ? Ça me paraît être une excellente idée aussi, que je note dans un coin de mon crâne. Je pourrais en profiter pour me changer à l'hôtel, moi aussi, et adopter une tenue un peu plus confortable que celle que j'ai actuellement. Ou une plus habillée ? Argh ! Je ne sais jamais quoi choisir. Sasha saura sans doute comment m'aider, elle, une fois qu'on se sera mises en route pour l'hôtel et qu'on y sera.

Alors que nous cheminons vers l'hôtel, mes pensées dérivent et je m'interroge une fois de plus sur ce que Sasha a pu traverser ces dernières années avant de se retrouver ici, dans la capitale, juste en face de moi. Notre conversation première n'était bien évidemment pas assez longue pour détailler tout ce qu'il s'est produit, pour elle comme pour moi. J'espère que nous pourrons continuer d'en parle une fois que mon amie aura pu prendre une bonne douche chaude, car elle semble en avoir bien besoin, au vu des quelques péripéties dont elle m'a fait part. Mais si elle ne souhaite pas revenir sur nos dernières années en détails une fois qu'on aura pu se poser dans un restaurant sympathique de la capitale, je ne lui en voudrais pas. Elle a le droit de garder ses aventures personnelles pour elle, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, même si je suis tout de même curieuse. Trop curieuse, oui, je sais. Mais curieuse quand même. En entendant Sasha rire sur le fait que si c'était un inconnu qui lui avait fait la même proposition que moi, elle se serait méfiée car se doutant qu'il risquait de lui proposer un paiement "par nature", je ris de concert avec elle et je me crispe à la fois intérieurement, une sombre question pointant dans mon crâne. Aurait-elle eu des problèmes de ce genre avec un homme, qui se serait comporté de manière abjecte et abusive ? Je serre inconsciemment mon poing libre, celui qui ne tient pas nouvellement le bras de Sasha pour ne pas la perdre.

Si c'est le cas, cette ordure ne perd rien pour attendre.

Je me doute que je m'emballe beaucoup trop, que sans doute mon amie brune n'a rien vécu de tel. En tout cas, je l'espère vraiment. Je n'imagine même pas ce qui serait arrivé si Sasha avait fait la rencontre de mauvaises personnes, aussi rares ces mauvaises personnes soient-elles. Et je suis bien contente que ma proposition lui ait convenu et qu'elle ait accepté de me suivre pour que je puisse l'aider. Ça serait un juste retour des choses, après tout, vu le soutien qu'elle a été pour moi durant mon enfance et mon adolescence, même si elle n'en a pas eu forcément conscience.

Déverrouillant la porte de ma chambre d'hôtel une fois parvenues à destination, je la fais entrer et prends soin de bien refermer la porte à clefs derrière nous. Il ne manquerait plus qu'on soit dérangées par je ne sais quelle personne ayant oublié le numéro de sa chambre. Aussitôt, Sasha se laisse tomber sur le lit, faisant rebondir son corps à cause du sommier à ressors situé en dessous, et Elladora bondit sur le panier prévu pour les Pokémon pour s'y rouler en boule, toute joyeuse. Cela ne dérange ni Ayshee ni Nâga, puisque de toute façon mes deux compagnons ne l'utilisaient pas, préférant dormir l'un contre l'autre. Si mon Absol reste debout près de moi, Nâga, lui, retourne jouer sans dissimuler son bonheur avec l'Evoli de mon amie d'enfance. Les voir tous comme ça illumine mon visage d'un grand sourire, qui se transforme en éclat de rire lorsque Sasha me demande utiliser la douche ne serait pas trop au vu du service que je lui rends déjà.

– Non t'inquiète pas ! Je m'exclame. Tu peux te doucher en prenant tout le temps que tu veux. Fais comme si tu étais chez toi, y a aucun souci là dessus.

Je m'empresse de lui montrer la petite salle de bain et de lui attraper une grande serviette gris ardoise, bien propre. Je ferme ensuite la porte lorsque je ressors de la salle de bain pour la laisser se doucher en toute intimité, et j'en profite pour m'attaquer à mon changement de tenue. Au moment d'ouvrir l'armoire, après avoir réalisé que j'ai oublié de dire quelque chose d'essentiel à Sasha selon moi, je crie pour qu'elle puisse m'entendre :

– Surtout, si tu as besoin de quoi que ce soit, t'hésite pas et tu me dis !

Je me déshabille suite à ma dernière phrase, restant en sous-vêtements. Tout en pliant la tenue que je portais, je fixe les quelques habits posés à l'intérieur de l'armoire de l'hôtel prévue pour. Qu'est-ce que je pourrais bien mettre ? J'en profite pour regarder si la cicatrice de ma coupure à la main, faite chez un toiletteur quelques semaines plus tôt, commence à s'estomper. C'est bien le cas. Je souris. Bientôt, elle disparaîtra comme les autres blessures que j'ai pu avoir liées à ma maladresse. L'unique cicatrice qui ne partira pas, c'est celle qui se trouve dans mon dos, longeant puis traversant ma colonne vertébrale. Une grande cicatrice que j'aurai aimé effacer car elle est reliée aux dernière violences que mon père m'a fait subir, mais c'était impossible. J'ai donc dû apprendre, ces trois dernières années, à vivre avec. Et si au quotidien je ne la remarque plus, parfois, quand je dois m'habiller ou me déshabiller comme ça, sa présence me rappelle de douloureux souvenirs.

Je me tapote brusquement les joues. Ce n'est pas le moment de penser à ça ! Je continue de réfléchir activement à ce que je pourrais porter, ne prêtant plus du tout attention à Sasha et les bruits de la salle de bain. Si elle en sortait d'un seul coup, je ne le remarquerai même pas. De même si l'un de nos Pokémon se mettait à sautiller sur le lit dans tous les sens. Toute ma concentration est placée sur ma future tenue vestimentaire, que j'espère rapidement trouver.

Je finis par dénicher triomphalement un T-shirt rose pâle simple que je pourrais mettre avec, tiens, cette jupe plus foncée ici, et ces bas là. Bon. Je ne sais pas pourquoi j'ai pris autant de temps à me décider alors qu'en vêtements de voyage, j'ai trois fois rien, mais peu importe. Ma nouvelle tenue confortable est là ! J'entends soudain un grincement de porte qui me fait me retourner. Sasha, emballée dans sa serviette, a terminé sa douche. Elle semble figée et hésitante, ce qui me fait m'interroger pendant un instant. Il y a quelque chose qui la dérange ?Je lui fais signe de se rapprocher avec un grand sourire étirant mes lèvres pâles, dans l'espoir de la rassurer sur sa présence ici qui ne me dérange absolument pas, au contraire, même si je doute que ça soit pour ça qu'elle reste immobile à l'entrée de la salle de bain.

– Viens Sasha, je vais te trouver quelque chose pour t'habiller en attendant que tu puisses te racheter des vêtements neufs. Par contre... Je me gratte l'arrière du crâne, une moue légèrement gênée sur le visage. Je n'ai que du rose et du blanc, avec juste un jean qui lui est sombre. Et il va falloir que tu remettes tes sous-vêtements propres que tu as pour le moment. Désolée.

Mon affection pour le blanc et le rose est tout de même bien connue par mon amie d'enfance, je ne la prends pas par surprise. Le jour où nous nous sommes rencontrées, j'avais déjà une tenue de danse rose. Et je lui avais dit, après plusieurs jeux et conversations, que c'était ma couleur favorite, qui allait très bien avec le blanc, et que quand je serai plus grande, je voudrais en porter tous les jours. A l'époque, enfant casse-cou et maladroite que j'étais -maladresse que je n'ai d'ailleurs pas perdue- ma mère refusait de m'habiller avec des couleurs claires, de peur que je ne salisse trop souvent mes vêtements et que ça soit irrécupérable une fois passés à la machine. Ce que je ne comprenais pas à l'époque, mais comprends tout à fait aujourd'hui.

Comme Sasha est plus petite que moi, je fouille dans les quelques vêtements que j'ai apporté pour lui donner les plus petits que j'aie, qui seront tout de même un peu trop grand pour elle, à part le jean, peut-être, où ça devrait aller. Heureusement, ça ne se verra pas.

– Habille toi avec ça, c'est un peu grand, mais ça devrait aller. Lui dis-je d'un ton à la fois doux et joyeux en lui tendant les habits sélectionnés.

J'en profite pour récupérer les miens que j'ai laissés posés sur le lit et tourne le dos à Sasha, pour commencer à me rhabiller et pour qu'elle-même puisse s'habiller sans gêne, maintenant qu'elle doit être sèche. Contrairement à elle, j'ai toujours mes sous-vêtements sur moi. En revanche, je ne fais que lui exposer un peu plus cette vilaine cicatrice qui me barre le dos, qui m'est à nouveau totalement sortie de l'esprit. Oui, les sujets qui peuvent me prendre la tête vont et viennent de manière assez aléatoire. Si quelques minutes plus tôt sa présence est remontée à la surface du flot de mes pensées, désormais, je suis plus concentrée sur l'endroit où nous pourrions aller pour faire les boutiques et manger que sur cette marque que je possède.

Une fois fin prête, je resserre les élastiques qui maintiennent mes couettes en place et me retourne lentement. Heureusement pour moi, Sasha a pratiquement terminé de s'habiller, elle aussi. En voyant ses cheveux bruns toujours trempés, je me dirige dans la salle de bain où la chaleur ambiante de l'eau chaude de la douche émane encore pour sortir du petit placard situé sous le lavabo un sèche-cheveux tout aussi minuscule. Je retourne dans la chambre et le tend à mon amie d'enfance :

– Tiens, il est petit, mais il sèche très bien. Je m'interromps subitement puis m'exclame : Oh ! Attends, je vais te donner une brosse aussi.

Brosse qui est la mienne, que j'ai posée au dessus de ma pile de vêtements. Je tâtonne pour enfin poser mes doigts dessus, et je la dépose sur le lit, à côté de Sasha qui vient juste de brancher le sèche-cheveux. Avant qu'elle ne l'allume et qu'on n'entende plus rien à par le bruit de l'objet, je lui demande :

– Tu préfères qu'on commence par quoi après ? Manger quelque chose, ou faire les boutiques ?

Il est vrai que j'ai établi moi-même une sorte d'ordre sur le chemin de l'hôtel tout à l'heure, mais ce n'est pas à moi de décider puisque c'est elle qui a besoin de retrouver les affaires qu'elle a perdu. J'espère en tout cas qu'on ne fera pas de mauvaise rencontre, pas comme Sasha a pu en faire, même si cette mannequin n'était pas horrible comme rencontre pour elle non plus. Au moins, maintenant que je l'ai retrouvée, ça sera plus simple. Je pourrais l'aider à ne pas se perdre à nouveau, l'aider si elle a besoin de quelque chose, l'aider tout court, en fait. Même si ces dernières années nous nous sommes éloignées, ça ne change rien sur le fait que je serai toujours présente pour elle si elle en a besoin. Toujours.

Tandis que Sasha démarre le sèche-cheveux pour réchauffer sa tignasse mouillée et faire s'évaporer toute l'humidité encore présente dedans afin d'obtenir une chevelure bien sèche, je m'installe sur le lit, à côté d'elle, en attendant qu'elle ait terminé. Je remarque du coin de l'oeil qu'Ayshee a bougé de sa place initiale pour aller se placer non loin de Nâga et Elladora, curieuse de savoir ce qui peut bien les amuser autant, curieuse de la petite Evoli, surtout, qui jusque là n'a pourtant pas suscité un grand intérêt de sa part. Peut-être va-t-elle se joindre au jeu, elle aussi ? Cela me parait peu probable, mais avec elle, il faut s'attendre à tout. Rêveuse et pensive, je m'imagine plus vieille, de quelques années seulement, avec tout un groupe de Pokémon jouant ensemble, dont Ayshee et Nâga, mais aussi d'autres Pokémon comme un Fantyrm par exemple ou encore un Grimalin. Ce sont deux Pokémon que j'affectionne particulièrement et que j'espère rencontrer un jour. On peut ajouter à cette liste Arcko et Fantominus également. J'aimerai bien les avoir comme compagnons de route. Je sais que je me projette un peu loin et que les chances de croiser ces Pokémon sont infimes. Mais je me débrouillerai pour, un jour, agrandir cette famille que j'ai tout d'abord fondée avec Ayshee, au tout début, rejointe depuis pour former un trio par mon Séviper.

Mon flot continu de pensées est interrompu par la petite voix de Sasha qui, sourcils froncés et employant un surnom unique que seule elle m'a toujours donné, comment j'ai récolté une aussi grande zébrure dans mon dos. Mon visage pâlit pendant quelques instants avant de reprendre une couleur normale. Oui, elle a vu cette cicatrice que j'ai peur de montrer à qui que ce soit, que j'ai encore moi-même du mal à accepter et qui m'effraie, parfois. Mais Sasha, ce n'est pas n'importe qui non plus, c'est une de mes rares amies d'enfance à qui je tiens particulièrement, d'autant plus maintenant que je l'ai retrouvée. Je sais qu'elle est curieuse, je la connais. Et même si je ne la connaissais pas, vu la lueur qui brille au fond de ses prunelles, ça se saurait tout de suite. Elle a le droit de savoir ce qu'il s'est passé et d'où cette cicatrice vient. De toute façon, cela est même directement relié au fait que j'ai arrêté de lui écrire du jour au lendemain, puisque j'ai fini avec le dos meurtri et à la porte de la maison familiale. Peut-être que ça me fera du bien, d'en parler. Je n'en ai jamais discuté avec quiconque, après tout.

D'une voix timide, Sasha propose ensuite qu'on aille manger d'abord puisqu'après, on aura des sacs à porter. Elle semble hésitante et nerveuse. Pour la rassurer, je pose ma main sur son épaule tandis que nous nous levons.

– Je vais te raconter d'où elle vient, cette fichue cicatrice, lui dis-je avec un sourire en riant presque. Mais ça sera sur le chemin ! Parce que si on ne part pas chercher un bon restaurant maintenant, je suis pas sûr que ça sera encore ouvert après.

Je fais signe à nos Pokémon de nous rejoindre et nous quittons ma chambre d'hôtel. Une fois dehors, je prends quelques minutes pour réfléchir à un lieu où nous pourrions nous rendre dans lequel il y aurait des restaurants. Si ma mémoire est bonne, il me semble que plusieurs se côtoient dans une des allées principales de la capitale. Je prends donc la tête du groupe, avant de commencer mon récit, d'une voix un peu plus calme et sérieuse, quoique légèrement tremblante :

– Tu sais, mon père est un homme violent. Franche entrée en matière. En même temps, je n'allais ni prendre des pincettes, ni tourner autour du pot. Je pense que tu t'en doutais déjà, même si nous étions des enfants. Il suffisait de regarder Kieran et ses bleus pour comprendre. Tu lui posais même des questions à ce sujet, tu t'en souviens ?

Pendant un instant, je nous revois gamines, avec Sasha et ses joues roses qui demandait à Kieran comment il avait pu se faire mal de cette façon, et qu'elle voulait l'aider à se soigner. Et mon frère, lui, trouvait toujours un mensonge assez crédible pour dissimuler l'horrible vérité. Je poursuis ensuite mon retour dans le passé en fixant le ciel :

– Il frappait Kieran. Très souvent. Mais il n'avait jamais levé la main sur moi. Jusqu'au jour où j'aurai dû t'envoyer ma lettre. Même nos Pokémon respectifs semblent écouter en silence. Les traits de mon visage se sont durcis. Il m'a tabassée, moi aussi. Et le coup le plus violent, ça a été celui qui a laissé cette marque, que tu as vu tout à l'heure. Il m'a mis à la porte juste après, en laissant juste le temps à ma mère de soigner les quelques blessures superficielles. Elle n'est jamais intervenue. Et je ne les ai plus revus depuis ce jour.

Voilà, le plus dur est dit. Je m'attendais à pleurer, mais aucun larme n'a perlé de mes yeux. Seuls mes poings, eux, demeurent serrés à en blanchir la jointure de mes doigts. C'est même de la colère plus que de la tristesse que je sens pointer au creux de mon estomac. Mon père était une ordure. Et il l'est toujours aujourd'hui, j'en suis certaine. Jamais, je dis bien jamais, je ne veux à nouveau avoir affaire à lui ou à ma génitrice. Pour moi, mes parents n'existent plus.

Je sens un museau froid se poser sur mes mains serrées à l'excès. C'est Ayshee qui, sentant ma colère sourde et remarquant que chaque muscle de mon corps est désormais tendu, vient m'apporter un réconfort silencieux, me faire sentir qu'elle sait ce que je ressens, qu'elle est là. Son acte a pour effet de faire se relâcher les tensions au niveau de mon visage, sur lequel un léger sourire fait même son retour. A cet instant précis, je me demande comment j'aurai pu faire, ces neuf dernières années, si elle n'avait pas été là, à mes côtés. Aurais-je totalement sombré, et me serait mise dans un état des plus obscur pour échapper au calvaire que je vivais ? Ou serais-je plutôt restée éternellement la marionnette parfaite de mes géniteurs, exécutant le moindre de leurs désirs au doigt et à l'oeil, dansant comme leur poupée parfaite ? Je ne préfère imaginer aucune de ces deux autres voies. Mon Absol était là, c'est le principal. Je ne suis pas devenue vide. Je ne suis pas devenue comme eux. Je suis restée moi. Et Arceus sait comme je lui en suis reconnaissante aujourd'hui.

Et puis soudain, c'est Sasha qui me prend dans ses bras. Surprise, je reste d'abord complètement figée avant de la serrer fort contre moi également, peut-être un peu trop fort. J'enfouis mon visage au creux de son épaule, paupières closes, tandis que mon amie d'enfance exprime sa désolation, avant de m'expliquer que comme moi, elle trouve que le fait d'avoir été mise à la porte par mon père a été un cadeau inespéré. Pendant un instant, mon coeur s'emballe, tambourinant follement au creux de ma cage thoracique, comme s'il cherchait à s'en déloger, à brise la barrière osseuse de mes côtes et à sortir là, maintenant. Puis les battements se calme aussi subitement qu'ils se sont accélérés. Sasha relâche son étreinte et je la libère, moi aussi, plus apaisée.

Nous reprenons tranquillement notre route, dans un silence qui est doux, et non pas pesant comme ce à quoi je m'attendais. Connaissant la curiosité insatiable de mon amie d'enfance puisque je partage la même, je me doute qu'elle a encore des questions à me poser. Mais je ne vais pas lui répondre dans l'immédiat, puisque le restaurant dans lequel je voulais nous conduire vient d'apparaître sous nos yeux. Je hoche la tête, un mince sourire étirant mes lèvres, avant de la guider à l'intérieur. Un serveur ne tarde pas à venir à notre rencontre, nous demandant si nous avions réservé et, si ce n'était pas le cas, ce que nous souhaitions.

– Bonjour, une table pour deux, s'il vous plaît.

Le jeune homme nous conduisit à une jolie table à côté d'une grande baie vitrée donnant sur un jardin extérieur, jardin dans lequel nos Pokémon pourraient aller se dégourdir les pattes et s'amuser si l'envie leur en prenait. Le serveur nous tendit à chacune une carte. Je ne mis pas très longtemps à choisir mon plat après avoir ouvert la mienne, ni à sélectionner celui pour mes deux compagnons de route.

– Qu'est-ce qui t'inspire dans ce menu ? Je demande à Sasha, le visage plus illuminé que quelques minutes auparavant.

Si jamais elle n'arrive pas à se décider, je pourrais toujours l'aider à choisir, puisque je connais le lieu pour y être déjà venue. Et puis, quand on attendra nos plats, je pourrais plus tranquillement que tout à l'heure répondre à ses questions, si elle en a toujours.

Suite à ma question, je me concentre moi même sur le menu pour savoir ce qui pourrait me faire plaisir, mais aussi ce qui pourrait convenir à Ayshee et Nâga, qui se sont installés sagement à côté de moi. Je parcours le menu à toute vitesse, gardant tout de même le quart de la moitié d'un oeil sur une Sasha émerveillée qui rêvassait avant que je ne lui demande ce qui lui plaisait sur le menu. Elle s'est donc mise elle aussi à chercher activement. Un doux sourire se dessine sur mes lèvres alors que je sélectionne ce qui ressemble à un plat végétarien bien copieux, bien que je ne sois pas végétarienne. Sasha est toujours aussi tête en l'air qu'avant. Elle ne changera jamais. Et ça fait du bien de voir qu'il y a des choses qui ne changent pas. Je suppose aussi que pour elle, je n'ai pas véritablement changé non plus. A part le fait que j'ai peut-être un peu mûri ? C'est comme ça que je vois ma propre introspection, mais ce n'est peut-être pas ce qui ressort auprès des autres. Je termine ma commande en choisissant deux plats aux baies pour Ayshee et Nâga, plat qu'ils ont beaucoup apprécié la dernière fois que nous sommes venus et, de surcroît, bien noté et réputé.

En attendant le serveur pour lui faire part de nos choix, Sasha a de nouveau reporté son attention sur moi et me pose de nouvelles questions, toujours aussi pétillante. Elle me demande d'abord depuis combien de temps je suis dans la région et je fronce les sourcils. N'ai-je pas déjà répondu à cette question un peu plus tôt dans la journée ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Elle m'a mis le doute, maintenant. Alors autant répéter ce que je lui ai déjà dit, ça ne me coûtera rien. Et puis, au moment où ses deux interrogations suivantes franchissent la barrière de ses lèvres, mon coeur s'emballe pour une raison inexpliquée et je prie de toute mes forces pour que mes joues, à cet instant, n'aient pas viré à l'écarlate.

Raison inexpliquée ? Vraiment ?

Oh toi, la ferme. J'essaie de ralentir les battements de mon coeur qui s'agite dans ma cage thoracique. S'il me fait ça à chaque fois qu'on aborde le sujet d'un garçon qui me plaît, ça va poser sérieusement problème. Je prends donc une grande inspiration avant de commencer à répondre aux questions de mon amie pour assouvir sa curiosité sans doute plus grande encore que la mienne.

– Je ne suis pas là depuis très longtemps, ça fait seulement un mois que j'ai posé mes valises à Fort-des-Songes. Enfin je crois. Je ne suis jamais totalement certaine de ma mesure du temps écoulé depuis que je suis dans la région. Je n'ai pas de petit copain ou de petite copine, non. A vrai dire, je n'en ai jamais eu, tu sais. Sauf que le jamais semble commencer à atteindre ses limites. Mais... Il y a un garçon qui m'intéresse, à vrai dire. Enfin, pas qu'un.

Deux, pour être plus précise. Deux qui font balancer mon coeur, de façon différente certes, mais quand même. Mon visage aurait encore pu prendre une teinte de plus en plus cramoisie mais heureusement, pour mon plus grand soulagement, le serveur arrive à notre table pour noter notre commande.

– Je vais prendre votre plat végétarien du jour, et pour mes Pokémon, ça serait un crumble aux baies. Ah, et je veux bien une carafe d'eau, si c'est possible. Ajouté-je à la dernière minute.

Je laisse ensuite Sasha répondre à son tour pour faire part de ses envies culinaires et de celles de Elladora, puis le serveur s'éclipse, nous laissant de nouveau en tête à tête. Mon visage ayant repris ses couleurs de bases, je finis de réponde aux interrogations de la jeune brune avant de lui retourner l'une de ses questions :

– Pour le moment je continue mes études tout en travaillant au White Spring, un sublime salon de thé à Windoria. Sublime est bien le mot. Et toi Sasha ? Tu as quelqu'un dans ta vie ? Tu sais déjà ce que tu vas faire une fois que tu seras installée ?

Si elle a une idée d'où elle va s'installer. Peut-être que je me répète aussi dans mes questions, mais j'ai parfois la mémoire courte, moi aussi, si ce n'est pas souvent. Et puis je suis curieuse de ses futures réponses, même si je doute que comme moi, elle ne soit jamais sortie avec un garçon. Ce n'est pas son genre, étant plus dégourdie que moi, ça ne m'étonnerait pas qu'elle soit déjà sortie avec quelqu'un, ou même qu'un homme ou une femme dont elle ne m'aurait pas encore parlé partage sa vie aujourd'hui. Sasha a toujours été pleine de surprises, après tout !

Comme je m'en doutais, la curiosité de Sasha augmente d'un cran lorsque je lui expose ma situation amoureuse, si on peut qualifier ça comme ça. Elle me pose une nouvelle salve de questions, s'emballant encore plus. Mes joues reprennent une teinte légèrement rosée lorsque je la vois bouillonnante d'excitation, me confiant que ma vie a l'air bien trépidante. Non. C'est loin d'être le cas, en réalité. Elle est certes bien plus remplie et joyeuse qu'avant, mais je n'irai pas jusqu'à la qualifier de trépidante. Il ne se passe pas grand chose dans mon quotidien, si ce n'est les quelques dernières rencontres que j'ai pu faire et qui elles, effectivement, sortaient souvent de l'ordinaire. Je suis d'ailleurs bien heureuse que le serveur soit arrivé juste à temps pour que je n'ai pas à expliquer plus en détails ma situation. J'ai été sauvée par le gong, comme on dit.

Ma jolie amie brune ne tarde pas à s'indigner d'ailleurs, juste après que je lui aie retourné le lot de questions qu'elle m'a posé, me traitant de tricheuse. Un sourire fend mes lèvres et j'éclate de rire suite à sa remarque. Puis Sasha explique qu'elle n'a personne dans sa vie, ce qui m'étonne grandement. Je ne m'attendais pas du tout à cette réponse négative, je dois bien l'avouer. Sasha a toujours eu énormément de charme, un caractère adorable et elle a toujours été bien plus abordable que moi. Alors je pensais que, même si elle n'est à Lumiris que depuis très peu de temps, elle avait potentiellement déjà rencontré quelqu'un, ou peut-être qu'elle avait avant même d'arriver ici une autre personne qui partageait sa vie. Mais non, ce n'est pas le cas.

Soudain, un Goupix surgit dans le dos de mon amie d'enfance et je manque de m'étouffer avec le verre d'eau fraîchement servi avec la carafe que le serveur vient de rapporter. Mes pupilles s'écarquillent et tout comme mes Pokémon, je fixe la frimousse rousse qui se tourne vers nous, stupéfaite, avant de tourner mon visage vers Sasha.

– Attends attends... Depuis quand tu as un Goupix ? Je pensais que tu n'avais que Elladora comme Pokémon, mais tu en as déjà capturé un autre ? Où est-ce que tu l'as rencontré ? Comment ça se fait que tu ne l'as pas sorti plus tôt ?

Ça y est, maintenant c'est moi qui déballe une liste de questions toutes plus brûlantes les unes que les autres. En même temps, rien ne m'avait préparé à ça. Lorsque le serveur apporte nos plats, je le remercie seulement vaguement, toujours focalisée à fond sur ce Goupix sorti du sac de Sasha et sur la tête de mon amie. Là, j'ai vraiment besoin de réponses. Mentalement, je prépare aussi mes réponses aux questions qu'elle m'a posé précédemment auxquelles je n'ai pas encore répondu. Bon. Il vaut mieux que je lui réponde d'abord, et ensuite elle devra m'expliquer en détails comment elle a rencontré ce Goupix.

– Excuse-moi, je me suis emballée, commencé-je en enroulant une de mes mèches blondes autour de mon index, avant de fourrer une cuillère de mon plat dans ma bouche pour l'avaler goulûment. Pour te répondre d'abord, les deux garçons que j'ai rencontrés sont vraiment gentils tous les deux, chacun à leur façon. Le premier, je l'ai rencontré en visitant Voltapolis, et l'autre était un client du White Spring durant une de mes journées de service. Et tu sais, ma vie n'est pas si excitante, loin de là hein !

Bien évidemment, je ne donne pas leurs noms. De toute façon, je ne pense pas que ça avancera Sasha à grand chose de les connaître. Maintenant que je lui ai répondu, je pose mes deux poings sur la table et la fixe avec un regard brillant de curiosité ne demandant qu'à être satisfaite.

– Allez, à toi de répondre à mes questions maintenant ! Et n'en oublie pas une seule, parce que moi, je veux tout savoir !

Je crois bien qu'au final, on est aussi curieuses l'une que l'autre sur nos vies menées jusqu'à nos retrouvailles.