Il suivait tes bêtises comme si c'était naturel. Il avait accepté son nouveau surnom comme s'il avait toujours été Spark Boy, et toi Floragirl. Comme si vous aviez toujours été un duo, tous les deux. C'était si naturel...
Trop naturel. Et ça te faisait peur.

Tu ne voulais pas y penser. Tu ne voulais pas penser à Cael, à Noboru. Surtout pas à Chloé et à ta défunte mère. Tu ne voulais pas penser à cette malédiction qui t'enlaçait depuis des années, jusqu'à resserrer son étreinte ; t'étouffer. Tu ne voulais pas t'attacher à Oyaris pour finalement le perdre, lui aussi. Serais-tu capable de supporter ce sentiment, encore une fois ? Est-ce qu'encore une fois, tu feras tout pour détruire ce lien grandissant, afin que le jeune homme quitte ta vie au pas de course avant même d'être parvenu à y entrer ? Tu le voulais, tu voulais gâcher ce début d'amitié. Mais en même temps, cette chaleur que tu ressentais au fond de toi, tu ne voulais pas la laisser partir. Tu étais coincée, Abbie. Coincée entre deux sentiments, guidée par l'éternelle peur qui te guettait.

Et une larme avait commencé à couler sur ta joue. Une larme glacée dû au froid hivernal. Tu avais pris Aconit dans tes mains. Tu essayais de te focaliser sur elle, mais la peine devenait plus grosse, plus intense. Tu étais émue de tenir cette fleur, mais tes craintes ne te lâchaient pas. Tes émotions te tourmentaient, et tu perdais le contrôle. Ce contrôle que tu n'avais qu'en surface depuis longtemps. Ce masque que tu essayais de te créer. Et tu avais éclaté en sanglot.

« Vous devriez tous quitter ma vie. Je ne peux pas... » Tu t'étais accroupie sur le sol, les mains sur le visage. Tu devais laisser sortir les ombres qui sommeillaient en toi - tu devais laisser s'évader tes émotions négatives, elles étaient devenues trop puissantes. Ton pouce entre les dents, tu essayais de faire passer la douleur autre part. Sans succès.
« Je ne peux pas être votre amie, hein ? Vous allez tous partir vous aussi, hein ? Ils le font tous, après tout... »

Tu riais nerveusement. Tes larmes coulaient comme s'il s'agissait d'un réflexe, ruinant ainsi ton maquillage léger, et ton joli minois rayonnant. Tu étais si pétillante, il y avait à peine quelques minutes. Et voilà que tu montrais ta vulnérabilité ; parce que c'était toi, Abbie. Tu n'étais pas un constant rayon de soleil, parfois ce soleil, il se laissait cacher par de gros nuages noirs. Des nuages d'orage. Tu n'étais pas stable comme fille, Abbie. Au moins maintenant, Oyaris allait en prendre conscience. Et il allait fuir, n'est-ce pas ? Qui avais envie de gérer une montagne russe d'émotions comme toi ?

Tu essayais de respirer. Tes crises de larmes te vidaient d'énergie. Tu t'étais allongée sur le sol froid, tes cheveux roses étant désormais humides à cause du sol enneigé. Tu ne réfléchissais plus, tu voulais simplement que cette douleur parte.

« Désolée... Oyaris. Je ne voulais pas que tu me vois dans cet état. Floragirl n'a plus autant de prestance, pas vrai ? »

Tu essayais de détendre l'atmosphère en faisant des blagues, c'était bien toi, ça. Mais la vérité, c'était que tu souffrais. Tu n'aimais pas qu'on le voit, tu avais horreur de craquer en public, tu préférais faire face à tes insécurités seule, chez toi, à l'abri des regards. Mais tu restais humaine et parfois, tu ne pouvais pas tout garder en dedans. C'était impossible.

Calluna s'inquiétait pour toi. Aconit aussi, d'ailleurs. Les deux Pokémons fleuris restaient à tes côtés, cherchant un moyen pour que tu te relèves. Mais tu ne voulais pas te relever. Si tu pouvais te congeler sur place et disparaître, ça t'arrangerait. Et ce, même si tu ressentais une profonde culpabilité. Tu t'en voulais de faire subir ça à tes Pokémons. Ils ne méritaient pas ça... Ils étaient si dévoués. Trop dévoués. Est-ce que tu méritais vraiment d'être dresseuse ?

Et toi, est-ce que tu vas rester ?
C'était la seule question qui hantait ton esprit. Le froid de la neige, tu ne le sentais pas. Tu ressentais la froideur de tes démons.

Tu réalisais que tu n'étais pas la seule. D'autres personnes dans ce monde avaient perdu des êtres chers. Oyaris en faisait parti, lui aussi. Et pourtant, le voilà qui te tendait sa main ; lui il ne perdait pas sa lumière et en plus il essayait de rallumer la tienne. Oyaris essayait de partager sa lumière avec toi, il voulait que vous brilliez ensemble, lui et toi. Il voulait revoir ton sourire. Il aurait pu partir, fuir, te laisser là et abandonner l'affaire ; personne n'avait envie de gérer une jeune femme instable et aux crises émotionnelles imprévisibles. Et pourtant, il était toujours là.

Lui, mais aussi tes deux Pokémons. Calluna et Aconit n'allaient pas t'abandonner, n'est-ce pas ? Parce que les Pokémons sont fondamentalement plus loyaux que les êtres humains.
Mais peut-être que...
Peut-être que Oyaris allait faire exception à la règle ?
Tu ressentais la chaleur de ton nouvel ami, son étreinte qui semblait vouloir recoller tes morceaux brisés, éclatés.

« Décidément... tu ne vas pas lâcher l'affaire, hein Oyaris ? »

Tu avais souris. Un sourire ponctué de larmes. Ta phrase sonnait comme un reproche, mais elle dissimulait une demande sérieuse.

Sparkboy et Floragirl.

Ces surnoms, ils n'étaient pas sérieux. Ils étaient issus d'une blague, d'une connerie que ton cerveau avait laissé s'échapper ; tu ne pensais pas, à ce moment-là, que cette private joke allait devenir importante pour toi, et pour Oyaris. Tu ne le pensais pas et pourtant, l'entendre dire que Sparkboy allait aider Floragirl à briller avait eu pour effet de t'apaiser, comme si le simple fait de le préciser sonnait sincère, que tu ne pouvais plus douter de lui, de vous. De votre amitié ?
Parce que c'était bien ça, n'est-ce pas ? Une amitié naissante, ce que tu redoutais le plus. Tes craintes s'étaient confirmées, et tu allais devoir en assumer les conséquences.

Abbie, tu aurais dû fuir pendant qu'il en était encore temps.
Désormais, tu es prise au piège.

« Je te suis... Si c'est ce que tu veux. »

Tu voulais jouer les dures à cuire, mais tu n'avais aucune crédibilité. Tu serrais le pull de Vlinder contre toi ; il sentait bon. Il était doux.
Il était doux comme la présence d'Oyaris. Malgré son énergie il parvenait à te calmer. Il avait des super-pouvoirs. Il n'était pas Sparkboy, l'homme étincelle, pour rien. « Tu me raconteras ton histoire, Oyaris ? Quand tu te sentiras prêt, évidemment. »

Tu voulais savoir qui il avait perdu.
Tu voulais apprendre à le connaître et à le comprendre.

Et surtout, tu voulais le réparer, toi aussi. Parce que si vous étiez deux êtres humains brisés à l'intérieur, vous pourriez apprendre à vous réparer mutuellement, peut-être. Oyaris avait gagné cette bataille, mais pas la Guerre. Ces crises, tu allais en avoir encore. Parce que même si tu voulais lui faire confiance, ce n'était pas en une seule journée que tes inquiétudes allaient s'envoler. Tu évitais de t'attacher ; Oyaris te forçait à s'attacher sans en avoir conscience. Sa personnalité était telle que tu ne pouvais pas le laisser partir, c'est comme si ton destin avait voulu que tu croises sa route. Et même si tu risquais de te brûler, tu allais prendre le risque de voir ce que votre amitié te réservait.

Tu serrais sa main, fort. Tu ne voulais jamais la lâcher et en même temps, tes réflexes te disaient de fuir ; de partir loin, de ne jamais revenir. Tu combattais l'autre toi ; celle que tu ne voulais plus être, celle que tu essayais de changer, tu voulais devenir meilleure, cesser de souffrir, tu voulais accorder ta confiance à nouveau - ce n'était pas chose aisée, ta zone de confort, elle t'appelait au loin, elle te suppliait de venir la retrouver comme tu le faisais toujours, mais tu ne pouvais pas ; Oyaris allait devenir une nouvelle zone de confort chez toi, tu le sentais.
Sans pouvoir l'expliquer clairement.

« Mon histoire n'est pas intéressante non plus, tu sais. Mais je veux quand même apprendre à te connaître. Tu sais, je dois toujours m'assurer que tu n'es pas un psychopathe qui cache bien son jeu depuis le début. » Tu avais soufflé du nez.
Cette histoire de tueur en série, ça allait devenir une private joke entre vous, c'était certain. Mais quand bien même, ce serait dommage qu'il ait si bien caché son jeu - c'était quand même étrange que ton nouvel ami Oyaris possède un pull rose à disposition pour votre rencontre ; peut-être te connaissait-il déjà depuis longtemps, et qu'il cherchait à te kidnapper pour ensuite demander une rançon à Monsieur Bellamy.
Non ! C'était impossible, mais l'idée te faisait glousser, tellement le scénario paraissait invraisemblable.
« T'as vraiment perdu ta voiture ? Elle ressemble à quoi ? »
Tu avais roulé des yeux, tout en souriant. Il n'y avait pas trente-six mille voitures dans les parages, elle ne pouvait pas être bien difficile à retrouver. « Oh, là ! Il y a une voiture rouge... Ah, non. C'est juste un tas de ferraille. Y a vraiment des gens qui abandonnent leurs voitures au beau milieu de la nature ? »

Quand même, c'était pas très sympa pour la flore autour. Tu étais surprise que la voiture en question ne soit pas devenu le nouvel appartement d'un amas de racines et de feuilles sauvages. Mais en observant bien, la voiture ne semblait pas si... abandonnée que ça. Il y avait des choses à l'intérieur, c'était comme si...
« Oyaris... Rassure-moi, tu ne roules tout de même pas avec ça ? Tu sais que s'il s'agit vraiment de ta voiture, elle a clairement besoin de réparations, hein ? »
Tu ne t'y connaissais pas vraiment en mécanique automobile, mais si même toi tu pouvais le remarquer, n'importe qui, dont la police, pouvait le voir. Entrer dans ce véhicule semblant tout droit sorti d'un atelier de do it yourself ne te donnait pas tellement envie, mais d'un autre côté, c'était une expérience. Si Oyaris avait pu se rendre à Exilar là dedans, tout était possible... sans doute.

« Selon Dusk Map... Il y a un café dès la limite entre Exilar et Windoria. Tu penses que Tas de Ferraille pourra s'y rendre ? »
C'était son nouveau surnom, à cette voiture.
Tas de Ferraille.

Et ça allait le rester jusqu'à ce que Oyaris l'amène chez un garagiste.

Il voulait apprendre à te connaître.
Avec sincérité et un brin d'innocence.
Oyaris, tu avais l'impression de ne pas le comprendre et pourtant, vous vous ressembliez, tous les deux. Plus que tu ne l'imaginais.
Il te donnait l'impression que ta vie pouvait, pendant un instant, redevenir un conte de fées que tu pouvais raconter.
« J'ai du mal avec l'amertume du café noir. Mais j'apprécie la douceur d'un bon latte... avec de la crème fouettée, et un peu de cacao sur le dessus. Et toi ? » La réponse te paraissait simple, pour cette question ; elle l'était beaucoup moins lorsque des fleurs étaient impliquées. Ta fleur préférée. Tu en avais tellement. Tu les aimais toutes. Comment pouvais-tu en choisir une seule ? Elles avaient toutes, sans exception, quelque chose d'agréable à raconter. Tu aimais expliquer que les renoncules tiraient leur nom des petites grenouilles, parce qu'elles appréciaient les endroits humides ou aquatiques. Tu aimais raconter que les chrysanthèmes étaient majoritairement utilisées à la journée des morts, pour rendre hommage aux défunts. Mais tu ne savais pas laquelle te correspondait davantage ; cela dépendait de ton humeur, de l'alignement des étoiles, de la température et de tes goûts du moment.
« Je n'ai pas de fleur préférée, parce que je les aime toutes. Mais si je devais en choisir une, ou plusieurs, je te dirais les fleurs de cerisiers. Tu me diras que c'est de la triche, parce qu'il s'agit d'une fleur d'arbre, et je te répondrai que j'aime aussi beaucoup les amaryllis, parce qu'elles ont une forme magnifique, et des couleurs hypnotiques. » Tu avais pris une pause, histoire de ne pas t'étouffer dans ton monologue floral. Tu avais tellement d'idées, tellement de choses à dire, mais tu y passerais la soirée, et la nuit, sans doute. Tu enchaînais alors ; « Connais-tu les myosotis, Oyaris ? Ce sont de petites fleurs, et elles sont majoritairement bleues. Parfois, elles sont roses ou blanches. Je pense que cette fleur te correspond bien. Attends, je vais te montrer. »
Tu avais pris ton téléphone portable afin de chercher une image de référence. Tu voulais absolument lui montrer un visuel. Parce que tu voulais qu'il voit la fleur qui te faisait penser à lui. « Regarde, Oyaris. Ces fleurs sont petites, mais elles prennent facilement beaucoup d'ampleur. Un seul clignement d'yeux, et elles t'éblouissent d'une couleur bleue vive. Je les trouve magnifiques et intrigantes, qu'est-ce que tu en penses ? » Tu espérais qu'il partage ton avis, mais en même temps, tu savais qu'un ressenti vis-à-vis une image, une chose, une personne, c'était subjectif. Tu ne pouvais forcer personne à être du même avis que toi et pourtant, tu espérais qu'il ne te contredise pas. Parce que le myosotis, c'était Oyaris. En plus, ça rimait. Est-ce qu'il y avait réellement besoin d'une autre preuve ?
Mais c'était bien joli tes discours sur la flore, tu n'avais quand même pas oublié votre objectif principal ; trouver un café, et boire une boisson chaude, tous les deux. Ensemble. Entre... amis. Tu n'étais pas sereine à l'idée de monter à bord de Tas de Ferraille, mais puisque Oyaris te disait qu'elle roulait bien... Tu allais le croire. Il avait mis beaucoup d'efforts dans la peinture de sa voiture, tu ne voulais pas le décevoir. Par contre, un petit détail te dérangeait.
« Tu as FONCÉ dans un poteau avec ta voiture ? Vraiment ? »
Tu avais posé ta main sur ton front, désespérée.
Tu ne savais pas comment encaisser cette information. Est-ce que tu signais ton arrêt de mort, en embarquant à bord de cette épave en devenir ?
Tu n'en savais rien, peut-être bien. Mais tu allais le faire quand même.
« Non, je vais réfléchir à ma commande sur la route, ça va m'occuper l'esprit pendant que j'essaye de ne pas paniquer à l'idée d'avoir trois accidents par ta faute. » Rude, mais sincère. Trop sincère, même.
« Bon... essaye de ne pas foncer dans... quoi que ce soit, hm ? Je vais mettre le gps en direction du café le plus proche. »
Dans quoi est-ce que tu venais de t'embarquer, Abbie ?
Tu allais bientôt le savoir. Le café, il allait faire du bien... Tu avais vécu trop d'émotions en un court laps de temps ; et tu te sentais épuisée.