« Merci infiniment Celica. On se voit ce soir, alors ? »
« Oui... Je suppose, oui. »

Tu avais raccroché en soupirant.
Pourquoi avais-tu accepté ?

Tu ne devais rien à personne, et cet employé malade, tu ne le connaissais même pas. Tu n'étais pas obligé·e de le remplacer cette nuit. Pourtant, tu avais répondu de manière positive, et voilà que tu te préparais à te rendre à l'observatoire pour des heures supplémentaires. Certes, tu avais besoin d'argent, c'était un fait indéniable. Mais quand bien même, était-ce la seule et unique raison qui t'avait poussé à accepter la requête ? N'était-ce pas par reconnaissance, parce qu'ils avaient accepté de t'embaucher, de te laisser une chance à toi, Celica, fardeau de l'univers ? Sans la moindre hésitation ? Peut-être que oui, peut-être pas, t'en savais rien, en fait. Mais tu ne voulais pas le savoir, parce que tout ça, ça te bouleversait. Tu ne savais pas ce qui te poussait à réagir d'une certaine manière, tu ne savais plus si tes décisions découlait d'une rationalité quelconque, si tu étais guidé·e par tes émotions ou par la logique. Tu savais rien, tu étais perdu·e. Perdu·e dans un océan d'incompréhension.

Tu ne savais pas non plus pourquoi tu avais commencé à mettre du rouge à lèvres. Tu l'avais vu, dans cette boutique. T'en avais pas besoin, pas du tout. Quelle dépense inutile, pensais-tu. Du maquillage ; t'avais pas besoin de maquillage, t'avais pas besoin de plaire à quiconque. Peut-être voulais-tu te plaire à toi-même ? Essayer d'avoir un semblant d'admiration pour ta propre personne ? Essayer de te sentir humain·e, au moins un peu ? Tu ne savais même pas si tu te sentais féminin·e, cette notion était floue dans ton esprit. Tu étais juste... quelque chose, une âme errante.

Et cette âme errante, elle errait dans les rues de Windoria, en direction de cet énorme bâtiment, ton deuxième chez toi. La maison des étoiles, comme certains aimaient l'appeler. Un véritable voyage dans un autre monde, un monde inconnu - et ça te fascinait. Tu aimais ton travail, alors que tu n'étais qu'un·e simple spectateur·rice de cet espace doté de mystères. Cet étendu magnifique. Tu ne faisais que garder le fort, mais tu te sentais important·e. Tu sentais qu'être gardien·ne de ces lieux revenait à garder un endroit sacré à Lumiris, probablement l'un des plus beaux endroits du nord de la région. Et en plus, tu n'avais pas besoin d'être confronté·e aux humains ; tu pouvais déambuler seul·e et penser, te remettre en question. Au fond, tu pensais que c'était une bonne chose, mais l'était-ce réellement ? Était-ce la meilleure des idées que de rester dans ton éternelle solitude ? Fuir nos peurs ne peut jamais être bénéfique sur le long terme, et tu étais bien placé·e pour le savoir. Mais tu t'entêtais.

Parce que tu étais effrayé·e par les gens.

22:02.
Ton quart de travail était commencé, plus personne à l'horizon. Juste toi et Lancer, ton Scalpion qui te tenait compagnie. Tu t'attendais à une longue nuit, restant éveillé·e, et tant qu'à faire, tu allais entraîner Lancer. Parce que Lancer, il avait besoin d'apprendre à devenir fort ; parce que la volonté c'est bien, avoir du coeur au ventre c'est une bonne base, mais ça ne fait pas tout. Lancer était vaillant, il était courageux, et il était protecteur... mais il était encore jeune, et encore faible. Il devait apprendre, tu allais lui apprendre. Vous alliez apprendre ensemble.

Mais avant cet apprentissage, tu allais devoir expliquer à ce petit rigolo que l'observatoire était fermé. Oui, ce jeune homme qui observait attentivement dans la vitre, ne semblant pas comprendre pourquoi la porte était verrouillée. Le principe étant que la fermeture était passée depuis presque une quinzaine de minutes, maintenant. Il y avait pourtant une fiche avec les heures d'ouverture accrochée sur la porte. Il ne l'avait pas vu ? Tu n'avais pas envie d'aller le voir. Tu n'avais pas envie... et s'il réagissait mal ? Et si tu te mettais en colère à cause du stress ?

Et si, et trop de et si. De toute façon, tu n'avais pas le choix, c'était ton travail ; tu te doutais que cela allait arriver un jour. Tu t'avançais donc vers la porte d'entrée, armée de ta neutralité la plus fidèle. Tu ne dégageais rien. Pas l'ombre d'une émotion positive ou négative, tu étais un robot qui effectuait sa tâche.
Rien de plus, rien de moins.

« Veuillez m'excuser, mais comme vous pouvez le lire sur la feuille ici présente... La... feuille, ici présente... » Oh, et bien, la feuille semblait s'être envolée à cause du vent. C'est vrai que le vent était particulièrement violent, en cette soirée hivernal. Il ne neigeait pas, mais il ventait - tu allais devoir avertir tes collègues demain. Il fallait remplacer cette feuille. « Hm... Il n'y a plus de feuille, c'est fâcheux. L'observatoire ferme à vingt-deux heures, monsieur. Vous pouvez revenir demain matin. Nous ouvrons à huit heures. »

Lancer, qui était à tes côtés, approuvait tes dires d'un hochement de tête, tout en faisant valser la lame qui lui servait de bras - de gauche à droite. Comme pour saluer le visiteur imprévu. Il était plus poli que toi, c'était le cas de le dire.