Félicitations, c’est un garçon!
Furent les premiers mots censés qualifier Alexis.

Un garçon. : un garçon aux yeux rieurs et au sourire ravageur.

Il deviendra un vrai tombeur!
S’amusaient ses tantes sous le rictus bienveillant d’une mère qui, comme tout parent, songeait souvent au devenir son unique enfant.

Ou un grand sportif!
Espérait simplement son père, ce qui n’était pas non plus pour déplaire.

Un athlète gourou des cœurs.
On nourrissait de grands espoirs pour le premier petit enfant de la lignée Dassylva. Si bien est que, au jour de sa naissance, Alexis portait déjà tout un bagage d’espérances et d’objectifs qui n’étaient pas les siens.
En lui, ils avaient placé l’ensemble de ces rêves trop longtemps nourris et inéluctablement rattrapés par la réalité.

Mais peut-être que ce serait différent, pour lui.

Wore them lips in the cold, it was matching green
Les yeux gorgés de fébrilité, il tend son bouquin à la gentille dame derrière le comptoir.
Alexis ne parle pas.
Parce que les mots lui manquent souvent, parce qu’il se laisse souvent impressionner par la simple clarté d’un sourire sans la moindre arrière pensée. Alexis, il n’est confiant qu’au travers les livres et les images imprimées.
Alexis, il ne prend vraiment vie qu’entre les pages et les lignes. Dans son monde imaginaire, dans les histoires qu’il s’invente par-dessus celles déjà existantes, il se sent en contrôle.
Le Dassylva n’est pas un sportif comme son papa l’espérait, mais ce n’est pas grave parce qu’il ne vient pas d’un monde où les espérances priment sur l’amour d’un père pour son enfant.
Et puis, sa mère trouve ça bien qu’il s’instruise, qu’il soit un garçon aussi curieux et critique.

Sept ans après sa naissance, elle se  dit qu’il sera peut-être un grand écrivain ou un éditeur célèbre.
Les temps changent, mais les gens peu.
À chaque année qui passe, elle continue d’imaginer quel avenir il aura, de quels honneurs on le couvrira… Parce que Alexis n’aura pas une vie ordinaire, c’est elle qui le dit.

In the morning, she would take her mother's wedding ring
Alexis, il sourit, brille, rayonne.
C’est de cette légèreté, de cette énergie quasi nucléaire, dont sont composées ses plus jeunes années.

Si bien est que, lorsqu’il lève la main pour répondre à une question, l’institutrice ne peut que lui renvoyer  une fraction de sa bonne humeur. « Je t’écoute, Alexis. » Et rien ne saurait entacher sa fierté, cet éclair d’assurance lorsqu’il sait ce que d’autres ignorent. « En 1959 madame. C’est en 1959 que les explorateurs sont arrivés à Lumiris... » Nul besoin d’être félicité ou récompensé.
Alexis a passé toute sa vie dans les livres d’histoire, à éplucher toutes les références possibles traitant du passé aussi orgueilleux et mystérieux de sa région natale.

Lumiris, il l’a connaît.
Car il en est passionné.

Le garçonnet fait la fierté de ses parents, car, même s’il est discret, il est animé et fort d’exister.
Son sourire n’a pas changé, ne s’est jamais fané.

Mais, du haut de ses onze ans, sa maman s’inquiète parfois.
Parce qu’il passe beaucoup de temps enfermé dans sa chambre, la tête penchée entre les lignes de tous ces vieux bouquins dont elle ignore jusqu’à la véracité… Mais elle se rassure, car elle est convaincue désormais qu’il deviendra un grand historien ou archéologue.
Alexis a peu d’amis, mais qu’importe : c’est un enfant brillant et intéressé. Il est de ceux qui ne demandent qu’à connaître là où d’autres n’entendent qu’à se taire.
Alors même s’il n’est pas entouré, même si on a tendance à l’oublier, l’essentiel c’est que, en chemin, il soit bien accompagné.

Et, chez les Dassylva,  d’aucun n’ose penser que renfermé est un synonyme de désespéré.

But she can't be herself when she's somebody else
Parfois Alexis se sent différent, il se demande si quelque chose ne va pas.
Lorsque son regard se détourne de certaines activités, il réaliste soudain qu’il lit pour s’oublier. Il ressent en lui comme un inconfort constant, comme une incertitude qu’il est incapable de qualifier.
Et il n’y que lorsqu’il franchit la porte de la bibliothèque - celle-là même au sein de laquelle il est désormais volontaire, et qu’il salue cette employée presque trop souvent croisée, qu’il a l’indescriptible impression que les pièces s’emboîtent enfin, que tout se replace autant dans son cœur que dans son corps.
En réalité, Alexis ne vit qu’en cessant d’exister.

Depuis qu’il a quatorze ans, sa délicatesse lui vaut quelques railleries.
On questionne son orientation et ses préférences sur des questions auxquelles il n’a jamais songé.
Le garçon ne comprend pas en quoi cela intéresse tant les autres enfants, mais il ne leur donne pas le pouvoir dont ils rêvent tant.
Il n’est pas un briseur de cœurs comme ses tantes le prédisaient, mais c’est un briseur de malheur.
Parce que rien ne l’atteint, parce que son sourire éclaire toujours autant les nuits sans fin dont se composent certaines prunelles.

Sa maman le regarde aller. Elle est fière de son enfant, mais se demande maintenant s’il ne deviendra pas un simple bibliothécaire, s’il s’intéressera vraiment aux grandes études dont ils rêvaient tant.
Mais elle se dit que le bonheur de son rejeton prime sur ses attentes sans doute démesurées et même Papa ne peut s’empêcher d’acquiescer.

Leur enfant différent, ils ne cesseront jamais de l’admirer.

She was only seventeen sixteen
Alexis est étranger aux subtilités dont se composent cette vie-ci, mais quand il l’a entendue, il a compris.
Ce malaise qui ne le quitte plus, que son propre reflet remue sans cesse, possède désormais un nom et un bagage de responsabilités qu’il doit apprivoiser.
Alexis se questionne à savoir s’il est capable, s’il a le courage de surmonter les épreuves qui l’attendent. Il n’a jamais été un garçon courageux, mais peut-être sera-t-il une fille un peu plus audacieuse?

À seize ans, elle renaît devant le vidéo d’un coming out qui ne la concerne même pas, mais dont chaque mot résonne jusqu’au plus profond de son petit être incompris.
C’est arrivé par accident, rien ne l’avait préparée à la justesse de ce qu’elle s’apprêtait à découvrir sur elle-même, sur toutes ses interrogations restées trop longtemps sans réponse… Mais désormais, elle sait.
Toutes ces années passées à s’interroger, à remettre en question des choix contre lesquels elle ne pouvait s’élever, prennent un sens auquel qu’elle n’avait jamais souhaité regarder.
Parce qu’elle sait.
Elle sait que ça fait peur, qu’il n’existe pire terreur en ce monde.
La différence est inquiétante, mais pas autant que l’idée de soixante années passées à ne pas s’aimer.

Et pour la première fois, maman ne sait plus ce qu’elle deviendra.
Elle est perdue, comme bon nombre de parents. L’avenir l’effraie plus qu’il effraie Maelle dont le sourire ne cesse jamais d’exister.
L’inquiétude la ronge, mais certainement pas la honte.
Elle et son papa savent que le chemin sera long, qu’ils ont perdu un fils au profit d’une fille, mais qu’ils ne cesseront jamais de chérir l’être qu’ils ont conçu.
Les maladresses ponctueront désormais leur vie privée, leur quotidien autrefois bien rangé, mais ils la soutiendront. Dans la peur comme dans l’adversité et sans l’ombre d’une hésitation.

Is there any life on Mars?
Maelle a entamé des études en documentation.
Quand elle a décrété vouloir devenir Archiviste, sa mère n’a pas tout compris… Mais l’assurance de sa fille a suffit à la convaincre qu’il était temps pour elle de voler de ses propres ailes.
À dix-huit ans, la jeune femme trouve peu de réconfort en l’avenir, mais admire sans cesse le présent.
Elle vit au jour le jour, sans se soucier à la fois des regards et des commentaires dont on la couvre parfois.

Maelle est impliquée; elle s’est découvert une voix et un désir d’aider.
Elle est l’héroïne de ses parents.
Car les jours ne sont pas toujours beaux et demain n’est pas toujours glorieux… Mais jamais elle ne se plaint.
Maelle s’est dressée d’une fierté qu’on ne lui connaissait pas.

Désormais, quand elle confronte son regard à la glace, ce ne sont plus les poils récalcitrants ou cette désagréable pomme d’Adam qu’elle y voit, mais de grands yeux curieux et une magnifique chevelure de blé parfaitement coiffée.
Elle aime la personne qu’elle est devenue, quand bien même sa décision ne fait pas l’unanimité.
En tant que jeune adulte, jamais ne s’arrête aux commentaires désobligeants ou aux regards déplacés. Elle brille, tout simplement.
Du jour au soir, toujours de la même intensité.
À Maelle, jamais on ne fait d’ombre.

Maelle est le noyau de son propre soleil, le centre de son propre univers.
Et même si elle est perdue face à l’avenir, même si elle ignore de quoi demain sera composée; elle fonce à tête baissée.