Il est désolé. Mais de quoi ? Je lui demande de ne pas me lâcher et lui il s'excuse. Il va me lâcher, c'est la seule raison. Il va me lâcher et il le sait. Le sale petit lâcheur. J'ai besoin de lui maintenant et là il s'excuse. Mais je rêve. Je jure que s'il me lâche, quand je sors de l'hôpital, je vais tellement lui botter les fesses qu'il boitera jusqu'à ce que notre fille soit adulte.

Mais de quoi tu me parles ?

C'est bon, il délire complètement. Et moi je panique. Je vais accoucher et lui il me parle de Suicune. Suicune est le Pokémon qui l'attire le plus, impossible de savoir pourquoi j'ai cette fascination pour lui. Et Leonard m'a fait une surprise, le jour où j'ai perdu le plâtre de mon bras, de m'amener au chute pour une rencontre en vrai. Ce fut le moment le plus beau de ma vie, le moment que je garde avec le plus de précision dans ma mémoire. La course poursuite qui a suivi, la grotte, la première fois. Tout est parfaitement gravé dans mon esprit, peut-être même prend-il toute la place.

En revanche...

Est-ce que tu peux arrêter de dire des conneries et être un peu sur le coup.

Les contractions se font de plus en plus forte. Et je suis de plus en plus agressive. Un infirmier me dit de rester et de respirer, mais je l'envoie chier avec une véhémence dont j'ai le secret.

Nous arrivons à l'hôpital. On me fait une piqure qui me défonce de douleur. Manifestement, les docteurs pensent qu'il y a un problème et réessaye. C'est douleureux, c'est affreux et je les menace que s'ils recommencent je leur refais le portrait. Ce n'est certainement pas la première fois qu'ils reçoivent pareilles menaces, mais c'est la première fois que quelqu'un les mettra vraiment à exécution. Ils ont essayé de m'expliquer pourquoi ils faisaient ça, mais franchement, je m'en fous. Déjà en temps normal, je n'aurai probablement pas compris. Mais là...

Finalement, dans une salle, je hurle pendant qu'on me dit de pousser et de respirer. Mais je ne fais que ça. Je tiens la main de Leonard et sert autant que je pousse et j'ai mal. Et je crie aussi. Beaucoup. Je crois n'avoir jamais autant crié. Puis c'est fini. Je pousse un soupir et quelque chose d'autre crie.

Je n'ai pas besoin de savoir beaucoup de chose pour reconnaître le cri de ma fille. Ma gorge se noue, alors qu'on me l'apporte, après l'avoir nettoyé et fait tout les trucs que je ne comprends pas. On me la dépose dans les bras et j'ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais rien ne vient. Je ressemble à un magikarpe.

Je la fixe, puis regarde Leonard, des étoiles dans les yeux. Finalement, pleurant de joie, j'ai un petit gloussement joyeux.

C'est ma fille. Regarde. C'est notre bébé. Ma fille.

Elle est magnifique. Elle a l'air si fragile, si calme, si tranquille. Une infirmière me demande comment nous allons l'appeler. Avec un doux sourire, je réponds.

Ange. Elle s'appelle Ange.

C'est la plus belle chose de ma vie. Le plus grand moment de mon existence. Il va enchaîner les catastrophe, les drames, les risques et les peurs, sans oublier les colères. Mais maintenant, ce moment est le plus beau. Jamais rien ne pourra le détrôner. Dans mes bras, repose la vie d'un nouvel être, et cet être est ma chair, le fruit de mon amour avec Leonard, une chance de réparer des erreurs passées.

Oui.

Oui, elle est magnifique. Elle est ce que j'ai fait de mieux. Et... Elle a mes yeux.

Je dépose doucement un baiser sur le front de mon bébé. Et Leonard un baiser sur ma joue. La souffrance est partie, le temps d'attente a disparu, tout ce qu'il reste, c'est Ange, ma petite. Ce prénom n'est pas si débile quand on la regarde. Elle est belle, elle est un don du ciel. On ne peut pas faire mieux comme prénom.

Par réflexe, j'éloigne Ange de Leonard quand il demande à la prendre. C'est ma fille. Personne n'a le droit de la toucher, ou de lui faire du mal. Je jette un regard noir à Leonard, mais il s'adoucit immédiatement et je souris.

Oui. Désolé. Fait attention.

C'est aussi sa fille. Et il y fera attention, encore plus qu'à moi. Je l'aide à la prendre et regarde les deux trésors humains de ma vie. Vulca vient bondir sur mon lit et je la prend dans mes bras.

Vulca, je te présente Ange.
Quelqu'un esquisse un mouvement pour chasser Vulca mais s'arrête. Il a certainement peur de m'énerver.

Une infirmière vient chercher Ange pour la nettoyer et la peser et faire d'autres trucs que je ne connais.

Je prends la main de Leonard. Il nous faut une balançoire. Dans notre maison. Je pense à ça maintenant. Comme si c'était la seule chose qui comptait.

Mais, comment ça elle est trop petite ? On pourra faire de la balançoire en faisant attention. Tout le monde aime les balançoires. Je pourrais en faire avec elle. La prendre sur mes genoux et faire de la balançoire. Mais c’est le rêve.

Mais bon Leonard ne veut manifestement pas. Tant pis pour lui, on en aura une même sans sa permission. J’ai toujours aimé les balançoires. J’y passais beaucoup de temps avant. On va d’avant en arrière, régulièrement, avec le vent qui souffle dans un sens puis dans l’autre. Quand la nuit tombait et que les autres quittaient le parc, je restais là, à me balancer. Il n’y avait rien d’autres à faire quand j’étais petite. Nulle part où aller avant d’aller au lit. Le mouvement oscillant chassait les mauvais rêves et les craintes.

Mais c’est vrai qu’on n’a pas de maison, on en parlait sur la plage il n’y a pas deux heures. Le problème ne s’est pas résolu de lui-même entre temps. Je pensais qu’on aurait encore quelques jours tout de même. Mais ce n’est pas le cas.

Donc ?

Leonard a probablement une idée qu’il va m’exposer dans… maintenant. Non rien. Pas d’idée. Rien qui vient ? Il se ramollit du cerveau bon sang.

Donc il faut vite qu’on en achète une. Avec une balançoire.

Je tiens à ma balançoire. Je regarde Leonard intensément. La solution est pourtant si simple. Pourquoi s’en inquiétait.

Je regarde Leonard sortir de son sac une montagne de papier. Je me demande ce qu'il fait. Il ne va pas trouver une maison dans son sac tout de même. Il vient juste de me parler, avant l'accouchement de la maison alors il faut aller la chercher dans les bois et l'acheter une fois qu'on l'a trouver.

Je le regarde disposer au sol plusieurs feuilles avec des photos dessus. Des maisons avec plein de texte écrit autour. L'une d'elle attire min attention et je m'allonge sur le ventre et me penche par-dessus le lit pour l'attraper, puis je retourne m'installer.

La maison sur la photo est belle, grande, avec trois étages et plein de place sur le côté. Elle ressemble un peu à un petit château, pas les châteaux forts mais les beaux châteaux. Je lis doucement la description. Il y a un grand jardin d'après la feuille, avec un nombre en ha. Je ne sais pas ce que ça veut dire. Il y a plein de place et c'est à proximité de Voltapolis. Ce serait bien. Il y a plein d'image de ce que j'imagine être à l'intérieur. C'est joli. Peut-être changer quelques trucs, mais ce serait génial. Et puis dans le fond on voit même une balançoire.

Je voix ce qui semble être le prix. C'est cher, mais ce n'est pas non plus la plus grande quantité d'argent que j'ai vu sous mes yeux.

Je regarde Leonard qui se parle tout seul, ou alors au mur, ce qui est stupide dans les deux cas, ou pire encore, il me confond avec le mur, ce qui serait assez tragique.

Leonard ? Je peux acheter celle-là ?

Ma voix est clairement interrogative, comme si je lui demande la permission. Mais je n'ai pas à lui demander si je peux faire quelque chose.

Je veux dire... Celle-là, elle est en vente ? Je peux donc l'acheter, elle me plaît.

Si c'est vraiment le prix qui est indiqué, je peux l'acheter tout de suite, puisque j'ai ce qu'il faut quelque part, le truc de banque. Après la mort de mon père, il y a un type qui m'a présenté des documents, m'expliquant que c'était ce que j'héritais de mon père et ce que la vente de l'appartement me rapporterait. C'est là que j'ai vu une somme plus importante. Et comme championne d'arène donne pas mal d'argent et que j'en dépense assez peu, je suis sûre d'en avoir encore plus.

De toute façon, c'est décidé. Je veux celle-là.

Leonard me rassure. La maison est toujours en vente. C'est super. On va pouvoir l'acheter, lui mettre les meubles qu'on veut. Peut-être qu'il y a une cave dans laquelle on pourra mettre un sauna. Ce sera super. Le terrain a l'air grand en plus, on pourra s'entrainer avec Leonard et Ange quand elle sera assez grande, ou simplement jouer avec elle. Puis on ira faire un sauna avant d'aller se laver. Et puis, on cuisinera ensemble, dans la grande cuisine de la maison. On pourra faire des cache-caches aussi. Ou simplement lire devant la cheminée, l'hiver. Et même l'été. Un hamac. On aura un hamac et une cabane dans les arbres. On pourra inviter les copains d'Ange après l'école pour le goûter à la maison. On pourra l'y emmener tous les matins, et aller la chercher tous les soirs. En plus ce n'est pas loin de Voltapolis, où je pourrais installer ma nouvelle arène. Si plus de challenger viennent, ça me fera plus de bonus, donc plus d'argent et on pourra alors partir en vacance très loin. Ce sera fabuleux. Ange connaîtra plein de choses et avec un père comme Leonard, elle sera tellement curieuse qu'il faudra lui apprendre toujours plus de choses. On aura une bibliothèque, immense, peut-être sur plusieurs étages, avec des livres sur tous les sujets et...

Le ton de Leonard me ramène sur terre. Quelque chose le chiffonne mais je ne comprends pas quoi. Il s'excuse encore, mais ça devient lourd à la fin. Et c'est quoi son histoire d'il n'a pas assez d'argent ? Et même si son travail n'est pas assez bien payé, je travaille aussi. Je suis championne bon sang ! Il n'a pas à tout gérer et surtout il n'a pas à me traiter comme si je n'avais rien.

Je lui relève la tête et le regarde durement.

J'ai vendu un appartement en plein cœur de Celadopole. Leonard. Je peux acheter cette maison. De plus, je gagne assez d'argent en tant que championne pour y arriver. Je ne t'ai pas attendu pour gagner ma vie. Alors voilà ce qu'on va faire.

Mon regard violet se fixe dans le sien.

On va fêter la naissance d'Ange. Tu vas appeler tes parents, sinon ton père va nous faire la remarque qu'on aurait pu les prévenir plus tôt. Et après, tu vas appeler pour qu'on achète cette maison. Car c'est là-bas que je veux qu'on soit heureux. Ça te va comme ça ?

Ma voix s'est adoucie à mesure que je parle. Je veux cette maison et je suis certaine de pouvoir l'acheter. Et je sais aussi que je peux gérer une famille aussi bien que Leonard. De là à dire que ce sera une réussite, rien n'est moins sûr.

Il est sérieux là ? Bien Madame ? Il m’a pris pour sa mère ?

Je fronce les sourcils de mécontentement quand il me répond ça. Je vais le gifler. Ça me met hors de moi quand il fait ça. Genre je ne suis pas sa chef et…

Attend une minute, pour se faire appeler madame, il faut être mariée non ? Il faut aussi être mariée pour avoir un bébé je crois. Mes parents étaient mariés en tout cas. Puisque j’ai le même nom que ma mère. Et que l’autre aussi s’appelait Alambra.

Le problème c’est qu’on n’est pas marié avec Leonard. Comment on fait ? Pour se marier je veux dire. Ça se fait automatiquement ? Non, il y a une histoire de demande. A qui ? De qui ?

Leonard est en train de téléphoner à ses parents pendant que je réfléchis. Je le regarde faire, puis quelque chose se casse en moi. Les projets et le problème du mariage s’effondre complètement. Des larmes me montent aux yeux sans que je ne puisse rien contrôler. Et cette fois, je sais exactement ce qu’il se passe, et ça ne fait qu’empirer la situation. Je crois ne jamais avoir de larmes aussi grosses.

Moi aussi, je voudrai appeler mes parents.

Je voudrai dire à ma mère que je suis heureuse, que j’ai peut-être trouvé ma place. Qu’elle me dise qu’elle est fière de moi, qu’elle est heureuse. Je voudrai qu’elle saute dans la voiture et se précipite pour venir me voir et me prendre dans ses bras. J’aimerai alors lui dire que ce n’est pas la peine, de prendre son temps.

Je cache mon visage dans mes mains, en essayant d’essuyer les larmes. Je veux qu’elles s’arrêtent, mais rien n’y fait. C’est à la fois le plus beau et le pire jour de ma vie. C’est le plus beau jour, et personne n’est là pour le voir. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé.

Et Ange n’est pas dans mes bras.

Je veux mon bébé. Je couine. A la détresse de ne pas avoir de parents à appeler, s’ajoute maintenant la peur irrationnelle de ne pas revoir Ange. C’est mon bébé. Je veux m’en occuper, je veux veiller moi-même à ce qu’elle ne manque de rien. Je ne veux pas qu’on me la vole et qu’on la donne à d’autre, ou pire, qu’elle grandisse seule.

Où est Ange ? Leonard. Je veux mon bébé.

Je sens que je perds pied. Je glisse dans la panique. Ce fut si long de l’attendre. Maintenant, je ne sais plus quoi faire. Comment je faisais avant son existence ? Ma vie n’avait aucun but en réalité.

Je commence à trembler, toujours en pleur. Je vais me mettre à crier si on ne me rend pas mon bébé.

Leonard se précipite à mon chevet en me voyant pleurer. Cela ne fait qu’augmenter mes sanglots. Il n’y a plus rien pour les arrêter. Sa gentillesse est comme un couteau qu’il me plante toujours plus profondément dans la tête. A chaque fois qu’il s’occupe de moi, ce couteau tourne. C’est comme regarder ce que j’aurai pu être si un évènement de ma vie avait été différent. C’est aussi regarder ce que je n’arrive pas à être, et que je n’arriverai jamais à être. Il est tout ce que je veux. Mais maintenant, je veux aussi Ange, pour être sûre qu’elle soit comme son père, et pas comme moi.

Il essaye de me rassurer je le sais. Et que les personnes qui s’occupent d’elle sont certainement meilleures que moi. Et j’ai peur. J’ai peur qu’elles sachent que je suis une mauvaise personne. Que je n’ai pas d’éducation, que je suis violente, pas gentille. Mais je jure que je ne le serais pas avec Ange. Que je ferais tout pour qu’elle aille à l’école, qu’elle soit intelligente, gentille, en sécurité. Qu’elle puisse manger de tout, et toujours à sa faim. Qu’elle puisse jouer dans un jardin avec ses amis pendant des fêtes d’anniversaire. Mais qu’elles me rendent ma fille.

J’aimerai le dire à Leonard. Que j’ai peur qu’on ne me rende pas mon bébé, parce je serai une mauvaise mère. Alors que je jure que je serais une bonne maman. Si on veut bien me rende mon bébé.

J’essaye de le dire, mais il n’y a qu’un flot incohérent et secoué de sanglot qui sort de ma bouche. Je me cache dans mes mains.

Forcément, Leonard se trompe. Ce n’est pas la maison. Je m’en fous de la maison. Mais l’idée d’acheter une maison avec Leonard, mais sans Ange n’aide pas à me calmer. Prenant de grandes respirations, j’arrive enfin à articuler quelques mots.

Je veux mon bébé… Je veux Ange… et toi. Dis-je entre de grandes respirations et sanglots. Je veux… une famille. Je veux toi comme famille. Et… Et… je veux ma maman.

Cette dernière phrase me fait de nouveau fondre en larme. Ma voix se tord en une lamentation. Je veux un exemple à suivre. Je veux transmettre quelque chose à Ange, quelque chose qu’on m’a donné quand j’étais petite, qu’on m’a appris. Un secret de famille, une recette unique, des instants volés. Mais je n’ai rien de tout ça. Leonard en a. Pas moi.

Je veux Ange. Je veux mon bébé tout de suite.

Où est mon bébé ! Je me mets à crier, les yeux rouges de larme et de rage. On est en train de voler mon bébé. On me vole ma famille. On m’a déjà tout pris, mais on ne me prendra pas ça. C’est à moi. Ma fille, mon Leonard. Ils sont à moi. On ne me les volera pas.[/color][/color]

C’est irrépréhensible. Incontrôlable. Toute cette tension, accumulée au cours des mois. Cette attente. Et c’est déjà fini. Une poignée de minute avec Ange dans les bras et puis on me l’a déjà enlevée. On me l’a déjà arrachée. Neuf mois, dans la crainte que ça se passe mal, qu’il m’arrive quelque chose et qu’il lui arrive malheur.

Ils me l’ont emmenée. Et si en réalité, elle était malade. Elle avait un problème et qu’ils devaient la soigner d’urgence et si…

L’embrassade de Leonard sauve mon esprit des tourments qu’il s’inflige tout seul. Leonard me rappelle qu’il est là. Et qu’aussi bizarre que ça puisse paraitre, il a toujours été là. Depuis qu’on se connait, il est présent, d’une manière ou d’une autre. Le seul humain qui ne m’ait jamais quitté. Toutes mes pensées, mes réflexions, ont toujours Leonard en fond. Il est mon seul ancrage.

Je me cache dans ses bras. Puis le repousse pour mieux le rapprocher. Je ne sais pas ce qui se passe. Dans ma tête, j’ai juste envie de me lever et d’aller arracher mon bébé des bras des inconnus. Mais d’un autre côté, je suis trop terrifiée à l’idée qu’on refuse de me la rendre.

Les paroles de Leonard se veulent réconfortante, mais savoir Ange proche ne m’aide pas. Je ne la vois pas. Elle pourrait être dans la pièce d’à côté ou à des kilomètres, ce serait la même chose. Je ne l’ai pas et on me prive de sa présence.

Je ne veux pas dormir.

Répéter ce que je veux n’aurait aucun sens. Ce que je veux est impossible. Je veux appeler des gens pour leur annoncer avec le sourire que je suis maman et partager mon bonheur avec des gens qui me sont proches. Mais je suis seule.

La porte s’ouvre pour révéler l’infirmière et le docteur. La première porte mon bébé et sourit tendrement avant de prendre un air inquiet. Elle devait penser que nous faisions un câlin mais elle vit mes larmes. Moi j’ai surtout vu Ange dans ses bras.

Je me suis écartée de Leonard et j’ai tendu les bras, comme un enfant qui voit le bonbon qu’il réclame.

L’infirmière hésite et mon regard de suppliant devient glaciale.

Donnez-moi mon bébé.

L'ordre est sans appel. J'ai l'habitude d'être obéie, ou au minimum, on ne me défit pas avec ce ton. C'est mon bébé. Elle ne le gardera pas. Il est à moi.

Maintenant. Dis-je en la voyant regarder le médecin.

Avec hésitation, elle dépose doucement Ange dans mes bras, presque à regret. Non, tu ne me voleras pas mon bébé.

Dès qu'elle est dans mes bras, mon visage s'illumine. En grand sourire étire ma bouche et mes yeux rougis de la panique se mettent à briller d'une toute autre émission. Ange attrape de sa petite main, un de mes doigts. La peur et l’hystérie sont parties, chassées par la joie et l'émerveillement.

Regarde Leonard comme elle est belle. Dis-je en chuchotant.

Elle a l'air de dormir et je ne veux pas la réveiller. Je la serre doucement contre moi, lui donnant toute ma chaleur et mon amour sans pour autant lui faire mal. Elle est si fragile, si douce.

Je ne remarque pas que Leonard remercie le personnel soignant. L'idée de leur dire merci ne me vient même pas à l'esprit. J'ai déjà pas l'habitude de dire merci, même à Leonard, mais alors aujourd'hui, alors que je porte la chose la plus belle du monde et qui m'est le plus cher, m'entendre dire merci relèverait du miracle.

Pas plus d'un miracle par jour.

« Elle ne pouvait être que belle. »

Je regarde mon amoureux avec les yeux brillants d'amour et un sourire enfantin au visage. Il est idiot, et pourrait trouver un tadmorv beau, mais je sais qu'il dit la vérité. Ange est belle parce que c'est notre bébé à nous deux.

« Tu as vu sa maman ? Comment cet enfant aurait pu être autre chose que belle ? »

Quoi ? Quelle rapport ? Ah oui. Si, y a un rapport. Je rougis légèrement. C'est un doux mensonge, je crois, que ce que vient de dire Leonard. Je ne me suis jamais considérée comme belle et n'est jamais cherchée à l'être. Je me coupais les cheveux au couteau, parce que c'était le plus pratique. Je n'ai jamais eu assez d'argent pour acheter du maquillage ou de belles tenues. J'ai bien une ou deux jolies robes, que j'ai toujours porté pour Leonard, lors de fêtes. Mais moi belle.

Idiot. Ne dis pas de mensonge devant Ange. Elle est belle parce que c'est notre bébé, mais aussi parce qu'elle est juste belle.

C'est vrai quoi. J'embrasse doucement Leonard.

Elle saura lire et écrire et sera aussi intelligente que toi. Et tu lui montreras tout ce qui est beau dans le monde. Tu le promets ?

Je veux qu'elle soit éduquée, qu'elle comprenne quand on lui parlera de choses compliquées, qu'elle fasse ce qu'elle veut parce qu'elle pourra le faire. Rien ne lui sera impossible sous prétexte qu'elle n'a pas l'argent ou les capacités.

Elle ira à l'école, dis. Elle ira à l'école ?

Je pose la question avec un peu de crainte. Je veux qu'elle aille à l'école, et elle y ira, mais si Leonard dit non, on va certainement se disputer là-dessus.

On ne m'a pas souvent dit que j'étais belle. Enfin, si, on me l'a dit souvent, mais c'était des types, louches, déplaisants, dans des bars, ou alors des gars qui ne me connaissaient qui essayaient de faire je ne sais trop quoi, probablement avoir des coups à boire gratuitement ou je ne sais pas. En tout cas, je n'ai jamais cru les gars qui me disaient ça par le passé. Je n'ai jamais fait vraiment attention à mon apparence.

Et Leonard est un idiot. C'est bien connu. Il est bête et trop innocent pour mentir volontairement. Car il sait mentir. Il m'a déjà menti une fois. Et ça m'a fait mal. Vraiment mal. Il ne l'a pas fait exprès, mais ce sentiment de trahison qui m'a broyé le cœur, sa réaction violente, ma réaction violente, l'impression que le monde s'écroulait autour de moi et qu'on ne pouvait rien construire dans sa vie. C'était horrible. J'ai perdu définitivement confiance dans les autres êtres humains depuis.

Mais il pense que je suis belle et qu'Ange aussi est belle. C'est qu'il est convaincu que c'est vrai, avec ses yeux qui ne voient que les jolies choses. Aujourd'hui, ça me suffit et je le crois. J'accepte d'être belle à ses yeux. Et Ange est la chose la plus merveilleuse du monde.

Sa promesse me touche directement et ma gorge se serre. Elle saura lire, pour avoir des histoires à raconter. Elle saura écrire pour ne pas se ridiculiser et comprendre les autres. Et puis compter pour ne pas se faire arnaquer quand elle achètera des trucs.

Mais surtout, elle apprendra à jouer et à s'émerveiller de tout. Elle sera heureuse tout le temps. Rien ne lui fera jamais de mal. Sinon, elle va devenir violente comme le dit Leonard. Je ne sais pas ce que veut dire maussade, mais je trouve qu'il sonne comme ce que je suis. Et puis sinon, elle sera tout le temps en colère et seule. Je ne veux pas ça. Je veux qu'elle soit toujours entourée d'amis, Pokémons ou humains. Et qu'elle rit tout le temps. Pas de violence ni de tristesse.

Et être compréhensive. Si elle reçoit toutes ces qualités, elle sera infiniment mieux que moi. Je la rendrais forte aussi. Mais elle sera raisonnable et gentille. Et elle pourra faire ce qu'elle veut alors.

Si ! Elle sera intelligente. Comme ça, elle pourra comprendre les autres et ce qu'on lui dit. Il faut être intelligent dans la vie.

Parce que je ne suis pas assez intelligente pour bien tout comprendre. Comme la raison qui pousse Leonard a resté près de moi alors que j'ai toujours été méchante avec lui. Les raisons qui ont poussé Yokoss a se comporter comme ma grande sœur. Il faut être intelligent pour pouvoir bien se comporter. Et bien comprendre le monde.

Je regarde intensément Leonard. Il faut qu'elle soit intelligente. Comme toi. Comme ça, elle pourra faire ce qu'elle veut. Si elle est belle comme moi, alors, elle doit être intelligente comme toi.

Bien que l'idée qu'elle soit intelligente m'effraie beaucoup.

J'espère juste qu'elle m'aimera quant même et que je ne lui ferais pas trop honte.