Maelle n’oubliait jamais une date, jamais une larme.
Celles des survivants avaient pris racines dans sa mémoire, s’étaient creusé un nid dans sa poitrine. Même si, en sécurité depuis chez elle, la blondinette n’avait pas elle-même pris par aux tragiques événements de l’été, elle avait tout enregistré du ciel noir et des volutes de fumées au-dessus de Voltapolis.
Lumiris avait inscrit une nouvelle page à son histoire, un nouveau drame aux cicatrices qui zébraient sa peau… Et l’adolescente savait. Elle savait qu’il ne fallait pas oublier, qu’il était nécessaire de continuer à en parler.
S’inspirer des erreurs passées et des souffrances occasionnées, c’était le seul moyen d’éviter qu’elles se reproduisent et que l’avenir se couvre des mêmes nuages que les jours soufflés… Et c’était là l’objectif qu’elle s’était fixé : veiller à ce que l’humanité ne traite pas les attentats comme un vulgaire tabou à étouffer.

L’esprit plus léger que le poids de ses mensonges, la belle avait sauté dans le premier tramway en direction du fantôme de la métropole.
Consciente du refus qu’elle risquait d’essuyer, elle avait indiqué à ses parents qu’elle partait à la bibliothèque pour étudier et donner un coup demain. Aussi, s’il lui arrivait quelque chose au travers les quartiers malfamés, personne ne saurait où la chercher.
Mais Maelle, insouciante et davantage motivée par la connaissance que par sa sûreté, ne reculerait pas devant la tâche qu’elle s’était confiée… Depuis juin, elle repoussait sans cesse son investigation sur les lieux du drame.
Il avait fallut attendre l’accalmie puis l’oubli… Malheureusement, une ville bouleversée par autant de souffrances mettait toujours beaucoup de temps à se remettre sur pieds.
Et même si sa soif de vérité était indéniable, Maelle ne manquait pas de respect pour les héros passés et pour les traumatismes qui s’étaient inscrits entre ces quatre murs.

Mais aujourd’hui, elle ne ferait pas marche arrière.
Zuko sur les talons, la belle prend une grande inspiration en remontant légèrement son écharpe afin de couvrir le bas de son visage. La température était clémente et, pourtant, Maelle sentait le vent s’infiltrer insidieusement sous son manteau, la faisant frissonner.
Mais peut-être était-ce la nervosité ou l’excitation qui la trahissait.

« Ne tardons pas trop...  », murmure-t-elle au growlithe non loin d’elle.
Manifestant son accord d’un aboiement, le chiot relève alors doucement ses prunelles noires vers sa maîtresse dont le sourire se fait un peu plus léger et sincère sous le couvert de tant de tendresse.
La présence de Zuko la rassurait. Elle lui donnait tout juste assez de courage pour avancer, pour ne pas rebrousser chemin… Elle savait qu’il était facile de se prétendre audacieux, beaucoup moins d’en témoigner. Elle-même, alors qu’elle ne veillait qu‘à perpétuer l’histoire de Lumiris dans le temps, avait tendance à se surestimer…
Parfois, Maelle se demandait s’il n’existait pas des limites à ne pas franchir, des balises à respecter, puis, à chaque fois, elle se disait que les grands historiens n’avaient en réalité que faire de la sensibilité sociale. Le passé n’était pas pour disposition de plaire, mais d’être retranscrit dans la plus grande fidélité possible.

Maelle croyait en la justesse de ses ambitions, elle ne reculerait pas devant les difficultés.  

Balayant les alentours d’un regard averti, la belle presse alors légèrement le pas jusqu’à atteindre une clôture sensée condamner l’accès à la centrale. Ennuyée, elle longe alors la barrière jusqu’à découvrir une faiblesse dans les mailles de métal. L’enjambant, elle veille à ne pas s’érafler puis invite Zuko à lui emboîter le pas en toute sécurité.
Quelques minutes plus tard, elle pose enfin le pied à l’intérieur des décombre.
Un frisson d’excitation la parcourt.
La Dassylva aimait l’histoire. Peut-être un peu trop… Mais rien ne l’enivrait autant que de se tenir sur les lieux d’incroyables événements historiques. Même s’ils n’étaient pas forcément tous beaux ou positifs…

« C’est incroyable... », siffle-t-elle avec admiration en se retournant. « Tu imagines Zuko? C’est ici qu’ils se trouvaient. » Maelle avait eu beaucoup de peine et d’empathie pour les gens qui avaient soufferts… Mais maintenant que de l’eau avait coulé sous les ponts, elle voyait les choses sous un autre œil. Sa curiosité frôlait sans doute l’insolence, mais elle n’y prêtait pas attention : elle était là.
C’était aussi grisant que d’être au sommet du volcan Eneka où Meira avait laissé s’enfuir Hyouga avant que Windoria ne sombre dans un hiver éternel… Croisant timidement les bras, elle les frotte alors légèrement pour calmer les frissons qui la parcourent. « Le 25 Juin 2020, pendant que Hyouga retenait prisonnier les pionniers de la région, c’est ici que la population défendait l’archipel… Des gens et des pokémons sans histoire, exactement comme toi et moi. Tu te rends comptes? »
Malheureusement, sa contemplation est de courte durée. Alors qu’elle s’avance au travers les décombres, la blondinette remarque une masse sur le sol.
Intriguée, elle s'approche doucement vers la curiosité jusqu’à réaliser qu’il s’agit d’un être humain. D’une jeune fille.

Devant elle, un café dont le couvercle a sauté forme une marre brunâtre sur le sol et, imaginant systématiquement le pire, la blondinette ne peut s’empêcher de lâcher un hoquet de surprise. Ramenant ses mains à sa bouche pour ne pas hurler, elle tente de calmer à la fois son imagination trop fertile et son cœur trop emballé.
Ça ne peut pas être ça. Ça ne peut pas être vrai.
C’est forcément autre chose, elle se fait encore des scénarios… N’est-ce pas? Complètement tétanisée, la belle met un moment à remarquer que Zuko n’est plus à ses côtés.
Inquiète et dépassée par les événements, elle le cherche alors nerveusement du regard jusqu’à le remarquer… en compagnie d’un laporeille.

Un… Laporeille?

Maelle n’a pas le temps de se questionner davantage que le cadavre de la jeune fille devant elle se met à remuer. Étouffant difficilement un nouveau hurlement de terreur irraisonnable, elle se précipite alors dans sa direction afin de l’aider à se relever malgré l’horreur que lui inspire la scène.
«  Est-ce que tout va bien…? » s’informe-t-elle d’une petite voix en tentant d’ignorer la marre de café sur le sol.
S’il y avait bien quelque chose qui agaçait Maelle, c’était la dégradation des lieux gorgés d’histoire… Mais elle n’allait quand même pas taper un scandale à une inconnue qui reprenait tout juste conscience.
Il y avait des limites à l’idiotie.

D’une main douce, Maelle avait saisie celle de l’inconnue.
Elle n’était plus terrifiée et l’inquiétude n’embrumait plus son esprit normalement si allumé : la princesse en détresse allait bien. S’étant fait gentiment fait repousser par des sentiments plus forts que les siens, Maelle s’était légèrement éloignée sitôt que l’autre inconnue s’était précipitée vers la première.
Zuko a ses côtés, elle avait offert à son esprit quelques secondes de répit pendant lesquelles elle avait secrètement admiré la stature des ruines. Maelle connaissait tout de cette histoire… Et ce dont elle ignorait l’existence n’avait tout simplement pas été relaté dans aucun journal, blog ou document officiel succédant à la tragédie.
N’était-ce pas excitant, voire incroyable, de marcher sur les traces d’un événement aussi important, essentiel à la constitution d’une Lumiris plus forte et grandiloquente? Les mains jointes, la belle avait esquissé un sourire.
Elle était prêt à repartir, à continuer sa route.
Maintenant qu’elle était certaine que la belle demoiselle était en sûreté et bien entourée, elle ne voyait pas l’utilité de s’attarder plus longuement.

Toujours en retrait, la blondinette avait alors jeté un regard vers son growlithe dans l’espoir de lire en lui l’approbation qu’elle attendait pour fausser compagnie à ses connaissances improvisée… Mais rien ne vient.
Ennuyée, elle tire légèrement la moue avant de redresser ses prunelles océaniques vers elles.
Et puis son cœur manque un battement lorsque les traits de la plus âgée des deux s’éclaircissent sous une attention accrue.

Elle l’a connaît.

Maelle n’avait jamais été une freak, encore moins une stalkeuse… Mais la curiosité et l’amour qu’elle éprouvait pour Lumiris, pour sa terre patrie, étaient tels qu’elle se refusait le luxe de vivre dans l’ignorance. Cette personne était présente à la centrale le jour de l’attaque… Cette personne possédait un nom.
Un nom que Maelle connaissait à la perfection. « Lys Aiden… », murmure-t-elle avec fascination.
Maladresse. Réalisant ton manque de discrétion, l’adolescente glisse alors honteusement ses doigts à sa bouche avant de baisser le regard. Nonchalamment, elle tente de faire comme si de rien n’était.
Comme si elle n’avait rien dit.
Elle se reconcentre sur les paroles de la jeune fille au laporeille, fronce légèrement les sourcils lorsqu’elle leur mentionne la présence de Pokémons en danger… « Je… Je n’ai rien entendu de tel. », conclu-t-elle tout simplement.
Penchant légèrement la tête, la jeune Dassylva tente de faire appel à ses souvenirs. Elle avait beaucoup lu sur les ruines dans le tramway. S’il y avait un détail qui lui échappait ou un événement récent dont elle n’avait pas été informée, Maelle estimait qu’elle devait absolument l’apprendre avant d’être arrivée sur place… Malheureusement, les journaux et nouvelles plus récentes n’avaient rien mentionné au sujet de pokémons en danger.
Ce n’était donc pas un détail connu du grand public… « Je viens tout juste d’arriver et je n’ai toujours pas croisé le moindre pok... », affirmation brutalement interrompue par le cancan régulier d’un Cramorant affamé.
Fronçant légèrement les sourcils, l’adolescente s’apprête à esquisser un sourire coupable lorsque la présence de deux Applins devant lui met fin à la légèreté du moment.

Inquiète, elle n’écoute alors que son courage.
Même s’il existe largement pire qu’un pauvre Cramorant comme adversaire, la jeune femme sent son cœur s’affoler lorsqu’elle s’avance vers les trois pokémons et qu’elle réceptionne in extremis un Applin qui lui roule dans les bras.
Le soulevant, elle le sert alors contre elle en dévisageant l’oiseau affamé. « Ne leur fait pas de mal. », lui demande-t-elle d’une voix autoritaire.
Les sourcils froncés et l’air mécontent, elle libère alors la petite pomme de la moitié de son emprise afin de fouiller dans son sac. Farfouillant durant de longues secondes dans le bordel sans nom qui y règne, elle finit alors par pousser un cri de contentement en en extrayant une barre protéiné. « Je me disais bien que j’en avais toujours une avec moi... », confirme-t-elle a elle-même.
Maelle était faite d’aventures et de découvertes.
Elle ne partait jamais à la conquête du passé sans être bien équipée… Du moins, juste assez pour ne pas mourir brutalement de faim au bout de deux heures hors des sentiers. Déballant maladroitement la barre sans relâcher son butin de fortune, elle la jette alors à l’oiseau qui s’en saisit d’un air reconnaissant. « Eh bien, je t’en prie... »

Douceur, douceur dans sa voix et dans ses yeux.
Douceur lorsqu’elle regarde l’oiseau se détourner des deux petits pommes pour retourner à ses occupations habituelles.

Bercée par le son du cancan régulier, elle prend alors une grande inspiration en se retournant vers les deux jeunes femmes. « Comme je disais, je ne crois pas qu’il y ait de pokémons en danger… Les lieux ont été complètement désertés le lendemain de l’attentat et, depuis, plus personne n’y vient. Les pokémons qui y vivent désormais sont accoutumés à l’environnement et… En dehors d’une présence humaine, je ne sais pas quel genre de danger pourrait les menacer. » Peut-être se trompe-t-elle.
Peut-être Maelle est-elle naïve de croire que l’être humain est la seule source de menace guettant les pokémons… Mais, à cet instant, elle ne voit absolument pas ce qu’il y a d’autre à redouter au cœur fumant des ruines.

Se… connaître?
Maelle n’aurait pas été jusque-là, surtout pas au regard de la réaction glaciale de Lys. Se triturant nerveusement les doigts et la peau des mains, la belle esquisse un sourire embarrassé.
Parfois, elle se sentait un peu étrangère, un peu freak. Existait-il des limites à la curiosité? Des frontières à ne pas franchir, des idées à ne pas transmettre?
Le nom de la survivante lui avait échappé… d’ordinaire, Maelle ne manquait pas de discrétion ou de respect, mais l’étonnement avait excédé ses principes moraux. Elle s’en voulait un peu.
La tête baissée, le cœur gros d’avoir dérangé quelqu’un, la belle avait été heureuse de pouvoir rediriger son attention vers autre chose.

« Maelle… », avait-elle complété avant de réceptionner l’Applin entre ses bras tremblants.
Heureuse de pouvoir se soustraire au fruit de sa propre bêtise, elle avait alors rejeter toutes ses appréhensions sur la résolution de la situation. L’adorable chose entre ses bras, elle avait discrètement veillé à ce que Zuko ne se précipite pas en direction du canard…
Mais l’attention du chiot semblait davantage dirigée vers le laporeille dont la vue lui était beaucoup plus agréable que celle d’un Pokémon eau. Melle était soulagée.
Soulagée de ne pas avoir à le surveiller, de ne pas avoir à gérer son énergie tout en désamorçant la bombe qui régnait entre les pommes et le Carmorant, elle s’était alors détendue momentanément.

Mais ça n’avait duré qu’un instant.
Bien trop court pour la délestée de son bagage de honte et de fierté bafouée.

Serrant imperceptiblement la pomme contre elle, elle avait alors imperceptiblement glissée son nez contre sa peau afin de se cacher derrière elle. Elle dégageait une agréable odeur sucrée, semblable à celle des pommes que ses parents et elle adoraient cueillir aux premiers rayons de l’automne…
Rassurée, la belle sent enfin ses épaules de relâcher. Comment pouvait-elle se faire pardonner?
Les héros de la centrale n’étaient pas des figures connues, des vedettes locales… Maelle le savait. Ensemble, ils étaient des survivants bien avant d’être des combattants.
La majorité d’entre eux avaient beaucoup souffert de cette interposition dans les plans de la Team Mistral… Les heures passées ici même s’étaient davantage apparenté  au cauchemar qu’au rêve de notoriété.
Maelle le savait et, pourtant, elle n’avait pas pu contenir sa fascination.
Et elle s’en voulait terriblement.

Ramenant son attention vers Helia et son récit, elle avait alors légèrement froncé les sourcils.
Profiter de la naïveté des gens contre un fou rire était particulièrement exécrable… Pour autant, elle se demandait avec tristesse si, elle aussi, elle n’aurait pas eu la même réaction que la bleutée.
Même si elle ne s’était jamais estimée comme un produit de pure naïveté, elle se demandait s’il aurait été possible pour elle de fermer les yeux sur un tel risque, sur une telle possibilité. « Tu as bien fait de venir... », conclu-t-elle simplement en esquissant un sourire derrière la protection de l’Applin. « Si des pokémons avaient réellement été en danger, tu aurais pu leur venir en aide… Et, sans toi, il aurait pu leur arriver de bien mauvaises choses. » Même si ce n’était qu’hypothétique, son esprit avait toujours considéré l’importance capitale de pouvoir témoigner de ses propres yeux. « Il vaut mieux se déplacer inutilement que de rester passif face à l’écho d’une urgence... »
Et même si Maelle n’était pas la plus courageuse des jeunes filles, elle savait désormais que, elle aussi, elle serait tombé dans le panneau.

Parce que, face à la souffrance, on se pardonnait rarement son inactivité.

« Je… Euh. », ne risquait-elle pas de paraître anormale? Anormale? Glauque? « J’espérais pouvoir retracer le déroulement des événements de l’été dernier... », murmure-t-elle avec embarras.
Et si, au final, son amour de l’histoire la rendait inquiétante, dérangeante? Et si le fait de connaître les noms de Damien Delaunay, Lys Aiden ou Ethan Thetford sans jamais les avoir jamais croisé était moralement incorrect?
Maelle ne s’était jamais questionnée sur les torts qu’elle pouvait causer, sur l’inconfort dont elle pouvait être source… Mais la réaction de Lys en disait beaucoup plus que la théorie sur la manière dont les gens recevaient une attention aussi inopinée. « Je suis étudiante en documentation… J’ai pour ambition de devenir archiviste et de me spécialiser dans l’histoire de Lumiris. », comme si ça pouvait tout expliquer, comme si ça suffisait à tout justifier.
Maelle n’avait jamais été une fille de terrain, mais elle se mourrait d’amour pour les lieux historiques… Maintenant que le danger était passé, elle avait ressenti en elle le besoin de ressentir et de voir les choses comme si elle en avait été.
Même si rien ne pouvait reproduire la cacophonie et l’horreur d’une telle nuit, elle avait voulu y goûter, ne serait-ce qu’un peu… Pas par adoration pour le glauque, mais par simple soif historique.

Et même si la présence d’un café renversé sur les pages d’un tel événement l’agaçait, elle préférait ne pas le mentionner… Après tout, elle ne possédait rien pour l'effacer.

« Peut-être qu’un pokémon eau pourrait nettoyer la tache…? », se surprend-t-elle a demander.
Après tout, qui sait?

Maelle détestait la sensation d’être dérangeante.
Sa mémoire ne mentait pas : elle avait toujours été d’un naturel réservé, d’une transparence triste à en crever. Alors comment avait-elle pu invoquer de tels sentiments dans le cœur d’une étrangère?
Sa maladresse la tuerait.

Tôt ou tard, elle dirait le mot de trop et on confondrait sa curiosité au profit d’une fascination immorale.
Maelle le savait et, pourtant, elle ne voyait pas comment y remédier… Comme quoi la maturité aussi bien que l’assurance faisaient toujours cruellement défaut.
Un sourire flottant sur ses lèvres, la belle tente néanmoins de tout masquer de ses appréhensions ou de ses inquiètes. Elle était certaine qu’en s’expliquant, qu’en dictant la vérité sans ombre ni arrière-pensée, elle ne manquerait pas de calmer les doutes de Lys… Alors pourquoi? Pourquoi craignait-elle si fort d’échouer?

Elle n’avait jamais été de ceux que l’échec surveillait en continu.
Mais c’était toujours plus compliqué quand d'autres humains étaient directement impliqués.

« Il y avait plusieurs groupes.. Les forces de l'ordre présents et ils ont séparé les volontaires en plusieurs groupes... » Et son cœur qui manque un battement, qui s’échappe momentanément de sa poitrine pour s’écraser sur le bitume froid et poussiéreux de l’usine.
Surprise Maelle relève précipitamment la tête pour dévisager Lys en silence. Pendue à ses lèvres, elle déglutit maladroitement. Il n’avait jamais été question de ça.
Jamais été question de demander aux survivants de replonger dans les ténèbres qui embrumaient égoïstement leur esprit et leurs souvenirs… Jamais été question de faire la demande d’un tel sacrifice, d’une telle souffrance. D’ordinaire, Maelle apprenait des livres et des articles, pas de la bouche des gens...
Elle n’était pas journaliste, ne voulait pas faire sensation en dévoilant le récit poignant des victimes de l’attentat et, surtout, n'avait pas fait tout ce chemin pour glaner quelque confidence ou pour arracher les mots à la gorge des gens. Ça ne lui ressemblait pas. Maelle, elle n’était pas intrusive ni dérangeante. Elle n’était tout simplement pas faite de ce bois-là.

Aussi, lorsque Helia lui partages ses craintes, la Dassylva ne peut retenir son désir de cacher son visage derrière la pomme qui, entre ses bras, témoigne d’une docilité surprenante. « Il n’a jamais été question de leur demander quoi que ce soit! » Répond-t-elle avec vivacité.
Sa voix est cassante, bien plus que d’ordinaire.
Mais Maelle se sent mal. Elle se sent mal d’être prise pour ce qu’elle n’est pas : une horrible fouine intrusive.
Car même si les mots sont gorgés de bienveillance, elle a du mal à composer avec l’accumulation de malentendus. Entre Lys et Helia, la Dassylva se sent tristement étrangère.
Ennemie.
Elle nourrit l’impression d’être dangereuse pour l’instinct protecteur de l’une et de l’autre… Comme si sa présence était délicate, comme si l’on craignait qu’elle blesse par inadvertance. « Je voulais simplement… Voir les lieux de mes propres yeux. » Sans faire de mal à personne, sans obliger qui que ce soit à se remémorer les sombres événements de l’été dernier.

Posant doucement son regard océanique sur Lys, elle finit néanmoins par prendre une grande inspiration.
Comment avait-elle pu cumuler autant d’erreurs de jugement…? « Oui... », répond-t-elle simplement. Serrant légèrement la pomme contre sa poitrine, elle reprend alors. « Je suis sincèrement navrée de t’avoir dérangée… Ce n’était pas du tout mon intention. Ça m’a échappé… Mais j’aurais dû faire preuve d’une plus grande discrétion. » Maelle n’avait pas besoin de se flageller pour savoir qu’elle était en tort.
Elle ne voulait pas être une victime, elle ne voulait pas être une pauvre petite chose maladroite et inexpérimentée… Elle était plus que ça. Bien plus que ça.
Oui, mais quoi?
« La liste des volontaires lors du sauvetage étant de notoriété publique… J’y ai souvent lu ton nom… Ainsi que celui de pas mal d’autres participants. », soupire-t-elle.
Elle espérait que son explication suffirait, qu’elle évincerait les malaises dont elle était responsable. Si la vérité ne suffisait pas, alors elle ne voyait pas ce qui parviendrait à calmer le jeu.
« Ne t’’inquiète pas… Je n’ai jamais eu l’intention de te soumettre à un interrogatoire quelconque. Normalement, je ne m’aventure pas sur le terrain. Je retrace l’histoire dans les livres ou les journaux… Mais je souhaitais simplement replacer les événements dans leur contexte ainsi que dans leur décor. Je n’étais pas ici pour indisposer qui que ce soit…», reconfirme-t-elle. Parce qu’elle a l’importante impression d’avoir dérangé, d’avoir été une énorme épine à son pied.
Et même si elle tente de se raisonner, de se répéter que ce n’est pas aussi grave qu’elle a tendance à l’imaginer… Rien n’y fait. Elle ne parvient pas à se défaire de cette fâcheuse sensation. « Je ne pensais pas croiser d’autres gens aujourd’hui...» Sa voix n’est désormais qu’un murmure étouffé derrière la pomme qu’elle tient jalousement entre ses bras – et que le joueur imaginait quatre  fois plus grosse qu’elle ne l’est réellement.

Elles n’étaient pas plus mal intentionnées qu’elle, pas plus à même de lui planter un couteau dans le dos pour mieux le remuer.
Maelle devait se calmer, redescendre.
Elle se gonflait la tête de monstruosités, de théories trompées par la crainte insensée d’être mal perçue. Oui. Elle devait se calmer. C’était l’évidence même et, pourtant, elle en ressentait aussi tout la difficulté.
Les épaules tendues jusqu’au bout de ses doigts crispés, Maelle se sentait le souffle court, bloqué. La voyant, c’était difficile de croire que tout allait bien, que le monde n’était pas en train de s’effondrer.

Et seules les paroles de Lys parviennent à calmer ce maelström d’incertitudes la ravageant intérieurement. Je comprends.
Pas besoin de trop en ajouter ou d’exagérer les prémices du pardon.
L’humain était, par définition, imparfait et c’était une fatalité à laquelle elle ne pouvait échapper. Même si elle était, d’ordinaire, d’une douceur et d’une discrétion remarquable, l’excitation était souvent un facteur d’erreur.
Il lui suffisait d’être surprise ou fascinée pour laisser les émotions la gagner et… Voilà où cela la menait : perdue entre les quiproquos, les mauvaises perceptions et les jugements hâtifs.
Elle s’en voulait.
Mais si Lys disait que c’était correct, alors peut-être était-il temps de cesser de se ronger les sangs ou de se flageller pour un excès d’humanité.

Silencieuse, elle offre un sourire reconnaissant à Helia puis prend une grande inspiration.
Le naturel protecteur des deux jeunes femmes l’une envers l’autre l’avait d’abord tendue, mais ça n’avait pas lieu d’être. Elle n’était pas ennemie.
Ce n’étaient pas elle contre elles. Elle devait cesser de penser ainsi, de croire que l’affection était une raison.
La Dassylva possédait peu de liens d’une réelle profondeur… La plupart des gens qu’elle rencontrait ne caressaient sa vie qu’en surface et elle n’avait jamais établie de véritables sentiments autrement qu’avec des parents.
Est-ce que ça la dérangeait? Sans doute pas.
On ne pouvait pas regretter quelque chose que l’on avait jamais expérimenté… C’était comme la cécité. Comment pouvait-on souffrir de la noirceur lorsque on avait jamais caressé la lumière? Il était simple de désirer, beaucoup moins de déplorer.

« Je veux bien t’écouter oui... » Tant que l’initiative venait d’elle, qu’elle ne s’en sentait pas obligée.
Malgré tout, Maelle ne pouvait pas se mentir à elle-même : la simple idée évoquée d’entendre le récit d’une survivante la comblait de bonheur et d’excitation.
Elle se voyait enfant devant l’objet d’un désir profond, enfant face à l’objet de demandes incessantes.
Elle se sentait choyée, consciente de la chance avec laquelle elle flirtait désormais… Après tout, en dehors de quelques pies bavardes, elle avait crû comprendre que les héros faisaient preuve de réticence à l’idée parler.
Et elle pouvait comprendre pourquoi. Se replonger dans une telle noirceur, au cœur d’une telle tristesse… Ce devait être horrible.
Pourtant, Lys semblait  avisée. Maelle ne forcerait pas la porte entrouverte ni n’insisterait… Mais si la bleutée acceptait de parler, alors elle se pendrait volontiers à ses lèvres.

Cessant de martyriser le pauvre applin accroché à ses bras, la blondinette le laisse finalement tomber au creux de sa main pour mieux le faire tomber dans une poche de son manteau censé le protéger des intempéries.
Elle ne le connaît pas, ils n’ont toujours pas partagé le moindre instant de complicité… Mais le réconfort dont il a été n’est pas de ceux que l’on peut oublier.
« Je crois avoir aperçu un réfectoire lorsque je suis entrée… On peut aller s’y poser si vous voulez. Il doit bien y avoir encore quelques chaises utilisables. » Ce sera forcément plus confortable que de rester planter au milieu d’un couloir avec l’odeur âcre du café comme seul témoin de la désobéissance de l’homme.
Et puis comme personne ne semblait posséder de Pokémon eau capable de nettoyer la tache figée à leurs pieds, l’étudiante préférait ne pas s’y attarder.
Ce n’était pas la première fois que des vestiges étaient souillées et elle pouvait toujours se consoler en se convainquant qu’une tache de café, c’était quand même mieux que des graffitis sur un mur ou que du vandalisme à l’état pur.

Rassurée sans parvenir à échapper à ce léger pincement au cœur, la belle esquisse couvre alors Helia et le froakie du regard. À ses pieds, Zuko se faisait soudainement beaucoup plus discret.
En tant que growlithe, l’instinct lui dictait de se tenir éloigner… Et elle ne pouvait pas lui en tenir rigueur. L’instinct de survie était parfois plus fort que la raison, surtout lorsque l’on se tenait à proximité d’un autre être vivant dont l’on ne savait rien.
Malgré tout soucieuse de le savoir calme plutôt que stressé, elle se penche alors à sa hauteur afin de lui caresser l’arrière des oreilles. « Ne t’inquiète pas, il ne te fera rien... », mais comment peut-être en être certaine?
Et comme de raison, elle n’obtient comme réponse qu’un couinement suivit d’un regard piteux caché sous deux grosses pattes.

Et si, au final, elle avait enfin eu un peu de chance?
Même si un esprit un peu trop logique l’empêchait de croire au destin, Maelle expliquait difficilement autrement une telle rencontre aussi fortuite qu’enrichissante…
Ça ne pouvait qu’être écrit dans le ciel.

Et si, par mégarde, ce n’était effectivement pas le fruit de sa bonne étoile, alors elle ne pouvait devoir ce hasard qu’à l’intervention d’un quelconque dieu bienveillant…
Mais l’alignement des planètes, même si elle n’aimait pas y croire, lui semblait déjà un peu plus vraisemblable. Maelle était une historienne : elle basait son savoir sur les récits d’autrefois, pas sur des croyances ostentatoires.

« C’est gentil… Je suis convaincue qu’il appréciera. », confirme-t-elle d’une voix aux intonations de douceur.
Elle se sentait bien.
Proche d’un savoir qui lui manquait, certes, mais surtout dans le confort de son monde à elle. S’il avait légal de le faire, Maelle aurait sans aucun doute caressé la possibilité de prendre appartement dans un lieux historiquement parlant…
Dans des ruines ou au pied du volcan Eneka par exemple.
Elle savait que ce n’était pas intelligent, mais imaginer le passage et les activités des gens ayant foulé la même terre que ses pieds la grisait.

Le même bout de terre, à des centaines d’années de différence.
Comment pouvait-on témoigner d’une quelconque forme d’indifférence?

Se penchant doucement vers Zuko, Maelle garde ses doigts dans son pelage aux reflets étoilés. Elle aimait ce Pokémon.
Un jour, on lui avait dit qu’il avait été le protégé d’une championne… Certes, ce n’était probablement pas un mensonge, mais cela n’avait, en réalité, pas la moindre importance.
Car son champion, à Maelle, c’était lui.
« Tiens. Prends ça, c’est de la part de Lys… Tu peux le manger, il n’y a aucun risque. », le rassure-t-elle avec une confiance absolue en sa nouvelle connaissance.
Lys n’était qu’une inconnue, mais elle dégageait une sincérité à nul autre pareil dans l’humanité. Une sincérité telle que Maelle avait envie de s’y plonger les yeux fermés, sans craindre de possibles retombés…

Et croisant les doigts pour ne jamais le regretter.

Voyant le pokémon feu se calmer devant l’insistance des deux étrangères, l’archiviste sent le soulagement la gagner.
Ils n’avaient rien à craindre. Rien à redouter.
Même si les choses tournaient mal, elles seraient là pour les – pour le protéger.

« Parfait ! Vous n’avez qu’à me suivre. »
Elle se souvenait à peu près… Mais le jeu en valait largement la chandelle.
Tous les efforts qu’elle mettait aujourd’hui lui seraient forcément de la plus grande utilité dans l’avenir… Et Maelle avait envie d’entendre ce que Lys avait à dire.
Pas par sadisme, mais parce qu’elle croyait en l’importance des témoignages; parce qu’il fallait quelqu’un pour se remémorer, au risque de rendre tout ce que l’on avait pu endurer aussi vain que passager…

Quelques minutes plus tard, les pas de la blondinette bifurquent non loin de l’entrée.
Ensemble, elles pénètrent alors dans la salle que ses yeux avaient enregistrés et classés comme un réfectoire.
En effet, devant le groupe s’étirent des dizaines de table à la froideur palpable. L’endroit n’avait pas été designé pour être beau, mais utile… Et ce dans l’espoir, sans doute, d’éviter que les employés caressent la possibilité de s’y attarder, comme en témoignaient les chaises de plastique rouge.
(Maelle n’y connaissait pas grand-chose en design d’intérieur, mais elle savait que le rouge était souvent utilisé pour ses propriétés colériques et oppressantes… Qui donnaient aux gens l’envie de ne pas s'éterniser sur place. Dans les restaurants, entre autres, ça faisait un tabac.)

« Voilà… C’est ici. Il y a une table que vous préférez ? »
Dans le genre « un peu moins poussiéreuse » ou en meilleure état que les autres, je suppose.