Hayato jeta un dernier coup d'œil en direction de l'horloge murale qui pendait au mur à l'entrée de son bureau – trois murs solides, le quatrième en vitraux à l'image du plafond, tous deux envahis par les plantes grimpantes et parsemés de la rosée qui persistait, faute à l'humidité de la jungle dans laquelle l'arène se trouvait. D'ici, il apercevait un morceau du terrain sur lequel il s'avancerait bientôt, pour le seul combat auquel il avait choisi de dédier une partie de sa journée.

Lauriane Feroë – le nom ne lui était pas inconnu. Il lui avait fallu fouiller un peu, mais il avait fini par saisir d'où lui venait la sensation de déjà-vu qu'il ressentait lorsqu'il y songeait. Comme lui, elle avait été sur la croisière Ariwa, des mois auparavant.
Plusieurs des rescapés du navire ou de la centrale étaient venus à sa rencontre, chaque fois avec des objectifs aussi divers que similaires. Il s'agissait toujours de devenir plus fort, plus indépendant, plus courageux. Par ego, ou pour les gens qu'ils aimaient – il avait vu bien des flammes brûler au fond des prunelles de ses challengers.

Il se demandait de quelles cendres serait faite celle-ci.

Lorsque son téléphone portable avait sonné, le tirant d'une montagne de paperasse qui manquait lui arracher soupir sur soupir depuis près d'une heure et demie (parfois, il rêvait du jour où l'on viendrait le détrôner, et où l'administratif de l'arène ne le concernerait plus), c'était avec plaisir qu'il s'était redressé, éteignant son alarme avant de sortir de son bureau. La promesse d'un peu d'action lui parut bien tendre, et il prit le temps d'un peu d'exercice afin de dénouer ses muscles ankylosés par l'inactivité.

Vint l'heure, et Hayato sentit l'arrivée de la prétendante au badge dans l'arène bien avant qu'il ne puisse la voir. C'était comme si toute la faune s'était brièvement tue pour entendre qui venait ; quel énième étranger foulait leur écosystème aménagé. Et puis, le bourdonnement perpétuel avait repris, et son adversaire était apparue.
Hayato, habituellement droit comme un i, était un peu plus détendu, et plus nonchalant. Il faisait suffisamment chaud dans la serre à cette période de l'année pour qu'il ait renoncé à sa veste – il se tenait là, les bras croisés, les manches de la chemise remontées sans grand ménagement jusqu'aux coudes (il se maudirait plus tard, lorsque viendrait l'heure de les repasser pour en effacer les plis).

Bienvenue dans l'arène Plante, Lauriane !

Son ton était chaleureux, son sourire avenant.
Elle était différente, dans ses souvenirs – mais il n'aurait pas vraiment su dire si sa mémoire lui jouait des tours ou non. Les évènements remontaient et les quelques heures de croisière partagées avaient été un peu trop agitées pour qu'il se soit tout à fait attardé sur les voyageurs qui l'entouraient.
Peut-être qu'il aurait dû, d'ailleurs – c'était la pensée qu'il avait toujours lorsqu'il songeait au traître qui évoluait parmi eux en toute impunité ce jour-là.

Tu viens combattre pour ton cinquième badge, c'est bien ça ?

Loin de laisser ses idées s'assombrir, Hayato s'avérait plus qu'enjoué.

Ma foi, tu connais la tirade, mais c'est le protocole ! Pour remporter le badge, il te faudra vaincre cinq de mes Pokémons. Tu peux, quant à toi, utiliser ton équipe complète si tu te trouves en difficulté. Du reste, tu connais les modalités… Essaie simplement de ne pas détruire la serre, tu veux ? Sinon tu vas avoir affaire à une armée de Papillusion et de Dardagnan mécontents… Et je ne pourrais plus rien pour toi.

Il ponctua sa remarque d'un regard en direction du Dracaufeu qui accompagnait la ranger.
Puis, après une hésitation – réflexion – légère, il attrapa une première Pokéball à sa taille, et la lança sur le terrain, libérant un Ludicolo qui se mit aussitôt à danser dans la terre molle du terrain.

Bien ! Si tu n'as pas de question, commençons ! Danse-Pluie !

Lorsqu'il vit surgir sur le terrain un Luxray rugissant au regard perçant, Hayato su prédire exactement ce qui venait. Dans un soupir désabusé, il avait levé le nez en direction des nuages amoncelés au dessus de leur tête – évidemment, armée d'un puissant Pokémon de type électrique, aucun bon dresseur n'aurait laissé passer l'opportunité.
Et, puissant… Il suffisait d'observer le fauve pour savoir qu'il l'était. Le sol s'était mis à crépiter, couvert d'un champ électrique à l'air de mauvais augure. La foudre, bientôt, allait frapper.

Encaisse.

Sans se départir de son calme, Hayato avait plissé des yeux lorsque l'éclat vif de l'éclair avait agressé ses prunelles claires. Ludicolo, sonné, s'était ébroué puis, retrouvant ses repères, avait repris son étrange danse presque malhabile.

Du genre opportuniste, à ce que je vois ? lança-t-il, un sourcil haussé, le ton un instant taquin avant qu'il ne se fasse plus sérieux. Avant de poursuive, puis-je te demander ce que tu es venue chercher ici ? Hormis le badge, évidemment.

Il aimait savoir les raisons qui poussaient les challengers à s'enfoncer dans la jungle pour franchir le pas de son arène et l'affronter. Les vraies raisons – à ses yeux, on ne poursuivait pas indéfiniment la course aux badges pour l'unique et seul plaisir de les collectionner.

Au moins avait-il déjà compris à quel genre d'adversaire il avait à faire : Lauriane ne lui ferait pas de cadeau – alors, il ne lui ferait pas l'affront de la ménager non plus.

À toi ! Tempête Verte !

Les feuilles acérées n'avaient pas encore fini de filer à toute allure en direction du fauve que, déjà, Hayato enchaînait.

Frappe !

Corps à corps aussi féroce que potentiellement maladroit – Hayato avait choisi que ce match, il le mènerait en prenant des risques.

S'entraîner ; devenir plus forte. Il n'y avait que des dresseurs peu sûrs d'eux pour tenir des discours pareils – pourtant, elle était entrée digne et sereine dans sa serre. Il y avait forcément autre chose. Alors, il n'avait rien dit – et la réponse était venue à lui d'elle-même.
Devenir championne.
Son sourire s'était élargi, ses prunelles allumées d'un éclat léger. C'était la deuxième fois, en si peu de temps… À croire que les drames qui avaient frappé la région les avaient poussés en avant – la génération qui venait était forte et déterminée.
Bientôt, c'était lui qu'on renverrait dans l'ombre. Il s'y était préparé. À chaque jour qui passait, il attendait qu'on vienne le détrôner ; qu'on ait l'audace de le regarder droit dans les yeux et de lui dire que pour lui, c'était terminé.
Si celui qui le renversait avait le même regard que la jeune femme qu'il affronterait, alors il s'inclinerait sans rechigner.

J'admire sincèrement ton ambition. Je n'en ai que plus hâte de voir ce que tu as à m'offrir.

Elle ne s'était pas faite prier – fort du champ électrifié qui faisait crépiter le terrain, le fauve n'avait pas laissé le moindre temps mort au Ludicolo qui, s'il avait tenté de tenir bon, s'était écroulé sous ses assauts. Il avait été rappelé à sa Pokéball avant d'avoir eu le temps de toucher le sol.
Sans marquer de pause, Hayato avait envoyé au combat son prochain camarade – Tropius.
L'étrange animal avait aussitôt encaissé la morsure du Pokémon électrique puis, lorsqu'il s'était éloigné, s'était ébroué, avant de pousser un cri de défi. Paré à en découdre.

Piétisol !

Achève-le.
Et le sol s'était mis à trembler. Loin d'un Séisme, les secousses étaient assez pour déséquilibrer tout ce qui se tenait trop près de la créature – Hayato y compris. Se fendant d'un rire ténu à sa propre maladresse, il ne s'était pourtant pas laissé distraire.

Lame d'Air !

Qu'elle accueille quiconque tenterait de le déshonorer.

L'imposante créature qui s'était invitée sur le terrain à la suite du Luxray dignement tombé au combat avait arraché un sourire approbateur au champion. Cette bestiole-là, Hayato la savait redoutable. Ce n'était pas le premier qu'il affrontait, au cours de sa carrière, faute d'avoir tenu tête à des challengers qui espéraient le dérouter en usant des faiblesses de son type contre lui. Les fleurs sauvages ne florissaient pas sur la rocaille…
La lame d'air de Tropius avait été cueillie sans broncher, comme une bourrasque un peu tiède d'un matin d'été. Le Galeking, dont le poing se chargeait d'une énergie qui aurait tôt fait propulser Tropius dans les méandres de l'impuissance, avançait d'un pas lent mais assuré en direction de son adversaire. Lame par lame, ses tentatives d'écarter la menace fut vaine.

Alors, lorsqu'il fut trop près pour que son Pokémon puisse encore trouver à se défendre sans encaisser le coup fatal, Hayato l'avait rappelé. L'interversion avait été rapide et efficace – au Tropius inquiet avait succédé un Jungko farouche qui, s'il se trouva sonné par le poing accueilli sans y avoir été préparé, poussé au combat dans un élan soudain qui ne lui avait pas laissé le temps d'étudier la situation, parvint rapidement à se redresser.

Ses prunelles, déjà, cherchaient des ouvertures dans la défense de son adversaire.

Pas mal... avait soufflé le champion. Puis-je te demander le type de l'arène que tu vises ?

Peut-être était-ce, au fond, une façon pour le jeune homme de gagner du temps… Puisqu'il avait remarqué les mouvements lents de son Pokémon, ses grelottements qui en disaient bien trop long pour qu'il ne devine pas la détresse de sa créature.
Cependant, il ne pouvait pas rester sans rien faire. Il en avait vues d'autres… Et ses Pokémon aussi. Sa challenger était venue dans son arène pour mener un combat digne de ce nom… Et c'était bien ce qu'il comptait lui offrir.

Quitte à prendre des risques.

Jungko ! Ne le laisse pas s'en tirer à si bon compte ! Exploforce !

Le Pokémon se fendit d'une plainte rageuse. Ses écailles frémirent. Tout doucement, la créature semblait se ranimer. Elle parvint à bouger une pattes, et puis l'autre. Son pas était maladroit, piégé dans un hiver dont il tentait furieusement de se dégager. Il prenait de la vitesse, mais c'était presque hasardeux ; soumis aux bons caprices de son corps de reptile qui craignait moins la canicule que les glaces.
Chargeant lentement la puissance d'une frappe à venir, ses poings s'étaient serrés.
Ceux d'Hayato en avaient fait de même.
Qu'importe ce qu'il en coûtait – eux aussi combattraient jusqu'au bout.