— Ôtoto, Sable Ardent !

D’un coup de pied embrasé, le Pyrobut souleva une large gerbe de sable devant lui.

— ...rassemble-le à la manière d’une balle…

La patte enflammée du pokémon dessina des arabesques brûlantes dans les airs, concentrant les débris à la manière d’un orbe.

— ... ET SHOOTE ! s’époumona Aselle.

Que le Pyrobut décocha d’une reprise de volée flamboyante !



Agrégat de flammes et de terre, le tir volcanique fusa à travers l’arène !

Le public retint son souffle.
Le combat entrait dans sa phase terminale.

Bientôt, l’un des deux rivaux émergerait victorieux !



Presque sans effort, le projectile explosa sous le pied du Braségali adverse.
Nimbé d’un halo de sable brûlant après cette réception experte, il poursuivit sa course en direction de son ennemi.

Astelle paniqua.
Tout ce temps, elle était parvenue à résister en misant sur l’agilité et l’endurance de Pyrobut. C’était un curieux jeu du chat et de la souris qui s’était engagé sur l’arène ; son pokémon projetant un projectile enflammé après l’autre, tâchant de tenir son adversaire à distance. ...mais ce petit jeu était terminé.
...et d’après vous, quelles étaient les chances de gagner de ce gentil lapin footballeur maintenant qu'il faisait face à cette vilaine volaille de combat surexcitée ? ...pas très grandes, ouais. La jeune fille ouvrit deux grands yeux ébaubis tandis que les ergots vicieux du Braségali s’écrasaient sur le joli minois de son pokélapin !

— Utilise Abri…! commença-t’elle à dire, mais poursuivant son enchaînement martial, le deuxième coup de pied faucha brutalement Pyrobut en pleine tête !
Le pauvre pokélapin s’effondra brusquement sur le gazon, son corps rebondissant mollement sur l’herbe tendre.

— Pyrobut est hors de combat ! Dunan remporte ce match !

Les vivats noyèrent le stadium.
Brouhaha confus et retentissant, plus lourd encore qu’une averse par soir d’orage. Astelle ne bougea pas.
Il lui fallut un instant pour réaliser qu’elle avait perdu. Et un autre encore pour réaliser qu’elle devait amener son compagnon au Centre Pokémon.
D’une main tremblante, Astelle rappela son “petit-frère lapin”. Il avait bien grandi depuis qu’elle lui avait attribué ce surnom. Et honnêtement, elle pensait avoir ses chances aujourd’hui.

...mais voilà qu’elle se faisait éliminer au premier tour d’un tournoi pour amateurs.
Sa pokéball au poing, se sentant comme curieusement engourdie de l’intérieur, la jeune fille se précipita dans les vestiaires. Elle s'éloigna aussi vite et aussi loin que possible, comme pour tenter d’échapper à cette pluie d'applaudissements venue célébrer sa défaite.

***

Il n’y avait pas de quoi dramatiser.
Assise sur la petite banquette rouge du centre pokémon, Astelle attendait que l’infirmière ait fini de traiter les blessures de son camarade. L’ambiance était festive à l’intérieur du bâtiment. Une grande télévision suspendue dans le hall d’accueil rediffusait les matches du premier tour.
La plupart des vainqueurs étaient d’illustres inconnus.
C’était là tout l’intérêt d’organiser une compétition entre amateurs, sans restrictions de badges ou de niveaux.
Les compétences des dresseurs étaient de fait très disparates, et Astelle avait cru…
...elle avait cru qu’elle était assez douée pour accéder au second tour.

Regardant à nouveau les matches du jour, elle réalisait qu’elle s’était surestimée.
Combien de ces participants aurait-elle pu réellement battre ? Peut-être trois ou quatre ? Sur trente-deux... Pourtant, le combat qu’elle venait de livrer n’avait pas paru si déséquilibré… mais seulement parce qu’elle avait utilisé sa tête, qu’elle avait évité de se confronter de plein fouet aux points forts de son adversaire.
Autrement, elle aurait été éliminée sur le champ. Son rival était à ce point supérieur.
Elle réalisait seulement maintenant que ses chances de victoires avaient été quasi-inexistantes...

En dépit de ses efforts, elle n’était vraiment pas très forte. Moins douée que la plupart de ces amateurs.
La pilule était un peu dure à avaler.

Appelée par l’infirmière pour récupérer son pokémon, la jeune fille se leva, puis quitta rapidement le Centre.
La Colisée était en pleine effervescence. Des choeurs glorieux faisaient vibrer les murs anciens, et ce serait sans doute bien pire dès la reprise du second tour, cet après-midi. Errant dans les grands corridors de pierre, dont elle rasait les parois, comme pour éviter de se faire emporter par la foule... Astelle se sentait lasse.

Elle n’aurait pas dû venir seule.
C’était… plus difficile, de faire bonne figure, quand elle n’avait personne à qui parler.
Ses pensées tournaient en rond. Elle questionnait ses efforts. Son talent. Chacune de ses décisions.
Elle détestait se sentir comme ça.
Après un faible soupir, la petite postière décida de s’acheter quelque chose à manger. De grignoter quelque part, au calme, en compagnie d’Ôtoto, qui avait très certainement besoin de reprendre des forces. Le temps de se calmer les nerfs. ...ensuite, même si c’était du gâchis, sûrement qu’elle partirait et tâcherait d’oublier cet épisode minable de son entraînement pokémon.

Un peu plus tard, avec quatre gros taiyakis fourrés dans les bras, la jeune fille trouva un petit jardin ombragé où s’installer. En raison du climat particulier d’Exilar, à la fois frisquet et ensoleillé, il y poussait des variétés exotiques d’arbres à baies. Quelques petits pokémons inoffensifs nichaient dans la végétation. Cet endroit du Colisée était comme à demi-sauvage, mais également suffisamment tranquille et reculé pour décourager les visiteurs habituels de s’y aventurer.

(Taiyakis Magicarpe ! C’est bon quand c’est chaud !
Encore meilleur quand on le laisse faire Trempette dans un pot de confiture !)

 

Assis à côté d’elle, sur le banc, Pyrobut laissait pendouiller ses oreilles. Misérablement.
Sa petite-grande-soeur paraissait atone et malheureuse depuis la fin du combat. Il n’aimait pas la voir comme ça.  
— ...ne t’en fais pas, va. Ce n’est pas de ta faute si on a perdu, lui dit-elle en le gratouillant le menton.

Astelle se força à sourire.
Pyrobut avait évolué quelques jours avant le début de la compétition. Ses mouvements étaient encore un peu gauches, comme s’il peinait à s’habituer à ce nouveau corps. Maintenant qu'il était presque aussi grand que sa petite dresseuse, sa puissance de frappe et sa vitesse de course s’étaient drôlement améliorées, mais comparé à des pokémons qui suivaient un entraînement intensif et régulier, sa forme physique restait terriblement insuffisante.

— Je suppose qu’il faudrait que je commence à surveiller ton alimentation, pensa Astelle à voix-haute. ...et puis que je prépare des exercices quotidien qui te permettraient de développer tes points forts.
Mais l'entraînement seul ne suffirait pas. Pyrobut ne serait jamais champion s'il n'accumulait pas davantage d'expérience, et pour ça, il n’y avait pas d’autres choix que de livrer de nombreux combats. D’être confronté à toutes sortes de situations périlleuses. D’affûter son instinct et de stimuler ses réflexes.

...l’œil critique, Astelle regarda son pauvre pokélapin au ventre mou.
Lequel dévorait de bon appétit son troisième Magi-Taiyaki.

De base, ce n’était vraiment pas un pokémon de compétition...
C’était son petit-frère-lapin, le premier pokémon qu’elle avait capturé.
Il vivait avec elle à la maison, l’aidait à débarrasser la vaisselle et à jardiner les carottes.

— La route est encore longue, hein…? murmura-t-elle avec un petit sourire.

La tension et la frustration d'après-match commençaient enfin à retomber.
Un peu plus détendue, Astelle tendit la main vers le banc pour récupérer la pâtisserie qu’elle avait à peine entamée, et à la place…
...ses doigts touchèrent un petit derrière de fourrure doux. Rose-violet.

...une petite bestiole au Talent manifeste pour l’Infiltration avait plongé la tête la première dans le paquet de taiyaki. Le petit pokémon était en train de faire bombance.
— Oh la vilaine voleuse… te voilà prise la tête dans le sac !
Astelle referma promptement le sac de pâtisseries.
Elle s'attendit à demi à voir le pokémon se libérer, quitte à lacérer sa prison de ses petites griffes… car c’était juste un sac en papier, mais il semblait que la petite gloutonne était d’avis de finir son repas avant de seulement songer à s’enfuir.  
— Je peux dire au revoir à mon goûter, j'imagine...

Bizarre-bizarre. Était-ce bien un pokémon sauvage ? Même s’il existait de drôles de trublions dans la nature, Astelle se serait attendue à un comportement plus farouche. Mais c’est vrai que c’était trop bon, les Magi-Taiyaki. La jeune fille se redressa pour regarder autour d’elle, au cas où elle apercevrait éventuellement le dresseur de cette petite Sonistrelle gourmande… et bingo !

Derrière une rangée de buissons de baies si touffus qu’ils en camouflaient presqu'entièrement la nouvelle-venue, se tenait une petite jeune femme à la chevelure rousse flamboyante. Manifestement, elle n’avait pas été la seule à chercher la quiétude des jardins.
Comme l’inconnue était de dos, Astelle n’était pas bien sûre de ce qu’elle faisait… mais vu sa posture et l’objet qu’elle avait dans la main, elle était peut-être en train de…
...jouer au baseball avec une pomme ?
Nan... c’était probablement son imagination.

— Excuse-moi ? lança Astelle avec curiosité. Elle est avec toi, cette petite voleuse de taiyakis ?
Tout en l’interpellant, la jeune fille avait ouvert sa petite pochette en papier, pour lui montrer le pokémon qui terminait de se régaler à l’intérieur. Pris littéralement la main dans le sac.

— Si c’est le cas, tu me dois 150p$, poursuivit-elle en tirant la langue. Parce qu’elle m’a mangé tout mon goûter.

Oh… la rouquine avait vu son match.
Au souvenir de cette défaite au premier tour, Astelle se sentit rosir de honte.



Distraite par la discussion, elle en oublia de maintenir le sac de Taiyakis bien fermé...
...et cette petite voleuse de Sonistrelle en profita pour prendre la poudre d’escampette.

— Tu t'es entraîné dans un endroit spécifique, une école, un stage, ou avec un sensei pour avoir un si bon niveau? lui demanda l'inconnue.
Avachie sur le dossier du banc, la petite postière se gratta la joue.
Vu la performance pathétique qu’elle venait de livrer au cours de ce tournoi pour amateurs, elle n’avait pas un bon niveau du tout. Néanmoins, elle aspirait bel et bien à devenir dresseuse… peut-être qu’aux yeux d’une novice, c’était déjà suffisamment impressionnant.
— Ce n’est pas très glorieux, sourit-elle, mais le pokélapin que tu vois là a d’abord été entraîné par ma maman. C’est le premier que j’ai attrapé et...
Elle se retourna vers le Pyrobut pour l’inviter à s’approcher.
— En fait, montre-lui, Ôtoto, ça ira plus vite. Tu veux bien jongler un peu avec une Psykoud’boul ?

En faisant bien attention à ne pas marcher sur la petite pomme, le Pyrobut vint prendre place entre les deux rangées de buissons-à-baies. Les oreilles baissées, et manifestement un peu timide, il posa son regard rouge sur Haru, et…
...ses yeux se voilèrent, changeant imperceptiblement de couleur.
L’air concentré, ses poils blancs se hérissèrent, un léger sifflement se fit entendre... et une petite sphère d’énergie violette commença à se rassembler contre son front. Dans un crépitement qui évoquait le grésillement d’une radio mal-réglée, l’orbe de force psychique commença à croître et à palpiter.
— Dans cet état, Ôtoto est actuellement du Type Psy, expliqua la petite postière. Pour éviter de se blesser et en exploiter toute la puissance, Pyrobut est capable de s’harmoniser avec les capacités qu’il utilise. C’est pour ça que ma maman s’est chargée de l’entraînement préliminaire. C’était un peu difficile à gérer pour une débutante.

D’un petit coup de tête, le lapin projeta la sphère d’énergie psychique dans les airs, et commença à jongler avec. Du genou, du bout du pied ; chaque impact provoquant un petit crépitement de puissance.

— Elle lui a appris à méditer, à nager, lui a fait prendre des bains de boue… bref, elle a fait tout le nécessaire pour qu'il s’acclimate à tout un tas d’environnements. Pendant quasiment une année entière. Mais après ça, il a plutôt mené une vie normale. Il aide un peu à la maison, et ne s’entraîne pas très dur. ...personnellement, lors de notre combat contre le Brasegali, j’ai essayé de concocter une stratégie qui prendrait en compte la différence de force physique, mais comme tu as pu le constater… au moment où il nous a rattrapé, le combat s’est abruptement terminé.

BAM ! Réceptionnant le ballon d’énergie d’un retourné acrobatique, Pyrobut propulsa la sphère dans les airs. La force qui y était contenue se libéra alors à la manière d’un discret feu d’artifice violet. Retombé souplement au sol, le lapin observa son public d’un petit air timide, et Astelle lui fit signe de s’approcher pour le gratouiller entre les oreilles.
— Voilà, tu as ta réponse, conclut la petite postière en regardant Haru par-dessus la tête de son petit-frère-lapin. De mon côté, j’étudie beaucoup l’aspect théorique des choses, mais ça ne suffit pas pour remporter ses combats.
Bondissant par-dessus le banc, la jeune fille se rapprocha d’Haru, un sourire malicieux aux lèvres.
— Je parle, je parle, mais ne va pas croire que tu as réussi à changer le sujet.
Elle tendit la main, paume ouverte.
— Trois Magi-Taiyakis de dévorés, ça fera 150p$ s’il-te-plaît !
Eh oui, on ne roulait pas si facilement la petite Astelle Dumas.

— Tu sais, grâce à ta démonstration avec … Ôtoto, je comprend un peu mieux pourquoi je suis tant à la ramasse sur tout ce qui concerne les pokémons……. Mon paternel ne devait pas trop aimer toutes ces créatures, alors j’ai principalement grandi sans leurs présence autour de moi.…  Je suppose que l’ambiance dans laquelle nous grandissons doit avoir son importance…………. Ça peut paraître peu pour toi, mais c’est déjà des années et des années d’expériences que tu as en plus de moi.. ouai. Et puis ça se vois que tu l’aime bien ton Pyrobut. Toi, tu dois sans doute être dans le bon chemin, hehe.

— C’est faux, intervint Astelle en attrapant soudain l’inconnue par le bras.
Sous ses airs de freluquet, la petite postière avait de la poigne. Il faut dire qu’Astelle Dumas n’était pas la fille du meunier pour rien ! Elle en avait porté tout plein, des sacs de farine ! Le sourire aux lèvres, elle força la rouquine à croiser son regard.
— Je n’ai capturé mon premier pokémon que l’année dernière seulement. Et les circonstances familiales étaient un peu compliquées, alors moi non plus, je n’en avais jamais eu à la maison. Ceci dit, tu as raison sur un point : l’environnement dans lequel nous grandissons a effectivement son importance. C’est pourquoi, quand les gens comme toi et moi choisissent de devenir dresseurs, ils le veulent plus fort que n’importe qui d’autre.

Tout en parlant, ses yeux noisette s’étaient rallumées avec la ferveur de deux petites étoiles.
Le mirage d’une sagesse au-delà de ses jeunes années plana sur le visage d’Astelle Dumas.
Et c’est avec un air de connivence discrète que la petite postière ajouta.
— …je suppose qu'on se rendrait toutes les deux drôlement service en arrêtant de s’effrayer de notre manque d’expérience.

Ayant finalement desserré l'emprise féroce que ses petits doigts musclés imprimaient sur le biceps de la rouquine, Astelle devança celle-ci de quelques pas. A l’approche du vestiaire, les allées de pierre grise étaient envahies d’éventaires et de touristes. L’entracte poussait les visiteurs à refaire le plein de victuailles et de boissons, à se dégourdir les jambes, ainsi qu'à faire un petit passage rapide aux toilettes.
— Tu le sais peut-être déjà si tu m’as vu combattre, mais je m’appelle Astelle Dumas, dit-elle en passant, avant de se retourner en brandissant la carte dresseur qu'on venait de lui offrir, une pointe de cupidité dans le regard.
— …et donc, tu disais que ça pouvait se revendre plus cher ? Qu’est-ce qu’on attend pour la faire dédicacer, du coup ? Dépêche-toi !
Et sans attendre personne (même pas son lapin qui bondissait sur ses talons), la jeune fille s’élança dans les corridors du colisée d’Exilar. Cette nouvelle motivation financière semblait lui donnait des ailes... car elle courait sacrément vite.

Nous avouerons dans cet aparté que s’il y a bien un sujet qui préoccupait souvent la petite postière… c’était bien celui de l’argent. Refusant de dépendre de ses parents (qui n’avaient pas les moyens de l’aider, de toute façon), Astelle Dumas était rapidement devenue très pingre au cours de ses voyages.



Ce qui pouvait expliquer l’inflation soudaine du cours du taiyaki…