Contexte de mission:

Mes pas résonnent sur les pavés blancs.
La pierre est neuve. La construction récente. Et pourtant, il règne ici comme une atmosphère solennelle. La Route Victoire est l’ultime défi du dresseur, le dernier obstacle qui le sépare de la ligue pokémon. Leurs rêves et leurs espoirs imprègnent ces pierres d’albâtre.

Je me retiens de cracher.
La Ligue Pokémon n’a rien de solennel ou d’auguste à Lumiris. C’est un phénomène culturel et sportif soigneusement standardisé, et le voir s’importer sur ma terre est un signe supplémentaire du progrès de nos adversaires. La preuve qu’ils continuent sans cesse de nous phagocyter.
Nous avions nos propres épreuves, autrefois. Nos propres croyances, nos propres rituels.
Avant que Cirrus ne les inhume sous le feu du volcan.

Une fois n’est pas coutume, je suis amer.
La solitude est essentielle au succès de ma mission, mais elle ne me réussit pas.
Trop d’ombres gluantes se tapissent dans les recoins de mon crâne. Trop de préoccupations essoufflées, de torts à corriger, de retards à rattraper. Nous perdons ce combat, et nous le perdons sur tous les fronts.
Et souvent, j’ai l’audace de croire que je suis le seul encore capable d’inverser la vapeur.
Le dernier rempart avant ce déchaînement de violences insensées, qui couve et qui enfle, davantage chaque jour.
Mellite dirait voir mes chevilles enfler à vue d'œil, mais Mellite n’est pas à mes côtés.
Aujourd'hui, personne n'est là pour m’empêcher de macérer dans mon auto-suffisance.

Ma présence ici n’est pas innocente.
L’existence d’un hameau épargné par la colonisation a secoué ma conception de l’histoire de Lumiris.
Pour vous dire la vérité : je les envie terriblement.
Si j’avais été à la tête du Clan Jahangir, à l’époque de mon grand-père, c’est également la décision que j’aurais prise pour les miens. Celle de renoncer au combat et à la vengeance. De rester à l’écart du conflit. D’aucuns - et surtout mes ancêtres - penseraient qu’il s’agit là d’une forme de lâcheté, mais quand je constate l’état de pauvreté culturelle dans laquelle nous a laissé notre assimilation par la compagnie Hestia, je regrette que mes aïeux n’aient pas songé à préserver les valeurs de l’ancien monde.
Notre monde. Celui auquel nous aspirons à retourner.

Mistral est au courant des recherches que je mène sur ce village, et n’a pas tardé à me dépêcher sur place. Un signe qu’ils me surveillent de très près, et me laissent la bride sur le cou. Je les comprends. Ayant ouvertement contesté leurs décisions lors de mon récent entretien, j’imagine qu’on me considère encore avec précaution. Pour eux, je suis comme une lame à double-tranchant.
Néanmoins, j’apprécie qu’ils m’aient donné cet ordre. Au moins, je peux me déplacer sur place en prétendant leur obéir.
Je considère n’avoir d’Agent que le titre, mais en attendant d’occuper un poste plus important, il faut bien que je donne le change. Après toute une vie à mener mon monde à la baguette, c’est une expérience que je trouve terriblement déstabilisante...

Quoi qu’il en soit, j’ai bien l’intention de rencontrer ces natifs selon mes propres termes.
Pour l’heure, l’idée qu’on puisse tenter de les rallier à l’une ou l’autre des deux factions me répugne. Ces gens n’ont pas besoin de notre propagande, mais… maintenant que leur existence est connue et avérée, ils ont terriblement besoin d’être préparés à la suite des événements.
Qu’ils le souhaitent ou non, c’est la fin de leur ermitage qui s’annonce. Et la pureté avec laquelle ils ont préservé leur héritage sera immanquablement souillée. Ce n’est plus qu’une question de temps. Avec un soupir écoeuré, je peux déjà m’imaginer le dresseur qualifié pour la Ligue faire un détour au "Village Secret", afin d’en visiter le pokéstop et de faire le plein de potions et de souvenirs traditionnels, avant de défier le Conseil des Quatre.
Car c’est le genre de futur qui nous attend.
Plus rien n’est sacré.  

Je m’immobilise. L’entrée de la grotte dont m’a parlé le jeune Arthur Bishop (l’un des membres de la précédente expédition) n’est plus très loin. Avec l’aide de mes associés, j’ai tâché de retracer l’itinéraire du groupe, et quémandé les services d’un éminent cartographe.
Je viens seul - pour ne pas brusquer mes hôtes - mais il serait sot de penser que je débarque sans m’être minutieusement préparé.

Immobile face à la gueule béante de la caverne, j’éprouve comme une curieuse sensation de picotement.
Parfaitement calme, j’évite de me retourner, ou de laisser paraître le moindre signe qui trahirait que je me sais suivi. Bien entendu, je n’ai aucune certitude. Il s’agit d’une simple intuition… mais après une vie passée à sentir le regard des autres peser sur le moindre de mes faits et gestes, j’ai tendance à me fier à mes instincts.

Sans précipitation, je m’aventure dans l’obscurité. Une fois allumée, la lanterne à huile accrochée à ma ceinture dispense un parfum âpre et sulfureux : il s’agit d’un des meilleurs produits du Conglomérat Jahangir. Parfaite pour les expéditions en milieu sauvage, le combustible qu’on y brûle a des effets similaires à ceux du Repousse Max. Voilà qui devrait m’éviter bien des mauvaises rencontres ; pour peu que je ne m’aventure pas directement dans l’antre d’un pokémon particulièrement territorial.

Sans même un mot de ma part, mon escorte se libère de sa pokéball.



Ma garde personnelle se déploie en formation autour de moi. Dans leurs regards à tous les six : une lueur sérieuse et concentrée vient chatoyer dans la semi-pénombre. Chacun des membres de l’Hexadron est prêt à se sacrifier pour garantir ma sécurité. Il est difficile, et moralement discutable, d’élever un pokémon ainsi. C’est pourquoi celui-ci m’a coûté un prix faramineux.

La pente est douce. La pierre grise et abrupte. Les obstacles nombreux.
Je prends mon temps. Cavalcader dans les ténèbres n’est clairement plus de mon âge, et le chemin parcouru jusqu’ici a déjà commencé à entamer mes réserves d’endurance. Mes jours de chasseur-des-dunes me paraissent plus lointains que jamais. Je serais probablement incapable de manier une lance pour me défendre, désormais.

D’un geste vif, le soldat de tête ordonne l’arrêt de la formation.
Les membres de l’escouade dressent leurs boucliers, prêts à intercepter un projectile ou un assaillant. J’élève ma lanterne pour révéler quelques Nosferaptis, réveillés par mon manque de discrétion. L’odeur du Repousse Max les pousse à prendre la fuite, se dirigeant en masse vers l’entrée de la caverne.
Je me baisse légèrement, pour laisser passer cette trombe noire.

...et j’esquisse un sourire.
C’est peut-être l’occasion de vérifier la justesse de mon intuition. D’un pan du manteau couleur safran qui drape mes épaules, j’étouffe la lumière de ma lanterne, et je profite de la distraction créée par l’essaim de Nosferapti pour me dissimuler dans un coin d’ombre.
Hexadron et moi, nous fermons les yeux ; guettant l’écho des bruits de pas d’un espion solitaire, lancé sur nos traces.

Récapitulation des informations importantes: