"Êtes-vous sûre mademoiselle ?"
Un homme d'âge moyen se tient dans une grande pièce ouverte, il a l'air nerveux et époussète régulièrement son costume de sa main libre alors qu'il tient un sac terriblement chargé de l'autre.

"Absolument Jean." Lui répond une voix assurée.

Une jeune femme, des cheveux courts, un air assuré portant des vêtements décontractés mais d'excellente facture se tient dans le patio. Les feuilles des arbres fruitiers se frottent les unes contre les autres dans un bruit doux, portées par le vent. Elle regarde attentivement une tête empaillée de Tauros pendue contre le mur du manoir familial. L'expression de l'animal est froide, dure et déterminée. En dessous y figure les armoiries de la maison d'Aubigny, le corps du sus-nommé pokémon y est représenté en pleine puissant, fort, imposant, une véritable force de la nature.

Elle laisse s'échapper un claquement de langue désapprobateur. Elle n'a plus rien à faire ici se dit-elle. Ce symbole autrefois si beau à ses yeux ne représente plus rien que de la couardise. Les ancêtres glorieux d'antan, disparus au nom d'un fonctionnement lisse, prévisible, attendu.

"Bien madame, je vais m'assurer que le chauffeur soit prêt." Dit-il, droit comme une statue de marbre avant de disparaître dans les couloirs de la demeure, sac en main.

Elle ne dit rien, gardant le silence alors qu'elle se mit à lentement avancer dans ce patio. L'été battait son plein en Kalos et le vent charriait les douces effluves des fleurs des arbres fruitiers. Elle soupire en glissant ses doigts le long des piliers de pierre blanche de l'édifice. Voilà maintenant longtemps que cette décision fut prise. Cependant, hors de question maintenant pour elle d'en changer, elle ne voulait plus résider ici, pas avec ces gens, pas avec ces imbéciles incapables de comprendre ce qui a fait de leur maison une si grande famille.

Elle touche alors un relief représentant lui aussi les armoiries de la famille sur le pilier. Cette image était présente partout dans cette villa, comme un testament ancien à une gloire passée. Une gloire à laquelle Aliénor ne trouve plus aucune raison alors qu'elle commence à se perdre dans ses pensées.

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Toute son enfance elle a toujours arpenté les couloirs de cette grande demeure, froide, lancinante, seule. Ses cours étaient avec des tuteurs privés, la meilleure éducation pour une jeune femme de sa stature, les meilleurs sports. Ses premières histoires furent celles de ses ancêtres glorieux, comment Huon avait vaincu un Tauros à main nues, sa capacité à comprendre les comportements des pokémons d'un seul coup d'oeil, la façon dont les anciens maîtres de ces terres, impressionnés par tant de bravoure l'avaient récompensé par des terres et un titre. Celui d'éleveur pour les grands de cette antique région.

Elle se souvint, de la dureté de l'enseignement, l'échec n'était pas accepté. Elle devait devenir une héritière digne de ce nom, elle devait, à terme, reprendre elle aussi les rênes de son père afin de continuer la lignée d'Aubigny, afin de continuer de produire des pokémons d'exception pour les riches de ce monde.

Littérature, arts, danse, mathématiques, entraînement physique. Rien n'était laissé de côté et elle se devait d'exceller dans tout. Nombreuses furent les nuits où la jeune demoiselles pleurait dans les bras de sa gouvernante, cette dernière soignant les blessures qu'elle avait reçu au cours d'entraînement de chevauchée ou de lute trop intense avec son paternel.

Grandissant, elle devenait de plus en plus en plus belle et de plus en plus assurée, rentrant dans chaque pièce comme si elle lui appartenait. Pourtant elle avait toujours peur de cet homme. Inlassablement, inexorablement elle voulait qu'il la regarde, qu'il soit fier d'elle.

Mais ce jour semblait ne jamais arriver.

Elle goûta enfin a un semblant de liberté quand son père vint lui annoncer qu'elle commencerait une carrière de mannequinat vers ses quinze ans. Ce qu'il pensait n'être rien d'autre qu'une distraction temporaire et un bon moyen de faire entrer le nom de son héritière dans quelques bouches avant qu'elle soit en âge de reprendre l'élevage familial fut en réalité une erreur pour lui.

Aliénor adora cela.

Alors qu'elle apprenait la puissance d'une démarche élégante, la force derrière un regard, la posture parfaite, l'excellence et la force demandée par un tel métier. Elle réalisa qu'elle possédait en elle la force de tenir tête à ceux qu'elle voulait. Elle entra dans une compétition acharnée pour être la meilleure parmi ces jeunes femmes et hommes qui rêvaient eux aussi de la même chose. Pour la première fois de sa vie,

Elle en sortie vainqueure.

Sa relation avec son père se détériora doucement mais sûrement alors qu'elle refusait ouvertement de revenir chez elle, préférant passer du temps sur les podiums et dans d'autres villes. Lorsqu'elle revenait, ce n'était que pour mieux lui montrer son désaccord. Il voulait la stabilité familiale alors qu'elle, rêvait de gloire.

Un matin, revenue chez elle en attendant un nouveau contrat, elle s'entretenait avec un des employés de maison qui se plaignait de n'arriver nullement à faire intégrer un des pokémons récemment nés avec les autres. Un Ptiravi dont il disait qu'elle était hargneuse. Il reprocha à demi-mot la décision paternelle de mélanger ce sang avec celui d'un Angoliath, beaucoup trop instable à son goût.

La jeune femme se rendit alors d'elle même au haras, silencieusement, sans prévenir qui que ce soit. Elle observa cette petite boule d'une couleur rosée pourtant si douce seule, visage contre le mur. Elle ouvrit la porte de l'enclos et décida d'y rentrer, le bruit de ses pas contre la paille alerta le pokémon, qui, se retournant jeta un regard de braise à Aliénor.

La Ptiravi se rua contre l'héritière et la percuta de plein fouet avec violence. Le souffle coupé, la demoiselle se retourna contre le pokémon et l'immobilisa tant bien que mal d'une prise de lute jusqu'à qu'elle s'arrête. Les deux se toisaient et se dévisagèrent de ces mêmes yeux brûlants d'une passion, d'une envie de liberté sans commune mesure. De cette envie de courir et d'hurler contre l'infinité de l'espace.

Elle s'en alla enfin, au bout de quelques minutes.

Tous les jours, sans faute, l'élégante était présente dans l'enclos de la Ptiravi. Elle la baptisa Maria en l'honneur de l'une des ancêtres de la maison d'Aubigny, connue pour son caractère infernal et continua de luter contre ce diabolique infant si brutal, et ce, jusqu'au jour où Maria ne luta pas. Jusqu'au moment où cette défiance dans sa prunelle si jeune s'était transformée non pas en amour, mais en respect.

Ce jour là Aliénor prit sa décision.

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"Mademoiselle ?"
"... Oui Jean ?"
"La voiture est prête, êtes-vous sûre ? Cette région est éloignée, j'ai entendu dire qu'elle était peuplée de sauvages. Votre père sera... Furibond"

Elle sourit tranquillement, le vent souffle dans ses cheveux blonds alors qu'un regard d'une grande douceur arborait son visage. Ses doigts glissent le long du pilier alors qu'elle époussète de sa main libre sa veste et ajuste la pokéball à l'intérieur de sa poche.

"Oui Jean, je suis sûre."

Il déglutit et ouvre la porte menant vers le couloir intérieur.

"Bien madame, je vous souhaite un excellent voyage."

Elle s'empare de son sac et ferme la porte, accompagnée seulement du bruit de ses talons contre les pavés en marbre.