Que les vrais ? Peut-être que ses véritables pensées ont été prononcées. Et je ne les aime pas, forcément. C’est quoi ça, "les vrais" ? Les vrais abrutis capables de le supporter et qui ne l’ont pas envoyé bouler alors qu’il est invasif. Ou alors on est plus sympa, allez savoir. Autant ne pas trop réfléchir et profiter de l’instant présent, quelque chose comme ça. Au moins l’alcool est bon, c’est toujours ça. Je ne vais pas trop me plaindre alors. Du moins, je vais essayer.

"Santé à toi aussi je présume."

Je ne suis pas du genre à louper une occasion de boire. Se concentrer sur ça et peut-être pas trop mal en fait.

"Ho, parce que tu es du genre à croire en les malédictions ? Je ne suis pas assez taré pour prononcer mon avis sur les divinités, mais pour tout ce qui est mystique, c’est intéressant."

Comme dirait un scientifique : "there is no god". Et je suis assez d’accord avec lui. Pour les malédictions... non plus. Ca pourrait, avec certaines pokemons, mais c’est assez différent je trouve. Autant que je ne m’emporte pas à ce sujet.

"Mais c’est que c’est terrifiant."

C’est sarcastique. Je ne suis pas un bon public pour ce genre d’histoire, car ce sont... des histoires, justement. C’est fait pour se faire peur, et même s’il y a surement une part de réelle, elle est minime.

"Je crains ne pas être assez bon public pour noter, je passe."

Depuis quand les samouraïs jugent les récits d’horreur ?

"Je crois que la chose la plus anormale que j’ai vue de ma vie, c’est un spectre pendant la nuit, navré de te décevoir."

Le paranormal n’existe pas, seulement des faits inexpliqués. Ou que les gens ont la flemme de vouloir comprendre...

Heureusement que je porte un masque, sans quoi tout le monde s’aurait que je suis blanche comme un drap. La pauvre peluche de Togepi est écrasée contre ma poitrine qui bat fort dans ma cage thoracique. J’ai envi de prendre la fuite, mais la Sorcilence a prit les devants et il faudrait à la limite que je la pousse pour passer et je ne suis pas violente. J’endure la peur qui me ronge les entrailles. Je retins le plus possible mes cris qui restent loger dans ma gorge pour ne pas déplaire à mes « amis », mais je sens les larmes ruisseler sur mes joues. Pitié, que cette torture prend fin!

Je pense être la seule à être autant terrorisé par la supercherie. Peut-être parce que je ne suis pas habituée à ce genre de manège en temps normal. Heureusement, la sortie est tout près, je vais enfin pouvoir respirer! Je ne sais pas comment ils font pour garder leur calme… Voilà, le dernier couloir, je peux enfin voir la sortit!

J’entends un bruit sur ma gauche! Sortant de nulle part, un homme déguisé en dragon où je ne sais quelle bête féroce jaillie de l’ombre en poussant un rugissement qui fait crier de peur la Sorcilence. Mon cri suit aussitôt le sien et comme si c’était la goutte de trop qui fit déborder le vase, je m’agrippe solidement à notre dernier compagnon qui fermait la marche. Je tremble comme une feuille. Heureusement que je ne me suis pas fait dessus.

- Désolé. Murmurai-je difficilement alors que je m’éloigne de l’homme sur qui j’avais jeté mon dévolu.

Tout à coup, j’entends la Sorcilence éclater de rire. Qu’est-ce qu’il y a de drôle? J’ai bien failli mourir de peur! Pouvons-nous rire à l’extérieur de la maison?! Dès que je vois un espace de libre, je m’y faufile et cours jusqu’à ce que je puisse enfin inspirer profondément l’air frais d’automne. Je me retourne vers mes compagnons et mon regard se pose sur l’acteur qui a failli me « tuer » un peu plus tôt. Son costume est vraiment réussi et je n’avais pas remarqué tous les détails dans le noir de la maison hantée.

- Tu l’as fait toi-même ton costume? Il est vraiment réussi.

J’ai besoin d’un remontant… mais il y a un problème. Comment je vais boire moi avec ce truc sur le visage?!

"Bonne nouvelle, je ne comptais pas finir ma soirée égorgée, car je n’ai pas offert de cadeau à toutes les femmes que je rencontre. Mais ça peut encore s’arranger. Pour la peluche, pas le fait de m’égorger, je compte vivre encore un peu plus vieux que ça."

Ça serait une belle fin, mais la mienne viendra dans l’attraction plongée dans le noir.

"Ne touchez à rien, et rien ne vous touchera". C’est une règle classique des maisons d’horreur, histoire de ne rien abimer et de surtout de ne pas blesser les pauvres acteurs par un (mauvais) réflexe. C’est un putain de mensonge, mais ça n’est pas à cause de la maison d’horreur en elle même, bien des personnes qui y participent.

C’est confirmé : les abeilles ont la trouille. Une personne plus empathique et surtout plus sympathique aurait fait quelque chose pour la rassurer, mais je suis déjà concentré sur mes propres peurs. Enfin, ma propre peur. Bref, chacun ses problèmes. Et un nouveau s’ajoute sous la forme de me faire sauter dessus par la concernée. Faites attention, une femme terrifiée à plus de force qu’elle en a l’air.

"Ca va, j’ai connu pire. Mais je veux bien que tu me lâches."

Vous allez dire que je suis de mauvaise foi, mais je me suis douté qu’il y allait avoir un dernier acteur à la fin (il y en a toujours un), mais j’ai été occupé par d’autres choses. C’est uniquement pour ceci que j’ai été surpris. Mine de rien, les acteurs font un bon Taft.

"Je pense que je vais recommander l’endroit à des amis, ils vont adorer."

Adorer me détester une nouvelle fois, pour changer. J’ai une relation très saine avec mes "collègues".

"Au moins l’une d’entre nous s’est amusée."

Inutile de préciser qui. Encore heureux qu’elle en ait bien profité.

"En tout cas, je note de ne jamais refaire cette expérience, seul ou non. Merci quand même de nous avoir amener ici."

Trop fatiguant, trop stresse, et pas aussi fun que ça en à l’air. Au moins pour moi.

C’était une grande réussite.

Le petit groupe qui s’en venait en avait à présent pour son argent. Enfin, façon de parler. La pauvre fille habillée en médecin médiéval hurle de terreur tandis que ses deux compagnons sont pris par surprise. Tellement que la seconde en casse son talent. Mais contre toute attente, alors que la première se remet toujours de ses émotions, cette dernière pars dans un éclat de rire. La chute ne lui a pas fait de mal, mais elle semble avoir cassé un de ses talons. Cela ne semble en revanche pas la déranger…

Il semblerait qu’elle avait été ravie ? Enfin, tant mieux Dragon, car c’était après tout le but de cette petite farce. S’assurant qu’ils vont bien, il les laisse prendre la direction de la sortie et se recache.
Il s’agirait de ne pas être découvert en tant qu’imposteur. Et alors que le groupe est à présent complètement hors de vue, Dragon s’échappe de sa cachette avant l’arrivée du prochain groupe.

Sortant de l’attraction, notre protagoniste se demande à présent de quel côté il pourrait bien s’amuser. Et justement des cris et une série de jurons attire son attention.
Il semblerait qu’une altercation soit en train d’avoir lieu au milieu des stands de nourriture. Et alors que Dragon se fraye un chemin à travers la foule, il arrive juste à temps pour voir Chaton lancer Zegvihziô au sol et l'achever d’un magnifique plaquage. Bon, cela se résume par un double hors-jeu, mais l’intention y était. Les gardes de sécurité arrivaient déjà et n’allaient pas tarder à mettre fin à tout ceci. Sans le moindre doute, Chaton et Zegvihzio allaient passer un bon petit moment au poste. Qu’elle idée de faire un tel chahut aussi.

Enfin, Chaton semblait peut-être plus sensée que sa victime, car elle le relachait déjà de sa clef de bras et se relevait. Impossible d’entendre précisément ce qu’elle disait mais ce devait sans nul doute être un avertissement.
Et bon, maintenant que la scène était terminée, n’était il donc point temps pour notre protagoniste d’intervenir ? Et bien si !
Mais qu’allait il donc faire ? Le Bon ? La Brute ? Le Truand ?

En temps normal, rien du tout. Ce n’était pas ses affaires, ni sa responsabilité. Mais bon, cette soirée n’était pas comme les autres, et Dragon se trouvait d'humeur… mesquine ? Joueuse ? En tout cas, il était décidé à en rajouter une couche.
Plan d’attaque : plus de chaos !
Et puisque Chaton avait joué les chevalier galant, Zegvihziô le méchant, il était temps de distribuer punitions et récompenses, non ?

Prenant une grande inspiration, Dragon se prépare à sprinter et cri :

“Tournée générale ! Boisson et nourriture gratuites !!!”

Et l’instant d’après il sprint vers Chaton. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’instant suivant allait tourner à la débandade vers tous les stands avoisinant. C’était l’avantage et le danger de ce genre de foules. Quand elle réagissait, c'était à la fois impressionnant et terrifiant. Est-ce que Zegvihziô serait piétiné au passage ? Peut-être. Mais il avait peut-être eu le temps de s’échapper durant les quelques secondes de blanc qui avait suivi l’annonce. Qui sait ? En tout cas, Dragon avait tout juste eu le temps d’arriver aux côtés de Chaton que la foule percutait déjà et se précipitait vers les stands.

“Aller, on file, la foule arrive !”

Et lançant un clin d’oeil de derrière son masque Dragon attrape Chaton par le poignet et se met à courir de nouveau alors que la foule arrive à toute vitesse, les gardes jurant et criant pour qu’on les laisse passer vers le lieu de l’incident mais se battant face à la foule qui se déversait vers les stands.

Leur course les amène vers une des zones annexes, plus calme alors que les cris et l’excitation se font entendre derrière eux. Ils passent notamment devant un banc où Hirondelle, Stardust et Abysse discutent. Dragon leur fait un grand sourire en passant avec un geste rapide de la main et continue sa course, entendant quelques cris de gardes les poursuivant encore.

Et finalement, alors que la poursuite semble être terminée, Dragon s’arrête un peu plus loin à une autre série de bancs. Relâchant Chaton, il s’excuse :

“Aha, navré pour le sprint mais - huff - je m’étais dis que - huff - ca serait dommage que tu passes la fin de la soirée - huff - au poste… Ça va ? Et Dragon, pour te servir. Un alias, évidemment, mais cela rendra au moins les choses plus agréables pour discuter.”

Tournant la tête, il aperçoit Tableau et Marigold au banc suivant et lève la main en signe d’excuse pour leur arrivée impromptue. Et se retournant vers Chaton, Dragon se demande si elle allait lui reprocher son intervention ou si elle allait avoir une réaction plus intéressante.

Je n’ai pas de réponse de la part de l’inconnue - que j’imagine très concentrés sur les takoyakis - ce que je considère être une bonne chose, car j’imagine qu’ils sont très bons. De toute manière, ma nymphali déguisée à faim, donc il va être difficile de l’empêcher d’en vouloir. De toute manière, il n’y a pas trop de queue, donc autant y aller !

Spoiler : ça vaut le coup d’attendre, et ça n’est pas (trop) cher. Ça fait longtemps que je n’en ai pas mangé, et c’est toujours aussi bon, pareil pour ma compagne de la soirée. De toute manière on ne va pas rester assise pour manger, c’est Halloween, c’est la fête, il en profiter et se balader à fond, pas vrai ? C’est LA soirée pour le mystique et pour se faire peur (mais pas forcément dans cet ordre), bien que j’ai l’impression que ça ce rapproche plus d’une soirée traditionnelle que celle des morts, mais ça n’est pas moi que ça va gêner.

Je note également qu’il y a plus en plus de monde, ce qui est super. Plus on est de fou, plus on rit. Donc... nous déambulons. Il y a plein de choses à voir et à entendre, et la nuit est courte. Il y a des conteurs, des petits théâtres improvisés, qui s’amusent à raconter les légendes et autres récits par rapport à la saison du coin, ce qui ne peut être qu’intéressant (et qui l'est).

Finalement, notre errance nous amène vers la danse. Quitte à être dans les traditions, autant les embrasser au maximum. Après tout, ça fait longtemps que je suis dans la région et je ne connais pas tellement son histoire et sa culture, c'est le moment de me rattraper (il ne vaut mieux tard que jamais). Et puis les princes ou princesses sont toujours au centre des endroits pour danser, non ?

Malheureusement, alors que nos deux protagonistes reprennent leur souffle, le destin décida de faire du zèle. Et par le Destin, il faut entendre un garde.
Ce devait être un ancien athlète au vu de la carrure, mais son teint rouge violacé démontre un certain manque d'exercice physique constant. Mais l’esprit y est, car voilà que le garde remarque finalement la tenu de Dragon, qui se démarque dans cet endroit isoler.

“Eh toi là bas, arrêtes… toi !”

“Et bien, il semblerait que je vais devoir courir encore un peu. A plus trésors !”

Et laissant derrière lui Chaton, voilà notre fieffé joueur à nouveau en fuite. Mais cela ne saurait durer bien longtemps. Après s’être assuré d’avoir semé tout poursuivant, il est à présent temps de retourner à ses activités.

Et oui !

Il est de retour,
Pour vous jouer des mauvais tours,
Afin de se délecter des peur sans la moindre raison,
Afin de semer le chaos après la dévastation,
Afin de trouver l’Amour et la Vérité,
Afin d’étendre son savoir jusqu’à la Voie Lactée,
Dragon
Le seul et unique
Cringeant royalement sous sa tunique

Et donc après cette petite…interlude très dérangeant et clairement inspiré des répliques d’un trio de terroriste recherché à travers le monde, voilà que notre protagoniste se retrouve à chercher partenaire à la piste de dance.
Et c’est une tenue plus traditionnelle qui attire finalement son attention. Là ou Dragon jouait sur l'extravagance du personnage et du compte, le costume de cette camarade faisait appel à un charme beaucoup plus sobre mais tout aussi efficace pour cette soirée.

Et bon, qui ne tente rien n’a rien, non ?

Alors faisant le tour, Dragon décide de jouer le jeu et de l’inviter à danser, approchant poliment dans son champ de vision avant de lui offrire une petite courbette :

“M’accorderiez vous cette danse très chère ?”

On dit qu’il faut parfois se méfier de ses souhaits, car ils ne se réalisent jamais de la "bonne" manière (à défaut de la meilleure manière). Ou peut-être que c’est ma nymphali qui décide de me jouer un tour, utilisant des phéromones afin que personne ne m’approche. Ou alors je suis simplement malchanceuse, arrivant trop tard dans sur la piste de danse.

Ou pas. Laissez-moi dramatiser, d’accord ?

"Il serait bien impoli de ma part de refuser, non ?"

Et puis ça serait bien moins fun.

"Par contre, je dois te prévenir que je n’ai pas l’habitude de ce genre de danse."

Je suis plus dans les danses bien énergiques. Celles où il est possible de bousculer son partenaire.

Autrement dit, ses pieds sont les malheureuses victimes de cette danse traditionnelle. La tenue inhabituelle et les chaussures un peu bizarres n’ont pas aidé non plus.

"Heu... désolé pour tes pieds, ça va ?"

La "renarde" déguisée vient nous rejoindre.

"C’était fun, je ne m’attendais pas à ce que tu danses aussi bien."

Ni qu’il dirige aussi bien. Habituellement, c’est moi qui prends les devants pour la danse. Et pas que, mais c’est un autre sujet.

"Je présume que je dois à mon prince charmant, mais aussi un peu sombre une glace, pas vraie ?"

C’est bon les glaces. C’est toujours bien les glaces. Vive les glaces. Et puis j’ai un pokemon qui ne serait pas contre mangé de la glace. Après tout, c’est la fête, il faut en profiter, pas vraie ?

"Normalement je ne suis pas du genre à offrir des choses aux inconnus. Qui me dit que tu n’es pas un dangereux criminel ?"

Mais ça m’étonnerait qu’il en soit un, vu que les officiels qui organisent l’évènement ont notre véritable identité. Ou alors il en veut à ma fidèle compagne ? Ou pire, à moi même ? C’est que ça en devient presque excitant, non ?

Comment fait-on, pour être seuls à deux ? Comment fait-on, pour parfaire l'antinomie, pour donner du sens à l'antithèse ? L'adolescent, dans toute son impulsion ridicule, n'y a pas un seul instant songé. Il a tiré ses mots d'un vieux souvenir de lecture oublié et ce n'est, finalement, rien d'autre qu'une phrase digne d'un roman de gare. Une vieille comédie romantique un peu dépassée, qui n'émoustille plus grand monde, passé deux mille vingt et ses grandes révolutions de l'Amour avec un grand A…

▬ T'es drôle.

Et les aspérités de ses mots mal lissés tranche avec la poésie douce de la voix de l'autre. Il y cherche un semblant de familier, quelque chose qui lui dirait, est-ce qu'on se connaît ? Quelque chose qui trahirait, nous somme nous déjà croisés ? Quelque chose qui murmurerait que les astres s'alignent encore et que c'est drôle de songer comme on se frôle cent fois sans bien se heurter.
Mais la nuit, et les masques, volent tout aux aveux qui pourraient éclaircir ses hypothèses trop tôt fanées.

▬ Avec tes grands mots, là… Et tes phrases compliquées.

Celles dont il raffole lui-même mais qu'il ne prononce presque jamais. Presque, parce que les instants précédents, et cette façon indolente qu'il a eu d'aborder l'anonyme ont fait mentir l'évidence de sa retenue.
Elle est douée avec les mots et lui… Lui aussi, les métaphores, il s'y connaît, et lui aussi, comme tous les adolescents vaguement poètes maudits, il s'en éprend.

▬ Je suis mauvais danseur, confesse-t-il, l'ombre d'un sourire au bord de ses lèvres, sans honte et rien qu'un peu rieur. Je ne danse que elle, parce que je me fiche bien que celle-là parmi toutes les autres se moque de moi si je suis maladroit.

Comment fait-on, pour être seuls à deux ? Comment faire pour fendre la solitude sans la briser tout à fait, comment se persuader qu'on n'est pas si seuls quand on croit l'être si profondément ?

▬ Je ne sais pas. J'étais à peu près sûr que tu ne donnerais pas suite à ma phrase d'accroche. Tes standards m'ont l'air bien bas…

D'un geste presque nerveux, il joue avec les fils abîmés des bracelets noués à son poignet. Il cherche une réponse… Rien que quelques mots pour satisfaire. Donner du sens à cette conversation qui mourra bien avant l'aube.

▬ Puisqu'on peut bien être qui on veut, ce soir, alors on peut aussi peut-être faire semblant de n'être pas seuls du tout. Puisqu'il s'agit de mentir… On peut peut-être mentir ensemble.

Elle m'est tendre, l'idée de nous inventer d'autres existences, le temps de quelques heures perdues.

▬ Qui voudrais-tu être, ce soir, si rien n'était impossible ?

Si le monde entier acceptait de ployer sous le poids de nos caprices adolescents,
quel serait le tien ?

Nous mentons. Avec toute l'insolence portée par nos silences, nos épaules lourdes de fardeaux anciens qui n'appartiennent qu'aux maudits, aux déshérités, aux déshonorés qui s'acharnent à ne pas ployer. Le bruit de nos pas résonne sur le macadam, pourtant nos talons semblent à peine effleurer le sol. La cadence, lente et mesurée, paraît suivre nos ordres, plutôt que nous les siens. C'est comme si cet autre avait dansé toute sa vie, lui aussi. Comme si l'évidence se trouvait là, dans la proximité de nos deux âmes en peine, dans le tempo dérobé de notre danse qui n'épouse aucune autre musique que celle de la nuit et du vent entre les toits d'ardoise et les murs de pierre grise.
Les festivités paraissent si loin que même la brise ne porte plus jusqu'à nous ses bruits avides de nous emporter. Les mistrals froids d'octobre ébouriffent les couches de tulle et de dentelles, les tissus épais, les velours tendres qui dessinent nos silhouettes en ombres arrachées aux obscurités de la ruelle où l'on s'égare. La nuit pourrait bien nous emporter…

« Vous êtes une drôle de princesse. Vous m'évoquez Cendrillon. Un mensonge bien malheureux, drapé de dorures somptueuses le temps de quelques heures qui ne s'éterniseront pas jusqu'au matin. »

Le jeu des contes de fées dessine sur mes lèvres un sourire qui n'a rien à envier à celui des enfants qu'on surprend de loisirs qui les comblent. Je songe sans trébucher, tout mon corps abandonné à cette poigne légère qui me retient et me porte sur les pavés de la rue. Chaque pas est une évidence, chaque arabesque une énième qui ne s'arrache pas au par-cœur qui fait valser mon myocarde depuis toujours.
Je danse parce qu'il n'y a qu'en dansant que je me sens vivre et trembler...

« Me concernant… Peut-on vraiment parler de conte de fées, quand l'histoire s'achève de manière si tragique que celle de la petite fille aux allumettes ? Elle m'est pourtant si tendre… Elle croit profondément à chaque étincelle qu'elle fait naître au creux de ses mains, et s'y accroche à s'en brûler les doigts pour rompre l'obscurité. Même si le matin l'éteint… Elle a rêvé éveillée toute la nuit, en se moquant du mal qui la rongeait. »

L'imbécile me ressemble. Je n'ai pas honte de mes aveux. Je suis comme cette enfant, qui craque allumette sur allumette pour chasser les ombres, les tourments. Elle les a soustraits pour n'éprouver que bonheur et tendresse, elle s'est arrachée à la nuit pour sourire même les yeux fermés, une fois l'aube levée et son corps gelé.
Elle a renoncé aux pleurs pour ne pas être simple esseulée. Elle a souri pour avoir moins peur. Elle a brûlé…

« Et toi ? Je t'appelle Cendrillon, mais peut-être sais-tu mieux qu'une inconnue l'histoire qui parle le mieux de toi. »

Reste.
Les mains de l'étrangère, refermées sur les tiennes, tu ne trouves pas la force de t'y dérober. Pourtant, ton cœur s'emballe, et pourtant le ciel seul sait comme tu te soustraits à tout ce qui tente toujours de t'emprisonner. Mais cette geôle-là, tu t'y abandonnes sans faillir, sans trembler, tu te laisses couler dans le réconfort que la chaleur tendre de ses doigts refermés sur les tiens, froids, fait naître en toi. Comme une étrange accalmie dont tu n'appréhendes que trop l'éphémère. Tu sais que les orages ne sont jamais loin, que la foudre peut frapper cent fois au même endroit. Tu sais que le ciel est peu clément et que d'autres pluies diluviennes t'attendent.
Mais ses yeux… Ses yeux te promettent des éclaircies qui ressemblent à celles dont tu t'es tant amourachée. Des jours moins gris, des horizons ardents. Des guerres ineffables et des victoires amères. Des tendresses absurdes. Des vagues d'argent à l'infini scintillant…

Alors, contre les absurdités, tu souris.
Une trahison volatile à la chamade insensée de ton myocarde pourtant farouche.
Anonyme, tu te sens protégée. En sécurité. Volée au danger.

L'évidence est si limpide que ni le regard de l'autre, à vos côtés, belle impavide aux somptueuses boucles blondes, ni sa caresse qui dessine à tes réflexes une esquive imperceptible ne parviennent à ébrécher la certitude t'avoir trouvé ta place, le temps d'un instant. Tu es ici où tu dois être, ici où on veut que tu sois. Une seule personne c'est assez, pour se sentir nécessaire, étrange centre de gravité pour quelque météore égaré.

Sans un mot, tu emboîtes le pas aux silhouettes devenues compagnes d'infortune pour cette étrange soirée. Tu t'installes en bout de banc, pour laisser entre la dame au chat et toi la place à la belle aux yeux fascinants. Tu la suis du regard, la dévores, la contemples à la dérobée, et quand tes prunelles ne sont pas sur elle, elles balaient la foule hagarde sans plus d'intérêt qu'avant.

Il paraît que le soir du trente-et-un octobre, la limite est plus fine entre le monde des morts et le nôtre. C'est pour ça que c'est ce soir-là que les âmes des défunts de l'année choisissent pour passer de l'autre côté… Quoique puisse bien être cet autre côté.

Tu n'y crois pas un traitre mot. Les idées trop rationnelles, l'image d'une vie après la mort ne t'a jamais séduite ni rassurée. Tu espères, plus fort que tout, que la fin soit vraie et pas la première page masquée d'une autre histoire.

Ils racontent que la faucheuse est parmi nous, pour aider les âmes à passer. Et c'est pour ça qu'on doit être masqués… Pour qu'elle ne nous confonde pas avec une âme égarée.

Balivernes.
Comment peuvent-ils y croire, ne serait-ce qu'un seul instant ?
Ces contes de fées n'ont jamais rendu moins douloureux d'avoir perdu la seule qui comptait. Les légendes ne ramènent pas les morts à la vie, et les rituels ne rassurent que les vivants. Ceux qui y croient plus fort qu'à la science et à la raison…

Je suis à peu près sûre que je réveillerais l'un des pires démons du bas-astral si je m'essayais à ces conneries, tu murmures, un rictus adressé à la blonde.

Ne pas savoir… Ne pas croire te suffisait.
Les morts n'étaient pas à vos côtés.
Et elle ne te hantait que dans tes souvenirs.

Dans ton concept tordu du monde, tu considères que l'évolution de l'être humain est l'un des plus flagrants échecs de Mère Nature. À défaut de prier un quelconque personnage écrit d'une plume ayant saisi tout le concept de faire naître l'espoir vain, tu préfères croire en un quelconque miracle né de la nature. Une façon de croire en une force supérieure sans pour autant valider les divinités, une manière de proclamer que tu ne vénères que toi-même, un mensonge qui consiste à affectionner la science d'un regard distant, sans pour autant avoir la moindre certitude que la connaissance ait véritablement déjà fait un pas vers ta prétendue religion.

Cependant, force est d'admettre que ta pensée n'est pas dénuée de profondeur. L'évolution de l'être humain l'a mené à devenir inutilement intelligent, provoquant un confort en apparence et une cassure de l'âme à l'intérieur. L'humanité se questionne sur des concepts et des aspects qui échappent parfaitement à tous les autres êtres vivants. Elle a modelé des problèmes qui n'ont pourtant, à la base, aucune consistance dans la réalité. Donner un sens à sa vie, trouver son chemin, goûter à l'amour, sombrer dans l'avarice, accomplir son destin... D'innombrables anomalies. Une condamnation à vivre dans une angoisse perpétuelle, à évoluer dans la peur et dans l'incertitude d'une nuit d'hiver, à une marche vers le cercueil sans prendre le temps de s'arrêter en chemin pour contempler toute la beauté de la vie.

Pourtant cette beauté, lorsque tu la regardes, tu ne peux t'empêcher de ressentir le poids écrasant de la haine et de la culpabilité. Dans une détresse fiévreuse, tu perces alors tes veines et tu creuses les contours du trou béant dans la poitrine. Aucun châtiment ne sait se montrer à la hauteur de ta folie. Tu le sais, la vie nous laisse toujours seul face à la tragédie, face au miroir qui reflète tout ce qu'on déteste en ce monde. Tu aurais aimé n'être qu'un animal. Tu sais qu'en étant qu'une simple bête, tu n'aurais jamais eu à te justifier, à trouver des raisons aux déraisons et alors, ta vie serait faite d'un silence parfait. Survivre. Être prédateur ou proie. Tuer ou être tué. Mais est-ce vraiment parce que tu hais toute la complexité et toute la mélancolie de l'intelligence humaine ? Ou simplement, parce que l'animal ne remettra jamais ses actes en cause, qu'ils soient parfaitement légitimes ou tout bonnement monstrueux. 

- « Vous êtes une drôle de princesse. Vous m'évoquez Cendrillon. Un mensonge bien malheureux, drapé de dorures somptueuses le temps de quelques heures qui ne s'éterniseront pas jusqu'au matin. »

La jeune femme à l'odeur alléchante, celle même qui t'avait attiré jusque dans cet endroit que personne ne regarde, avait affreusement raison. Tu aurais dû sourire, bon perdant comme tu peux l'être, pourtant tes traits s'étaient égarés dans une neutralité qui ne souligne jamais rien de noble avec toi.

- « Il y a de l'idée, je dois l'avouer... » Tu pensais alors avoir souri, mais il n'en fut rien. - « Néanmoins, Cendrillon n'est-elle pas mieux sans sa somptueuse robe volée, sans son masque de maquillage et sans ses chaussures modelées à partir d'un cristal qui n'existe que dans les rêves... ? Pourquoi tout le monde glorifie et préfère son mensonge, quand en dehors de la nuit du bal, elle n'est qu'une jeune femme ordinaire comme les autres qui surmonte le malheur de son quotidien en rêvassant chaque soir à la fenêtre de sa chambre ? Cendrillon est bien plus belle au matin. Elle porte la beauté de quelqu'un qui peut exister... »

Tu n'as jamais eu beaucoup d'imagination ou de plaisir à t'abandonner à l'art. Tu ne connais qu'un par cœur qui devient inévitablement l'amante de ton charme naturel. Tu ignores qui t'a appris à danser, mais tu ne peux que valider l'hypothèse que ton professeur s'était montré terriblement persévérant avec toi. Il avait fait de chacun de tes gestes un mi-chemin entre la tendresse et la maîtrise ferme. Tu es une muse ou une fascination pour tes partenaires. Lorsque tu tends la main, tu n'invites pas les âmes errantes et solitaires à une simple danse, tu leur la promesse qu'elles existeront pour toi, qu'elles effaceront le reste du monde pour briller comme un soleil qui ne peut consumer que toi.

- « Me concernant… Peut-on vraiment parler de conte de fées, quand l'histoire s'achève de manière si tragique que celle de la petite fille aux allumettes ? Elle m'est pourtant si tendre… Elle croit profondément à chaque étincelle qu'elle fait naître au creux de ses mains, et s'y accroche à s'en brûler les doigts pour rompre l'obscurité. Même si le matin l'éteint… Elle a rêvé éveillée toute la nuit, en se moquant du mal qui la rongeait. » Tu en étais certain, l'odeur qui te plaisait tant, cette image brillante dans l'obscurité qui t'avait happé comme un insecte sans pensée, étaient synonyme de désespoir et de mort. - « Et toi ? Je t'appelle Cendrillon, mais peut-être sais-tu mieux qu'une inconnue l'histoire qui parle le mieux de toi. » Connaissais-tu réellement des contes pour enfants ? Tu n'as jamais eu d'enfance, après tout.

- « Si je pouvais choisir égoïstement quel conte, ce serait alors celui de « La flamme bleue ». Cependant, le plus juste serait « Le loup et les sept chevreaux ». À la seule différence, que si je faisais des victimes, elles ne pourraient pas être sauvées... Ma fin, n'en serait que plus misérable. » Tes pas s'étaient faits plus lents. - « Les mains que vous tenez si fermement pour ne pas manquer le glissement volatile de notre danse, au rythme si lointain qu'il nous perd, sont des outils qui excellent dans le pire. Il ne suffit jamais plus que d'une simple pulsion, d'une odeur envoûtante, d'une mélodie rappelant l'enfance, d'un souvenir malade ou d'une détresse dévorante, pour que l'esprit et la raison s'effacent... Vous dansez avec la mort elle-même, que je sois votre partenaire ou non ne change rien à cette tragédie. » Tes paroles étaient des menaces aussi tranchantes qu'une lame de rasoir, pourtant, le soupir qui avait suivi était égoïstement rassurant. - « Vous êtes une proie affreusement facile cette nuit... Peut-être devrions-nous délaisser notre valse pour nous asseoir un instant. » Tes yeux, décorés d'un vert saisissant, trahissant la clarté cachée de tes prunelles, s'en étaient allé vers la coupe de vin abandonnée sur un muret. Tu ne bois pas d'alcool, mais tu connais sa capacité à délier les langues. - « Trouvons une fin alternative à votre conte... Commençons par : ce qui t'a pris en chasse ce soir, s'avère incapable de te faire le moindre mal... » Le souffle qui s'était échappé de tes lèvres, soulignées d'un rouge à lèvre écarlate, trahissait ta déception. Tu avais encore échoué à t'attraper toi-même.