À propos de Kobe High School:

À propos d'Ashton:

Une chemise de soie noire, un veston de velours noir. Un long manteau noir à la doublure épaisse car il fait froid pour la saison. Un maquillage sombre, alourdissant mes paupières de noir et de gris. De lourds pendants d’oreilles en forme de grenade, une dizaine de minces bracelets frissonnants à chaque poignet, des bagues serties de pierres. Et un large peigne ciselé en forme d’éventail pour retenir ma coiffure, un chignon bien moins extravaguant que ce dont j’ai l’habitude. Le tout en argent, uniquement en argent. Je me doutais que ça ne plairait pas à tout le monde, bien sûr.

« Étais-tu vraiment obligé de mettre autant de bijoux ? »
« Je l’ignore, Mère. Étiez-vous obligée de mettre cette voilette d’un autre âge ? »
« C’est un enterrement, Ashton. Tu aurais pu faire preuve de sobriété. »
« Je suis très sobre comparé à d’habitude et je pense que Zacharie aurait davantage apprécié mon style que le vôtre pour cette occasion. Je ne vous en tiens pas rigueur. Il aurait fallu vous soucier de lui pour le savoir. »

Ne goûtant que moyennement la remarque, Vivienne Kelly pince les lèvres et se détourne sèchement pour lisser sa jupe noire sur ses genoux, préférant écouter religieusement le prêtre – Pourquoi est-il venu ? – plutôt que son fils pestiféré. Pour ma part, je songe de plus en plus sérieusement à me lever pour m’asseoir ailleurs. Tout au fond de l’église, ou dehors pour m’en griller une – Qu’est-ce qu’il fait là ? – ou même sur le siège de ma voiture pour partir loin d’ici et ne plus jamais y remettre les pieds. Parce que si l’enfer existe, je peux jurer – Il paraît que c’est Zacharie qui l’a demandé – que c’est à ça qu’il ressemble : une église humide et saturée d’encens, remplie par le clan Morgan-Kelly presque au grand complet – Mais à quoi pensait-il ? – rassemblé pour enterrer l’un des siens. En l’occurrence, le seul cousin qui valait à peu près le coup dans cette famille de gens riches, froids et méprisants. Ce n’est guère que pour lui – Vraiment, c’est inconvenant tout ce maquillage – que je suis revenu après plus de dix ans d’exil – Et ces bijoux – et je n’y resterai pas plus longtemps – A-t-il toujours été si vulgaire ? – que nécessaire. Je me sens épié, jugé – J’ai entendu dire qu’il vivait avec un homme au Japon – dépecé vivant comme je ne l’ai jamais été. Il n’y a pas à dire, je sais – Il n’a pas honte ? – pourquoi je suis parti et il me tarde de recommencer. Au fond de ma poche, mon téléphone vibre à intervalles réguliers – Il devrait – au rythme des messages de soutien de Karson, et ceux d’amour d’Hisao. Vraiment, il n’y a que pour eux que je tiens. Et pour Zach.

Je ne le voyais – Franch'ment, t'as envoyé du lourd – quasiment plus. Je ne savais pas exactement – J't'admire un peu tu sais ? – ce qu’il devenait. Je n’y pensais plus si souvent. Mais quand mon frère m’a appelé pour m’apprendre sa mort et le fait qu’il m’avait demandé moi et personne d’autre pour son oraison – Ton style déchire vieux ! Dis, tu veux pas m'aider à me maquiller ? – oh, comme il m’est revenu tout d’un coup. Comme j’ai été malheureux. Parmi les rares personnes de la famille – Sérieusement, tu devrais prendre plus de risques, te donner à fond pour te sentir vivre – qui ne méritaient pas un tel drame, il fallait que ça tombe sur lui…

Mon regard balaye les bancs plein à craquer, survole tous les hypocrites – Comment a-t-on pu le laisser devenir médecin scolaire ? – qui s’appliquent à paraître dévastés et s’arrête sur les quelques personnes – Ce n’est pas dangereux ? – qui tenaient réellement à Zach. Sa fille, son assistante, guère davantage. C’est à vomir, vraiment. Ils ne sont là que pour respecter les mêmes convenances imbéciles – Avec tout ce que ses parents ont fait pour lui – que mon défunt cousin adorait jeter aux orties. Mes propres parents ne tolèrent ma présence à côté d’eux – C’est une pitié, ce qu’il est devenu – qu’à cause de mon nom sur le testament, sinon ils seraient les premiers à me jeter dehors. C’est vraiment drôle qu’il n’y ait que ça qui les retiennent. Un sourire acide étire mes lèvres et je me permets même – Dès le début il y avait quelque chose qui clochait chez lui – le luxe de rire à voix basse, savourant le regard choqué de ma mère. Zach a parfaitement joué son coup, certainement parce qu’il était beaucoup plus au fait que moi de leurs mentalités étriquées. Évidemment qu’il fallait – Pauvre Vivienne, elle qui priait tous les jours pour son fils – que ça soit moi. Évidemment que je devais – Karson et Zoey lui ont laissé leurs enfants, tu te rends compte ? – me présenter devant tous ces gens et les regarder se tortiller – Et s’ils devenaient comme lui ? – écartelés entre l’étiquette et leurs idées reçues nauséabondes. Du pur génie. Zach tout craché.

Le silence retombe dans l’église tandis que le prêtre abandonne sa chaire, attendant que je vienne l’y remplacer. Un à un, les regards reviennent peser sur moi, austères et méprisants. Autrefois, je me serais senti écrasé. Pourtant – Écoutes pas ces cons – je ne cesse pas de sourire. Le regard de Zach me revient en mémoire, malicieux, pétillant, lumineux au point que c’était un miracle – Moi j'aime les gens fidèles à eux-mêmes – dans les maisons froides et luxueuses où nous avons grandi. Même si j’aurais préféré qu’il vive encore longtemps, c’est un beau cadeau qu’il me fait. Au final, juste pour ces quelques instants, j’ai bien fait de venir.

« Ashton... »

Tournant la tête, je croise le regard angoissé de ma mère qui attend et redoute à la fois – Sérieux on a une famille de connards – que je me lève pour remplir mon rôle. Sans doute devine-t-elle que je m’apprête à faire quelque chose qui ne lui plaira pas.

« Ashton, je t’en prie… »

Elle a toujours eu de l’instinct pour ces choses-là. Pas comme mon père qui se contente de me fixer derrière elle, les yeux emplis d’une colère froide en espérant que ça suffira à me dissuader de sortir du rang. Avec un sourire charmant, je soutiens son regard en déchirant méthodiquement le papier où j’ai écris mon discours avant de me lever. Tout le monde me suit avec horreur tandis que je me dirige vers la chaire. Tous les yeux sont sur moi, tous les murmures, tout l’effroi de ces gens étroits d’esprit que je fais soudain trembler dans leurs préjugés. Enfin ils me regardent. Enfin ils ne peuvent plus nier mon existence et faire comme si je n’existais pas. Tout cela glisse sur moi – Un jour – comme la pluie sur le verre. Zach n’avait pas peur de ces gens. Aujourd’hui, pour lui rendre hommage, je n’ai plus peur moi non plus. Abandonnant les miettes de mon discours dans l’allée, je viens m’installer au pupitre, arrange un instant ma coiffure – On leur rendra la monnaie de leur pièce à ces cons – et emplis mes poumons…

Just Married:

Zacharie: