15 Janvier. Elle attendait cette date depuis quelques mois déjà. Elle organise de plus en plus souvent ce genre d’événements, qui ont toujours autant de succès. Mais un de cette taille, c’est exceptionnel. Elle s’est arrangée, cette fois, pour que rien ne puisse entraver le bon déroulement de la soirée, voire de la nuit, avec un peu de chance. Et avec un peu plus de chance, elle ressortira riche de cette entrevue.
En réalité… même avec la plus faible des chances, elle remportera une agréable somme d’argent. Réfléchir à tout ce qu’elle pourrait faire avec tout ça… ça lui donne le tournis, comme à chaque fois. Elle n’en a pas vraiment conscience, comme n’importe quelle ado de son âge qui n’a pas de salaire ni aucune entrée d’argent autre que… celle-là… bien trop importante pour ses petites poches.

Et maintenant, montée sur un cylindre de métal au contenu indéterminé, elle observe la scène avec des étoiles dans les yeux. Regarder ces combats a toujours été très impressionnant, et intéressant. En voyant les pokémons agir, elle comprend les mécaniques, les comportements des combattants mais aussi des dresseurs. A quel moment l’humain en face perd son calme, à quel moment il n’a plus le contrôle de son compagnon. Tout ça la fascine. Elle pourrait passer toute la nuit à les regarder rien que pour s’instruire. Mais son rôle, tout de suite, nécessite une observation différente. Ce combat, c’est elle qui l’arbitre. Et même si techniquement elle n’a pas les moyens, dans son enveloppe frêle, humaine et pure de toute substance dopante, d’agir contre deux pokémons fous de rage et de drogue. Elle sanctionne les humains, non les pokémons. Prend note des comportements, des anomalies. Il n’y a pas de règles. Pas de limite à ne pas franchir dans le dopage de son combattant. Elle n’a pas les capacités d’en imposer. Elle essaye simplement de faire en sorte que le jeu soit juste. Il l’est rarement, mais est toujours injuste dans une mesure qui dépasse ses capacités d’action. Alors il est juste.
Ça ne lui plait pas particulièrement, mais c’est ainsi. Elle n’a pas le droit de se plaindre, ou elle se fait tabasser et voler toutes ses économies, brûler ses maigres possessions, et refoulée à tous les combats auxquels elle se présentera dans le futur.
Aujourd’hui, elle n’écrit pas les règles.
Peut-être tout sera-t-il différent demain.

“Eh, Lilith. Ce soir était un succès, félicitations encore putain !” Alors que l’homme l’enlace, elle pose un main sur celle qui colle discrètement une boite en métal glacé sur la peau de son ventre simplement cachée d’un tissu trop usé pour être protecteur contre la plus fine des brises.
“Tout est là ?” Après acquiescement, l’homme s’écarte, lui adresse un clin d’oeil et tourne les talons.

Et alors que demain approche, le temps fait une pause. Tout s’est passé comme prévu. Tout. Sauf ça. Un homme, pas vieux de beaucoup plus qu’elle, vient la voir et lui parle. C’est particulièrement anormal.
Elle le dévisage, le regard froid, aussi froid que son expression pourtant brillante d’une sueur légère à laquelle elle ne prête aucune attention. Il fait chaud, les cylindres de métal en feu réchauffent l’air au même titre que les corps réunis dans un petit espace et qui fournissent encore des efforts, bien que la soirée porte à sa fin, pour nettoyer l’espace et dissimuler un peu leur passage.

Elle ne répond pas à l’homme, laisse un petit blanc s’installer. Elle est une fille, elle n’est pas très grande, elle est jeune. Si elle a l’air gentille, ne serait-ce que quelques minutes, elle deviendra une cible facile. Et ça a déjà trop été le cas. Elle a grandi ici. Elle a appris à interpréter les regards, à deviner les intentions et à se méfier de n’importe qui.

Et lui, une tâche blanche crasseuse au milieu d’ombres bruyantes. Si on oublie la clarté de sa peau et de ses cheveux, il est invisible. Il n’existe pas. Pas plus dans la vie que dans cette foule qui se dissipe, elle en mettrait sa main à couper. Il n’est sans doute pas là pour lui faire la conversation, et elle a autre chose à faire que de rembarrer un dealer. Sauf s’il vend des boosters à dangerosité minime pour les pokémons. Mais malheureusement, ça n’existe pas, et même si c’était le cas, son prix serait tellement élevé que l’homme en vendant ne ressemblerait pas à un rat d’égouts, et elle n’aurait pas les moyens d’en acheter un centième de gramme.
En parlant d’argent, elle prend conscience de la boîte encore contre son corps alors que l’autre se racle la gorge en se rendant compte sans doute de l’atmosphère étrange pesant sur la conversation. Ou de la première impression qu’il vient de lui faire.
“Pardon, je sais, je sors de nulle part et tu ne dois pas être trop habituée de recevoir de la visite après tes combats. Accordes-moi un peu de temps, je pense que j’ai quelque chose qui peut t’intéresser…”
Ca, elle en doute. Mais elle ne dit rien, referme le sac à dos noir raccommodé à plus d’un endroit sur la boite en métal et le jète sur son épaule avant de reposer son regard sur son interlocuteur. Alors ça l’agace, parce qu’elle le fixe, et il semble penser qu’il a réussi à la rendre curieuse, alors il s’approche, et continue de parler, il lui révèle, comme elle s’en doutait, qu’il ne travaille pas à son compte. Plus personne n’est capable de travailler seul, maintenant. Tout le monde à besoin d’un protecteur, et elle trouve ça presque risible. C’est un junkie qui n’agit que sous contrainte. Il n’a pas plus envie d’être là à discuter qu’elle. Mais il parle aussi de ses rassemblements, et là, elle est intéressée. Pas honorée, pas excitée, mais intéressée. Quelles sont ces rumeurs ? Jusqu'où vont-elles ? Mais il s’arrête. Ne parle pas des rumeurs. Simplement que son patron a une offre à lui faire. Elle sait, Lilith. Elle sait qu’elle refusera. Que même pour tout l’or du monde, elle ne se vendra jamais à qui que ce soit.
Et pourtant, on s’intéresse à ses activités, qui n’ont alors pas réellement commencé. Un projet naît dans son esprit, et se concrétise de jour en jour. L’envie de construire quelque chose de permanent, qui serait ouvert toutes les nuits. Quelque chose d’intouchable. Une source de revenus inépuisable. Des revenus dont, idéalement, elle toucherait la moitié, si ce n’est le quart. Les gens de Voltapolis méritent mieux. Méritent autant que les autres. Non, la centrale n’a rien à voir là-dedans : les inégalités sociales rongeaient déjà la ville séparée en deux. Il y avait Voltapolis, et les bas-quartiers. Ceux de Voltapolis ne considéraient pas les pauvres comme habitants de la ville, et la basse-ville ne voulait pas être associés aux pourritures du haut qui salissaient leurs rues. Maintenant tout est plus simple, Voltapolis n’existe presque plus. Voltapolis est devenue ces quartiers malfamés, ces rues délabrées et ces bâtiments vides quoique squattés par les dépendants et les abandonnés.

“Je sais pas où tu vois quelque chose à boire, mais je t’écoute.” Les derniers êtres animés sur la petite place ensanglantée ne sont plus qu’eux deux, les deux derniers hommes qui donnent des coups de pieds dans les lampes flamboyantes pour les éteindre dans la boue de sang et de déchets en décomposition. Elle n’en a rien a foutre, de ce qu’il était à son âge, et elle ne va certainement pas suivre son exemple, si c’est pour finir enchaîner à un pilier de drogue qu’elle rongera avant de se lamenter de ne plus en avoir, jusqu’à s’enchaîner à un nouveau poteau à haïr mais à supplier de rester prêt de lui tout en le détruisant petit à petit.
“Mais j’ai pas toute la nuit.” Nuit, ou matinée. Dans une ou deux heures, les premiers rayons du Soleil pointeront à l’horizon, et une nouvelle journée commencera. Deux deux heures, les forces de l’ordre commenceront leurs rondes, sauf s’ils ont été alertés. Alors autant ne pas rester sur les preuves de l’infraction.
Elle le dépasse, hésite à le bousculer en passant mais l’évite de peu, et s’engage dans une rue. Qu’il le suive ou non, elle rentre. Le petit bar-hôtel de la rue principale est l'endroit où elle loge gratuitement contre un coup de main à la plonge et au service en salle de temps en temps. Ils s’installeront à une table pour qu’elle l’écoute lui raconter ce qu’il a à lui dire. Et s’il ne suit pas, elle montera directement pour se coucher, car les cernes sous ses yeux ne sont pas dues au froid.

Un homme a fait le déplacement jusqu’à Voltapolis pour la voir spécialement. Evidemment qu’elle jubile. Comment cela est-il réel ? Elle n’a aucunement l’intention de répondre positivement à qui que ce soit si c’est pour s'enchaîner, cette idée est plus que nette dans son esprit, mais c’est tout de même inconcevable qu’une mafia ait eu entendu parler de ce qu’elle organise, alors qu’elle fait tout son possible pour être discrète. Il y avait beaucoup de monde, ce soir. Elle n’a pas fait particulièrement attention à la foule, mais si ses actions attirent les gens d’ailleurs, alors ouvrir un club permanent n’est plus si déconnant.

Elle s’attendait à ce que l’autre parle pendant le trajet, mais ce n’est pas le cas. Il ne fait que la suivre, comme… Comme s’ils n’étaient pas égaux. Le sont-ils vraiment ? Elle n’est pas particulièrement prétentieuse, Lilith, mais elle n’a que 16 ans, lui est adulte, et pourtant… Pourtant elle s’en sort mieux, pourtant il s’écrase devant elle, pourtant elle se sent puissante quand il le suit comme un serviteur, et pourtant elle aime ça. Ce sentiment d’être considéré, d’exister, même si ce n’est que face à un homme de main qui ne répond qu’à l’appel de la drogue que son maître agite devant son museau.

C’est avec un dégoût teinté de peine qu’elle entre enfin dans l’auberge et s’installe au comptoir. Il n’y a personne d’autres que les ivrognes habituels venus noyer leur misère dans de l’alcool mauvais. Ici l’argent, c’est bien si tu en as, mais de plus en plus, les gens se font au troc. Les gens acceptent le troc. L’argent, petit à petit, devient simplement du papier. Et le papier n’a aucune valeur, quand on te propose une potion en échange de l’effacement de tes dettes. Tu ne sait pas d’où elle vient, cette potion, mais tu t’en fiches, parce que ce que tu veux, c’est soigner ton pokémon, parce que si ton pokémon va bien, tu peux combattre, et donc potentiellement gagner des billets, que tu échangeras à ceux à qui tu dois de l’argent et qui n’acceptent rien d’autres que des pokédollars parce qu’ils n’ont rien compris à comment fonctionne le monde. Ou bien c’est eux, qui n’ont rien compris ?

Son cheminement de pensées s’arrête quand ses yeux se posent sur celle dont elle est accompagnée. Cette tâche blanche. Elle le regarde, et retient un soupir agacé. Agacé que ce soit lui, agacé de ne pas pouvoir être dans sa chambre à se relaxer. Mais elle l’écoute, après avoir ajouté qu’elle prendrait la même chose que lui à l’aubergiste se réveillant derrière son comptoir. A cette heure là c’est bien normal de s’endormir, et de toute façon, que pourraient voler les voleurs ? Les autres clients aussi sont assoupis sur leurs bouteilles

Un prodige, qu'on dit ? Qu’est ce qu’elle en sait, c’est peut-être vrai. Un prodige dans quoi, l’art de l’organisation ? C’est ridicule. Mais elle ne dit rien, elle reste silencieuse, courtoise. La discussion est suffisamment lourde et étrange comme ça sans qu’elle rajoute ses remarques désagréables d’ado insupportable. Mais elle a de toute façon trop l’impression qu’il lui jette des fleurs pour l’amadouer qu’elle n’aurait rien pu dire. Elle réfléchit. Comment sa présence pourrait-elle “être convoitée dans la majorité des secteurs” ? Personne ne sait qui s’est, si ce n’est son prénom et son âge ? C’est facile à croire, mais ce n’est pas une fille naïve, elle aimerait que ce qu’il dit soit vrai, ça lui donnerait de l’espoir, mais elle n’y croit pas. Pourquoi ? Il y a sans doute des gens expérimentés qui font ça mieux qu’elle, plus charismatiques et plus entraînés, plus imposants qu’elle. Sauf si…

Sauf si ce qu’ils cherchent, c’est justement quelqu’un d'influençable. Quelqu’un qui n’a aucune expérience et qui sera plus qu’heureux d’avoir des gens sur qui compter, des plus vieux qui lui disent quoi faire, quand, et qui la payent. La mise en garde, quoiqu’un peu prétentieuse, la conforte dans cette idée. Ce n’est sans doute pas pour ça qu’il l’a dit, il est tout de même sensé être dans le même camp que son patron… C’est donc un incapable par-dessus le marché.
…Ou alors il la prend pour une incapable…

Finalement le barman apporte deux chopes en verre pas très élégantes mais hey, elles font le taf, ses chopes. Et alors que l’alinos continue de parler, de la complimenter encore comme si c’était réellement ce qu’elle méritait, elle commence à boire. Hôtesse de combats ? A Nemerya ? Pour un enfoiré qui profite de la misère de gens comme l’abruti en face d’elle ? Finalement, elle ne sait pas ce qui est pire : Être au bout de la laisse, ou être celui qui la tient ? Elle porte aussi peu de respect pour l’un que pour l’autre, au final, même si elle aimerait pouvoir tenir les habitants de Voltapolis loin des substances… Evidemment qu’elle en serait incapable, elle n’est pas une sainte, loin de là. Elle aimerait simplement que ses combats restent des moyens de gagner sa vie, et pas de la détruire encore plus. Un divertissement et un moyen de s’en sortir, voilà pourquoi elle a commencé à organiser ça. Et si elle est si douée là-dedans, c’est certainement parce que elle, elle a de bonnes raisons de le faire.

Et cette manie qu’il a de l’appeler “chère”, elle va lui envoyer le sac à la figure, sans doute que le contact de la boîte en métal avec sa mâchoire le rendra moins dérangeant.


Elle ne répond rien, prend sur elle, finit sa bière, s’assure de la présence du poid dans son dos, regarde tout autour d’elle, à la recherche de la réponse, qu’elle ne trouve naturellement pas dans la calvitie du barman trop maigre endormi sur sa chaise de l’autre côté de la porte battante ouverte en face d’eux. Mais il lui tend une enveloppe. Elle hésite, regarde l’enveloppe, la main qui la tient, puis le visage, ces yeux explosés, ces lèvres trop pâles, ce visage trop pâle à côté de la crasse qui recouvre ses propres traits. Mais c’est une pâleur crade, une pâleur maladive presque. Lilith détourne les yeux, pas par dégoût, plus par pitié. Elle a suffisamment à faire avec les habitants de Voltapolis… et de toute façon, un gars comme lui… qu’est ce qui pourrait l’aider ? Elle ouvre l’enveloppe. Une invitation, signée. Simplement du papier. Pour qu’elle voit la richesse de leur palace, sans doute, qu’elle apprécie la vue de toutes leurs richesses, qu’elle devienne jalouse et accepte sa proposition. Elle sourit un peu, en retrouvant le regard déstabilisant de l’homme, ouvre la bouche pour répondre que ce que son ‘patron’ fait, et ce qu’elle, elle organise, ça n’a rien en commun…
Mais c’aurait été un peu trop prétentieux de sa part.

Il y a un creux, elle ne dit rien, est anormalement silencieuse, et le barman se réveille au son de la chope vide de l’homme qui tape le comptoir. Alors il se présente, Lestat - parce que c’est un prénom, ça ? - et s’en va, sans rien ajouter, et sans qu’elle ne trouve quoi dire en retour.

Alors quoi, elle accepte ? La somme d’argent sur le bois lui fait hausser les sourcils. Tout ça pour un barman ? Il devait être heureux, lui. Elle lui jette un coup d'œil, il lui répond par un hochement de tête “Sympa ton pote. Il reste longtemps, par ici ?”
Mais si elle y va, à cette soirée, il y aura un combat. Alors il y aura des paris. Et Lilith ne se plante que rarement, dans ses paris. Et dans ce genre d’endroit, toutes ses suppositions vont dans le même sens : Elle obtiendra gros, ou perdra peu.
Sans répondre à son ami l’aubergiste, la jeune fille se lève, sort de l’hôtel rapidement et aperçoit la tête blanche au coin de la rue. Elle fait alors quelques pas dans sa direction.
“Où est-ce qu’on t’trouve, à Nemerya ? Près des égouts ?” Et une fois son attention bien retrouvée, elle laisse quelques secondes pour une réponses potentielle qu’elle n’attend pas particulièrement ; et ajoute, à l’arrêt sur la route en piteux état : “J’espère que je serai pas déçue.”

Puis elle fait volte-face.
Lestat, l’albinos dégénéré. Junkie de Nemerya.
Nemerya, hm. C’est pas si loin. Elle a entendu parler de sonistrelles sur la route y menant en plus…




Elle a fait un effort, Lilith, pour venir, elle a attaché ses cheveux en un gros chignon, et même s’il ne sera pas beau tout son séjour ici, ce sera mieux que ses mèches crasseuses habituelles. Elle a quand même pas mis une robe, elle est restée en pantalon, qu’elle a emprunté à une autre fille des bas-quartiers parce que les siens sont trop larges pour faire habillés, et elle a gardé sa vieille veste en cuir. Oui en fait, l’effort c’est ses cheveux, c’est tout. Pourquoi elle en ferait plus pour des gens qu’elle méprise ?

“Je cherche Lestat.” C’est la seule chose qu’elle dit, en arrivant dans cette ville. Elle se rend dans le premier bar qu’elle croise. Elle ne sait pas où aller, de toute façon, alors un peu d’aide, c’est pas de refus. Elle n’ajoute rien, peut-être qu’il est connu dans la ville, peut-être que tous les membres de sa bande sont connus et donc que le barman saura lui indiquer la route. Elle le regarde mal, c’est sans doute ce qu’il ressent alors que son sourire se dissipe aussi vite qu’il est arrivé, et il pointe la bouteille qu’il tient sur la gauche, en lui précisant qu’elle le trouvera probablement dans une rue dont elle a déjà oublié le nom. Mais a priori, “on peut pas louper l'hôtel". Donc elle s’en fait pas trop, la banlieusarde, elle ressort d’ici sans un merci et avance dans les rues, les mains dans les poches. Elle n’est pas dans son élément ici, et même si tous les gens n'ont pas l’air tous aussi riches, ils sont tout aussi répugnants les uns que les autres. Elle ne lève pas la tête, et les yeux seulement pour essayer de repérer un bâtiment emblématique. Et oui, elle déambulera comme ça jusqu’à trouver, parce que de toute façon elle peut rien faire d’aut-
En tournant la tête, son regard tombe sur une ruelle plus sombre que n’importe quelle autre, et particulièrement sur une grosse poubelle fendue dont le couvercle inutile bouge tout seul. C’est sans doute un pokémon, mais elle n’a rien à perdre, Lilith, et toucher aux ordures, c’est un peu son quotidien, alors elle s’approche, soulève le couvercle pour trouver un homme encapuchonné la regarder avec de grands yeux ébahis. La jeune fille hésite un moment, mais avec la fente dans le plastique, elle l’attrape par le col et le sort de là pour le coller au mur et lui demander, pas très doucement “Où est Lestat ?” et visiblement, lui était plus disposé à l’aider que les autres. Il la conduit donc courtoisement et par le biais des rues sombres jusqu’à l’établissement… auquel elle était conviée. Mais quelques jours avant la date indiquée sur le papier. Ce patron ne pensait tout de même pas qu’il choisirait quand ils se rencontreraient ? Elle a peut-être que 16 ans, mais elle est tout aussi adulte que n’importe qui, et elle n’obéira certainement pas à… à qui que ce soit, en réalité.

Alors elle approche de l'entrée, comme si de rien n'était, et elle verra bien ce qu'il se passera.
Alea jacta est, comme on dit...

A vrai dire, elle s’attendait à un peu plus somptueux, pour un patron de mafia… Ou alors elle s’était fait un film, ce truc c’est juste une grosse arnaque et elle va en payer le prix dans quelques minutes, quand elle aura trouvé Lestat… Enfin, qu’est ce qu’elle à craindre de quelqu’un comme Lestat, exactement ? Elle n'a pas survécu jusqu’à aujourd’hui pour finir en purée contre les pavés d’une ville qu’elle ne connaît pas.
Elle se retrouve là, contre un mur pas trop loin de la porte, à observer les autres occupants à la recherche d’une tête aux cheveux inhabituellement blancs… L’autre est déjà reparti, il n’est même pas entré à vrai dire, il s’est carapaté très vite quand il a compris qu’elle ne lui portait plus aucune attention. Alors elle s’approche du bar, parce que si Lestat arrive bientôt, il la trouvera facilement de cette manière, hm ?

D’ailleurs sa douce voix retentit derrière elle et manque de la faire sursauter. Elle l’observe s’asseoir à côté d’elle. Il a l’air un peu plus à l’aise qu’à Voltapolis, déjà. Ce sera sans doute plus agréable d’être en sa compagnie que la dernière fois… Enfin rien n’est joué, il reste ce qu’il est, et ça ne représente pas grand chose. Elle ne fait aucun effort pour avoir l’air aimable. Dans son métier, ou celui pour lequel elle se destine, amabilité n’est pas particulièrement recherché, alors elle non, elle ne s’en soucie pas. Elle se contente de lui jeter un regard noir. S’il croit qu’elle lui accorde une quelconque importance, il se plante le compas dans l'œil. Mais il n’est ps idiot, Lestat. Enfin elle ne pense pas. Il utilise l’ironie, parce qu’il n’a que ça. L’autodérision, plus facile à admettre que la réalité brute.. Au fond elle ne comprend pas, se contente de concevoir ce qu’il vit sans doute.
Et ça lui fait ni chaud ni froid. S’il est dans sa merde, c’est bien de sa faute, alors qu’il y reste s’il n’a rien à lui offrir en échange de son aide. En plus, elle ne serait même pas certaine de pouvoir l’aider. Et de toute façon… en veut-il, de l’aide ?

Mais il enchaîne, sans doute conscient de son insubtilité. Il lui pose une question, à laquelle elle a la réponse. Parce qu’elle est curieuse. Parce qu’il lui a fait se rendre compte qu’elle n’a aucune idée de ce dans quoi elle s’engage. Parce qu’elle a des aprioris qu’elle veut confirmer. Parce qu’il fallait qu’elle fasse la route pour trouver un sonistrelle, qui au final n’est pas sur cette route. D’ailleurs elle va retrouver celui qui lui a dit ça et lui casser la gueule.

Elle se contente de hausser les épaules. Pour avoir un aperçu, sans doute. Parce que ça ne l’engage à rien, de venir. Mais elle ne lui dira pas ça. Il n’a pas besoin de connaître sa vie non plus. “Je viens juste m’assurer que tu dis pas de conneries.” Elle le regarde en coin alors que les deux verres arrivent.
La forme du verre… Elle le porte près de son visage et laisse l’odeur monter jusqu’à ses narines. C’est du rhum. Elle aime le rhum, bien sûr. Alors elle lui rend son mouvement amical avec un très léger sourire, mais repose le contenant sur le comptoir. Il ne parle pas, reste silencieux et semble dans ses pensées…
Finalement, elle va peut-être lui expliquer un peu… Lestat est inoffensif de toute manière. Il ne peut pas être une menace, que ce soit pour sa vie, ou pour son entreprise, ni même sa ville… Et elle est un peu stressée, en réalité. Stressée pas parce qu’elle ne sait pas dans quoi elle va mettre les pieds ce soir, pas parce qu’elle a peur de ne pas être à la hauteur ou inconventionnelle, non… ça, c’est toute sa force, et elle en a conscience. Stressée parce qu’elle a peur d’être trop influençable, tout en sachant ne pas l’être. Parce qu’elle ne sait pas ce dont ces gens sont capables et qu’elle signe peut-être son arrêt de mort en entrant là-dedans. Stressée parce que Lestat est Lestat pour une raison qu’elle ne connaît pas, parce qu’elle suppose qu’il s’est laissé embrigader là-dedans et que ce sont eux qui l’ont rendu tel qu’il est. La seule chose qu’elle a pour se réconforter, c’est de se dire qu’elle est l’opposé exact de lui et qu’elle ne peut simplement pas finir comme ça… Mais s’en rapprocher serait suffisant à faire naître un dégoût d’elle-même qu’elle ne saurait supporter.

“Je sais pas… Je suis curieuse. D’à quoi ça ressemble, là-dedans. De ce qu’il a à proposer, aussi.” Elle relève les yeux vers lui un instant. Elle n’a que 16 ans, et ça se voit, là. Elle sait son âge. Elle sait que malgré Voltapolis, elle est une adolescente. Elle est consciente de sa force comme de ses faiblesses ; tout autant qu’elle sait qu’elle ne peut pas les supprimer.

Et elle est seule.
Elle n’a personne à qui poser ses questions. Elle apprend par elle-même et grâce aux erreurs des autres. Elle observe et elle apprend. Mais cette fois-ci, elle n’a pas pu lire le cours ni réviser avant l’examen. Et cet examen, c’est celui de sa vie. Alors elle est anxieuse, oui.
“C’est un peu un aperçu de… la vie après… A Voltapolis, il y a rien.” et c’est de pire en pire… C’est la première fois qu’elle va dans une autre ville, aussi. “Et un aperçu des gens, aussi.” Apprendre à être. Il lui faut une place dans le domaine, et c’est peut-être ici qu’elle découvrira les conventions.
Pour déduire comment en rester loin.
"Toi t'étais le premier, j'imagine. Même si j'espère qu'ils sont pas tous comme ça, sinon Voltapolis est pas si différente d'ailleurs." De toute façon c'est impossible. Les gars comme Lestat existent parce que d'autres sont plus charismatiques, plus intelligents, plus éduqués... plus tout.

Le second degré, cette armure que Lestat semble garder sur lui… L’autodérision. Pourquoi ? Pour se persuader qu’il est ce qu’il n’est pas ? Pour ne pas perdre la tête, essayer de voir les bons côtés de ce qu’il est ? Elle ne sait pas, Lilith. Ca la fait doucement sourire, parce qu’elle ne sait pas si elle a le droit d'en rire. Parce qu’au final, c’est pas vraiment drôle. Vraiment pas drôle. Ses yeux se baissent vers sa boisson. Elle est venue ici sans savoir à quoi s’attendre, mais elle n’avait sûrement pas anticipé de ressentir une bribe de sympathie pour Lestat. Pas pour lui, perdu dans les stupéfiants, perdu dans sa vie, sans doute dans la vie en général, presque même dans son petit corps trop fragile. Elle n’avait pas pensé pouvoir se poser tant de questions sur lui, mais maintenant qu’elle le revoit…
Travailler pour un grand mafieux, elle s'attendait bien à ce que ça laisse des séquelles, mais de la a se retrouver dans cet état… Ou alors il était déjà comme ça avant ? Elle voudrait lui poser la question, n’ose pas.

Comme mauvais exemple ? Son attention se concentre sur les yeux pâles qui la regardent faiblement. Ses sourcils à elle sont froncés. Qu’est ce qu’il veut dire ? Il ne peut pas s’arrêter là, la laisser sans savoir ce qu’il a fait de mal. Elle sait sa condition, elle ne se considère même pas encore adulte, et elle s’engage dans quelque chose de plus gros qu’elle sans même en distinguer les contours. Elle s’apprête à regarder dans cette bouche d'égouts, et elle sait qu’elle ne pourra pas en voir le fond. Le plus dangereux, c’est peut-être que pendant qu’elle regarde les ténèbres devant, quelqu’un pourrait l'y pousser - Ou l’y tirer.
Alors d'un coup tout s'effondre. Lestat, où se place-t-il ? Il semble vouloir se mettre entre elle et le trou, mais dans quel but ? L'empêcher de basculer, ou l'attraper pour plonger dedans quand le moment sera venu ?

Ses yeux bruns sortent de cet imaginaire plus ou moins élaboré qui retenait sa concentration. Lestat lui demande une faveur. Elle hausse les sourcils fugacement, sans même s’en rendre compte. Qu’est ce qu’il peut bien lui demander, à elle ? De l'aider à sortir du trou qu’elle scrute par curiosité et attirance ? Parce que l'attirance, elle la ressent. Comme un aimant qui la force vers l'avant. Elle est attirée par tout ce que ces gens plus puissants qu'elle représentent. Elle en a rêvé parfois, de ce pouvoir qu'elle a ressenti quelques instants dans sa vie. Trop peu. Mais elle ne veut pas, pour rien au monde, s'oublier en s'adonnant au pouvoir. Elle ne pense pas qu'à elle dans cette histoire. N’est-ce pas ? Voltapolis ne serait qu'un prétexte ? Qu'une manière de justifier sa soif de pouvoir ? Peut être. Peut-être qu'elle ne se soucie d'eux que parce qu'elle a l'impression que ses actes et ses désirs ont une légitimité de cette manière… mais si c’est le cas, elle n'en a pas conscience… Et au final, le plus important, c'est le résultat, non ? Pas les motivations, hein ?

Mais non. Lestat, l’apparu empli de folie, se présente maintenant comme garde-fou. Il lui demande de ne pas sauter. De rester de ce côté du monde, celui qu’il semble pourtant avoir quitté au moins quelques années plus tôt. Alors Lilith se fige. Son corps entier est glacé. Glacé d’une sensation qu’elle ne connaît que trop bien. Elle commence à avoir peur. Et oui, la jeune fille si téméraire, si sûre d’elle en arrivant dans la ville se retrouve aussi petite qu’une souris dans une rue commerciale. Elle prend doucement conscience qu’il y a beaucoup de choses qui la dépassent. Mais elle doit faire face, comme elle l’a toujours fait, même si la vie semble, dans le grand bordel de sa vie, l’avoir épargnée jusque-là. Elle est partie de Voltapolis sûre d’être intouchable par tous les grands dangers de cet univers malsain, mais Lestat, témoin trop réel de ce qu’ils engendrent, la fait douter.
Elle avale sa salive, se retourne complètement vers le bar et attrape son verre, pour s’occuper les mains plus qu’autre chose. Il faut qu’elle réfléchisse, se reprenne. Intégrer ce que lui dit Lestat, et l’ajouter à son assurance naturelle. Au lieu de lui faire peur, ça devrait la rassurer encore plus, lui donner un peu plus de cette confiance qu’elle se connaît habituellement. Elle n’est pas naïve, elle sait la noirceur des hommes, au moins un peu, et a une vague idée de ce qu’ils seraient capables de faire. Et Lestat lui donne raison. Mais c’est trop simple.

Comment, dans tout Nemerya, dans toute cette grande organisation que doit être la mafia, elle est alpaguée à Voltapolis par le seul qui n’en a pas rien à foutre de ce qu’elle deviendrait si elle les rejoignait ? Comment elle peut être assez chanceuse pour que le seul gars différent de cette histoire vienne la voir pour l’empêcher de mourir ? Ca n’arrive qu’aux héros du bouquin, ce genre de choses, et elle est loin de l’être. Alors Lestat ment. Ou bluff. C’est bien leur talent, aux gens du Parrain, le bluff, non ? Attirer le plus de monde dans leur camp, pour qu’ils leur soient redevable et pouvoir abuser d’eux jusqu’à les vider totalement de leur essence de vivre. Pourquoi Lestat serait différent ? Pourquoi Lestat trahirait celui qui lui donne ce qu’il considère sans doute comme son essence, la seule chose qui fait tenir son petit squelette debout, sa drogue ? Elle ne peut pas y croire.

Alors son visage se ferme totalement et elle se tourne vers son interlocuteur, et cherche à la surface de ses yeux, dans la pâleur de son teint, dans la pureté de ses traits… Ce qu’il veut vraiment. Ses intentions. Ses motivations. Qu’est ce qu’il est ? Comment doit-elle le considérer ? Pourquoi il fait ça ? C'est juste un moyen de l'attirer dans un gouffre encore plus profond un peu plus tard ? En s'en arracherait les cheveux. C'est compliqué, et elle n'a pas assez de données pour trouver une solution convaincante.

Elle n’en a sans doute pas conscience, Lilith, mais cette rencontre avec Lestat, c’est la découverte des relations sociales en dehors de la racaille de Voltapolis. Les choses sont encore plus complexes en réalité que ce qu'elles ont l’air d’être, vues de l’extérieur.

“C’est quoi ton but, toi ?” C'est agressif. Ca sort tout seul, finalement, parce que c’est l’interrogation qui revient le plus souvent dans le flux continu de questionnements qui défile derrière ses yeux sombres. Elle ne peut pas lui demander de quel côté il se trouve, pas aussi directement. Il faut qu’elle fasse attention à ses mots, qu’elle ne révèle pas dans quelle perplexité elle se trouve maintenant. “T’es avec eux. Tu m’as dit de venir ici. Tu m’as retrouvée ici.” Elle fait une pause, perdue elle même dans ce qu’elle dit, tellement ça lui paraît idiot. “Et maintenant tu me dis de… de…” Elle soupire d’agacement, un léger mal de tête venant s’ajouter à l’addition. “Je saisis pas, là. Clair que personne veut finir comme toi, mais même si jamais.... SI JAMAIS je rendais service à ton patron pour de l’argent, ce serait un service contre de l'argent... Point barre, on est quitte et c’est fini, non ?” Bien sûr que non. Elle le sait. Elle veut simplement qu’il parle un peu de ce qu’il a vécu, pour qu’elle comprenne ce qui l’attend. Pourquoi elle ne lui pose pas la question directement ? Parce qu’en disant les choses comme elle le fait, elle fait la naïve, et il y a plus de chances qu'il dise la vérité, non ? Elle sait pas, elle est perdue et elle improvise, et on verra bien où ça la mène…