histoire

J'ai jamais été malheureuse. Enfin, jamais vraiment malheureuse.

Alors pourquoi j'ai fugué de chez moi ?
Pourquoi j'ai pris le premier ferry pour je-sais-pas-où-mais-super-loin-siouplé ?
Et pourquoi le seul argent qu'il me reste est celui trouvé dans le porte-feuille "emprunté" de ce quelqu'un bousculé "tout à fait accidentellement" ?

La première réponse qui me vient à l'esprit est : Parce que t'es conne, Hilde.

Mais c'est peut-être pas que ça.
Ça peut pas être que ça.
Alors, je vais vous raconter un peu ma vie.
Peut-être que ça me permettra de comprendre, moi.

Papa est ingénieur dans le BTP, Maman est architecte; l'entreprise pour laquelle ils bossent fait dans les grands chantiers. Ils participent à la conception et à la réalisation de trucs fous comme des barrages, des gratte-ciels ou des centrales. J'en suis fière, vraiment.

Mais le truc, c'est que des grands projets comme ça, tu en as rarement dans les mêmes villes, voire rarement dans les mêmes régions. C'est pour ça qu'ils bougent beaucoup. Safrania, Poivresel, Acajou, ils y sont allés, ils y sont restés quelques mois le temps qu'on les assigne autre part.

Moi aussi, du coup. Aussi loin que je me souvienne, j'ai vécu comme ça. Avec des parents qui travaillaient beaucoup. Travaillaient jusqu'à pas d'heure. Leur absence m'a fait souffrir, vraiment. Puis, comme pour beaucoup de choses, j'ai fini par m'y faire.

J'ai fini par m'y faire, d'être toujours "la nouvelle". D'être exclue parce qu'on ne me connaissait pas. De finir par tisser des liens et de devoir repartir aussitôt vers une nouvelle destination.

Ça ne m'a jamais fait sentir vraiment malheureuse. Triste, oui. Mais ça ne durait jamais trop. Je m'y suis faite, qu'est-ce que j'aurai pu faire d'autre ?

Ça a parfois causé des heurts avec mes parents, je dois avouer. Pas des sérieux. Genre, il n'y avait même pas de cris. Enfin, pas trop. Mais Maman me disait toujours en guise de conclusion, avec ce petit air triste : Je ne te comprends vraiment pas, Hilde.

Je crois que c'est à force d'entendre ça que j'ai fini par admettre que je ne comprenais pas non plus mes parents. Pire. Que je ne les connaissais pas. Que c'était des étrangers. Bienveillants, m'offrant tout ce dont j'avais besoin. Mais quand même des étrangers. Même que parfois, quand ils pensaient que je dormais, je les entendais se disputer.

Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment, et j'ai arrêté d'essayer de comprendre.

J'ai eu seize ans, on était alors à Oliville. Papa m'a offert un pokémon. Vorpal, que je l'ai appelé. Et je dois dire que sur le coup, je me suis dite que c'était le pire cadeau du monde. Genre, je n'ai jamais fréquenté un truc plus flippant que lui, je le laissais tout le temps dans sa Pokéball. Papa ne comprenait pas le problème, après tout, les pokémons n'avaient jamais été son délire, à lui comme à Maman. Il faut dire que pour eux, c'était juste un passe-temps. On ne pouvait pas en faire un vrai métier.

Ou plutôt, ils ne voulaient pas que j'en fasse un métier.

Il faut dire qu'ils ont connu la misère, eux. La vraie. Et tout ce qui a rapport avec les pokémons, ils ne trouvent pas ça sûr. Je crois que c'est à cause de ça qu'ils ne se parlent plus avec leurs familles. Je ne sais pas. Ça avait l'air compliqué. Je n'ai pas cherché à en savoir plus, sûrement par peur d'apprendre ... d'apprendre quelque chose, j'imagine.

Mais, tu sais, un jour, pas longtemps après. En rentrant de cours, je me suis arrêtée sur les docks. Je me suis mise à regarder la mer, l'horizon sans fin. Je me suis demandée si ça serait toujours ça, ma vie. Être traînée derrière mes parents comme un bagage. Ne jamais pouvoir construire de trucs qui durent. Ne pas avoir d'amis. Genre, je n'en demandais même pas des bons, j'aurai su m'en contenter de médiocres.

Juste des amis.

Alors, sur un coup de tête, j'ai fugué. J'avais mon peu d'argent mis de coté, mon sac à dos et Vorpal. J'ai hésité à l'abandonner à la dernière minute, mais ... C'était quand même l'inconnu, où j'allais. J'étais vraiment seule. Alors même si il me faisait peur, je n'ai pas pu me résoudre à partir sans lui. Lumiris, c'était ma destination. Une région peu connue, qui s'ouvrait à peine au monde. Ça sonnait bien. Ça sonnait à aventure. Et qui dit aventure, dit amitié et tout ce genre de trucs ?

Ça pouvait définitivement pas se passer mal, pas vrai ?

Sauf que ça s'est plutôt mal passé. Je suis arrivée, j'ai fait mes premières rencontres. Quelques amis, même. Mais c'était pas le genre d'amis que je voulais. Genre, je ne fixais pas la barre vraiment haut. Un de mes auteurs préférés, Verturio, disait même : "Ne me donnez pour amis que des hommes mauvais, eux je les comprends".

Mais il devait quand même y avoir des limites.

Je n'avais plus vraiment d'argent, j'en ai été réduite à faire des petits boulots minables. J'ai choisi la facilité, après, et me suis mise au vol. Parce que c'était facile. Parce que j'étais douée. Même après m'être prise un coup ou deux, je recommençais. Je ne tissais pas de liens avec les gens, ils ne m'intéressaient pas et je doutais pas mal que je les intéresse. Je ne restais pas longtemps au même endroit, les autorités finissant inévitablement par me reconnaître pour mes petits méfaits.

Finalement, rien n'avait changé. Je ne faisais que répéter ma vie d'avant, avant quand je vivais avec mes parents.

C'est marrant, pas vrai ?