A cause du vocabulaire limité de Sahara, il n’était pas toujours aisé de la comprendre. Puis, lorsque le Pulsar pensait avoir saisi le sens de ses mots, il s’avérait qu’il avait parfois tort. Il n’avait par exemple pas compris que « Kaefra » et les élus étaient deux choses différentes lorsqu’elle les avait mentionnés la première fois. Auguste arqua un sourcil de surprise lorsqu’elle le corrigea, lui expliquant que pour le premier, il s’agissait du dieu de sa tribu – ou l’un de ses dieux, l’homme n’était pas familier avec la religion des Sanamään.

Intéressé par ce qu’elle racontait et désireux de bien tout assimiler, le Champion s’était rapproché d’elle. C’était fascinant. Ces histoires de monde à sauver, de dieu et d’élus étaient formidables. Si Auguste avait entendu quelqu’un d’autres prononcer ces mots à Nemerya, il l’aurait pris pour un illuminé ayant tout juste terminé son verre de Javel. Pas elle. Il y avait une telle conviction, une telle passion en elle qu’il avait presque envie d’y croire. Presque. En attendant, il lui prêtait une oreille attentive.

« Dooonc… Tu viens de commencer ? Depuis aujourd’hui ? » demanda-t-il, en quête de réponse.

Il était véritablement intéressé par les tenants et les aboutissants de cette mission. La réalité serait sans doute bien moins fantaisiste que ce qu’elle allait dire mais il tenait à connaître sa vision des choses.

« Tu ne trouveras pas tes élus ici. Si tu veux trouver des gens, il faut aller en ville. » précisa-t-il, « On a quelque chose qui ressemble à des élus. On les appelle « Champions ». Ils sont assez forts n’ont qu’un seul type de Pokémon. C’est ce genre d’élu que tu cherches ? »

Il s’adressait toujours à elle en détachant à l’extrême chaque syllabe. Qu’elle comprenne était primordial, tant pis s’il avait l’air bête en lui parlant ou s’il donnait l’impression de discuter avec une arriérée. Si les élus qu’elle poursuivait et les Champions d’arènes étaient les mêmes personnes, Auguste ne voyait toujours pas le rapport entre eux et le dieu de Sahara.

« Tu trouveras Keafra si tu bats les élus ? »

Ah bon, vraiment ? Le Ranger ne put s’empêcher de sourire. Il n’avait pas souvenir qu’on lui ait promis de rencontrer un dieu s’il écrasait tous les autres champions d’arène. Il en avait déjà vaincu trois d’entre eux, il se rapprochait donc doucement mais sûrement de cette entrevue divine. Tant de candeur était presque mignon. Certes, le fait que cela sorte de la bouche d’une jeune femme presque adulte rendait tout cela bizarre mais c’était un détail.

« Il se passe quoi, si tu ne les bats pas ? »

Auguste doutait sincèrement que cela provoque la fin du monde et tout le tintouin apocalyptique. Lui était avis que c’était un bon prétexte pour motiver les gens de sa tribu à effectuer un voyage initiatique. D’autres avaient dû le faire avant elle, cela expliquerait ses connaissances basiques dans la langue commune. Elle avait déjà l’air motivée, c’était une bonne chose.

Auguste secoua la tête lorsque son interlocutrice lui avoua ne pas savoir ce qu’était une ville. Il n’aurait pourtant pas dû être étonné. Sahara semblait tout droit sortir du Moyen-Âge et le trou perdu dont elle venait n’avait jamais dû voir la moindre trace de civilisation. Bon sang. Dire que cela existait encore de nos jours… Même en se le répétant plusieurs fois, le Pulsar avait du mal à le croire.

« C’est un endroit où beaucoup de gens vivent. Quand plusieurs milliers de personnes vivent au même endroit, on appelle ça une ville. »

Au cours de son voyage initiatique, il était fort probable que la demoiselle arrive dans une de ces villes. Sauf si elle faisait une hypothermie et mourait de froid dans la campagne, ce qui n’était pas impossible vu ce qu’elle avait sur le dos. Cela devait convenir pour se balader dans le désert ou en tout cas, dans le sud de la région mais ici, il commençait déjà à faire frais. Sahara n’était pas prête pour les températures hivernales qu’elle rencontrerait un peu plus au Nord.

Elle lui expliqua ensuite la raison pour laquelle elle avait besoin de trouver les élus dont elle parlait. Apparemment, sa tribu souffrait de divers maux et, d’après elle, seule la rencontre avec son dieu permettrait d’améliorer la situation. Auguste, incrédule, s’apprêtait à écarter cette théorie fumeuse d’un revers de main mais il se retint à la dernière seconde. Oui, il pensait que ce raisonnement était absurde mais vu la manière dont elle était convaincue de ce qu’elle disait, lui dire le contraire ne la convaincrait pas. Pire, elle risquait de se braquer pour camper sur ses positions. Il lui fallait procéder de manière plus nuancée.

« Si j’ai bien suivi, tu trouves les champions, tu les bats et tu trouves Kaefra, c’est ça ? » répéta-t-il lentement, « Je n’ai jamais entendu parler de telles histoires. Vaincre les Champions ne m’a jamais permis de rencontrer un dieu. »

Il était plutôt bien placé pour le savoir car il en avait déjà battu trois d’entre eux – bientôt quatre, la prochaine sur sa liste étant Zephyr. Mieux, il en était carrément un ! Enfin ça, elle l’apprendrait plus tard. L’identité du Pulsar n’était pas importante et vu les sujets abordés, il aurait été malvenu de ramener la conversation sur lui.

« Ce ne serait pas plus simple si ta tribu changeait de lieu ? Il y a plein d’autres endroits plus… accueillants pour s’installer. Vous y vivriez mieux, non ? »

Il ne saisissait pas la raison pour laquelle des gens s’obstinaient à vivre au milieu de nulle part si cela leur portait préjudice. Ceci dit, vu ce que lui décrivait Sahara, un médecin aurait davantage convenu qu’un Kaefra pour régler leurs problèmes. Leur mode de vie devait les exposer à un certain nombre de maladies… La situation était compliquée.

« Tu es sûre que rencontrer ton dieu est le seul moyen de réussir ? »

Comme Auguste l’avait supposé, la demoiselle prenait les légendes de sa tribu de manière très littérale. Elle ne semblait d’ailleurs pas saisir le manque de logique dans son raisonnement mais même s’il le lui faisait remarquer, cela ne changerait rien. Il n’était pas capable d’effacer vingt années d’endoctrinement avec quelques mots. Avec un peu de chance, elle se rendrait elle-même compte de ses erreurs au fur et à mesure qu’elle progresserait dans sa quête. Elle finirait forcément par admettre que mis à part leur spécialisation, les « élus » n’avaient rien de spécial.

« J’espère pour toi que ça fonctionnera. » dit-il, l’air un peu dépité.

Il n’y croyait pas une seconde mais il ne pouvait rien y faire. A part espérer qu’elle entende raison le plus rapidement possible, il était impuissant face à tout cela. Le Pulsar soupira. La pauvre allait avoir le cœur brisé lorsqu’elle se rendrait compte que tout cela ne la mènerait à rien. Mieux valait pour tout le monde qu’elle réaliste la vérité et l’accepte au plus vite.

« Les élus ? Si les élus dont tu parles sont bien les Champions, alors oui, je les connais tous. »

Tous ceux de Lumiris du moins. Même si le Ranger ne les avait pas nécessairement tous rencontrés, il connaissait la plupart de nom. Ils étaient collègues, après tout, il était normal d’avoir échangé quelques messages avec d’autres Champions, ne serait-ce que pour faire connaissance ou demander deux ou trois conseils sur la manière de gérer son arène. S’il ne doutait pas de sa capacité de dresseur, la promotion d’Auguste était très récente et par moment, il lui arrivait de se sentir un peu perdu même si dans l’ensemble, il estimait bien s’en sortir.

« J’en suis un, en fait. » conclut-il, un peu gêné de se référer à lui-même en utilisant le terme « élu. »

Champion et élu devaient être la même chose. Le Pulsar ne croyait pas qu’il s’agisse de deux groupes de personnes différents. Devoir tous les vaincre était un objectif intéressant et en se limitant à cela, Auguste ne pouvait que l’encourager mais il devait reconnaître que pour le moment, elle n’avait pas l’ombre d’une chance, même contre un Champion aussi inexpérimenté que lui.

« Nous nous battrons donc un jour. »

Si elle n’abandonnait pas avant. Beaucoup de jeunes gens motivés se lançaient dans la chasse aux Badges mais nombreux étaient ceux qui baissaient les bras en cours de route. Certains trouvaient cela trop difficile, n’avaient pas le temps d’entraîner leurs Pokémons convenablement ou encore, ils se trouvaient tout simplement d’autres buts. Quant à Sahara, elle avait encore fort à faire. Elle possédait un Gringolem, certes, mais à part lui, elle n’avait qu’un Limonde fraîchement capturé. Autant dire que l’aventure risquait d’être compliquée si la jeune femme s’y essayait dans l’état actuel des choses.