histoire

" Réveille toi ma belle... Annabelle, lève-toi, Papa va se fâcher sinon. Il faut que tu te lèves tôt pour réussir ta vie...
- Oui Papou..."

Son ton délicat perce la brume des rêves de l'enfant. Du haut de ses 10 ans, la demoiselle se frotte les yeux, sortant d'un trop long sommeil. Ses petits poings s'ouvrent en même temps que ses paupières, enfin libérées de cette prison fantastique. Elle lève la tête sur le visage de son père, qui arbore un grand sourire. C'était la même chose tous les matins. La même phrase, le même rituel. Comme si chaque nouveau jour recommençait comme la veille. Mais chaque jour était différent. Depuis que la mère d'Annabelle avait décidé d'abandonner sa famille pour se consacrer à sa chasse aux rubans de tous les archipels, signant dans la foulée ses billets de voyage et l'acte de divorce il y avait de cela 5 ans désormais.

"On va apprendre des nouveaux tours à Clara aujourd'hui, ça te va?
- Elle s'appelle Clarabelle! Annabelle et Clarabelle!"

La petite fille boude un instant, avant que son père n'esquisse un sourire et qu'un rire s'échappe de ses lèvres scellées. Ainsi allait la vie, dans la joie et le bonheur, dans l'odeur de caramel chaud et de pains d'épices. Le tableau de Stanislas mettant son bonnet à sa fille, un grand gobelet de chocolat chaud entre les mains, bravant l'hiver et le mauvais temps. Un tableau qu'on aurait tous voulu garder, accrocher dans son salon, montrer à ses amis. Nez contre nez, il lui expliquait qu'il ferait tout pour qu'un jour, elle exauce son rêve de devenir championne d'arène. Qu'un jour elle serait la dresseuse la plus forte du monde. Un jour... Mais ce tableau n'était pas suffisamment solide, pas suffisamment construit. Et il finit par s'écrouler, emportant avec lui les promesses, l'avenir et les larmes de joie.

" Réveille toi ma belle... Annabelle, lève-toi, Papa va se fâcher sinon... Il faut que tu te lèves tôt pour réussir ta vie...
- Elle ne se lèvera plus Stanislas...
- Ferme là... S'il te plaît, tais-toi..."

Les larmes roulent sur sa joue, mais celles-ci sont peinées, tristes, aussi froides que l'hiver. Cet hiver cruel, rude, impitoyable. Cet hiver qui, au détour d'une brise infâme, emporte avec lui l'âme d'une innocente et le coeur brisé d'un homme qu'il laisse en miettes. Il s'écroule dans les bras de son frère, qui ne le retient pas, le laisse tomber avec douceur jusqu'à toucher le sol. Les bras serrés contre un corps immobile, Stanislas paraît inconsolable. Il l'est. Il vient de perdre son seul soleil, la seule raison qui lui donnait l'impression de mériter la vie. Il a tout perdu. Alors, dans le silence de la mort, Clarabelle vient se lover entre lui et sa dresseuse, séparée de force d'elle. Annabelle et Clarabelle ne seront plus jamais réunies. L'une est partie rejoindre les cieux, laissant l'autre seule sur terre. Seule, avec cet homme à jamais meurtri. Seule avec un homme et une promesse.

" Je lui ai promis que son rêve vivrait. Si elle n'est plus là, ce n'est pas une raison pour laisser ses idéaux mourir! Je deviendrais ce qu'elle aurait voulu être. J'irais sur les routes chasser sa fantaisie. Ce sera mon plus bel hommage..."

Le poing serré devant lui, le visage affirmé et la casquette solidement vissé sur le crâne, debout sur le ferry qui l'emmène droit sur la ville de Sunyra à Lumiris, Stanislas a pris sa décision. Il sera le champion d'arène cet honneur que la vie a refusé à sa fille. Il vivra pour elle, dans son souvenir. Accompagné de Clarabelle, il ferait vivre une image, un regard, un sentiment à travers les pays, les montagnes et les océans. Il montrerait à tous ce tableau dont sa mémoire ne peut se défaire. Ils étaient si heureux...
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