J’abandonne. Mon invité semble prendre beaucoup trop de plaisir à nos chamailleries. Si bien que je cesse de rentrer dans son jeu. De toute façon, il a plus de répartie que moi, ce soir. Soit il gagne maintenant, soit il va encore mener la conversation quelques minutes avant de gagner de toute façon. Il me fait chier.

Je me concentre donc sur la série qu’il a choisie. Je ne me sens que moyennement impliqué, d’une part, car je sais que je ne regarderai jamais la fin. Et d’autre part, parce que je me sens lourde. Physiquement et moralement. Avec toute cette histoire, j’en aurais presque oublié Selkie, en plus. Je me demande comment elle va, là, dehors. Elle saura certainement se débrouiller. Mais… Une pointe de culpabilité m’assaille. Entre ça et Lionel… Je me sens mal.

Je rouvre les yeux en entendant un vibreur. Par réflexe, je jette un œil à mon téléphone avant d’entendre Lionel décrocher. Sur l’écran, l’heure affichée est déjà bien avancée. Il est déjà si tard ?… Comment ?… Sur la télévision, le message “Êtes vous toujours en train de regarder ce programme ?” est affiché, suivi de deux choix de réponses possibles. Pourtant, on était en train de regarder, il y a à peine une minute. Je crois. Je pousse un soupir en comprenant ce sentiment de n’être qu’à moitié consciente : Je suis tombée comme une loque.

Je n’écoute que d’une oreille la conversation de Lionel. Ce n’est qu’après qu’il ait raccroché que je ne prends conscience d’une sensation, à la fois lointaine et familière. Un pincement au cœur. Presque une sorte de déception. La dernière phrase échangée avec son interlocutrice ne me laisse pas indifférente. Alors que pourtant… Non, je… Pff… Laissons tomber. Je n’ai pas envie de chercher d’autres explications que la fatigue émotionnelle du jour.

Lorsqu’il se lève, je ne tarde pas à l’imiter. Nous échangeons un regard. Même s’il ne m’a rien dit de concret, j’ai bien compris qu’il était sur le départ. Pourtant, aucun de nous deux ne semble vouloir le pousser à partir. Alors que je ne refuserai pourtant pas un moment de solitude. Je ne demande qu’à aller me coucher en espérant en finir au plus vite avec cette journée.

C’est Lionel qui brise le silence en premier. Mon estomac s’allège légèrement en entendant le nom de sa sœur. Un poids en moins.

-Ne la fais pas attendre. Dis-je pour toute réponse à sa question.

C’est en voyant son nouveau sourire s’effacer doucement que je réalise la bourde. Quand y en a une à faire, faut toujours que je sois la première à sauter dedans, hein ? Mais en même temps… Est-ce que c’est vraiment une bourde, ou simplement la manifestation de mon propre doute ?

Je le raccompagne jusqu’à la porte et finis par articuler :

-Je sais pas. Je…

J’hésite un instant, passant ma main dans mes cheveux pour camoufler ma gêne.

-Ce soir, je suis pas b… Enfin… J’sais pas…

Je voudrais lui demander de me laisser du temps pour y voir plus clair. Mais c’est déplacé. Après avoir passé des mois sans donner de nouvelles, c’est déplacé. Hésitante, je hausse les épaules. Je ne sais pas quoi dire. Je ne me sens pas de dire quoi que ce soit. De faire une promesse. De prendre une décision. Il semble le comprendre. Ou peut-être pas. Peut-être qu’il croit juste que je me fous de sa gueule. Ou que j’en ai rien à foutre.

-Ouais, c’était cool.

Je peux pas vraiment le nier. Enfin. Pour la deuxième partie de la soirée, plutôt. Si on part du principe qu’elle n’est pas entachée par la première…

-A plus.

Le battant se referme derrière lui, me laissant avec un sentiment d’inachevé. Je retourne dans la pièce principale de mon appart vide en traînant des pieds. À bout, je me laisse tomber à nouveau sur le lit-canapé. Plutôt que m’y asseoir au fond, adossé au mur comme précédemment, je m’y allonge. La télé est toujours aussi silencieuse. Et la boule dans ma poitrine toujours aussi étouffante. Différente. Mais bel et bien présente. Comme… Un nœud. Qui était devenu compact à force de se serrer, mais qui a besoin de prendre de plus en plus de place pour se démêler. C’est un peu à ça que ressemblent toutes les idées qui se bousculent dans ma tête.

Des fils qui s’emmêlent et se démêlent continuellement. Un casse-tête qui m’embrouille et me fait me sentir à la fois confuse et instable. J’aurais voulu m’endormir, là comme ça. Ne plus y penser. Juste rêver d’autre chose. Mais même en éteignant la lumière, et la télé, je ne parviens pas à retrouver ce sommeil qui m’est pourtant venu si facilement un peu plus tôt.

Je n’ai pas la tête à travailler. Mes Pokémon dorment probablement dans leurs Pokéball. Les programmes TV offerts par Lionel ne m’effleurent même pas l’esprit. Toutes les applications trouvables sur mon smartphone me semblent fades. Pour passer le temps, je retourne même prendre une douche. Peut-être que l’eau chaude m’aidera à y voir plus clair. Mais rien n'y fait. Je tourne encore et encore, dans mon appartement, sur mon lit, sans réellement trouver la paix avec moi-même.

Il était 5h21 lorsque j’ai regardé l’heure pour la énième fois. Et puis mon corps et mon esprit ont finit par lâcher l’affaire, quelque part, vers le petit matin. Enfin.