« Monsieur et Madame Priem ? Nous sommes sincèrement désolés...
C'est à propos de Kattie... »


Tu restais là, assis, le regard vide. Un mécanisme de défense s'était enclenché en toi. Un profond déni qui allait durer un long moment, beaucoup plus longtemps que tu ne l'aurais imaginé. Kattie, ta petite sœur, était morte. Tu ne l'avais pas vu de tes propres yeux, tu avais refusé de regarder quoique ce soit lorsque les autres étaient en panique, juste à côté de toi. Par peur, par dégoût, par inquiétude, et surtout par désespoir.

Les autres, c'était tes amis d'enfance. Ezekiel, Achille, Elyas, Gladys et Carmin. Kattie et toi faisiez partis de se groupe... Enfin, vous faites partis de ce groupe. Car Kattie est toujours là.

Vous les aviez rencontré à l'école, à Nemerya. La capitale était grande, mais malgré tout, vous vous étiez trouvé, et c'était le coup de foudre amical. Les voir te comblait de joie, tu les aimais. Tu aimais ces personnes plus que tu ne t'aimais toi-même, mais pas autant que tu aimais ta sœur. Ce n'était pas ta sœur biologique, il ne fallait pas être un génie pour constater que vous n'aviez aucune ressemblance physique. Tu avais deux ans lorsque tu as été adopté par les Priem. Kattie est venue au monde peu de temps après. Tu n'as jamais vraiment cherché à savoir d'où tu venais, tout ce que tu sais, c'est que tes parents sont décédés. Tu n'as jamais su pourquoi ni comment, mais tu as cette fâcheuse impression qu'ils vivaient dans un environnement de crimes et de dettes. Tu étais bien heureux d'avoir eu la chance de te sortir de cette misère, avant que celle-ci ne te cause des séquelles.

Les Priem ont toujours préféré Kattie. Ils t'aimaient bien, mais tu n'étais pas leur enfant. Tu avais toujours ressenti que tu devais faire des efforts supplémentaires, alors que Kattie n'avait rien à faire pour être aimée, gâtée et chouchoutée. Tu ne lui en voulais pas. Kattie t'aimai- t'aime énormément. Elle a toujours été là pour toi, et t'a toujours considéré comme son grand frère. Avec elle, tu te sentais vivant, et ta vie avait un sens.

Son absence est insupportable.

Tu ne veux pas accepter sa mort. Tu ne peux pas...
Tu ne peux pas...

Alors pourquoi tes parents s'entêtent-ils à te dire qu'elle ne reviendra jamais ? Pourquoi te font-il ça ? Pourquoi sont-ils si froids avec toi, depuis qu'elle a disparu ? Pourquoi l'ambiance est-elle si différente ? Pourquoi...

Tes parents... Ils t'ont adopté simplement pour que Kattie ne soit pas seule, n'est-ce pas ? Ils ne t'ont pas adopté parce qu'ils voulaient un garçon, parce qu'ils voulaient un deuxième enfant, parce qu'ils t'aimaient. Ils voulaient quelqu'un pour protéger Kattie, ce que tu as toujours fait.

Et maintenant, tu n'as plus personne à protéger.
Tu es inutile.
Tu ne sers plus à rien, Lucian.


Tu avais quinze ans lorsque Kattie est partie.
Trois ans plus tard, tu avais déjà quitté le domicile familial.

Tes parents se disputaient constamment, la perte de leur enfant a été un véritable cauchemar pour eux. Et toi... c'était à peine s'ils t'adressaient la parole. Ils ne se souciaient pas de tes résultats scolaires qui étaient en chute libre. Ils n'étaient pas fiers de savoir que malgré tout, tu avais réussi ton année de justesse. Ils ne te parlaient de rien, te demandaient simplement de les laisser tranquille. Étais-tu réellement leur enfant, ou un simple bouc-émissaire ? Tu ne te sentais plus chez toi. Tu n'étais plus chez toi.

« J'espère que vous êtes heureux, je vous quitte. Vous vouliez perdre votre deuxième enfant, mes félicitations. » Tu applaudissais doucement, de manière sarcastique, toujours avec le même air neutre sur le visage. « Lorsque Kattie reviendra me voir, je lui dirai comment vous m'avez traité. Vous ne la reverrez plus jamais, elle non plus. »

Ce que tu ne savais pas... C'était que ton déni constant, ton refus de voir la réalité, ton monde d'illusions... Tes parents ne savaient pas comment agir face à ton comportement. Lorsqu'ils essayaient de te raisonner, il n'y avait rien à faire, et la plupart du temps, cela se terminait en dispute. Ils étaient incapable d'aller dans ton sens, de dire que Kattie était vivante, ils en souffraient. Faire à semblant que tout allait bien les faisait souffrir encore plus. Ils ont décidé d'abandonner, de t'abandonner. Tout comme tu t'es crée un mécanisme de défense, ils ont crée le leur. Te laisser de côté et ne plus se soucier de toi.

Tu ne parlais plus à tes amis d'enfance. La plupart d'entre eux n'avaient pas supporté l'incident. Kattie a disparu pendant que vous étiez en train de jouer ensemble. Ils t'ont dit qu'elle était tombée dans la rivière, et qu'elle s'était noyée. Pourquoi se sentaient-ils obligés de te raconter de telles choses ? Pensaient-ils que la penser morte te ferait plus de bien que de la savoir volatilisée ? Pourquoi te faisaient-ils ça... Pourquoi ils te détestaient autant...

Pourquoi tout le monde te détestait à ce point ?
Alors que ta vie semblait heureuse, voilà que tu avais perdu tout espoir. Tu n'étais plus que l'ombre de toi-même, incapable de penser de manière rationnelle. Tu étais instable et psychologiquement malade. Tu devais consulter, tu avais besoin de te sortir de ce gouffre dans lequel tes démons te hantaient sans cesse...

Mais c'était impossible.


L'évidence même était qu'une personne comme toi, qui n'avait que des malheurs, que tout le monde abandonnait... devait être seul. Ta solitude était une évidence. Kattie te le prouvait en n'étant plus à tes côtés, tu étais destiné à être seul avec toi-même. Ce n'était pas la vie dont tu rêvais, mais tu n'avais pas le choix.

Lors de ton départ de ta maison familiale, tu étais parti à Windoria. Dans le Nord, tu allais être tranquille. Le froid ne te faisait pas peur, et les lieux étaient beaux.

Seul, tu étais triste, mais plus personne n'essayait de te convaincre que Kattie était morte. Plus personne ne t'abandonnait. Plus personne n'était contre toi.

On t'avait offert un poste de gardien de nuit à la patinoire de Windoria. Certaines personnes essayaient d'entrer par infraction la nuit pour voler des patins. Ce n'était pas le travail le plus glorieux, mais c'était bien payé. Tu as conservé ce post pendant trois ans, juste assez longtemps pour pouvoir économiser suffisamment. Tu logeais dans le centre Pokémon en attendant, ce n'était pas très confortable comparé à ton chez-toi, mais tu t'en fichais royalement.

Mais évidemment, c'était trop simple. Maintenant que tu pouvais te trouver un appartement, Windoria avait été attaquée. La Team Mistral, qu'ils s'appelaient. Une organisation criminelle qui errait dans la région et qui avait complètement mis la ville en ruines...

Heureusement, tu avais pu quitter les lieux à temps, mais certains dresseurs avaient perdus la vie pendant la grande bataille. Un véritable massacre. Tu ne pouvais t'empêcher de penser que tu avais une malédiction... Dès que quelque chose pouvait enfin aller bien, un drame gâchait tout. Ta ville, dans laquelle tu étais depuis trois ans, venaient de crouler sous tes yeux.

Le Nord et une partie du centre étaient en reconstruction. Tu avais donc décidé d'aller vers le sud, à Port-Corail. Tu t'y étais installé, et tu avais utilisé une partie de ton argent pour quitter la région pendant un temps. Tu étais peut-être complètement instable, mais tu savais reconnaître lorsqu'un endroit était toxique pour toi, lorsque tu te sentais si mal que tu avais envie de quitter ce monde pour rejoindre Kattie. Mais Kattie était vivante, alors... tu n'allais pas faire ça, tu ne voulais pas te retrouver seul dans les cieux ; si tu te réincarnais en étoile, tu ne brillerais pas.

À quoi bon errer dans un ciel sombre si on ne peut pas l'illuminer...


Tu es parti à Alola. Tu y es resté deux ans. Deux ans, ça peut paraître long, mais ce n'était pas assez pour te rendre ta santé mentale. Malgré tout, il ne s'était rien passé de dramatique dans cette région aux allures touristiques.

Tu habitais Konikoni. Pour éviter de perdre toutes tes économies, tu effectuais toujours ton « métier » de gardien de nuit, dans le Phare de la ville. C'est d'ailleurs pendant l'une de tes nuits de travail que tu as fait la rencontre d'Elara.

« Tu ressembles à un Sabelette, mais... »

C'était la première phrase que tu lui avais adressé. La créature s'était perdue, loin de sa glace, et s'était retrouvée dans le Phase. Tu aurais pu simplement la mettre dehors, la renvoyer dans la nature. Mais quelque chose t'en empêchait. Tu ne voulais pas l'abandonner.

Au fond, ce Pokémon et toi, vous aviez un point en commun. Vous étiez laissé à vous-mêmes, errant dans le monde, cherchant simplement à trouver une raison d'exister. Tu avais décidé de garder cette Sabelette d'Alola avec toi. Elle était spéciale, elle t'avait fasciné, et elle t'avait suivi sans émettre un bruit. Elle te rendait différent, plus doux... C'était inhabituel.

Les habitants à Alola étaient chaleureux, pour la plupart. Tu essayais, avec beaucoup de difficultés, de sortir de ta coquille pour socialiser. Tu ne t'attachais à personne, tu te le refusais, mais au moins, tu adressais la parole aux autres. Tu tentais d'être normal, tu souriais. Tu essayais d'avoir un semblant de vie agréable. Elara avait été ta lueur d'espoir ; tu voulais apprendre à connaître les Pokémons. Eux, ils n'avaient aucune raison de vouloir te faire du mal, de vouloir t'enfoncer encore plus.

C'est peu après tes vingt-trois ans que tu as décidé de quitter Alola. L'endroit te plaisait, mais ce n'était pas chez toi. Même si tu avais peu de bons souvenirs, Lumiris te rappelait.

Évidemment, Elara t'avait suivi.
Elle était à toi, désormais. C'était ta seule amie.


Tu n'étais pas retourné à Port-Corail.
Tu voulais retourner dans le Nord, là où tu avais l'habitude de vivre. Windoria était toujours en ruines, mais Feranium semblait être un bon choix. Le quartier résidentiel était reconstruit, et tu avais réussi à trouver un endroit assez reculé, avec vue sur la montagne. Tu n'étais pas riche, mais tu avais su faire des économies plus que suffisantes pour vivre aisément.

Kattie n'était toujours pas là, mais tu savais qu'elle reviendrait. Tu avais une chambre d'ami(e)s rien que pour elle, car tu savais pertinemment que personne n'allait venir y dormir à part elle.

Tu ne savais pas où travailler. Honnêtement, les postes de gardien de nuit te lassaient. Ce n'était pas quelque chose qui te plaisait vraiment, et tu arrivais à un moment où, même si ta vie restait un gouffre sans fond, tu voulais au moins faire quelque chose qui te plaisait un minimum. Tu songeais à une pension Pokémon, mais cela impliquait d'entrer en contact avec des dresseurs, et tu n'avais pas envie de devoir te forcer à être sympathique et lumineux à tous les jours. De plus, tu commençais à peine à connaître les Pokémons, grâce à Elara. Tu manquais d'expérience.

Depuis, tu es devenu garde du corps indépendant. Comment as-tu eu cette idée ?
Et bien... Tu avais éclaté la gueule d'un homme, un braconnier, qui essayait de prendre des Pokémons de leur habitat naturel pour les revendre sur le marché noir. Enfin, c'est ce que tu avais cru comprendre en écoutant sa conversation au téléphone alors que tu ne faisais que te promener près de la mâchoire de fer. Le pauvre, il s'était retrouvé à l'hôpital, mais il le méritait, n'est-ce pas ? Et tu n'avais aucun regret.

Et tu avais eu un déclic. Tu étais faible psychologiquement, mais tu étais fort physiquement. Tu étais grand, aussi. Et tu n'avais pas pu protéger Kattie, donc tu allais protéger les autres. Cela impliquait que tu sois en contact avec la race humaine aussi, oui... mais pour cette raison, tu te sentais capable de prendre sur toi. Tu allais travailler pour toi-même, il était hors de question que tu intègres une quelconque entreprise.

Cela fait deux ans maintenant. Tu as pu travailler pour quelques personnes importantes dans la région, notamment des champions d'arène, des influenceur(se)s, et des PDG d'entreprises. Tu avais été contraint d'utiliser la violence à quelques reprises, mais tes mains ne tremblaient toujours pas à ce jour, et tu ne les avais pas salies, tu ne t'étais jamais rendu là. Les affaires vont bien, tu parviens à te faire de l'argent facilement, et tu sens une certaine fierté à protéger tes clients.

Mais récemment, quelque chose t'a replongé dans tes souvenirs, tes mauvais souvenirs. Tu as croisé Achille, ton ami d'enfance, alors que tu finissais une journée de travail près de Fort-des-Songes. Tu voulais le fuir, tu voulais l'effacer de ta mémoire... Mais ce fut tout le contraire qui se produisit. Tu lui as parlé, et tu as repris contact avec lui. Cela fait quelques mois à peine, et alors que tu aurais envie de le sortir de ta vie comme tous les autres... au plus profond de toi, tu n'arrives pas à le faire.

Achille n'essaye pas de te convaincre que Kattie est décédé. Il te comprend, et il pense comme toi. Pour la première fois depuis dix ans, une personne ne souhaite pas te faire souffrir. Tu voudrais, mais tu ne peux pas cracher sur ce miracle.

Kattie, quand vas-tu revenir ? Ton frère a besoin de toi...
Lucian ne va pas bien, et son état psychologique ne s'améliore pas.

Lucian... Est-ce qu'un jour tu parviendras enfin à redevenir toi-même ?