Tu ne savais pas trop comment tu étais parvenue à te mêler à ce genre d’histoires. La solitude de ta maison, et de l’odeur de l’encens, te convenaient parfaitement. La faible lueur des bougies, la musique classique que la radio laissait sortir, te berçant dans ton quotidien morose, t’allaient entièrement. Tu n’avais besoin de rien de plus, tu n’avais pas besoin d’autres amis, n’est-ce pas ? Tu ne méritais déjà pas celle que tu possédais. Gladys, ta meilleure amie. Tu ne méritais déjà pas sa présence dans ta vie, alors pourquoi aurais-tu besoin d’autres amis ? Ça n’avait pas le moindre sens.

Trouver l’amour n’avait même pas effleuré ton esprit. La princesse de glace que tu étais ne connaissait pas ce mot, ce terme, pas même le concept. Le seul amour que tu comprenais, connaissais et étais en mesure d’appréhender, c’était l’amour familial. Celui que tes parents t’avaient offert tout le long de ton éducation, quand tu te faisais bercer par ta mère, les larmes coulant sur ton visage doux. Trop doux. Trop fragile. Quand tu demeurais des heures durant dans ses bras pour oublier la vie qui t’a été offerte, la vie à laquelle on t’a abandonnée. Tu étais tant un poids que tes parents biologiques n’avaient même pas voulu de ton existence dans la leur.

Alors non, le concept même d’amant, d’amour – fusionnel ou non – n’avait jamais touché de proche ou de loin ton esprit. Tu étais ignorante en matière de relations sociales si bien que la Saint-Valentin n’avait jamais rien représenté de spécifique dans ton quotidien. Alors pourquoi t’étais-tu retrouvée mêlée à une activité célébrant la fête des amours lorsque tu n’avais rien à aimer, et ne connaissait rien à ce concept ?
Tu ne pouvais même pas prétendre à une orientation sexuelle.
Ce n’était aucunement une fête pour toi.

Et quand tu te retrouvas dans une pièce vide, assise dans ce fauteuil roulant qui venait amplifier l’aura fragile que tu dégageais, tu te demandas encore plus dans quoi tu étais parvenue à te fourrer jusqu’à même te dire que la prochaine fois que tu prendrais tes médicaments, tu allais mettre ton téléphone dans un tiroir et faire tout sauf y toucher , parce que franchement, tu ne savais pas si t’allais survivre à cette journée.
Shunt était présent aussi – tu t’en serais très bien passée, de sa présence – et il regardait autour de vous en se demandant ce que pouvait bien cacher cette pièce vide. Il se demandait aussi où était l’autre personne qui devait être là.
Tu laissas un soupir mourir sur tes lèvres, soupir qui fit ce que ton cœur aurait dû faire sur les diverses tables d’opération que tu eus : s’éteindre . Mais tu étais encore présente dans ce monde dans lequel tu n’étais qu’une poussière, un poids. Un vulgaire fardeau que l’on devait se traîner.

La preuve, aujourd’hui encore tu ne supportais pas la présence du pokémon que ta meilleure amie t’avait offert. Tu le regardais avec effroi, avec terreur et refusais toujours autant qu’il t’approche. Tu ne pouvais pas faire autrement que de le craindre. Tu ne pouvais pas te contrôler.
Tes doigts fins demeuraient reposés sur le rebord de ton fauteuil roulant alors que Shunt regardait les murs, tout ce qui vous entourait. Tu espérais fortement ressortir vivante de cet étrange événement.
Parce que malgré le nombre de fois où tu souhaitais être restée sur la table d’opération quand on devait arranger quelque chose dans ce corps si mal fait, tu voulais vivre . Tu ne l’admettais juste pas.

Princesse de glace intimidée par l’existence des autres. Par leurs gestes parfois trop brusques pouvant la casser en un seul instant, par leur énergie dont elle ne possédait même pas le quart. Princesse de glace épuisée par une existence pour laquelle elle se lessivait, pour laquelle elle se battait en permanence sans jamais vraiment comprendre pourquoi elle le faisait. Soupir sur ses lèvres si froides, si fines, si faibles. Soupir venant profondément de son cœur, de son être. Doucement, elle avait levé la tête pour observer la nouvelle venue dans cette pièce désagréable vide qui laissait entendre que quelque chose devait être trouvé. Oui, mais quoi ?
Quoi ?

Elle était une enseignante terriblement jeune prouvant que son cerveau était en mesure de réfléchir, de comprendre ce qu’elle lisait, ce qu’elle voyait, ce qu’elle entendait. Cerveau capable d’analyser rapidement ce qui l’entourait tout simplement. Et surtout preuve que sa vie ne possédait rien de plus intéressant à faire qu’étudier parce que sortir dehors, marcher pendant des heures, courir, faire du sport, posséder un groupe d’amis, tout ça, elle n’y avait pas le droit.
Ses parents l’avaient couvert de tellement d’amour en l’isolant de peur de la blesser qu’aujourd’hui, poupée de verre craignait absolument tout.

« Lyra. Je m’appelle Lyra. » Voix tremblante et si douce, douce comme tout ce qui la composait. Douceur qu’elle associait à la faiblesse. Douceur qu’elle voyait comme purement signe de fragilité. Cette fragilité qu’elle détestait, qui transparaissait dans chacun de ses gestes, qui transparaissait dans son regard, dans sa peau pâle, dans ses yeux bien particuliers. Ces yeux possédant une nuance bleuté dans le blanc. Yeux complexant. Yeux détestés.
« Enchantée de vous rencontrer. » Sourire faible sur ses lèvres, incapacité à savoir comment réellement se présenter. Toujours tenue à l’écart, Lyra n’avait pas appris à communiquer avec les autres. Tout était plus simple entre les murs de cette maison où elle avait grandi, avec des parents qui avaient tout donné pour lui offrir un quotidien malgré les allées si fréquentes à l’hôpital le plus proche.

selfish, taking what i want and call it mine

Lentement, sans gestes brusques, Lyra se lève de ce fauteuil roulant qui lui pourrit l’existence tout comme les problèmes qui l’obligent à l’avoir. « Je ne sais pas… » Elle s’avança, pas à pas, dans la légèreté de son poids si faible contribuant à laisser cette impression de fragilité. Un coup de vent semble pouvoir la casser (et c’est presque le cas). Sa main se posa alors sur la poignée de porte qu’elle tenta de tourner. « C’est verrouillé… oui. Mais il y a des indices, je crois. »
Ses yeux parcoururent les mots écrits alors que son cerveau réfléchissait. Et la réponse lui parut si simple. « Je t’aime… on dit souvent ces mots sans les penser vraiment, sans comprendre le sens qu’ils ont, leur profondeur. Alors ils sont si souvent dits, mais très rarement correctement. Donc au final, ils sont peu dits. Je ne sais pas si ça fait du sens ? » Autour d’elles, les cœurs s’illuminaient. Il fallait désormais chercher la pièce manquante du puzzle. « Vous pouvez chercher dans le coin là-bas pendant que je cherche ici ? » Incertitude. Lyra n’était pas une commandante, une meneuse de bal, une dirigeante. Seulement le mouton noir qui ne cherchait pas à attirer l’attention sur elle. Elle se mit à chercher.