Assis au bord du ponton, les chevilles dans l’eau, je fixe les remous de la mer qui viennent tremper le bois sur lequel je suis installé. À mes côtés, Rhapsodie jauge d’un œil curieux son cousin aquatique qui s’ébat joyeusement dans le bassin, et s’écarte d’un bond soudain lorsque celui-ci nous éclabousse d’un battement de nageoire un peu trop brusque. Je me mords la lèvre, les poings serrés et le cœur et cavalcade affolée. Première plongée et, même si l’on m’a assuré que l’Aquali — Jordy, de son petit nom — était l’une des bêtes des plus fiables du Centre de plongée de la Plage Mystique, le Pokémon reste une bestiole inconnue avec laquelle je n’ai aucune affinité.
Il pourrait tout aussi bien ne pas me trouver à son goût et se débarrasser de moi dans les profondeurs — m’abandonner aux crocs des Carvahna.

« Euh… y’a des Carvahna ici ?
— Sans doute un petit banc ou deux, ouais ! »

L’animateur se marre comme si c’était une bonne vanne — à croire qu’il ne remarque pas ma peur, ou bien qu’il s’en moque.
C’est effectivement une éventualité.

« Alors bonhomme ? Prêt à découvrir les beautés des océans ?
— Je, euh… O-Ouais ? Je crois.
— Alors enfile ton masque et va t’accrocher à Jordy. Il connaît le parcours.
— Euh, o- ok… »

Je positionne mon masque, caresse les oreilles de Rhapsodie pour lui intimer de rester sage, puis me laisse glisser dans l’eau. Je frissonne mais elle est douce — réchauffée par le grand soleil de la côte ces derniers jours.

En deux brasses je rejoins Jordy et m’y accroche, il s’ébroue et m’envoie de l’eau à la figure — sans doute pour me dérider.

« Ok, Jordy. On va où tu veux… mais ramène-moi en un seul morceau, steuplaît. »

Il pousse un cri — qui ressemblait vaguement à un rire — puis s’enfonce dans l’eau claire et m’entraîne avec lui.
Trop tard pour faire marche arrière.

Les premières secondes sont nouées par l'angoisse – les suivantes, subjuguées par la beauté des profondeurs. L'eau est tout à la fois trouble et claire – le sel sature mais les eaux sont calmes, le sable ne se mêle pas aux remous et les coraux gardent les rivages limpides. Deux Barpaud se poursuivent à toute vitesse entre les algues, des Hypotrempe semblent jouer à cache-cache entre les Kokiyas, un Magicarpe remue sans but au hasard des courants frais. J'inspire, profondément – ma première véritable goulée d'oxygène au masque depuis qu'on a plongé. Les nœuds qui tordaient mon estomac se sont dénoués, le poids sur ma poitrine envolé. Ma poigne, autour de l'Aquali, s'est desserrée, débarrassée de son trop-plein d'inquiétude.

Jusqu'à ce qu'un silence étrange s'installe – une nouvelle sensation désagréable, un instinct sourd qui murmure danger et qui me pousse à m'agiter de nouveau.
C'est pas vraiment un silence – on connaît trop le bruit troublant de l'eau qui étouffe tous les autres, le bourdonnement paisible qui isole du reste du monde – mais c'est pire – un quelque chose de glacial et glaçant, impression tragique de solitude soudaine et de risque imminent.
Plus aucun poisson ne s'égaille sous nos ombres.

Jordy se retourne, brusquement, et je manque échapper ma prise – je me rattrape de justesse cherche du regard ce qui le...
Oh.
Euh.
Ah.

Les Carvahna s'agitent déjà – leurs nageoires frétillent et le banc semble s'étirer au fil des vagues pour nous entourer et limiter nos options de repli. Je lève les yeux, et la lumière à la surface me paraît loin – bien trop loin.
Si loin qu'on n'aurait pas le temps de l'atteindre avant que les crocs des bestioles ne se referment sur nous.

Crevasse un peu plus loin – dans le dos des poiscailles énervées – et j'attire l'attention de Jordy dessus d'un geste de la main – impossible de parler, je ne peux que respirer en priant les Cieux et qu'Arceus m'entende.
L'eau, autour de nous, frémit plus qu'elle ne le devrait – se trouble soudainement dans ce que je devine comme une attaque Ocroupi qui vient gâcher la vue des prédateurs. D'un battement de queue, l'Aquali file dans les courants, esquive les mâchoires qui le frôlent et se débarrasse des quelques qui s'interposent dans notre fuite de quelques jets d'eau empruntés à la mer.

Je ferme les yeux et j'attends – j'attends que plus rien ne bouge, j'attends de pouvoir respirer. Quand tout est calme, enfin, je rouvre les paupières – le souffle court et le coeur en chamade affolée. Je regarde autour de tout et c'est presque l'obscurité – la crevasse. Un couple de Serpang et Rosabyss se traîne au dessus de nous et, d'un coup d'oeil à l'extérieur, je devine qu'ils ont terminé de mettre les Carvahna en déroute – plus rien ne bouge.

Jordy s'agite et je reporte mon attention sur lui – il m'indique un creux dans la roche, où quelque chose semble scintiller. Un geste après l'autre, hésitant, je tends la main pour m'en saisir – avec une étrange sensation de déjà-vu, quoique mon escapade en eau douce fut moins tumultueuse.
Signe de tête pressé et l'Aquali comprend le message – remonter, vite.

Je me raccroche et l'on s'extirpe – je ne respire une nouvelle fois que lorsque je touche la terre ferme et que plus rien de moi n'est en contact avec la moindre parcelle d'eau.

« Eh bah, gamin ! T'es bien pâlot, t'as croisé un banc de Carvahna ou quoi ? »

Silence.
J'observe Jordy et Rhapsodie m'observe – il me renifle et fronce le nez, à croire que l'odeur de poisson et de mer lui plaît peu.
Souffle court et vague nausée – j'en oublierais presque mon poing serré sur le trésor oublié.

Masque retiré, je reprends mon souffle – une inspiration après l'autre, je retrouve contenance en réalisant que je suis toujours en un seul morceau. Jordy aussi. Que le pire est passé et que les Carvahna s'en iront dévorer quelqu'un d'autre – quelqu'un qui ne soit pas moi.
Rhapsodie s'allonge auprès de moi – mais pas trop près non plus. Il observe l'Aquali qui jette des œillades en direction des profondeurs – comme de crainte que les prédateurs reviennent à la charge.

Je serre un peu plus fort les poings, grimace quand je sens quelque chose qui s'enfonce dans ma paume et me blesse – ah ! Je baisse les yeux et...
Un morceau de verre.
Un joli morceau de verre, certes – étrangement brillant, moitié poli par le sel, moitié aiguisé sur les coraux.
Mais un morceau de verre tout de même – sans valeur marchande, sans valeur tout court.
Je soupire et le pose à côté de moi, pour ne pas l'oublier ici, penser à le récupérer et à aller le jeter, plus tard, dans une benne digne de ce nom. Plutôt qu'à la mer, comme l'a visiblement fait l'abruti qui m'a précédé.

Les gestes encore un peu hésitants – les jambes un peu trop en coton – je me relève, époussette sur la combinaison les grains de sable accrochés, par réflexe stupide, et dégage mes cheveux sur mon crâne pour qu'ils ne me gâchent plus la vue. Sur ma droite l'eau se déchire et une créature pourfend la surface – je me tourne et je demeure silencieux, pris de court et subjugué quand le Lockhlass nage vers moi, brassée après brassée.
Elle s'immobilise et me fixe, longtemps – ma tête s'incline dans une interrogation et elle m'imite, la mine inquiète.

Rhapsodie s'est relevé – du bord du ponton il la renifle, l'air méfiant.
C'est qu'elle est grande, elle aussi.
Presque autant que sa bien-aimée Dragmara.

« Ehh... Qu'est-ce que tu fais là, toi ? »

J'hésite et puis tends la main, avec mille précautions.
Le cœur battant et la respiration difficile, je sens peser sur moi le regard de tous les gens autours.

Et être au centre des attentions n'a jamais véritablement été ma passion.

[HRP ▬ bon bah, go tentative de capture avec pokeplumet ; le texte de l'apparition m'a pris par les sentiments   ]

Avant que j'aie pu la toucher, la Lockhlass s'ébroue – ses nageoires soulèvent une gerbe d'eau qui me trempe de nouveau, et arrose Rhapsodie qui évite le pire d'un bond en arrière. La fourrure gonflée, il observe le monstre gigantesque qui a osé le déranger dans son observation. Il se tient à distance désormais, pendant que je frissonne – mon corps s'était déjà réhabitué à la tiédeur de l'air ambiant, et l'eau paraissait glacée. Toutefois j'ai à peine cillé – malgré les ricanements ténus des gens autour.

Qu'est-ce que je suis censé faire ?

« Beh alors, qu'est-ce que tu veux...? »

Je repose la main au bord du ponton – je n'ose plus tout à fait bouger, je crois. De peur que la Lockhlass prenne la fuite – et c'est qu'on n'a pas tous les jours la chance d'être abordé sans l'avoir demandé par une créature aussi noble.
Elle m'impose un respect auquel je ne sais pas me soustraire – elle dégage un quelque chose d'intimidant au possible, malgré ses prunelles bienveillantes qui ne regardent que moi.

Doucement, elle baisse la tête et vient souffler sur mes doigts un souffle frais – j'en aurais presque oublié, avant ça, qu'une part de cet être est de glace.

« Tu m'autorises à te toucher, cette fois, ou tu vas encore m'arroser ? »

Je n'esquisse pas le moindre geste – dans ses yeux, cette fois, je croirais presque lire un semblant de malice.
À croire que cette bestiole comprend vraiment ce que je peux lui dire.


[HRP ▬ bon bah, deuxième tentative de capture avec pokeplumet ; merci ]

Elle dodeline de la tête, tout doucement, et sous son regard j'ai peut-être un peu moins peur des gens autour de moi et de ce qu'ils peuvent bien penser de ce qui se déroule sous leurs yeux – ce moment n'appartient déjà qu'à nous deux ; la belle bleue et moi comme coupés du monde, et c'est doux comme sensation, ce sentiment paisible qui empêche mes mains de trembler lorsque j'approche une nouvelle fois ma main d'elle.

Cette fois, elle ne se dérobe pas. Elle laisse mes doigts la frôler – sa peau est aussi froide que son souffle quand elle baisse la tête et qu'il effleure mon avant-bras quand elle soupire.

« Est-ce que... est-ce que quelqu'un peut m'apporter mon sac ? »

Elle demeure immobile même lorsque la vie reprend autour de nous, insensible aux mouvements sur le ponton et dans l'eau. On pose mon sac près de moi, je l'ouvre de ma main libre et en sort une Pokéball encore vide. J'hésite, en l'approchant doucement de la Lokhlass, qui l'observe d'un air curieux – elle la renifle, dubitative, s'écarte et puis se rapproche.
C'est elle, bientôt, il pose son nez contre la sphère, enclenchant le mécanisme qui l'engloutit. Le cliquetis résonne presque aussitôt – aucune lutte, aucune résistance, dans le jargon on dit capture critique il paraît.

Et je reste là, longtemps, la Pokéball dans la main – jusqu'à ce qu'on m'invite poliment à m'en aller, et jusqu'à ce qu'il fasse trop froid pour s'attarder de toute façon.
Rhabillé dans les vestiaires, sac balancé sur mon épaule, c'est le cœur un peu plus léger que je reprends la route qui mène jusque chez moi – Rhapsodie sur les talons,
Neptune à la ceinture.

[HRP ▬ merci pour la modération ]

Retour aux sources.
J'avais pas forcément prévu de remettre les pieds ici – de nager à nouveau dans ces eaux-là. Les souvenirs que j'en garde ne sont pas forcément les plus tendres – même si l'on s'en est tirés avec plus de peur que de mal, comme dirait l'autre. Mais mes pas m'ont ramené sur le rivage, un soir un peu tiède. Le sable est encore chaud, l'eau chavire les grains à chaque nouvelle vague qui s'en vient lécher mes chevilles et les pattes d'un Rhapsodie peu aventureux qui préfère s'écarter chaque fois que la marée monte. Dans les flots, Neptune avance paisiblement, le regard porté sur l'horizon tandis que je n'observe qu'elle.
De temps à autres, mon regard s'attarde de l'autre côté des récifs, sur la presqu'île qui m'a accueilli, une nuit – une nuit où je n'étais personne, et où j'ai cru brièvement devenir quelqu'un.
Chaque fois que mes prunelles accrochent les contours du manoirs, ce sont ceux des tribunes qui se dessinent – et je me rappelle l'adrénaline et comme mon cœur battait trop fort au dedans.
Je me rappelle le frisson – et pourtant, ce soir, ce n'est pas assez ; le jour s'obscurcit lentement mais ne décline jamais autant que tout ce que j'ai décliné depuis…
Depuis cette autre nuit un peu plus tragique.

Neptune s'immobilise et puis s'ébroue, elle me fixe et je m'avance. Les ourlets remontés aux genoux et de l'eau jusqu'aux mollets, je tends la main vers elle et l'air qu'elle y souffle est froid, presque glacial. De ses nageoires qu'elle agite, elle soulève des goulettes fraîches qui s'en vont humidifier mes fringues, et puis son regard se déporte vers les profondeurs et l'horizon.

« Tu veux que je vienne avec toi ? »

Nouvelles vagues de perles et je recule, les prunelles qui balaient la plage du regard comme de crainte qu'on ne m'observe. Et puis, un soupir au bord des lèvres, j'abandonne sweat et chaussures sur le sable, sous l'œil de Rhapsodie, avant de grimper sur le dos de la jeune Lokhlass qui n'attend pas une seconde avant de filer les eaux.

« Plonge pas trop profond, ok ? Noie pas ton dresseur, steuplé… »

Ce serait dommage, pas vrai ?

[HRP ▬ une modération pliiiz]