T’aimes bien Artiesta. T’as toujours aimé les grandes villes et le bourdonnement incessant de tous ceux y vivant. De tous ces gens pressés ne prenant même pas le temps de s’arrêter pour apprécier le moment présent. Tu sais pas trop pourquoi, tu sais juste que t’aimes assister à tout ça tout comme tu aimes le bruit des moteurs alors que tu sirotes ton café le matin. T’aimes les grandes villes, c’est tout ce qu’il y a à comprendre. Ou, enfin, t’aimes les grandes villes et l’activité présente dans ces dernières. T’aimes Artiesta lorsque le soleil se couche et lorsque tout le monde décide de sortir pour se rendre dans l’un des différents bars ou encore club de la ville. Parce que les lumières s’allument, les rues brillant donc ainsi de mille et une couleurs tout en éclairant partiellement toutes ces silhouettes défilant, encore une fois sans s’arrêter. T’as l’impression de vivre au coeur de cette cacophonie incessante qui se veut presque rassurante pour toi.
T’aimes aussi immortaliser les moments qui passent sous tes yeux, un bref instant imprimé à jamais sur un cliché. C’est pour cette raison que, armée de ton téléphone, tu observes le parc qui se trouve devant toi. Le soleil est encore bien haut dans le ciel et si la ville est un peu plus calme à cette heure-ci de la journée, ça n’empêche pas les parcs d’être assez fréquentés pour des raisons aussi diverses et variées. Et toi aussi tu t’y trouves, prenant une photo de l’horizon qui se dessine, du petit chemin traversant l’endroit ainsi que les arbres et arbustes se trouvant ici et là. Et ces gens qui rendent l’endroit un peu plus vivant, allant de cette petite famille s’éloignant à cet homme installé sur l’un des bancs en bordure du chemin de pierre.
Observant la photo que tu as pris, tu réalises que t’es pas complètement satisfaite de l’image. Tu sais pas trop pourquoi, c’est juste l’impression que tu en as. Tu t’attardes donc sur les différents détails avant de froncer légèrement les sourcils. Il y a l’homme assis sur le banc qui te semble trop rigide. Trop droit. Alors que, pourtant, les gens qui s'assoient sur un banc dans un parc, normalement, ils sont détendus, non ?
Tu t’approches donc de lui, affichant ton plus beau sourire avant de t’arrêter à quelques pas du bas, à une distance respectable pour ne pas l’envahir de ta présence mais assez près pour pouvoir lui parler sans devoir hausser la voix. - Hm, pardonnes-moi, j’ai une petite question pour toi. Pas de bonjour, tout de suite le tutoiement. Un jour, il allait falloir t’apprendre le respect. - Tu penses que tu pourrais t’asseoir plus… Comme ça ? Et, pour ponctuer tes paroles, tu ne te soucies plus de préserver son espace à lui, prenant place sur le banc en affichant une position un peu plus détendue. - C’est pour une photo, trois fois rien. En montrant ton téléphone et le cliché précédemment pris. - Promis après je te laisse tranquille. Toujours avec ce même sourire et cet éclat pétillant dans le regard. Ça devrait le convaincre. Ou pas.
« Go away, can't you see there's something up my mind ? »
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Je n’étais plus revenu ici depuis longtemps. Depuis le soir de l’attaque sur la centrale. C’est ici que j’avais été déployé et tout de l’endroit me déplaisait. Là où je préférais le calme, Artiesta me promettait le bruit bourrin et cessant des boîtes de nuit qui faisaient son nom. Je méprisais cette ville, presque autant que je méprisais Anubis. Chaque cri qui s’emparait de l’air, chaque parole qui transperçait les nuages, chaque murmure qui conquérait mon oreille, je le sommais de disparaître. De disparaître comme il était apparu ; soudainement. Crève, pensais-je à l’endroit de ces adulescents en plein était d’ivresse qui psalmodiait je-ne-sais-quel hilarité pour ce Pokémon de cet homme qui venait de leur demander un peu de calme. « C’est un parc, on fait ce qu’on veut, t’as qu’à dégager. » Une part de moi s’était braquée, une part de moi s’était faite rigide quand j’eus entendu ces mots, mais je ne bougeai pas. Aujourd’hui, je n’étais qu’un citadin, un rigide citadin, mais un citadin tout de même. Ils avaient raison de toute façon, l’aire se voulait public, il pouvait nuire à qui ils voulaient tant qu’il n’y avait ni harcèlement ni gestes dangereux. J’aurais voulu intervenir. Je voulais tellement de choses après tout. Je me contentai d’un regard assuré et froid à leur endroit. Un regard que j’espérais qu’ils croiseraient et qui les ferait fuir. Parce qu’ils me prenaient pour un pervers, un homme louche ou un fou ? Ça, je m’en foutais. Éperdument. J’avais suffisamment d’arrogance pour ne pas être blessé par les pensées d’autrui.
Ce que je détestais Artiesta. Ce qu’elle inspirait, ce qu’elle était, le souvenir auquel elle était rattachée. Tout. Je détestais tout. Et j’étais pourtant là, avec l’espoir de le voir lui. Lui que tout le monde cherchait, lui qui, depuis l’attaque sur la centrale ne m’avait plus contacté. Je comprenais la raison. J’étais policier. Il était brigand. Et pourtant. Pourtant, je voulais passer par-dessus tout ça, je voulais entendre son plaidoyer. Je voulais que sa voix chatouille mon oreille, que la considération que je lui reconnaissais m’enrobe d’une robe invisible pour que je puisse comprendre. J’avais tant de questions. Tellement de questions pour lesquelles je ne trouvais pas de réponse et que j’angoissais à l’idée de lui adresser.
Narcisse. On dit que tu as été vu ici. On dit que l’excentricité de cette ville rend ta tignasse verte plus facile à dissimuler. On dit que tu te caches. Je comprends. Moi, je te cherche. Je veux comprendre. Je suis prêt à jeter ces uniformes que je repasse chaque soir pour que tu m’alloues ne serait-ce qu’une fraction de seconde pour plonger mes yeux dans les tiens et comprendre.
Comme un enfant naïf, j’étais venu ici parce qu’on avait signalé ta présence. Comme un enfant naïf cherchant le père Noël, je ne t’y trouvai pas. Aurais-je fabulé cette chimie que je sentais s’installer ? Aurais-je imaginé tout ça parce que mon cœur était blessé et que tu me semblais être un remède accessible qui, à la fin de la journée, empirerait mon état ?
Chaque bruit qui envahit les airs, chaque lumière qui tressaille devant mon regard, chaque odeur qui parvient à mes narines me déconcentrent de ce but. Chaque instant compte, il pourrait s’en aller n’importe quand. C’était une vie de nomade qui était la sienne maintenant et j’étais sédentaire comme pas deux. Chaque fois que mon attention était captée ailleurs, je le savais s’éloigner et, c’est pour ça que j’étais ainsi assis.
Rigide. Droit. Prêt à bondir. Tendu. Stressé. Arpentant l’horizon avec attention.
« Pardon ? » Je n’avais pas entendu les premiers mots qu’avaient prononcé cette voix intrusive, trop concentrée à écouter le bonheur ivre de ce regroupement puérile auquel j’avais souhaiter la mort en silence. « J’ai pas compris… t’peux… » Non. Elle ne pouvait pas. Elle ne répéterait pas. Comme si elle ne s’était pas adressée à moi, elle avait renchéri. Elle me sommait d’être plus décontracté…
Elle me sommait de me détendre.
Dès qu’elle s’avachit contre moi, je lève promptement, comme un ressors ayant atteint sa limite. « Bah non en fait. » avais-je sèchement lâché sans la moindre retenu. Je n’étais pas là pour plaire ou pour me complaire. J’avais un but. Pour une fois dans ma vie, je ne pensais pas qu’à mon petit nombril. Pour une fois dans ma vie, j’avais davantage de raisons de respirer que mon propre succès professionnel. Je n’avais pas le temps de prendre une photo. « Oui, mais tu fais rien là, tu regardes les gens. » C’est vrai. C’était vrai. Si elle avait dit ces mots, elle aurait eu raison. Je ne « faisais » rien. « J’suis au milieu d’un truc là. J’ai pas qu’ça à faire prendre des photos. Va embêter l’clodo couché là-bas. » J’avais pointé au hasard vers le centre-ville sans prendre le temps de regarder s’il y avait bien quelqu’un. L’intrusion de cette femme m’avait surpris, voire ébranlé. Je ne m’y attendais pas. Qui, en ce monde, s’introduisait dans les espaces personnels d’inconnus ? Les artiestains. Évidemment. À question bête, réponse honnête.
Comme si elle m’avait déjà laissé tranquille, j’allai m’adosser à un arbre non loin, comme si celui-ci avait été plus sécuritaire que le banc, comme s’il l’empêcherait de s’approcher de moi. Comme s’il allait me protéger d’une nouvelle intrusion.
Je m’assieds. Les jambes croisées, la paume des mains contre le sol pour me tenir droit. Même là, même dans ce paysage champêtre, même dans cette position que tout le monde trouvait décontractée, je trouvais le moyen d’être tendu et d’inspirer l’inconfort. C’était naturel chez moi. C’était le résultat d’une vie consacrée au travail et loin de l’oisiveté. Le prélassement était synonyme d’une perte de temps et d’efficacité. Le prélassement était devenu le synonyme de mon cauchemar. Il n’y avait ni repos ni réelle pause pour moi. Chaque instant, chaque seconde avait un sens. Chaque moment était important pour mes objectifs et cette femme, celle-là même qui voulait me prendre en photo, elle était cet élément perturbateur quotidien que je voulais fuir. Je n’avais pas le temps pour ça. J’avais mieux à faire. J’avais toujours des trucs à faire. Comme chercher la chimère d’un homme auquel je m’étais attaché et qui, depuis, ne m’avait plus donné de nouvelle. Était-ce ce que l’on appelait un râteau ?
Avec tout le naturel dont tu peux faire preuve, voilà que tu abordes le jeune homme qui n’a rien demandé et qui se contentait d’être assis calmement sur un banc de parc. Tu t’installes même à ses côtés, le tout avec une demande peut-être un peu surprenante, sans aucun doute assez particulière, à savoir que tu voulais qu’il se détente. Autrement, ta photo ne semblait pas vraiment naturelle, avec lui figé au milieu de cette dernière. Parce qu’il ressemblait plus à un modèle très mal à l’aise face à la caméra qu’un homme profitant tranquillement d’un moment de paix dans un parc. Toutefois, ton approche n’a pas l’effet escompté et voilà qu’il se braque tout en se levant. Ah merde. C’est dommage ça par contre, parce que du coup, s’il se lève et qu’il part, t’as l’impression que la photo ferait un peu vide. Un peu trop vide pour un parc, même. Et, là encore, rien de naturel. On pourrait t’accuser d’avoir modifié la photo sur un logiciel pour atteindre un tel résultat. Pas que ça change vraiment quelque chose, c’est juste… Quand t’as une idée en tête, une idée bien précise de ce que tu veux, c’est difficile de t’en faire décrocher.
Sa réponse t’étonne un peu et tu fronces donc les sourcils, n’ayant toutefois pas vraiment le temps de rétorquer quoi que ce soit qu’il s’éloigne. Et si t’aurais pu le laisser tranquille et retourner vaquer à tes occupations, malheureusement pour lui, c’est pas ce que tu choisis de faire. Non. Parce que, quelques instants plus tard, t’es assise à ses côtés, un léger sourire sur les lèvres. - Et tu fais quoi, exactement ? Comme ça, venant de nouveau perturber sa tranquillité. - T’observes les gens ? C’est un peu chelou, tu trouves pas ? Puis t’as l’air tendu, comme si tu sais que ce que tu fais c’est pas bien. Tu marques une pause pour reprendre un peu plus bas. - Tu prévois un kidnapping ? Je suis en danger ? T’es pas sérieuse dans ce que tu racontes. Tu l’es rarement. Puis bon, tu préfères quand même qu’il ait pas dans l’idée de t’enlever, ça serait dommage parce que tu pourrais pas trop te défendre. - Ça fait un peu pervers, en vrai, maintenant que j’y pense. Et, bien évidemment, tu ne lui as pas trop laissé le temps d’en placer une.
Finalement, tu te tais quelques instants. Un très bref moment. Parce que tu ne sais pas te taire et parce que t’as encore autre chose à dire. - Pourtant, il était bien le banc, non ? Tu avais une meilleure vision sur le parc. Une meilleure position pour surveiller tes futures victimes. Ouai, t’es partie dans l’idée que c’était un monsieur chelou, possiblement un pervers, qui profitait des parcs pour observer les jolies jeunes femmes y déambulant. Après, il a raison, les sportives qui font leur jogging avec leur pantalon moulant… ‘Fin, bref. - C’est que ça fait vide, ma photo, s’il y a personne sur le banc. Puis, t’es mignon, donc, nécessairement, ça ferait une plus belle photo si c’est toi qui es sur le banc. Une pause. Une toute petite pause pour battre un peu des paupières et lui adresser ton plus beau sourire. - S’il te plaît…? D’une voix plus douce. - Dis-toi que ce serait ta bonne action du jour pour une artiste ! Est-ce que tu sais comment difficile c’est, la vie d’artiste ? Et voilà que tu joues la carte de la triste vie qu’est celle d’une artiste tentant de vivre de son art. Bon, tu tentes pas vraiment de vivre de ton art, pas maintenant, mais ça, il est pas obligé de le savoir.
« Go away, can't you see there's something up my mind ? »
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Et si j’étais parti. Et si, au lieu de continuer de la subir, j’étais simplement parti encore plus loin. Pourquoi m’obstinais-je à rester assis ici, dans ce parc, à espérer que quelqu’un qui ne viendrait probablement jamais vienne. Pourquoi n’avais-je pas déguerpi ? Pourquoi chaque endroit où je me pointais, je devais subir ces pies effarouchées en proie à leurs impulsions artistiques. Pourquoi, où que j’aille, je devais me coltiner cette vilaine migraine que ces gens si volubiles me donnaient. Ta gueule. Ta gueule. Ta gueule ! C’est tout ce que j’avais envie de dire à cette femme qui continuait d’insister et qui, définitivement, n’avait aucune réserve à harceler les gens jusqu’au dernier recoin de leur esprit. J’aurais aimé lui crier nombre de bêtises. J’aurais aimé hurler que mes activités ne la regardaient pas. J’aurais craché à son visage toute la pestilence de mon amertume. J’aurais aimé et chéri ce moment presque autant que j’aurais aimé conserver un stoïcisme presque inquiétant… mais je n’avais pas cette patience. Pas maintenant. J’étais loin d’être capable de conserver un calme quelconque. Pas maintenant. Pas aujourd’hui. Pas avec toutes ces tensions que m’apportaient l’ignorance et l’incompréhension. Il y avait tant que je voulais comprendre et je doutais un jour avoir les réponses. Contrairement à elle. Elle, elle les aurait tant elle insistait. « Tu t’rends compte à quel point t’es insupportable au moins ? » Voilà. Ça sortait. Le fiel opaque de mon impatience se manifestait. « Là maintenant j’bosse. J’ai mieux à faire que d’écouter les conneries absurdes d’une photographe amateure qui veut se vanter à ses amies adulescentes de m’avoir daté. Rien à foutre de ta vie d’artiste ô combien difficile. » dis-je en repoussant du bras son appareil.
Évidemment, fidèle à mon habitude, seule une partie de ces paroles étaient avérées. Une minuscule partie. Celles qui disaient que je voulais la paix, ou du moins le sous-entendait et que je me fichais de ses petites misères. Je ne bossais pas. J’étais ici par intérêt personnel et si ça me rendait louche, c’était bien malheureux, mais je saurais me dérober à la justice. Une filature était si vite prétextée. Il ne suffisait que de mon insigne pour que ça fonctionne et je ne l’avais évidemment pas oublié. Outil inestimable pour me sortir des pétrins pour lesquels je semblais avoir un certain magnétisme depuis quelques temps, je m’étais habitué à toujours le glisser dans mon portefeuille.
Dans un geste désespéré, je me levai à nouveau, cette fois pour retourner le banc qui m’avait logé un peu plus tôt. « Cette fois, j’apprécierais si tu pouvais ne pas suivre. Si tu te cherches un copain, l’mec là-bas drague depuis deux heures toutes les joggeuses que tu penses que j’matte. T’es pas mon genre moi. » crachais-je sans un regard, sans une attention pour elle, j’espérais qu’elle comprenne. J’espérais qu’elle ne me suivrait plus… et pourtant ça me semblait si irréaliste. C’était impossible même. Pas après que je lui ai concédé un point. La vue était effectivement mieux du banc, même si je ne savais pas exactement ce pour quoi je devais être vigilant. Quel signal devais-je chercher ? Il ne se montrerait pas si facilement, pas devant tout ce monde. Pas ici.
J’avais perdu espoir.
Dans ce jeu du chat et de la souris que je m’étais inventé, là où j’avais cru être le chasseur, celui qui traquait la personne qu’il convoitait, j’étais devenu une souris. La personne que l’on chassait pour assaillir de mille-et-une questions m’insupportant. Là, sur ce banc, maintenant abandonné par mes motivations, je fixais le vide. Cette curiosité qu’avait eu la femme m’avait conduit devant l’évidence. D’une colère à peine voilée, je lui hurlai de là où j’étais « Tout ça ! C’est ta faute ! » Elle était le bouc-émissaire de mon fardeau, l’étendard d’une Lumiris entière qui avait chassé cet homme que je devais maintenant chercher. Elle était la personne sur qui j’avais convenu de jeter le blâme. Elle était l’hostile étrangère qui paierait de mes injures pour des crimes desquels elle ignorait probablement tout.
À cet instant, mon visage s’aggrava. À cet instant, je devins soudainement mou, dénué de volonté. À cet instant, sur le banc, ma douleur remonta le long de mon échine et si je la retenais avec aisance, la moindre once d’empathie cernerait bien vite qu’un tourment érodait ma peau et me rongeait de l’intérieur. Un diplôme en psychologie n’était pas nécessaire pour le savoir ou le comprendre. Il suffisait de regarder ce regard que l’espoir avait déserté. Il suffisait de prendre un moment pour voir que le feu de la passion ne brûlait pas dans mon regard comme il pouvait le faire chez autrui. Une nouvelle fois, j’étais pauvre. Pas financièrement, mais pauvre de ces relations qu’ils m’avaient fallu tant de tant pour rebâtir. J’avais juré de ne plus me lier d’amitié, j’avais rencontré quelques individus qui en valaient la peine. J’avais craché sur l’amour avec tellement de dégoût que j’aurais cru qu’elle ne frapperait jamais à nouveau et, même si je refusais de me l’avouer, elle était revenue comme un boomerang. « Si t’avais pas été là avec ta connerie d’photo, j’l’aurais peut-être pas loupé. » Comme s’il était passé. Comme si quelque chose me disait qu’il était passé pendant ce bref instant de distraction.
Comme s’il y avait eu une chance.
« On t’a jamais dit d’te mêler de c’qui te regarde ? On t’a jamais dit de laisser les étrangers tranquilles ? On t’a pas élevée ? » Je plantais des pieux ardents dans sa poitrine avec l’espoir qu’elle cède, qu’elle pleure… comme si ça avait pu me consoler d’une quelconque façon. La souffrance d’autrui était-elle vraiment une délivrance ? Agir comme une adolescente immature qui se sentait trahie pour une connerie m’aiderait-il vraiment à passer à autre chose ?
Non.
La réponse était simple. Non. Ça ne m’aiderait pas. Rien ne m’aiderait, ou du moins, pas ça. Ni cette fille ni les insultes que je lui adressais. J’étais brisé.
T’es insupportable ? Ouai, on te l’a déjà dit. C’est des mots que t’as déjà entendu. Est-ce que ça te dérange vraiment ? Non, pas spécialement. Bon, certes, la politesse voudrait que tu t’excuses, que tu lui demandes pardon et que tu le laisses tranquille mais, là encore, est-ce que c’est ce que tu vas faire ? Non plus. Tu devrais. Tu le sais que c’est ce que tu devrais faire. Mais depuis quand est-ce que tu fais ce qui doit être fait ? T’as pas souvenir de à quand remonte la dernière fois et, de toute évidence, ça n’allait pas être aujourd’hui. Tu fronces donc légèrement les sourcils à ses mots, le détaillant rapidement tout en semblant très peu convaincue de ce qu’il te raconte. Ah, il travaille peut-être, sûrement même, ou alors il te ment pour se débarrasser de toi. Les deux options sont possibles et t’en aurais peut-être eu quelque chose à faire si ce n’était pas de la suite de son discours qui venait de s’accaparer de toute ton attention tandis qu’il se levait, sans doute pour mettre le plus de distance possible entre lui et toi.
Un rire s’échappe de tes lèvres. Un rire franc qui fait contraste avec le venin qui s’échappait de ses lèvres à lui. - Faut apprendre à descendre de ses grands chevaux, hein. J’ai dit que t’étais mignon, pas que je voulais porter tes enfants. Ta voix tranche avec l’éclat de rire que tu as eu, brisant avec cette légèreté que tu as depuis le début. Tu te fais plus cassante, trop honnête, malgré tout le calme dont tu fais preuve. - T’as une belle gueule, ça passe bien sur une photo, c’est tout. C’est un compliment qui ne semble pourtant pas en être un tandis que tu inclines légèrement la tête tout en le suivant du regard avant de laisser passer un - Rageux. parfaitement immature lorsqu’il déclare que tu n’es pas son genre.
Assise seule, tu contemples tes options. Tu pourrais te relever, retourner le voir et t’assurer de bien l’emmerder pour aucune raison autre que t’en as envie. Et qu’il a presque été vexant. Tu pourrais aussi continuer ta vie et oublier cette interaction avec ce dernier. Ce serait la chose mature à faire et, de façon assez surprenante, c’est ce que tu te décides de faire. Tu te relèves, prête à partir, lorsque sa voix résonne, t’accuse même. C’est de ta faute ? Mais de quoi peut-il bien parler ? T’as presque l’impression d’entendre les parents de Jun lorsqu’ils se mettent en tête que t’es responsable de tout ce qu’il y a de mauvais et de triste dans le monde, passant de leur plancher recouvert de boue (ce qui est un peu de ta faute) à la famine (ce qui n’est pas du tout de ta faute).
Tu l’observes donc, curieuse, te montrant presque patiente. Tu fais bien, parce que la suite arrive tandis que tu te rapproches de lui, quelques pas calmes frôlant le sol. Loupé quoi ? Quelqu’un ? C’est ce que t’en déduis. L’attendait-il ? Ou alors cherchait-il à traquer quelqu’un ? Les questions fusent dans ton esprit sans que tu n’en articules aucune pour le moment. Tes lèvres étirent ensuite un sourire tandis que tu te tiens là, devant lui. - C’est un peu injuste contre mon père, ce que tu dis là. Le pauvre, il a dû m’élever seul. Tu ne cherches pas sa sympathie, tu dis ça même le plus platement du monde, l’accusant simplement de tout ce qu’il ta jeté, peut-être avec raison, à la figure.
- Tu veux quoi ? Que je m’excuse ? Tu lui offres la possibilité de te demander des excuses. - Franchement, je sais pas ce qui t’est arrivé, mais de là à t’en prendre comme ça à la première venue... Ok, ok, je veux bien croire que je suis insupportable, mais tu t’es regardé deux secondes ? Tu fronces un peu les sourcils, le dévisage, presque défiante, ton sourire désagréable ne quittant pas tes lèvres. C’est terrible, parce que tu sembles presque te divertir de la situation. Contredire les autres, c’est vraiment un de tes grands plaisirs. - En vrai, tu vois, le seul coupable, la seule personne à accuser ici, c’est toi. Juste toi. Parce que si t’avais pris trois secondes, trois petites secondes pour répandre un peu de bonne humeur autour de toi, je serais déjà partie et tu l’aurais peut-être pas raté. T’as toujours aucune idée ce qu’il a raté mais tu le soulignes tout de même. - Mais bon, j’imagine que c’est plus facile de faire la gueule et d’exploser, non ? T’es chiante. T’es désagréable.
Et le pauvre, il n’a rien demandé sauf peut-être un peu de tranquillité. Oups.
« Go away, can't you see there's something up my mind ? »
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Trop tard. Elle m’avait dérangé, elle entendrait dans ma vie comme le coucou de l’horloge de ma grand-mère ; par surprise et de manière totalement inopinée. Elle m’envoyait au visage une pestilence que j’imaginais peu chez un humain. Elle se savait agaçante. Elle savait qu’elle me déranger et plutôt que de fuir la confrontation, elle surenchérissait. Elle crachait une rengaine que je connaissais trop bien, elle tentait de m’emporter dans une guerre de mots que j’avais déjà trop vécu. Je connaissais déjà ses mots, je les avais déjà entendus. Tellement souvent. La première fois lorsque, dans une folie outrancière – aux yeux de la masse –, j’avais refusé les avances de Valérie, que tous désiraient… Tous sauf moi. Je connaissais par cœur cette force vindicative qui tentait de me faire culpabiliser. Ça n’arriverait pas. Ça n’arrivait jamais. Pas pour une femme hystérique qui ne m’avait montré qu’une grande superficialité. Je souris lors que son élan verbal s’interrompit enfin. Je souris de manière satisfaite. Comme si elle n’avait rien dit, comme si elle n’avait jamais brouillé le calme qui m’avait caractérisé l’instant précédent son arrivée. Y avait-il en cette réaction une pointe de masochisme ? Y avait-il une part de moi que je refusais encore de me dévoiler, une part de moi qui appréciait ces lames psychologiques qui tailladaient ma peau sans que jamais le sang ne coule ? Oui. Probablement.
Je m’humectai les lèvres d’un coup de langue, portant ma main à ma poche, posant la main sur mon portefeuille qui, je le savais, recelait mon insigne. Une menace efficace. Des plus efficaces même. Mais d’abord, je voulais jouer. J’avais, moi aussi, beaucoup à dire à cette femme. Si elle prenait la liberté de s’en prendre à moi, alors elle ouvrait la porte. Et si physiquement elle me menaçait, je sortirais ce fameux symbole de mon allégeance policière pour qu’elle fige directement. Je n’allais pas l’arrêter. Je n’allais pas lui passer les menottes, elle pourrait contester mon intervention. Je n’en avais pas envie, car je n’aurais pas la satisfaction d’avoir gagner jusqu’au bout.
Et je l’aurais.
J’échappai un rire, à mon tour, un rire sincère et puissant. Un esclaffement comme on en entendait lors de spectacles d’humour. Je me moquais allègrement d’elle, comme si le moindre de ses mots n’avaient été qu’un fleuve des meilleures blagues que je n’avais jamais entendu. C’était pourtant un fiel apparent. Une marre nauséeuse de sa frustration. Ç’aurait été puissant… si j’en avais eu quelque chose à foutre. « Mais, c’est qu’elle a du mordant la p’tite puce. » L’arrogance dans ma voix, le perchoir confortable de laquelle je le regardais, avait tout pour la faire rougir de colère encore plus. Mon sourire satisfait avait tout pour qu’elle tente d’éclater mon visage si elle avait la moindre pulsion violente. « Si j’veux pas m’faire photographier par une étrangère, c’est toujours bien mon droit. Juste dégage et accepte qu’on te dise non. Ça t’f’rait pas d’tort. » De la rage apparente que j’avais démontrée, j’étais passé à une arrogance tacite jugeant le moindre de ses agissements comme si elle avait été une enfant gâtée à qui la vie n’avait jamais opposé de défis.
Et mon hilarité s’éteint.
Je devins sérieux. Un peu plus du moins. Il restait une pointe d’arrogance dans mon propos et dans mon sourire. « Mais allez ! Jouons le jeu pour la petite princesse. Qu’est-ce qu’un homme dans la vingtaine fait assis dans un parc, seul, à regarder les passants. Je te laisse le choix allez. Il espère trouver son nouvel amour. Ou il se prépare à ravir la première personne qui aura le malheur de lui parler. Ou il s’embête tout seul chez lui comme il a pas la télé. Ou il cherche une vieille connaissance avec qui il a perdu contact. Ou alors il eamine les lieux pour un plan secret encore plus terrible. Vas-y. Si tu trouves du premier coup, j’te laisse prendre ta photo. » La devinette me semblait facile. Comme si j’avais étrangement truqué les possibilités pour qu’elle me tienne compagnie.
Regrettais-je ?
Non. Bien sûr que non. L’idée de voir son état d’esprit changer du tout au tout m’amusait simplement. Parce qu’elle manifesterait tangible son état psychologique instable, par démontrerait à quel point elle passait d’une émotion à l’autre facilement et alors je pourrais la traiter de folle soumise à ses hormones. Le peu de réconfort qu’elle pouvait trouver dans mon hypocrisie contribuerait, au mieux, à me rappeler pourquoi je tenais les femmes loin de moi, faute d’une présence féminine ayant pu ouvrir mes horizons. « Puis tu m’foutras la paix. » échappai-je en un murmure moins distinct, comme si j’avais souhaité qu’elle ne l’entende pas, comme si j’avais voulu qu’elle reste.
Et si elle restait ? Si elle continuait de m’importuner ? J’abandonnerais l’idée de le revoir. Je l’Avais déjà un peu abandonné de toute façon et cette femme avait été le prétexte parfait pour expier ma rage… parce que j’étais toujours sans nouvelle, parce que je ne comprenais toujours pas, parce que j’était toujours cet idiot assis sur un banc de parc qui espérait que Godot se présente à lui.
Un rire s’échappe de tes lèvres. La petite puce ? C’est vrai que t’es pas bien grande, du haut de ton mètre soixante. Que tu n’en imposes pas beaucoup. Ça ne t’empêche toutefois pas de bien camper ta position, de ne pas te laisser intimider. De même oser lui répondre, de chercher à le provoquer, tout ça pour lui arracher une réaction. T’es comme ça, quand tu t’y mets. T’es chieuse. Et tu te divertis dans la colère d’autrui. Ou, enfin, pas que la colère. Dans la simple idée d’avoir déranger quelqu’un. C’est pas très sympathique, certes, mais bon, ça a le mérite d’agrémenter ton quotidien de quelques événements te tirant de l’ennui que tu peux parfois ressentir. Tu gardes donc tes prunelles pétillantes levées vers lui, affichant toujours ce petit sourire en coin. Celui que les autres cherchent généralement à te faire ravaler.
T’hausses ensuite des épaules, faisant mine de réfléchir. - Je pourrais. Accepter qu’on te dise non. - Mais j’en ai pas l’habitude. C’est pas le cas, t’as jamais été de ces gamins pourris gâtés par leurs parents. Mais bon, si ça lui fait plaisir de te l’entendre dire, comme il semble l’avoir très fortement sous-entendu, bah, t’allais lui faire ce plaisir. T’avais aucun mal à endosser ce rôle de gamine capricieuse qui se croyait au-dessus de monde. Parce que tu l’étais un peu. Pour la partie où tu te crois au-dessus du monde, du moins. - Tu connais pas l’histoire du Yes Man ? Parait que dire oui, dans la vie, ça offre plein de nouvelles possibilités. Des nouvelles occasions. Tu devrais essayer de t’ouvrir un peu, ça te ferait peut-être pas de mal. Toujours aussi arrogante, comme si tu y connaissais quoi que ce soit, à la vie, du haut de tes dix-neuf ans. T’es presque encore qu’une adolescente, à peine adulte, ayant décidé de t’envoler sans trop savoir comment vraiment déployer tes ailes.
Mais semblerait-il qu’il voulait jouer. Tu fronces un peu les sourcils, l’observe en te taisant quelques instants, histoire de sembler l’écouter un minimum. Tu ne peux pas retenir ton rire. Un rire sincère. Un rire joyeux. Un son presque surprenant compte tenu de la tournure des événements entre vous deux. Mais t’es sincèrement amusée et il t’est difficile de le cacher. - Oh. Tu te moques même pas de lui, t’es juste amusée. - T’étais où il y a cinq minutes où je jouais exactement à ce jeu, à essayer de deviner ce que tu pouvais bien faire seul ici ? Tu continues de rire, même si tu te montres un peu plus calme, levant simplement une main pour essuyer les larmes apparues aux coins de tes yeux, suivant ton hilarité.
- Soit, rejouons. Tu marques une pause. - J’aime bien ma théorie que t’es ici pour chercher ta prochaine victime mais… À nouveau une pause, un peu de suspens, comme pour mettre de l’emphase sur ce qui allait suivre. - Tu as dit que tu l’avais raté. Qui ? Tu ne sais pas. Mais c’est pas vraiment important. - J’ai donc deux théories. Soit tu t’es épris d’une fille, ou d’un mec, je juge pas, et que du coup, depuis, tu le stalkes. Ton sourire a quitté tes lèvres pour afficher une mine plus sérieuse, comme si tu te donnais vraiment la peine de réfléchir pour ta réponse. - Sinon, tu espères revoir une vieille connaissance ? Mais là encore, c’est un peu chelou, parce que ça en revient à ce que je disais pour revoir ton grand amour : tu stalkes quelqu’un. Est-ce que tu crois vraiment à ce que tu dis ? Pas spécialement. T’as juste décidé de prendre en compte ce dont il t’a accusé et ce qu’il t’a suggéré pour former une réponse. Pour jouer à ce jeu proposé.
C’est donc le plus naturellement du monde que tu en viens à agiter ton appareil photo. - Et donc, je peux la prendre, ma photo ?
« Go away, can't you see there's something up my mind ? »
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Si j’avais eu le culot de le faire, j’aurais psalmodié le moindre des jurons de mon vocabulaire. Mais il ne fallait pas. Je devais rester calme. Je devais dissimuler la vérité. J’aurais aimé que ce soit facile, j’aurais aimé lui dire qu’elle se fourvoyait, qu’elle était d’une stupidité. J’aurais tant aimé pouvoir la pousser contre le sol et m’en tirer en m’enfuyant, mais j’étais honnête. Si je sentais les flammes de la rage mettre à vif mes émotions à tel point que l’ardeur se ressentait à même mon épiderme, je sentais aussi le besoin d’être honnête, de retrouver la paix qu’elle m’avait volée. J’aurais aimé que le silence revienne. J’aurais aimé fracasser son appareil photo contre le sol. J’aurais aimé lui plaquer au visage qu’elle était coupable de harcèlement. Je n’en avais pas la force. Elle m’avait déboussolé par ses trois simples mots… « ou d’un mec. » Comment avait-elle compris ? À quel moment avais-je laissé sous-entendre ma sexualité ? La couverture que je m’évertuais à entretenir n’était donc plus suffisante ? Soudainement, je me sentais vulnérable. Pour une fois dans ma vie, je me sentais fragile. Assujetti à ma propre vulnérabilité. Et elle était grande. Trop grande.
Était-ce le contexte ? Était-ce Narcisse qui me plongeait dans cet état ? Là où normalement je résistais, là où normalement je ne me laissais pas ébranlé, je réagissais. Je me plongeais dans un état catatonique, comme si j’avais tenté de me fermer et de me défendre. Comme si mon corps me disait de baisser les bras et de mourir.
Mais je ne voulais pas mourir.
Pas ici, pas maintenant. Pas dans ce parc, pas avec elle. Pas avec cette femme trop perspicace pour que je reconnaisse son existence. C’était probablement la mélancolie qui me montait à la tête. C’était forcément la mélancolie qui me brouillait l’esprit. J’aurais aimé avoir raison, mais quand je saisis l’objectif de la caméra, il était bien réel. L’alliage froid qui le formait me fit grincer des dents. Elle existait. Elle existait et dans le mépris le plus total, j’En avais douté. J’avais espéré qu’elle ne soit qu’une chimère fabulée par mon esprit.
Elle était réelle.
Sous ce constat, mille-et-une idées pullulaient dans ma tête. Mille-et-une idées se faisaient la course pour que je me puisse me dérober au pari que j’avais lancé. Pris entre mon orgueil et mon honnêteté, j’étais pris au piège. Incapable de trouver la solution parfaite sans compromettre la serrure de la porte derrière laquelle se cachait chacun de mes secrets. Et là où les mots ne suffisaient plus, là où j’aurais pu l’intimider physiquement, je me refusais à m’abaisser à faire peur à une femme aussi insupportable soit-elle. « Bon, on a fini de jouer. » Je lâchai l’objectif de son appareil et je portai la main à ma poche. Je n’avais pas voulu sortir mon insigne plus tôt, mais maintenant que j’étais acculé au mur, il n’y avait plus d’autres issues sans compromettre l’entièreté de ce que je voulais le plus protéger.
Il ne fallut pas longtemps pour que mes doigts effleurent le métal froid et je ne le mette à quelques centimètres de la lentille. « Vas juste ailleurs. Je bosse sur un truc confidentiel pour la police et tu m’importunes. T’veux que je t’arrête pour harcèlement et obstruction à la justice ? » J’ignorais si ces accusations étaient avérées. J’ignorais si les reproches que j’avais pour elle étaient suffisants pour ne serait-ce qu’engendrer des procédures, mais elle nuisait théoriquement à mon travail. Qu’il soit personnel ou professionnel. Elle était un élément perturbateur et si lui faire peur pouvait faire en sorte qu’elle me fiche la paix, alors j’en serais heureux. J’imagine.
Était-ce vraiment la clef de mon bonheur que de menacer toute personne qui tentait une approche plus ou moins adroite avec moi ? Était-ce ce que je voulais laisser comme impression ? Un homme froid, inaccessible qui avait recours à son badge des forces de l’ordre dès qu’il perdait le contrôle ? Étais-je comme Anubis ? Avais-je besoin de contrôle à tel point qu’éloigner toute personne tentant de tisser un lien avec moi était une bonne chose ? Non. Mais oui. Mais non.
Mon torse se dégonfla, je perdis ma droiture. Mes épaules s’affaissèrent, me rendant bien plus minable qu’intimidant. Ma conviction s’en alla comme elle était venue et je baissai mon badge. « Prends la ta photo, puis fous-moi la paix. » Un sanglot étrangla ma voix. Un sanglot que je niai en toussant, comme si je m’étais étouffé avec un grain de riz. Je ne pleurais pas. Je ne pouvais pas pleurer. Ce n’est pas ce que l’on attendait de moi, d’un homme. Et pourtant, dans ma posture, dans ma voix elle sentait probablement tout mon malheur. Je m’en voulais. J’aurais voulu me flageller aussi puissamment que stupidement. Aussi frénétiquement qu’agressivement.
Et j’espérais qu’elle s’en veuille à elle-même.
Je n’avais jamais eu recours la manipulation émotive et là, mes compétences à contenir mes émotions avaient flanchées à tel point qu’on pouvait croire que c’était habituel chez moi. Tout ça pour un homme. Tout ça pour Narcisse. C’était toujours leur faute si je perdais chacun des acquis que je croyais forts et résistants. Ma famille, ma force de caractère, mon imperméabilité. Ils me volaient tout… et je continuais de les apprécier malgré tout. Je continuais de les aimer et de rêver d’eux.
Je continuais de me faire croire qu’ils étaient bien pour moi.
Et elle, dans toute sa malice, venait de planter un couteau dans mon abdomen. Dans toute sa malice, elle venait de me rappeler ce que je fuyais avec ma couverture.
Ce combat éternel avec ma propre personne. « Fous le camp ! » Hurlais-je en m’abandonnant à l’hystérie, en attirant l’attention sur nous. « Prends ta photo et fous le camp. » repris-je alors que mon visage tournait au rouge.
Il voulait jouer ? Soit alors. À croire que tu jouais toute seule depuis le début si lui ne commençait que maintenant. Ce qui était sans doute le cas, mais bon, tu n’es pas du genre à t’attarder sur ce genre de détail de toute façon. Tu lui exposes donc les diverses raisons qui pourraient le pousser à attendre seul sur un banc de parc tout en observant les alentours. Tu crois pas vraiment en ce que tu dis, te contentant surtout de partager tout ce qui te traverse ton esprit, rebondissant sur ce qu’il a pu dire sans vraiment y accorder quelconque importance. Pour toi, ce n’est vraiment que ça. Qu’un jeu. Tu te doutes que c’est pas vraiment la même chose de son côté, qu’il doit sûrement en avoir marre de toi, cherchant la première occasion pour se débarrasser de ton encombrante personne, mais ça non plus, c’est pas quelque chose dont tu te soucies. Parce que toi, ça t’amuse. Parce que tu joues avec ses nerfs, comme la gamine effrontée que tu as toujours été. Celle qui se croit au-dessus de tout, celle qui joue impunément sans se soucier des conséquences de ses actions.
Celle qui risque de se brûler à force de jouer si près du feu. Trop près.
Tu le vois s’approcher, tendre la main pour attraper l’objectif de ta caméra. Tu ne dis rien, le laissant faire, prête à faire un scandale s’il venait à abîmer ton appareil photo. Mais il ne fait rien de ça et donc, tu peux rester calme. Aussi calme que tu sais l’être. Presque calme, malgré ce sourire sournois qui étire tes lèvres et cet éclat amusé pétillant dans ton regard. - Oh, déjà ? Que tu articules, adoptant un ton déçu, presque triste. Il y a même cette moue qui vient se dessiner sur les fins traits de ton visage, comme si tu n’étais qu’une gamine dont les parents venaient de lui dire qu’il était l’heure de rentrer. - Mais on vient tout juste de commencer. Vous veniez tout juste d’arriver au parc d’attraction, pourquoi partir après un seul tour sur la montagne russe ?
Tu le vois tendre la main vers sa poche et tu fronces un peu les sourcils. Que va-t-il en sortir ? Une arme à feu ? Était-ce ainsi qu’allait se terminer ta courte vie, après avoir poussé un peu trop sur les limites d’un jeune homme qui ne t’avait rien demandé si ce n’est qu’un peu de tranquillité ? Ça serait dommage, quand même. Dommage pour lui aussi. Parce qu’il y avait d’autres personnes dans le parc. Parce qu’il se ferait arrêter. Une vie derrière les barreaux, et tout ça pour quoi ? Pour avoir voulu que tu te la fermes plus de cinq secondes ? Qu’il ne s’en fasse pas, il n’était pas le premier à souhaiter que tu ne puisses plus rien dire et tu te doutes qu’il ne sera pas le dernier. Sauf que non. Ce n’est pas une arme à feu qu’il sort de sa poche (ce que tu peux être dramatique parfois) mais bel et bien… Une insigne ? - Oh. Tu rigoles doucement, encore, comme si tu ne te sentais pas particulièrement menacée par ce qui était présenté devant toi. - Ça te facilite les choses, si ton objectif est de me tuer. Toujours d’un ton affreusement léger, comme si tu ne prenais absolument pas l’actuelle situation au sérieux. Ce qui est exactement le cas. Et alors que lui n’a pas suivi le fil de tes pensées, c’est tout de même tout ce que tu trouves à dire face à cette menace que tu balaies du revers de la main sans lui accorder plus d’attention que ça.
Attentive, tu l’écoutes, non sans te départir de ton sourire semblant presque moqueur. Oh, il veut jouer à ce jeu-là ? Il veut te menacer ? T’es tentée de le provoquer. Tu croises les bras sous ta poitrine, prête à renchérir. Prête à vraiment lui pourrir sa journée du mieux que tu le pouvais, quitte à ce que la tienne se termine au poste de police. Mais il y a quelque chose qui t’arrête. Une dernière phrase. Ce n’est pas tant ce qu’il te dit qui te force à t’arrêter, mais plutôt le ton employé. Le sanglot derrière ses mots. La malheur que tu peux ressentir. Toute cette tristesse émanant d’un seul et même homme. Tu restes donc silencieuse quelques instants de plus tandis que ton regard venait de s’adoucir, tout comme ton sourire. Et alors qu’il t’incendie à nouveau, quelques paroles crachées à ton visage, toi, tu te contentes de venir prendre place sur le banc. De t’asseoir à ses côtés.
- Je suis désolée. Cette fois-ci, tes paroles sont plus sincères. Ta voix est plus douce tandis que tu diriges vers lui un regard plus chaleureux que précédemment. - Je ne sais pas ce que tu vis. Après tout, on ne se connait pas. Tout ce qu’il sait de toi, c’est que t’es chiante. Que t’es une gamine capricieuse. Ce qui n’est pas tout à fait faux, au final. Ça dépend des moments et de ton humeur. - Et bon, je me doute que tu ne veux sûrement pas écouter une gamine te parler de la vie, mais, je vais le faire quand même. Ça ne devrait pas vraiment le surprendre même si, pour ce coup-ci, tu ne cherches pas à le provoquer. - Si ce dont t’as besoin c’est de gueuler et d’insulter les gens alors vas-y. Je suis là alors tu peux en profiter. Tu rigoles un peu, toujours avec cette légèreté qui te caractérise si bien. Tu ne cherches pas à te moquer, t’es juste comme ça, à ponctuer tes phrases de ce rire si singulier.
- Mais… Tu marques une pause, cherchant tes mots. - Si ce dont t’as besoin c’est de quelqu’un pour t’écouter sans jugement aucun, bah, je suis aussi là. Je ne te connais pas, tu ne me connais pas et donc, par conséquent, je ne pourrais rien répéter à personne de tout ce que tu me racontes. Tu hausses les épaules. - Donc voilà, l’offre est là, pour les deux. Évites juste de te montrer violent, les autres autour pourraient se poser des questions et moi, je tiens à mon joli minois. Mais, pour le reste, tu peux t’en donner à coeur joie. Et tu t’appuies un peu plus sur le dossier du banc, tes jambes balançant doucement dans le vide, sous le banc. Tu restes là, silencieuse, à attendre sa réponse. S’il ne voulait rien de tout ça, alors soit, tu le laisserais tranquille. T’avais assez joué avec le feu pour aujourd’hui. Mais, sinon, tu n’avais rien contre le fait de rester un peu plus longtemps, et ce, même si c’était pour te faire (injustement) insulter.
« Go away, can't you see there's something up my mind ? »
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Du calme. Je voulais juste un peu de calme. Je voulais simplement que les vagues que cette femme s’évertuait à créer s’en aille et qu’elles ne reviennent plus. Pourtant, je restais las, inerte, dans le nocturne clair-obscur des lampadaires. Je ne disais rien, déchiré entre la solitude à laquelle je tenais temps et le besoin de me sentir exister. Il y avait un moment - des moments - où je me lassais de ces barrières que j’érigeais entre mon esprit et l’empathie des autres. J’avais parfois, moi aussi, ce besoin de m’ouvrir et de laisser mon esprit virevolter au vent avec toute la légèreté du monde. Mais je me cloîtrais. Je disais non. Je me renfreignais sur ces souvenirs douloureux qui m’habitaient. La confiance m’avait fait souffrir une fois. C’était suffisant. Ça n’arriverait plus… et pourtant. Comme si j’avais été le pantin de cette marionnettiste casse-pieds, je me laissais attendrir par ces mots. Une personne avec qui être méchant sans que je ne puisse recevoir ces douloureuses représailles que je redoutais à temps partiel.
Hélas, si j’avais voulu abuser de cette occasion, il était trop tard. Que ce soit verbal ou physique, un policier s’en prenant à un ou une civile, c’était un abus de pouvoir. C’était puni par la loi et un motif valable de suspension immédiate. Je ne pouvais pas me le permettre. J’avais mal joué mes cartes en ne gardant en tête que ce désir utopiste de calme et de paix. J’avais été stupide. Comme toujours. Je m’étais laissé étreindre par l’animosité, cette émotion maline qui me saluait d’un surnom tant elle m’était familière. « J’ai pas b’soin d’un punching bag. » Et je savais que c’était faux. Je savais que je me mentais et que je lui mentais. J’avais étrangement besoin de ce qu’elle m’offrait, j’avais aveuglément besoin de me défouler, de m’ouvrir à quelqu’un, mais je refusais l’aide de tous, même de mes fidèles et loyaux amis, personnifiés par mes frères. J’avais besoin de frapper sur quelque chose, j’avais besoin que, dans la nuit, quelqu’un entende mes cris et les reçoivent, mais je le niais… par orgueil… parce que j’avais encore plus besoin de ma carrière pour m’occuper l’esprit et ne pas perdre le cap dans le fleuve infini de mes pensées qui s’animaient. Et Arceus savait ô combien les rapides de ce cours d’eau étaient puissants et dangereux. Un ami ? Un confident ? Une personne pourrait m’aider à prendre mon pied dans ces eaux troubles… ç’aurait été bien…
« J’ai vraiment besoin de la pitié des gens. Les amis c’t’un signe de faiblesse. » Mais j’étais trop borné pour me l’avouer à moi-même. Parce qu’on m’avait dit qu’un homme se débrouillait seul, on m’avait dit que la force du nombre et le pouvoir de l’amitié n’étaient que des outils de romance pour toucher les faibles d’esprit… Et j’y avais cru. Non. J’y avais été conditionné. Je n’avais pas besoin de ces gens avec qui partager mon mal-d’être. Il était temporaire de toute façon. Il ne résisterait pas à l’hiver. Il passerait tôt ou tard… parce que Narcisse avait disparu dans la nature et que je ne le reverrais probablement plus. Je prendrais le temps qu’il me faudrait, mais ça me passerait… comme pour Émile. Si tant était que ça avait passé.
J’aurais aimé croire que ç’aurait été bénéfique de m’ouvrir et de m’extirper de cette prison émotionnelle dans laquelle je m’entêtais à demeurer, mais c’était le seul lieu que je puisse connaître, la seule méthode que l’on m’avait montré pour exister. Le déni, le secret et l’énigmatisme… le voile de mystère constant pour éviter que l’on ne me perce à jour et que je devienne la cible de je-ne-sais-quel fléau humain. C’était important qu’il disait.
Et malgré tous ces mots, malgré cette conviction infinie que je vivais de la manière prescrite par tout un chacun, je doutais. J’effleurais du bout des doigts le réconfort que j’enviais aux couples, j’effleurais du bout des doigts le bonheur auquel je me dérobais.
Faute de confiance.
Je baissai les yeux un instant, abandonnant l’idée que Narcisse ne puisse surgir du vide. Il ne viendrait pas. Il ne viendrait plus. Il avait fait ce qu’il avait fait et côtoyer un policier n’était clairement pas la première idée qui lui était venue à l’esprit… J’avais eu trop d’attente. J’avais encore trop espéré de l’Homme. J’avais encore cédé à l’envie que ces contes de fée que l'on se racontait depuis tout jeune étaient vrais. Et je ne le réalisais que maintenant, alors que l’on m’avait poussé dans les derniers recoins de mes mécanismes de défense. « J’veux juste du calme. » chuchotais-je les yeux clos, révélant cette image de sensibilité que je me débattais pour enfermer dans mon esprit.
Sauf qu’il y avait un témoin cette fois.
Je ne l’avais pas oublié… mais je le niais, parce que j’étais doué pour nier les choses évidentes.