Cette odeur de café. On m’en avait parlé. Je ne l’avais pas cru, j’étais toujours un peu sceptique après tout. C’était l’habitude de laquelle j’étais le plus épris. De l’indifférence au scepticisme, j’étais resté stoïque quand le patron m’avait dit d’aller profiter du Sud, de me plonger dans l’écume des mers et de m’enivrer de l’odeur légère du café qui ponctuait l’air comme si ç’eut été romantique. Avais-je réellement envie d’être là ? Assez peu, mais je ne pouvais pas rechigner. Le patron avait donné un ordre. On respectait les ordres d’un patron, c’était comme ça. On ne questionnait pas. On exécutait et j’étais bon soldat. L’idée ne m’enchantait guère, mais je pris néanmoins le premier train vers le Sud, sortant dès que je le pus à Mirawen. C’était assez loin.

Qu’allais-je faire pour m’occuper ?

La réponse vous ennuierait. Je m’étais assis sur un banc et j’observais les passants, faisant tourner la Pokéball d’Atlas entre mes mains. Lui parlant télépathiquement, lui partageant à quel point je savais profiter de mes jours de congé. À quel point je savais me détendre, que je le prouverais à mon patron… en fixant les gens dans la rue et les accostant à la moindre anomalie. Eh non. Je n’avais aucune envie de décrocher. J’avais respecté la moitié des ordres : j’avais pris le train. J’avais pris sur moi, à lui de prendre sur lui. Si seulement ç’eut été si simple.

Un bref instant, je souris en passant une main dans mes cheveux, dégageant brièvement mon front. Un sourire de rien, je m’étais fait rire. Il était drôle d’imaginer une vie aussi simple que celle qui harcelait parfois mes pensées, mais rien n’était jamais aussi simple. Mon « hilarité » fut courte. Les passants étaient de plus en plus distancés temporellement les uns des autres, si bien que j’en étais venu à fixer ardemment le moindre marcheur qui aurait daigné s’aventurer sur le territoire que je tentais de défendre. Je semblais davantage chercher le problème que je ne le laissais survenir. J’étais effrayant, simplement. Effrayant, mais prêt à tout pour un brin de justice. Ça valait au moins ça. Du couple qui se hurlait des impolitesses aux deux amis qui se pullulaient des âneries au nez, je scrutais tout. Y compris cette dame encombrée par l’étui de ce qui semblait être une harpe. Je ne daignais même pas l’aider. Je me rebellais contre mon uniforme – que je ne portais pas, rappelons-le – je m’étais même adossé au banc pour l’observer, sans hilarité. Je ne voulais pas me moquer, je voulais apprécier le moment de voir une personne en difficulté sans ressentir le besoin d’intervenir.

Hélas, ma fantaisie s’interrompit. De l’aide ? Foutaises. Je n’en avais pas envie. Je voulais rester là et pourtant mon corps s’avançait vers elle de façon téléguidée. J’étais un automate commandé par le besoin d’aider mon prochain. Particulièrement une femme. C’était important, pour les apparences et la réputation. Évidemment, j’espérais qu’elle ne cerne pas ces pensées. Qu’elle ne soit pas une télépathe de laquelle je devrais me méfier. « Oui bien sûr ! Allez-y. » Quelle politesse ! Étais-je en amour ? Non. Évidemment que non. Elle n’était pas mon genre, j’étais simplement stupide et je laissais mes valeurs policières outrepasser celles du civil. « Mais pas besoin de café, je n’en bois pas. Merci ! » Faux. J’en avais très envie. Alors pourquoi je mentais ? Pour ne pas l’importuner. Elle l’avait pourtant fait, elle. Elle m’avait dérangé pendant que je… ne faisais strictement rien. Oui, bon… à d’autres. Je n’avais simplement aucune raison de ne pas l’assister et le peu de spontanéité que j’avais le savait bien. « Par contre, je peux vous aider à la porter si vous voulez, où que vous alliez. » Non. Non. Non non non. Non ! Pourquoi j’avais dit ça ? Parce que c’est ce qu’un homme ferait… oui, évidemment. Merci pour ça monsieur le Géniteur. Je soulevai la harpe et me résignai. C’était trop tard, c’était dit. Je ne pouvais plus reculer. J’aurais, au moins, quelques allures viriles à traîner l’instrument de musique vers la destination de madame.

« Léandre, heureux de vous rencontrer… » dis-je en hochant de la tête en guise de salutation, les mains visiblement occupées ailleurs. Divulgâcheur : je ne l’étais pas réellement. Elle n’était qu’une inconnue parmi d’autres. La rencontrer n’avait même pas effleuré mon imaginaire plus tôt, mais mes actions avaient devancé mes pensées… comme si le stress de ne pas être en fonction m’avait rattrapé. Atlas aurait été content, mais justement, j’essayais de l’éduquer, de lui montrer comment être dur. Me voir dans toute ma galanterie lui aurait trop plu. Je souris à la dame « J’allais marcher par-là de toute façon. » Faux. Toujours faux. Évidemment. Je ne savais même pas dans quelle direction elle souhaitait aller, j’attendais qu’elle bouge avant de la suivre et, comme un homme en pamoison, je lui montrais mon sourire des plus soigné. Un sourire pur, sans vilaines intentions. C’était évident pour moi. L’était-ce pour elle ?