Windoria. J'ai l'impression de ne pas m'être rendue dans cette douce ville depuis une éternité, et pourtant, hier soir encore, je m'y trouvais. Avec l'habitude de travailler au White Spring de Monsieur Deltz, j'ai fini par détacher le salon de thé de la cité en elle-même, puisqu'à chaque fois que je m'y rends, c'est pour travailler, et rien d'autre. J'ai beau connaître chaque avenue et chaque ruelle comme ma poche, il y en a certaines que je n'ai visité que virtuellement, à travers la carte que mon smartphone voulait bien m'afficher. Mais aujourd'hui, je suis véritablement, si on peut dire ça ainsi, à Windoria. Je ne suis pas là pour faire mon boulot habituel de serveuse, non. Si je me trouve ici, bien habillée dans ma tenue sportive hivernale, Ayshee et Nâga fièrement dressés à mes côtés, c'est pour participer au Pokéathlon qui se déroule aujourd'hui.

Ces derniers temps, j'ai été aux prises avec de nombreuses réflexions et pensées plus ou moins lumineuses concernant mon avenir. Dans ce méli-mélo cérébral dont je ne me sortais pas, je savais pertinemment qu'il me faudrait faire un choix si je ne voulais pas me laisser dévorer à petit feu par mon propre cerveau et ses idées parfois empoisonnées. Malgré l'indécise que je suis, j'ai fait un choix. Une fois mon diplôme obtenu, j'arrêterai les études. Et en parallèle là, maintenant, je vais démarrer une carrière de danseuse, et aussi me concentrer sur les perspectives qui me sont possibles en tant que dresseuse. Ce choix, je compte bien m'y tenir. Même si à cet instant précis, j'ai la boule au ventre en entrant dans le Pokéathlon et un stress palpable partagé avec mes deux partenaires du jour, même si j'ai peur de me faire littéralement massacrer durant les épreuves par d'autres concurrents qui me sont totalement inconnus, à part pour une, une détermination sourde rugit depuis mes entrailles. Ce Pokéathlon, c'est la meilleure occasion pour moi pour démarrer cette nouvelle année et le chemin que j'ai choisi de suivre vers l'avenir. Alors mes Pokémon et moi, on va tout donner !

La première épreuve est celle de force. Sortant la Pokéball d'Ayshee, ce qui est chose rare, je la lui indique avant de murmurer en la faisant entrer à l'intérieur :

– Allez ma grande, viens. Ce n'est pas encore ton tour, patience !

Je prends quelques minutes pour m'échauffer avec Nâga, mon majestueux Séviper, candidat parfait selon moi pour cette épreuve de force où seules les attaques physiques et autres techniques de ce genre comptent. Je salue Sasha et Nessie, sourire aux lèvres, car ils ne se trouvent pas loin de là où je suis, mais également, et de façon plus respectueuse, l'autre candidate déjà présente. Et puis je vide totalement mon esprit pour me focaliser uniquement sur la planche. Elle a l'air épaisse. Mais Nâga a un gabarit assez imposant, et la force, ça le connait. Il ne faut pas que j'oublie non plus que c'est le premier tour, donc un tour de chauffe. Une attaque simple qui ne prends pas trop d'énergie serait donc la bienvenue. Je réfléchis quelques instants avant de m'exclamer :

– Nâga, utilise Ligotage !

Mon partenaire s'exécute aussitôt, s'enroulant autour de la planche avant de la serrer entre ses anneaux. C'est un Séviper et un Pokémon reptilien, par dessus le marché. Avec sa physionomie, ce genre d'attaque est le plus simple, mais est aussi redoutable. Je n'aimerai pas me retrouver piégée par Nâga de cette façon. C'est d'ailleurs la crainte qui m'avait traversé le jour de ma rencontre avec lui. J'avais peur qu'Ayshee ou moi-même ne finissions à la place de cette planche, là. Et quelque chose me dit qu'on n'aurait pas résisté aussi longtemps.

Un premier craquement se fait entendre, puis un second. Pour finir, c'est toute la planche qui finit par voler en éclats. La joie illumine mes pupilles et mon visage tandis que mon Séviper relâche son étreinte.

– Bravo, bien joué ! M'écrié-je.

Je tremble toujours. Sauf que cette fois-ci, ce ne sont plus des tremblements d'angoisse. Mais des frissons d'excitation.

Revigorée par la réussite de Nâga assez contagieuse, je dois bien l'avouer, la début de la véritable épreuve ne tarde pas à arriver. Et cette fois, comme je m'y attendais, ça ne serait pas aussi simple que de briser une simple planche d'entraînement pour s'échauffer. La planche de bois brisée est remplacée rapidement par deux planches de pierre. Aussitôt qu'elles sont en places, j'active le moindre de mes neurones à la recherche d'une stratégie afin de ne pas épuiser mon partenaire tout de suite mais pour autant réussir à lui faire broyer ces plaques en miettes sans que cela ne le blesse. C'est bien la dernière chose que je souhaite qu'il arrive. Alors je ferai tout pour que Nâga ne soit pas blessé.

Bon, ça y est. Je crois que j'ai une petite idée, enfin.

– Nâga, utilise Ligotage, encore une fois ! Mais concentre bien la pression de tes anneaux sur la zone de faiblesse des plaques.

En équilibre comme ça pour que nos Pokémon puissent les briser, il y a forcément un endroit où il est plus simple de faire céder la pierre pour la briser. Et comme au tour de chauffe, juste auparavant, Nâga s'est entraîné -certes sur la planche en bois- à briser une première plaque, il sait désormais où concentrer ses forces pour ne pas gaspiller d'énergie inutile. Avec son corps reptilien imposant, en plus, je peux être certaine que ces deux plaques qui vont passer entre ses anneaux connaîtront le même destin que la planche de bois.

Mon Séviper s'enroule pour la seconde fois autour des plaques de pierre et met en place son attaque Ligotage. Il les serre dans une lente vitesse, dosant sa force, jusqu'à ce qu'elles cèdent après s'être fissurées en un craquement sourd. Bien que bouillonnante de fierté et de joie, je contiens mes émotions alors que les deux plaques brisées sont remplacées par leur double, et bien entières. Quatre plaques de pierre, donc. Ça commence à faire. Je ne peux pas réutiliser Ligotage, je l'ai déjà utilisé pour l'échauffement et le premier tour. Je me doute que tout est possible dans l'emploi des attaques, mais utiliser plusieurs fois la même, assurément, ça va me disqualifier ou me faire perdre des points. Oui, bon, à la base, je n'ai pas participé au Pokéathlon pour gagner, mais pour nous mettre à l'épreuve, moi et mes deux premiers compagnons de voyage. Pour voir quelle était notre progression. Pour voir jusqu'à quel niveau de difficulté on pouvait aller. Mais je ne vais pas dire non si j'ai une chance de gagner, non plus. Même si là, ce n'est qu'une chance sur mille, vu la puissance et l'expérience des autres participants autour de moi. Je suis certaine que Sasha s'en sort très bien aussi. Serrant les poings, je relève la tête, ma nouvelle stratégie en place, et je croise le regard déterminé de Nâga. Nous aussi, on doit tout donner !

– Utilise Queue-Poison !

Son attaque signature d'origine. Grâce au tranchant naturel de sa queue, que j'ai préservé jusqu'ici, il va pouvoir fendre ces pierres. L'avantage, qui plus est, est que cette attaque physique inflige souvent plus de dommages grâce à son taux de critique élevé. En combat, en tout cas. Est-ce que là, ça va être pareil ? On va bien voir. Nâga glisse sur le sol en direction des plaques et abat sa queue de toutes ses forces dessus. Un fracas monstre se fait entendre. Les trois plaques du haut sont brisées, et la dernière, moins amochée, finit tout de même par céder sous le poids des autres et la puissance de l'attaque. Nâga recule, et une fois de plus, les pierres sont changées.

C'est le dernier tour. On a huit plaques bien solides face à nous, désormais. Mais du coin de l'oeil, je remarque que la précédente attaque de mon compagnon l'a fatiguée un peu plus que ce que j'avais calculé. Mes paupières se plissent et ma mâchoire se contracte. Zut. Je n'avais pas prévu une marge de fatigue aussi grande dans mes calculs mentaux. Mais en même temps, c'était sûr qu'un imprévu allait se présenter. Il y a toujours des imprévus dans tout ce que je fais. Toujours. Et alors que j'entends les autres participants briser leurs propres plaques, une idée me vient à l'esprit, et j'écarquille les yeux. Oui ! Ça peut marcher ! Je m'avance alors vers Nâga pour me placer juste à côté de lui.

– Mon grand, je sais que tu commences à fatiguer, mais tu as encore de l'énergie en réserve, pas vrai ? C'est le dernier tour, alors on va donner tout ce qu'on a ! Pour briser ces huit plaques, je veux que tu utilises Tranche-Nuit. L'attaque se fait en deux coups tranchants, comme tu le sais. Sifflement approbateur. L'idéal serait donc que tu brises quatre plaques avec le premier coup, et les quatre dernières avec le second, mais vu ton épuisement actuel, je ne suis pas certaine que ça suffise, et ça va encore t'épuiser plus que de raison.

Je lui indique alors le sommet de la pile, puis la piste derrière nous sur quelques mètres.

– Tu vas reculer et prendre de l'élan, ce qui va te permettre de bondir assez haut, je pense, au dessus de la pile. Enfin, tu feras des rotations sur toi-même à la manière d'une roue, ce qui te permettras de prendre de la vitesse dans ton attaque et de la rendre plus tranchante encore. Et si tout se passe bien, tu devrais venir à bout des huit plaques. Cette stratégie te convient ?

A l'éclat qui brille dans ses pupilles, je devine que ma proposition l'a séduit. Je n'aurais d'ailleurs jamais pensée que je puisse sortir une stratégie pareille. D'habitude, je ne suis jamais assez concentrée ou ne réfléchis jamais assez pour réussir à fignoler un plan d'attaque comme celui-ci. A l'instant où Nâga se lance, je retiens mon souffle inconsciemment. Il s'élève assez haut dans les airs, se met à tournoyer de toute la longueur de son corps pour former une sorte de roue comme je l'ai imaginé, et s'abat violemment sur la pile des huit plaques de pierre... Qui ne résiste pas et se fait trancher net par l'attaque Tranche-Nuit revisitée. Un nuage de poussière se soulève, et je frotte mes yeux avant de me précipiter vers Nâga. Je soupire de soulagement en voyant que certes, il est fatigué et un peu sonné par cette nouvelle attaque, mais qu'il n'a rien. Je m'accroche alors à son cou, caressant le sommet de son crâne, avant de laisser enfin éclater ma joie face à cette épreuve pour laquelle même si, par rapport aux autres, nous ne sommes pas les gagnants, pour moi et pour lui, nous avons tout gagné.

– Bravo mon grand. Tu as été formidable ! Tu mérites bien un bon repos, maintenant.

J'accepte d'ailleurs avec gratitude l'une des baies oran que vient me tendre une des participantes, je crois, pour la donner à mon compagnon. Il n'y a rien de mieux pour le revigorer. Et puis, je suis certaine qu'il veut assister à la suite. Car oui, ce Pokéathlon n'est pas encore terminé.