Pendant quelques instants, les notes demeurèrent en suspens, couvrant la foule qui s'étalait devant elle, retombant lentement sur celle-ci comme un rideau retombait sur une scène. Il y eu quelques secondes de battement, quelques courts instants d'un silence aussi artificiel que la pose travaillé qu'elle prenait à l'instant...

Et c'est alors que la salle explosa.

Les lumières s’emballèrent, courant sur le public qui hurlaient à plein poumon, encourageant de leurs couleurs d'or et de bleu la foule en délire à se faire entendre. On clamait un nom, on applaudissait, on hurlait et on frappait du pied ; et dominant l'étendue humaine à la manière d'une souveraine sur son royaume, HellDorado régnait. Son visage, immobile et fier, maquillé étrangement et élégamment, se tourna un instant sur les fans ; un mouvement de main, un roulement de hanches et le claquement des talons ; ayant salué son public comme une déesse daignait s'adresser aux mortels, la chanteuse s'éloigna hors de scène et regagna le monde de mystère où, à leurs yeux, elle évoluait...

Alors dans un soupir Aylah s'autorisa un court instant à sortir du rôle. Son corps tendu par l'adrénaline et l'excitation ne lui paraissait alors ne ressentir ni douleur, ni froid, ni même chaleur : à peine sentait-elle le poids du tissu et des accessoires sur son poitrail dans lequel son cœur battait à tout rompre. Grisante, enivrante, addictive et effroyablement satisfaisante : la sortie sur scène s'était bien passée. A cet instant précis, immobile entre les intermittents qui couraient et son manager qui s'approchait doucement, Aylah devenait la première croyante de cette sensationnelle divinité artificielle... Quelques mots échangés avec Prize, quelques mouvements rapides pour lui signaler de s'éclipser, et comme la reine dont elle portait les atours HellDorado s'éloigna des coulisses, s'extirpant du bâtiment pour profiter de la fraîcheur de l'extérieur. Toujours dans son rôle, électrisée par celui-ci, la jeune femme fit quelques pas sous le soleil sur le chemin de sa propre loge.

Ce fut la voix, sur son chemin, qui attira son attention et stoppa sa course là où elle se trouvait. HellDorado pivota, la main toujours posée sur le sceptre qui l'accompagnait, tournant un regard inquisiteur vers l'origine du bruit. A la simple intonation la jeune femme pensait se retrouver face à un fan, un petit curieux qui serait parvenu à se glisser dans les locaux... Et, après avoir visualisé cette personne qui lui faisait face, en fut presque entièrement persuadée. C'était un jeune homme, presque un adolescent, rouge des cheveux aux joues et en proie apparemment à une timidité excessive ; si bien que malgré lui l'inconnu réveillait chez HellDorado les réactions propres à Aylah même. Lentement, comme on sortait d'une fièvre terrible, la jeune femme se sentait redescendre de son trône.

- Eh bien ?

Malgré son persona et le rôle de celui-ci, malgré qu'elle fut chargée d'être déesse et de lui rappeler sa mortalité, HellDorado était alors déterminée à laisser ce jeune s'exprimer, peut-être même lui offrir un autographe si jamais c'était ce qu'il désirait.

- Qui d'autre, enfin.

Pas même une remontrance ; la chanteuse demeurait patiente, passant son sceptre dans son autre main en se balançant sur l'autre hanche.

- … Et dis moi, sur quoi veux-tu que je te conseille ?

Fasse à la demande, HellDorado haussa un sourcil. Elle s'était attendue à bien des demandes mais celle-ci était une première, plus originale, plus intrigante aussi. Qui était donc ce jeune à quel elle avait affaire ? Simple fan, journaliste en herbe ou jeune artiste qu'elle ne connaissait pas encore ? Avec cette étrange entrée en matière ce jeune était parvenu à obtenir son attention autant que sa curiosité -  sa bienveillance, peut-être même aussi, quoique elle fut encore caché sous les dorures qu'elle portait...

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Ce n'était définitivement pas un fan perdu dans les locaux. Pendant quelques instants HellDorado se tenta de l'observer comme elle le jaugeait du regard, cherchant à établir ce qu'il en était vraiment et ce qu'elle devait faire de lui. Ce n'était pas le genre de questions qu'elle avait l’habitude qu'on lui pose – à vrai dire, c'était même la première fois que quelqu'un l'interrogeait à ce sujet. Ce jeune... Ce jeune avait quelque chose du pitchoune perdu. En d'autres lieux, en d'autres temps, probablement aurait-elle cherché à abuser de sa naïveté pour son propre compte ; en des conditions qui, ici, n'étaient pas réunies, HellDorado aurait été bien plus enfer que paradis. Voyant que le rouquin baissait la tête face à elle, trop concentrée sur son cas pour être galvanisée par de telles marques de respect, la jeun femme n'hésita pas un seul instant et tendit la main pour attraper le menton pointé vers le sol.

Le sceptre dans une main, le visage de l'inconnu dans l'autre, HellDorado scruta à nouveau le regard du jeune homme ; elle qui travaillait toujours – à contre-coeur parfois – ses effets et sa prestance avait décidément de l'utiliser pleinement à cet instant.

- Regarde toujours ce que tu affrontes.

HellDorado se trouvait alors confrontée à deux possibilités. Elle pouvait sortir à ce jeune qu'elle ne connaissait ni de Mew ni d'Arceus toutes les gentillesses et les encouragements du monde, le cajoler en l'apaisant et lui faire croire qu'il sautait à pieds joints dans le monde merveilleux des nounoursons... Jusqu'à ce que finalement l'illusion se brise et que confronté à la réalité il retomba inlassablement sur la case départ de ce sujet épineux ; ou bien la chanteuse pouvait se décider à l'endurcir tout de suite, à lui expliquer la situation et lui donner les bonnes cartes pour s'en sortir. Il serait confronté aux difficultés, aux échecs et aux réussites, peut-être même au succès mondial ou à une fin de carrière prématurée. Mais il n'était pas dit qu'HellDorado laissera croire à ce gosse des choses qui ne lui serviraient pas. Il avait fait réagir l'instinct de grande-sœur qu'elle avait enfouie en elle, et la jeune femme était prête à rétorquer sur ce point. Et qu'y avait-il de plus utile à cela qu'utiliser la vision idéalisée qu'il semblait avoir d'elle ?

- Certains te diront de fuir le regard du public, de regarder un point au-dessus d'eux, de les imaginer complètement nus devant toi.

Elle marqua une pause, lui lâchant le menton, laissant son bras revenir le long de son corps. Son ton ne laissait envisager le moindre refus possible.

-  A quoi bon ? Tu n'as pas à t'inquiéter. Si tu es à cette place, c'est que tu la mérites et que tu as déjà fait tes preuves. Le plus dur, c'était d'obtenir le droit d'être sur scène, aujourd'hui, demain, et ce droit tu l'as. La foule est là pour te voir réussir, pas essayer.

Une dernière fois, HellDorado fit passer son sceptre dans son autre main en s'appuyant, se redressant dans toute sa théâtrale splendeur. Son visage avait reprit cet air supérieur et non méprisant qui faisait tout ce personnage, et intérieurement, Aylah gardait fermement accroché ce masque qu'elle refusait de briser.

-  Quel nom, quel groupe.

Car de tout cela le jeune inconnu ne lui avait encore rien dit ; pas un mot, pas une phrase, pas même un indice – quoique qu'elle eu, avec les dates, une vague idée des possibles prétendants au poste dont il aurait pu s'agir...

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