Tu ignores pourquoi tu as accepté, Alceste. En fait, c'est même toi qui as proposé. Et tu ignores d'où t'es venu cette idée farfelue. À part, peut-être, le fait que tu sois effectivement débordée et que tu n'aies pas tout le temps l'occasion de surveiller ta fille.
Alors, lorsque tu entends ton majordome t'annonçant l'arrivée de la baby-sitteuse, tu te lèves, quittant Clorinthe qui n'attendait que ton départ pour sauter sur l'orgue et appuyer n'importe comment sur les touches. Décidément, même si tu aimes cette enfant, sa nature chaotique t'épuise.
Une baby-sitteuse ne sera effectivement pas de trop.

Te voici donc, ouvrant le portail de ta demeure, laissant passer la jeune femme fidèle à elle-même avec ses cheveux... définitivement trop voyants, et ces couleurs qui t'agressent la rétine. Tu frottes l'un de tes yeux, chassant une poussière imaginaire, mais en vérité il s'agit simplement du panel de couleurs t'ayant trop vite sauté sur la rétine.

-Encore merci de me permettre de venir.

À sa réplique, tu lui adresses une révérence, ces mêmes révérences que tu fais tout le temps, de ces gestes bien trop lents.

-Bonjour, mademoiselle Maya, et merci à vous d'avoir répondu à l'appel. Veuillez me suivre.

Tu te retournes, montant une floppée d'escaliers en pierre sombre, avant de lui ouvrir la double porte aux lourds battants constituant l'entrée de ta demeure. Maya va donc découvrir ton large hall d'entrée, sombre malgré le grand lustre accroché au plafond, éclairé non pas d'ampoules mais encore de bougies illuminant mal la trop grande pièce. Elle verra également les toiles d'araignées ornant chaque recoin du plafond, chaque meuble. Elle verra son reflet étrangement distordu dans le grand et vieux miroir sur le mur du hall. Elle entendra le vieux sol en bois grincer à chacun de ses pas.
Et tout ça continuera alors que tu la mènes à travers de longs couloirs sinueux, mal éclairés et affichant des cadres aux représentations lugubres. Vous traversez un véritable labyrinthe inutilement compliqué, empruntant d'autres couloirs se croisant, prenant une porte plutôt que l'autre - qui se serait avérée fausse.

Jusqu'à ce que vous arriviez dans une grande salle circulaire. Plusieurs instruments y sont exposés, dont un violon, une flûte traversière, un cor, et évidemment, le roi des instruments, l'orgue.

-Mademoiselle Maya, je vous présente ma fille, Clorinthe.

Le son dysharmonique qui se faisait entendre depuis l'entrée dans la pièce s'interrompit alors que la petite tête appuyant sur les touches se retourna en entendant son prénom. Si Clorinthe ressemblait à sa mère sur bien des points, comme sa peau cadavérique, comme ses cheveux de nuits, comme ses allures de petite sorcière, en revanche elle avait hérité des grands yeux bleus de son père.
Heureusement, c'est la seule chose dont elle a hérité.
D'ailleurs, celle-ci effectua elle aussi une petite révérence, quoique beaucoup moins lente que la tienne.

-Bonjour madame, je suis Clorinthe de Nives.

Malgré tout, la politesse et l'étiquette étaient des choses qu'une de Nives de devait d'avoir.

Cependant, Clorinthe était encore une enfant. Et dire ce qui lui passait par la tête ne la gênait absolument pas, contrairement aux adultes qui avaient une réputation à tenir.
Alors, relevant la tête, l'enfant fixa des yeux bien ronds devant la chevelure de Maya.

-Mère, pourquoi ses cheveux sont blonds ?

Décidément, même ta fille est surprise de ton choix de baby-sitteuse. Car en temps normal, tu n'aimes pas cette couleur de cheveux, c'est comme ça. Il n'y à qu'à voir ton visage morose pour deviner qu'en effet, le blond ne te sied guère.

 
 
Visiblement, Maya prenait son rôle très à cœur. Et cela t’étonne, Alceste. A vrai dire, tu ne t’y attendais pas, encore moins après qu’elle ait pénétré dans ta sinistre demeure. D’habitude, cela suffit pour faire fuir les plus craintifs. Mais elle reste. C’est déjà un bon début, en soit.

-Clorinthe n’a aucun problème de santé à déplorer. Et ses habitudes sont trop chaotiques pour être véritablement appelées « habitudes ».

Contrairement à ce que son teint très pale pourrait laisser penser, Clorinthe est une enfant très dynamique et en pleine forme. Parfois même trop, et cela se note sur chacun de ses passages. De l’énergie, l’enfant en a à revendre, et s’il y a bien une personne que cela épuise, c’’est bien toi, certainement pas ta fille. Alors que les gens chuchotent sur son passage, en la voyant à tes côtés : ils finissent aussitôt par le regretter.

Tu ne réponds pas à Maya sur les qualités de musicienne de Clorinthe. Oh tu aimerais, oui. Cependant, il y a du chemin à faire. Et si ta fille est très intelligente, sa capacité de concentration est très volatile et inconstante. Il y a des jours où elle fait des progrès fulgurants. Et des jours où tout ce qu’elle souhaite, c’est taper sur les touches de l’orgue sans aucun ordre.

Les deux jeunes filles se présentent, et c’est sans grande surprise que tu vois Clorinte étonnée par ton choix de baby-sitteuse. Après tout, toi même tu es étonnée de ton propre choix. Néanmoins, tu n’as pas l’occasion de lui répondre que Maya le fait à ta place.

-Ne faut-il pas de tout pour faire un monde ? Si jamais tu préfères, je peux les rendre entièrement arc-en-ciel.

Tu es au bord de la syncope en entendant ses paroles, tandis que Clorinthe affiche des yeux bien ronds. Tu t’empresses de la corriger – il ne faudrait pas qu’elle lui apprenne de mauvaises choses !

-Je vous en prie, mademoiselle Maya, nous sommes tout de même au manoir de Nives…

Au fond, cela ne veut absolument rien dire. Mais tout de même, un simple coup d’œil à ta demeure devrait bien le montrer. Il y avait une tenue conforme à un tel lieu, et ce n’était pas du tout ce qu’on pouvait s’imaginer venant d’une dame de l’aristocratie.
Et Clorinthe a les mêmes codes que toi. Alors voilà qu’elle lève son petit doigt.

-Ah non non ! Il vous faut une tenue décente pour rester dans le manoir, madame ! Je vais vous en prêter une, moi !
-Et que vas-tu prendre, Clorinthe ?

Tu la fixes de ton même regard, morne, mais elle sait ce que tu veux dire. Oh non, tu ne veux pas qu’elle se remette à découper tous les rideaux et les draps pour se fabriquer des capes, qu’elle a pourtant déjà en quantité.
Prise avant le fait, Clorinthe décide de changer de sujet en répondant à Maya qui lui montre son mimiqui. Aussitôt, ses yeux s’illuminent.

-Oh une mimiqui ! J’en ai un aussi ! C’est la première fois que je vois un autre mimiqui ! Casper, regarde, tu as une amie !

Aussitôt, le lustre se met à se balancer. Casper avait décidé de faire une petite sieste sur le lustre, dans une position aussi inconfortable que le vieux lustre en lui-même. Néanmoins, il se réveilla aussitôt en comprenant les paroles de sa maitresse, et se dirigea aussitôt vers Macha. Casper était bien moins poli et maniéré que les maitres de maison, bien plus jeune également, aussi ne salua-t-il même pas Maya, cherchant directement en la mimiqui une compagne de jeux à qui il pourrait jouer des tours. Ce dont Clorinthe n’allait certainement pas l’empêcher.
En attendant, Clorinte se rassit devant son orgue en entendant la question de Maya, très fière – alors qu’il n’y avait franchement pas de quoi l’être.

-Oui ! Ecoutez ça !

Et voilà que ses petites mains se remettent à taper contre les touches, sans qu’elle ne fasse véritablement d’efforts pour essayer de rendre le son mélodieux. En fait, c’est presque comme si elle faisait exprès de le rendre affreux et tout à fait dysharmonique. Ta fille n’a pas hérité ce côté-là de toi. Si tu as un amour du chaos, de la laideur et de l’art de « l’anormal », Clorinthe a encore une approche trop brute et spontanée de cet art. Toi, tu l’observes et le réfléchis. Elle, elle le vit et fonce dedans. Ce qui est encore normal, à son âge, songes tu.
Une fois sa performance teminée, la brunette se retourna vers sa baby-sitteuse, s’inclinant comme si elle venait de donner un concert.

-Venez jouer aussi !

Et, tu observes le duo encore un moment. Peut être pourras tu partir plus tôt que prévu

 
 
Nul règlement n'est affiché à l'entrée de ton manoir, nulle condition pour y accéder, néanmoins, la règle tacite et évidente est que tout artifice y est proscrit. C'est pourquoi tu avais presque flanché en entendant la suggestion de Maya, tandis que Clorinthe avait affiché des yeux bien ronds. Ce que la jeune idole s'empresse de corriger, à ton grand soulagement. Tu as bien accepté le fait que personne d'autre n'est comme toi, Alceste, mais cela ne veut en aucun cas dire que tu acceptes comment sont les autres. Au sein de ton lugubre manoir, ce sont aux autres de s'adapter, pas l'inverse.

Tu ne remarques pas le regard songeur, et persistant, de Clorinthe lorsque Maya refuse sa suggestion de lui prêter une tenue. Tu ne remarques pas non plus son regard qui se promène sur les rideaux, le tien plutôt concentré sur les Mimiquis qui semblent faire connaissance. C'est une bonne chose, penses-tu. Si la présence d'une autre de ses semblables peut le distraire et calmer ses pulsions aussi chaotiques que sa maitresse, cela pourra te donner un peu de calme et de répit.
Même si, en vérité, ce que tu ne pouvais pas comprendre, c'est que Casper, jaloux de son déguisement demandait à Masha comment confectionner un déguisement qui pourrait être très effrayant...

Du côté des deux filles, Maya s'était mise à la musique, comme lui avait demandé Clorinthe. À ton grand soulagement, ce n'était pas une mélodie de pop qu'elle chantonna, et tu te détendis légèrement. Sans doute avait-elle saisi l'ambiance de la maison, et l'état d'esprit que tu avais inculqué à Clorinthe, et qui était complètement sien désormais.

-J’espère que ce n’était pas trop mal. Je pense que tu as deviné que je préfère chanter.


Clorinthe applaudit après la fin de la prestation. Toute excitée, elle revint vers le siège du piano.

-Oui ! Dans ce cas, on va faire un duo ! Vous au chant, moi à l'orgue !

Et, pressée, voilà qu'elle se met à appuyer sur les touches, trop rapidement. Tu reconnais immédiatement l'air de ta mélodie favorite, la Danse Macabre. Mais les notes sont trop rapides, se confondant presque, transformant le mystère de cette mélodie en un brouhaha de notes se chevauchant les unes sur les autres. Il y a assurément du travail à faire. Mais la leçon est terminée pour aujourd'hui.

"Zig et zig et zag, la mort en cadence
Frappant une tombe avec son talon,
La mort à minuit joue un air de danse,
Zig et zig et zag, sur son violon.

Le vent d'hiver souffle, et la nuit est sombre,
Des gémissements sortent des tilleuls;
Les squelettes blancs vont à travers l'ombre
Courant et sautant sous leurs grands linceuls"

Les grands yeux bleus de Clorinthe fixent alors la baby-sitteuse, l'incitant à poursuivre et à prendre le relais du chant.

C'est, pour toi, le signal que tu attendais. Les deux jeunes filles semblent bien s'entendre, tout comme les deux Mimiquis. Si Clorinthe est ta chère fille, le seul être au monde qui te fait ressentir un peu de sentiments, il n'empêche que tu as besoin de temps pour te concentrer sur ton travail. Et jamais tu n'aurais cru trouver, en cette jeune idole, la personne qui t'aidera à trouver ce temps.
Mais enfin, il faut croire qu'une érudite comme toi peut encore être surprise par l'humain.
Tu te retournes, te dirigeant vers ta salle de travail. Tu comptes sur Maya pour que tout se passe bien, sans trop de dégâts. Enfin, tu l'espères.

 
 
La musique résonnait dans la grande salle, mais le tempo imposé par l'enfant y retirait tout l'effet lugubre et tragique. Ce que Clorinthe n'arrivait décidément pas à corriger. Pire encore : elle s'obstinait dans son erreur.

-Il faut jouer un peu plus lentement si tu veux que je suive ma grande.
-Non non, toi vas plus vite !

Et elle continuait, la petite, jusqu'à ce que Maya ne commence à donner le rythme. D'abord bornée, la petite finit par suivre le tempo, bien que difficilement. Et les notes se succédèrent, l'une correcte, l'autre fausse, suivant pourtant un rythme parfait imposé par l'idole. La funeste mélodie, qui était devenue un peu plus entrainante, se poursuivit donc jusqu'à la fin. Fatiguée de tant de concentration et d'avoir appris un rythme auquel elle n'était pas habituée, Clorinthe souffla.

-Pas mal ! Vous n'êtes pas aussi douée que Mère, mais c'est pas mal !

Évidemment, pour Clorinthe tu étais toujours la plus douée, même si ce n'était pas toujours vrai. Mais tu as beau être une femme sans cœur, antisociale, qui n'aime rien en ce bas monde, Clorinthe est la seule pour qui tu t'es vraiment consacrée.
Elle est ta plus belle et parfaite création, que tu as réussi à modeler selon le modèle que tu avais dessiné. Difficile de savoir si c'est bien là de l'amour maternel ou bien une autre de tes expériences.
Mais revenons au présent. En même temps que les deux filles jouaient, les deux Mimiquis aussi jouaient de leur côté. Et, en voyant Masha gribouiller sur un carnet, Casper eut une illumination. A son tour, il gribouilla sur le carnet, mais quelque chose de plus précis. Un Mimiqui avec une tête de mort, et un corps de fantôme. Fier de son art, il le montra à Masha, avant de se diriger vers Clorinthe. Intriguée, sa maitresse regarda le dessin mal fait, avant de comprendre où le pokémon voulait en venir. Elle arracha la feuille de ses mains, et, à son tour, la montra à la jeune idole.

-Venez, montrez-moi comment faire un déguisement pour Casper !

Évidemment, que Casper avait attendu que tu aies le dos tourné pour proposer l'idée.
Évidemment, qu'ils allaient toucher à tout.
Évidemment, que ça n'allait pas te plaire.

 
 
Evidemment que Clorinthe n’avait pas vu la réaction de Masha. Trop absorbée dans ses propres idées, l’enfant n’allait pas considérer les sentiments d’un pokémon. D’un pokémon en plus.
C’est donc la déception qui se peignit sur son visage en entendant le refus de Maya.

-Je ne sais pas si tu as le droit, et je n’ai pas vraiment tout le matériel à disposition. Et abimer les affaires des autres n’est pas très gentil.

Affichant une petite moue, Clorinthe protesta. Maintenant que tu n’étais plus dans les parages, la petite n’hésitait plus à se montrer insolente.

-Et bien on n’a qu’à dire que ce sont mes affaires à moi ! Comme ça le problème est réglé !

Evidemment que c’était faux, dans tous les cas, cela restait de ta propriété à toi, Alceste. Mais voilà, ceci, Clorinthe s’en moquait. D’autant plus que si elles se mettaient vraiment à coudre avec tes affaires, la personne qui subira les représailles, ce sera Maya. Et ça, malgré son jeune âge, Clorinthe en avait terriblement conscience. Si jeune, et déjà manipulatrice.

Néanmoins, elle fut obligée de prendre conscience de ses actes en voyant la jeune chanteuse prendre sn pokémon dans ses bras, comme pour la calmer. Ne comprenant pas le problème, Clorinthe releva des yeux intrigués vers elle.

-C’est son carnet, et elle n’aime que quelqu’un d’autre fouille dedans. Déchirer son carnet est pire. Il faut donc demander la prochaine fois.

Cette fois, ses yeux bleus s’écarquillèrent.
Car elle ne comprenait pas. Pourquoi s’énerver pour un carnet. Pourquoi s’énerver pour une page déchirée.
Ayant toujours vécu sur un piédestal, ayant toujours appris à prendre les gens et les choses de haut, Clorinthe déchirait et détruisait sans cesse, comme si c’était plus naturel de détruire plutôt que de préserver. S’entêter à garder jalousement un simple bloc de feuilles était, pour elle, incompréhensible.
Vraiment, elle ne comprenait pas la colère de Masha.

-Pourquoi ?

Casper, de son côté, faisait un aller-retour entre Masha et Clorinthe. Dun côté, il était heureux de pouvoir potentiellement se familiariser avec une Mimiqui. Et de l’autre, il savait qu’il appartenait avant tout à Clorinthe.
Et dans le manoir de Nives, les pokémons ont toujours été inférieurs aux maîtres de maison.

-C’est juste du papier ! On se sert du papier pour y coucher des idées, des croquis, mais ensuite tout est dans la tête. C’est normal de le déchirer. C’est drôle, de le déchirer !

C’est drôle.
De détruire. De déchirer. Et de dominer.