Nerveuse.
Si l'on avait demandé à la jeune championne comment elle se sentait, de bon matin, c'était précisément la réponse qu'elle aurait donnée à qui voulait bien l'entendre. Nerveuse.
Aujourd'hui était l'inauguration de son arène – un jour important. Elle avait attendu si longtemps… Affronté toutes les difficultés administratives et financières qu'impliquait la construction d'une arène au fond d'une mine désaffectée et, de fait, la mise aux normes de sécurité publique de ladite mine. Le jour se levait sur une nouvelle page de son histoire – la consécration de toutes ces heures, de toutes ces semaines, de tous ces mois passés à ne faire tourner son monde qu'autour de sa grande obsession.
C'était aujourd'hui qu'enfin, son rang de championne prenait tout son sens.

Et quel sens...
Ce n'était pas n'importe qui qu'elle recevait aujourd'hui.
Et, finalement, plus que l'ouverture de son arène, c'était peut-être ça qui la rendait si nerveuse qu'elle était incapable de rester assise. Elle avait tenté de se concentrer sur la lecture de son roman en cours, mais elle n'y était pas parvenue ; elle avait tenté de corriger le vernis abîmé de ses ongles, et avait fini par simplement le retirer à grands renforts de dissolvant, faute d'une attention dissipée qui finissait toujours par la faire déborder. Elle avait même tenté de regarder la suite d'une série quelconque dont la nouvelle saison était enfin sortie. Rien n'y avait fait : Opale était bien trop nerveuse pour se sortir de la tête son premier affrontement à venir.

Elle avait voulu que tout soit parfait : l'arène rutilante, et elle soigneusement peignée, joliment habillée, légèrement maquillée. À invitée de marque, il fallait que l'hôte le soit aussi.
Résultat des courses : à vouloir trop bien faire, elle s'était finalement mise en retard. Et elle n'avait rien entendu des coups qui avaient tapé à l'entrée de l'arène, ni de la voix qui l'avait sommée de se faire voir. Elle était trop loin – persuadée d'être encore en avance.
Comprenant que sa dresseuse s'était encore laissée avoir par le temps, un petit Météno, jusqu'ici soigneusement blotti dans la roche, profitant du calme de l'arène tant qu'il en était encore temps, avait fini par se décrocher de son nid de pierre pour s'avancer vers l'invitée.

Petit morceau d'étoile enjoué, il avait poussé un cri chaleureux avant de disparaître précipitamment pour s'en aller à la rencontre d'Opale… qui comprit, aussitôt qu'elle le vit, la terrible erreur qu'elle venait de commettre.
Elle abandonna là son élastique qui, finalement, ne retiendrait pas ses cheveux, et ne prit même pas le soin de s'assurer, dans le miroir, que sa jupe n'était pas froissée. Elle descendit les escaliers de pierre taillée qui menaient jusqu'au terrain et, la mine déconfite, pressa le pas en direction de sa challenger.

Mademoiselle Caelum ! Je… Excusez-moi, je suis confuse, j'étais persuadée que… Enfin, pardonnez-moi ! Je voulais que tout soit parfait pour vous, et je crois que j'ai perdu la notion du temps...

Elle avait noué ses mains devant elle, dans un geste malhabile mais qui l'empêchait (un peu) de trembler.
Sans doute n'aurait-elle pas dû être si nerveuse – elle était importante, elle aussi, après tout… Mais c'était différent.

Je crois que je suis un peu anxieuse à l'idée que la première prétendante à mon badge ne soit autre que Lyanora Caelum en personne !

Elle s'était fendue d'un rire hésitant, avant de lui indiquer d'un geste de main bienveillant le terrain de combat dans son dos. Fait de rocailles et de poussière, le plafond était bas et les murs piqués de ça, de là de pierres luisantes qui, de près, semblaient plus précieuses que de loin.
Lyanora Caelum, c'était quelqu'un. Si elle n'ignorait pas les dernières raisons pour lesquelles elle avait entendu son nom – une tragédie aussi malheureuse qu'injuste, aux yeux de l'hopeless romantic que pouvait être Opale –, ce n'était pas ce qui l'avait marquée, chez cette femme qui lui faisait face.
C'était bien Lyanora Caelum qu'elle observait – pas une veuve endeuillée.

Je vous en prie ! Je ne voudrais pas vous faire attendre plus longtemps. J'espère que le trajet dans la mine n'a pas été trop difficile, ni trop austère ? Comme l'arène vient d'ouvrir, je sais qu'il reste encore des choses à améliorer...

À la suite d'un sourire confus, à petits pas dansants, elle s'en était allée rejoindre l'autre extrémité du terrain – celle qui lui était destinée.

Votre premier adversaire sera mon compagnon Tyranocif ! lança-t-elle en libérant la créature de sa Pokéball, tandis que son petit Météno venait flotter aux côtés de sa dresseuse pour veiller sur le combat. Il sera le premier des quatre de mes Pokémons qu'il vous faudra vaincre afin de remporter le Badge Cristal. Faisons toutes les deux de notre mieux ! Tyra, dis bonjour !

Le Pokémon avait poussé un cri, invitant son adversaire au combat.
Du même coup, la poussière sur le sol s'était élevée en dansant, virevoltant, tourbillonnant autour d'eux – tempête impitoyable qui, déjà, donnait le ton.

Agitant les mains face à elle dans un geste nerveux, Opale se serait volontiers excusée de l'anxiété dont elle débordait. Sociable, avenante et chaleureuse, elle était pourtant timide – introvertie qui se plaisait mieux à lire dans un fauteuil, pluie battante contre les carreaux de sa fenêtre, qu'à évoluer dans des endroits bondés où l'attention serait essentiellement portée sur elle. C'était pourtant à ce genre de vie qu'elle s'était soumise, parce qu'elle s'était persuadée que, par passion, on pouvait déplacer des montagnes – et supporter quelques sociabilités supplémentaires. Son rêve s'était concrétisé, et elle ne regrettait rien – elle réalisait seulement tout juste à quel point ç'allait parfois s'avérer compliqué, lorsqu'il lui faudrait affronter des gens importants, des célébrités ou d'autres champions. Elle qui n'était, tout compte fait, personne, sinon une championne qui s'était installée sur un trône inoccupée. Lumiris était une région jeune et en mouvement perpétuel ; elle estimait presque n'avoir eu que de la chance en atteignant ce poste sans accroc dans la hiérarchie de la région.

Ah…! Plus important, je ne sais pas ! Différent, pour sûr… Mais c'est une bonne chose ! Je crois qu'à notre manière, on vend toutes les deux du rêve aux gens… Et je trouve que c'est magnifique ! Elle s'était fendue d'un rire cristallin, puis le combat s'était engagé. Premières volées de poussière qui n'avaient pas tarder à obscurcir l'arène déjà mal éclairée (elle n'avait pas encore reçu tous les luminaires qu'elle avait commandé – elle se fit d'ailleurs brièvement la réflexion que la livraison commençait à tarder, et qu'elle aurait tôt fait les relancer, une fois cet affrontement terminé). Enchantée, Bégum ! Sois tendre avec mon petit Tyra ! Je sais qu'il n'en a pas l'air, vu comme ça, mais c'est un grand sensible… Et Breloom, à son plus grand dam, n'aurait probablement, du fait de son double-type, aucune difficulté à venir à bout de son ténébreux Tyranitar.

Et la tendre litanie de l'amour, déjà, s'était mise à trembler jusque dans les murs. Les poussières avaient volé en grandes gerbes aveuglantes, dissimulant l'affrontement féroce qui se jouait à quelques pas des deux dresseuses. Opale eut beau plisser les yeux, elle n'aperçut rien…
Pas même son petit Minior qui, profitant de la confusion, quitta son chevet pour s'en aller se fondre dans la tempête, sans qu'elle ne puisse rien faire pour l'en empêcher – elle le croyait toujours si bien perché au dessus d'elle qu'elle ne jugea même pas bon de s'assurer de sa présence.
Quant aux lunettes de protection…
Opale y songerait sérieusement.

Attendant que la rage du premier assaut cesse et que la vue se dégage, la championne reporta son attention sur son adversaire. Prise au dépourvu par ses questions, elle vint torturer une mèche de ses cheveux, faisant danser les reflets étranges sous les néons de l'arène. Eh bien… Je viens d'ici ! Je suis née à Lumiris. Mes parents ont beaucoup voyagé, et tous les deux ont une immense collection de badges ! Dès qu'on s'installait dans une ville, ils allaient affronter son champion avant même d'avoir déballé le moindre carton ! Alors, en grandissant, j'ai commencé à faire pareil… Comme on déménageait beaucoup, je changeais tout le temps d'entourage, d'amis, d'école et d'horizon… Finalement, le seul point fixe, c'était mon équipe, ma passion, et les arènes ! Avoir la mienne, c'était un peu un retour aux sources... Son visage était illuminé d'un immense sourire, et ses prunelles luisaient d'une passion qu'elle n'avait à envier à personne. Je crois que dans la vie d'un dresseur, tôt ou tard, et souvent aux premières lueurs du jour après des nuits sombres… Les combats, les arènes s'imposent comme une façon de se mesurer à supposément plus fort que soi, mais surtout à qui on était autrefois. Brusquement mal à l'aise, elle détourna le regard, embarrassée. Je… Pardonnez-moi, je parle beaucoup ! À vrai dire, je pourrais disserter sur le sujet pendant des heures…

Enfin, la poussière était retombée.
Tout juste assez, du moins, pour que le spectacle offert par leurs Pokémon soit discernable.
Il fallut toutefois quelques secondes à la championne pour saisir toute l'étendue des dégâts. Au sol, son valeureux guerrier ne se relèverait pas. Opale tiqua, mais se résigna. À l'instant où elle rappelait son Pokémon, toutefois, elle remarqua enfin la petite silhouette qui flottait dans les airs, de son côté du terrain. Comme pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas, elle chercha au dessus d'elle la présence son Minior. Volatilisée.
À quel moment avait-il rejoint le combat ?
Plein de poussière, la carapace abîmée, il semblait avoir encaissé des dégâts. S'était-il interposé entre le deuxième assaut du Breloom et son compagnon d'armes ? C'était là l'explication la plus plausible qui s'imposait à l'esprit de l'adolescente.
Ah… Bon ! Ben, félicitations pour cette première victoire ! Mais cette fois, c'est à nous ! Minior sera donc votre deuxième adversaire.

Opale s'autorisa cependant quelques instants de réflexion. Elle n'était pas sans ignorer que Miss Lumiris s'était spécialisée dans les créatures de type Plante. Il ne serait donc pas étonnant qu'elle ait, à sa disposition, un Pokémon possédant également un type susceptible de mettre son petit Minior en déroute. Elle n'aurait donc pas bien longtemps pour agir… Il fallait donc frapper fort.
Minior ! Fais-lui une démonstration de ta jolie danse ! Et puis prépare-nous pour la suite !
Poussant un cri enjoué, la petite étoile avait pris de la hauteur, virevoltant en tous sens, tourbillonnant de pars et d'autres dans l'espoir de désorienter le Breloom, qu'elle assaillirait à la première faille qu'elle remarquerait dans sa défense.
Ensuite, viendrait le tour du repli – et, guidés par la puissance psychique du Pokémon, les grains de sable, poussières et autres rocailles infimes seraient érigées en barrière malléable, dont le seul et unique but serait de rendre suffisamment difficile la traversée des capacités spéciales pour qu'elles perdent en puissance contre ce mur fragile.
Il fallait qu'elle tienne bon.

Mais, pour le moment, l'astre cherchait encore à percer la défense vive du Breloom, et Opale observait son ballet menaçant d'un œil approbateur. Parlons de vous, si vous le permettez ! lança-t-elle cependant à la challenger en lice pour son badge. Qu'êtes-vous venue chercher ici ? Nous nous affrontons à quatre Pokémon aujourd'hui, ce qui doit signifier que mon badge serait le troisième que vous décrocheriez. Pourquoi cette course aux victoires ?

Le couronnement de Miss Lumiris, Opale s'en souvenait précisément. Elle n'était pas encore rentrée sur la région – elle avait regardé la retransmission en direction sur son téléphone portable le long d'un interminable trajet en train. Les concurrentes étaient belles et charismatiques ; elles se concurrençaient pour un titre qui n'intéressait pas la championne et, pourtant, elle les avait admirées avec des yeux d'enfant rêveuse. C'était ce que représentait Miss Lumiris, à ses yeux : un rêve simple, qui donnait à toutes les jeunes filles l'audace de croire qu'elles pouvaient briller. Il ne s'agissait pas que d'être belle, bien maquillée et souriante, ni même d'être talentueuse – quand bien même la plupart ne manquait pas non plus de ces quelques qualités –, il s'agissait avant tout de porter quelque chose, un message, un espoir quelconque.
Aux yeux d'Opale, celles qui étaient championnes avant de prétendre à la couronne ne faisaient pas de bonnes égéries – il fallait qu'il s'agisse d'une jeune femme du peuple qui n'avait encore pas accompli ce qui s'apparenterait à des réussites personnelles. Il fallait qu'on s'identifie à celle qui remportait ce titre ; il fallait qu'on soit personne et qu'on puisse prétendre lui ressembler.
Une championne… Une championne, ça disposait déjà de trop : ça avait la réputation, la gloire, la force, le talent ; on voyait en elles des stratèges qui avaient nécessairement une ou deux longueurs d'avance sur toutes les autres. Une championne qui remportait un trophée supplémentaire, ça n'attisait les rêves de personne.

Un sourire tendre s'était étiré sur les lèvres d'Opale quand les mots de Lyanora avaient trébuché. Elle n'avait pas prononcé le moindre mot, de crainte de brusquer la fiancée dans les retranchements de sa perte éprouvante. Son cœur compatissait ; son âme toute entière lui souhaitait d'avancer, d'une façon ou d'une autre. Qu'on retrouve son prince évanoui ou qu'il faille continuer sans lui.
Forte de sa volonté, Lyanora se tenait devant elle et, au nom de cette simple rage de vivre et d'exister, Opale ne pouvait que s'incliner. Elle n'avait pas abandonné sa vie. Elle continuait, coûte que coûte et vaille que vaille.
Qu'importait l'issue de ce combat – la jeune championne s'était déjà persuadée que son adversaire irait loin. Si loin que l'éclat vif de ses prunelles saurait la porter.

Hayato sera ravi, je crois. J'entends dire depuis quelques mois qu'il lui tarde qu'on vienne l'affronter pour le défaire de cette arène qu'il occupe depuis longtemps. Il prétendait avoir fait son temps, et ses yeux luisaient d'une étincelle enjouée à l'idée que la relève, un jour, viendrait prétendre à son trône et le lui dérober. Celui qui le ferait tomber, pour sûr, l'aurait mérité. C'était un des modèles d'Opale – elle lui enviait la sévérité douce et le sang-froid placide qu'on lui vantait. Elle qui était si nerveuse, elle qui était si maladroite…

Le nom de Lise Gray avait résonné dans l'arène, et la championne, surprise, avait lentement acquiescé. Ces idéaux-là, elle les comprenait. C'était ce qui lui plaisait, dans la voie qu'elle avait elle-même choisie : d'être proche de ces dresseurs qui entamaient tout juste le parcours qu'elle avait accompli. Elle avait l'espoir que jamais personne qui entrerait dans son arène n'en ressortirait sans le sentiment d'en avoir tiré quelque chose d'utile pour la suite de son trajet.
Jusqu'au jour où c'était elle qu'on viendrait détrôner.
Je comprends… Et je trouve vos intentions louables. Je crois que c'est pour ça que vous étiez ma favorite, lors du concours de Miss Lumiris. Vous avez marché dans les pas de vos parents, profité d'une célébrité dont vous n'étiez pas responsable sans jamais perdre de vue ceux qui vous entouraient, ni votre humilité. Elle s'était fendue d'un rire gêné, glissant une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Je ne regrette pas que vous ayez gagné ! Je crois que vous ferez de grandes choses, et j'ai hâte de vous retrouver au sommet !

L'affrontement entre les Pokémon sur le terrain, lui, avait quelque peu dérapé. Le nez froncé, la moue sceptique, Opale avait constaté l'intervention d'une Ludicolo qui n'avait été invitée. Sans un mot, balayant d'un revers de main les craintes de disqualification d'une Lyanora inquiète, elle avait haussé les épaules et redessiné un sourire sur ses lèvres. Je crois que, parfois, nos Pokémon savent mieux que nous-mêmes ce qu'il vaut mieux faire face à une situation difficile. Faites-leur confiance.
Et quelle confiance...

Le froid s'était installé par vagues glaciales dans la mine, arrachant des frissons désagréables à une jeune championne qui n'avait pas prévu de telle chute dans les températures. Il faisait toujours chaud, à l'intérieur de la mine, étonnamment, malgré les hauteurs. Elle n'avait jamais, jusqu'ici, éprouvé le besoin de se couvrir… et regrettait amèrement de ne pas disposer d'un manteau à portée de main.
Elle pris mentalement note que ce serait un détail auquel il lui faudrait penser, à l'avenir, et puis redirigea toute son attention sur le combat. Minior, lanc... Minior ? Son petit Pokémon, tremblotant, semblait souffrir du froid plus que de mesure – et plus qu'elle-même aussi. Tout doucement, il s'était laissé tomber sur le sol, et Opale avait manqué le perdre de vue dans la tempête de sable. Minior ! Allez, mon beau, montre-lui de quel bois tu te chauffes ! Tu vas quand même pas laisser un petit rhume t'arrêter, hein ?! Une petite plainte s'était élevée, venue du milieu de la tempête, et Opale avait compris son étrange manège.
Il cherchait donc à se réchauffer contre la pierre chaude du sol de la mine…?
Ok, ok… Minior, si tu le peux, lance Demi-Tour ! Opale s'était saisie de deux Pokéballs – dans sa main gauche, le refuge où viendrait bientôt (elle l'espérait) se loger son Minior frigorifié ; dans la droite, le prochain adversaire qui serait libéré par la passation de relais.

Elle n'entendit rien d'autre qu'un cri, qu'elle reconnut comme étant celui de son petit Poké-étoile, puis un fracas, avant que le faisceau rougeoyant de la Pokéball ne l'avale et que la seconde ne libère un imposant amas de pierres sombres qui semblait faire trembler le sol dès qu'il bougeait la moindre patte. Gigalith ! Désolée, je t'ai appelée plus tôt que prévu ! La rocaille ambulante fit d'un coup d'œil l'état des lieux de la situation – profitant d'une vision sur le terrain qu'Opale n'avait pas, au milieu de la tempête ; elle ignorait même tout de l'état du Pokémon de sa challenger –, et témoigna d'un crissement de roches venu d'on ne sait trop où qu'elle était prête à combattre.
Très bien… Tu sais ce qu'il te reste à faire, ma belle ! Et les roches éparpillées de la mine s'étaient soulevées, amassées en un bloc mal taillé qui rendait les bords tranchants, menaçants et, brusquement, s'étaient écroulées sur le terrain, soulevant un nuage de poussière qui n'arrangea rien à la visibilité réduite de la championne sur l'affrontement…

Excusez-moi pour la poussière ! lança-t-elle, véritablement confuse, à l'attention de son adversaire. Vous savez, je vous admire sincèrement… poursuivit-elle, d'une voix plus basse qui parvenait à peine à couvrir le vacarme de la tempête. Le monde entier voudrait vous voir triste à en mourir, toute vêtue de noir et votre carrière tragiquement terminée… Et pourtant vous êtes là, face à moi, pleine de force et déterminée… Son rire, tremblant, trahissait l'émotion qui pesait sur ses mots. Vous êtes véritablement magnifique !
Et je crois en vous pour montrer comme votre âme est belle à ce monde qui voudrait se repaître de vous voir tomber.

Opale n'avait pas compris. Victime des orages, dommage collatéral des tourments, elle était restée muette de stupeur. Sonnée, confuse et déconfite, elle n'avait pas saisi – à quel moment ses mots avaient-ils été si mal compris ; à quel instant avait-elle prononcé celui de trop ? Une grenade venait de lui éclater entre les mains, et son cœur, en même temps, avait implosé. Blessée d'avoir blessé ; elle avait serré les poings et baissé la tête pour dissimuler à son interlocutrice les larmes qui étaient venues voiler ses yeux mais qu'elle s'acharnait à ne pas laisser couler.
Quelle championne serait-elle, si elle cédait maintenant ?

Elle ne se sentait pourtant plus capable, dès l'instant où Lyanora avait accusé le monde, les yeux d'Opale s'étaient comme vidés de leur combativité d'acier. Qu'importe le type dont elle était maîtresse, elle n'avait pas cœur de pierre ; le sien était fragile, et elle avait en horreur les blessures injustes. Elle ne comprenait pas… Elle qui n'était pourtant qu'admiration sans faille, bienveillance sans accroc… Ce n'est pas… ce que j'ai voulu dire. Elle avait presque murmuré, la voix tremblante de sanglots qu'elle ne laissait pas éclater.
Elle n'avait pas le droit de flancher.
Mais ce n'était pas ce qu'elle avait voulu en devenant championne. Elle ignorait… Si c'était un de ces instants qu'on aurait pu qualifier de mal pour un bien mais, si c'était ça, alors elle n'en voulait pas.

Opale n'avait relevé les yeux que lorsque la terre avait tremblé. Elle n'avait même pas vu son adversaire précédent tomber. La vue trouble, elle vit à peine son Gigalithe qui vacillait, bousculé par les brèches qui s'ouvraient dans le sol de la mine. Au dessus d'elles, les tremblements avaient fait tomber des poussières et des gravillons qui étaient venus s'échouer sur le terrain. Sans volonté brûlante, elle leva la main et rappela sans un mot son Pokémon dans sa Pokéball, avant qu'il ne subisse plus de dégâts. Le prochain qu'elle enverrait serait le dernier qu'elle aurait le droit de faire entrer sur le terrain…
Son choix s'était rapidement conclu : la dernière Pokéball lancée s'ouvrit sur un Grolem d'Alola à l'air bien plus paisible que sa dresseuse. C'était lui… Le dernier qu'elle choisissait. Ne restait plus que lui, et ses deux Pokémon mal en point rappelés aux profits d'autres qui finissaient toujours par encaisser plus de dégâts qu'ils n'étaient capables d'en supporter.
C'était facile, pour Lyanora Caelum, de l'emporter.
Il n'y avait aucun challenge, pour elle, arrivée déjà si sûre de sa victoire ; plus lâche que courageuse… Avait-elle jamais affronté Capucine Alambra ? Avait-elle jamais mis les pieds dans l'arène d'Aedan, de Zéphyr ou d'Arsen ? Avait-elle jamais défié Yokoss Tominsenshin ? Ou bien s'était-elle contentée de facilités, à l'image de l'arène de Lise Grey ?

À rage injuste qu'elle subissait, l'amertume d'Opale grandissait. Odieuse et déloyale. C'était donc ça, Miss Lumiris ?
Mais Opale avait relevé la tête, relevé les yeux, et s'était confrontée à l'image de cette icone qu'elle admirait de loin, depuis longtemps. Ses idées s'étaient un rien radoucies, à mesure que la colère refluait, bien que la rancœur demeurait d'avoir payé au nom d'êtres abjects qu'elle n'était pas. Sans doute Lyanora avait-elle ses raisons – c'était quelque chose que la jeune femme avait appris. Que les émotions qui débordaient se déversaient toujours pour une bonne raison ; que l'humain était faillible et qu'un rien suffisait à briser les murs qu'on construisait pour se protéger…
Elle inspira, profondément. Elle avait le droit d'en vouloir à son adversaire de l'avoir heurtée ; mais elle n'avait pas celui de lui en vouloir d'avoir été affectée aussi. Elle ne pouvait exiger des autres la mansuétude qu'elle n'accordait pas.
C'était une image. Une façon de parler. Vous qui côtoyez désormais les journalistes et les paparazzis, n'avez-vous jamais lu ce qu'on raconte parfois sur les célébrités à qui il arrive malheur ou qui ont l'audace de faire erreur, au nom de leur humanité dont on tente de les dépouiller ? Même s'ils ne vous souhaitent pas la chute, ils s'y attendent… Parce qu'ils n'ont pas assez confiance en ceux qui s'écroulent pour se relever. Elle, n'avait jamais connu ça. Elle était une anonyme, seulement récemment devenue championne. Elle n'était personne et l'on n'attendait rien d'elle.

Miss Lumiris, elle… Était un symbole qu'on voulait de perfection. Lisse, sans mauvais rebord coupant qu'on se serait acharné à limer pour qu'il n'en reste plus aucune aspérité. Faites-les taire. avait-elle tonné, montrez-leur que vous êtes humaine et que c'est ce qui vous rend si belle. Ils n'auront jamais raison tant que vous aurez cette rage... Même si elle était vaine, même si elle était déchirante.
J'espère qu'il vous reviendra, avait-elle pensé mais sans le formuler. Elle ne voulait pas entamer plus profondément un cœur déjà à l'asphyxie.

Camarade ! Rallumez donc les braises de ce combat. Son Grolem, qui avait patienté jusque là, s'agita d'un rien, et les flammes se mirent à danser – tourbillon infernal qui s'élançait droit en direction de l'ennemi pour exploser dans une gerbe de cendres rougeoyantes.
Sa voix tremblait toujours – malhabile et incertaine –, mais Opale avait décidé qu'elle non plus, ne se tairait pas. Elle ne laisserait pas leurs maladresses entamer ce qu'elle était : une combattante acharnée, ambitieuse et volontaire, qui avait consacré tant d'années à son Grand Projet qui, aujourd'hui, prenait enfin forme entre ses doigts.
Quitte à tomber, ce serait avec panache et sans pleurer.