Démarrage sur les chapeaux de roues... ou presque.

Les mois défilaient à toute allure, particulièrement en hiver. J’avais souvent tendance à m’enterrer sous le travail pour éviter de penser à la température qui ne plaisait que trop peu. Mes journées étaient longues, occupées, mouvementées, j’enchaînais les 14h de boulot par jour sans trop y penser. J’étais efficace, c’était ce que je voulais.
J’fais pas partie des paresseux, moi. J’ai pas envie qu’on pense me payer à ne rien faire.

Mais quelque chose que je n’ai sans doute jamais appris de mon passé, c’est que le dur travail a aussi un prix. On ne peut pas toujours gagner, encore moins avec une santé comme la mienne. Mais ça va, car jusqu’à présent, la journée s’annonçait relativement bien. Février achevait doucement, et la météo se faisait définitivement plus clémente sans encore frôler la canicule. Juste assez pour que nous, les mécaniciens, soyons confortables dans le garage.

« Hé, Poppy ? T’as deux minutes pour prendre une urgence ? »

Je fronçais les sourcils à ce surnom qu’on m’avait donné alors que je roulais de sous la voiture que j’étais en train de retaper.

« Appelle-moi encore Poppy et j’te prive de ton privilège de rotules, Matthew. Répète après moi : Sodapop. Pas ‘Poppy’, ‘Poppers’, ‘Pops’, ‘Soda’ ou whatever de plus original qui te vient en tête. Got it ? »

Un regard noir que je compris qu’il m’avait compris. Matthew, c’était le petit dernier arrivé au garage, et il essayait un peu trop de faire ami-ami avec moi. Mais bon, je ne pouvais pas le blâmer, j’imagine qu’il n’avait pas encore eu les bribes de mes autres collègues; je dessinais la ligne assez épaisse entre collègues et amis. Pas grand monde n’avait encore franchie la ligne… Encore moins la ligne entre étrangers et amis. Bonne chance à lui, il était mal parti dans tous les cas.
J’arquais un sourcil que je lui donnais une chance de poser correctement sa question. Ça lui avait pris un moment avant de comprendre, mais il avait finalement cédé.

« Euh… Sodapop, t’as deux minutes pour prendre une urgence ? »

« Elle est vraiment urgente, ton urgence ? »

J’avais vu son malaise alors qu’il avait déglutit en hochant un peu la tête. Je roulais les yeux que je me tirais de sous la voiture, laissant ce projet sur attente; mon client allait devoir attendre. Et je suivais Matthew, qui me guidait comme un animal effrayé vers sa station de travail. Aujourd’hui, c’était juste lui et moi au garage, les avantages de travailler un dimanche; je pensais pouvoir me concentrer sur la grosse job de mon client. Mais non. Matthew devait en prendre une dont il n’était pas capable.

« Tu t’y connais avec les bécanes ? »

« Duh. »

Génie mécanique, t’avais oublié, Matt ?
Bon… Peut-être pas à ce point là. Mais disons que j’avais eu mon lot d’expériences grâce à mon stage. Mais visiblement, mon collègue avait besoin d’un peu de formation. Je me penchais pour regarder que je plissais le nez.

« Sheesh… C’est pas joli tout de suite, ça. »

Entre les agressives marques de crocs qui venaient percer le métal, et surtout les pneus, ça m’étonnait que cette personne se soit rendue jusqu’ici, c’était sacrément risqué. Je soupirais en me massant entre les yeux.

« Déjà, vérifie au moins que le réservoir d’essence ne soit pas percé et ne coule pas, histoire qu’on évite de se transformer en torche humaine. »

Vraiment ? Il fallait vraiment que je lui montre comment faire ? Je pensais que je travaillais dans un garage, pas dans une garderie, j’ai pas le temps de le tenir par la main et lui montrer comment retaper une bécane.

Déjà que j’ai la dalle. Pourtant, j’ai mangé la moitié d’une clémentine, il y a près de six heures, c’était censé me tenir.
Je regardais Matthew que je soupirais lourdement.

« Il va te falloir des pièces de remplacement si tu veux la retaper. Par chances, le réservoir semble intact, mais les pneus et certaines parties de la boîte à vitesses ont été endommagés, c’est pas récupérable, mec. T’as dit quoi au client ? »

« Que ça me prendrait pas trop de temps. »

Il est con ou il est con ?

« Oh, oui, ça m’aurait pas pris de temps, si on les avait les pièces, Matthew. »

« Ah ? »

« On est dimanche. »

« …Ah. »

Il est vraiment con. Je me relevais de sa station de travail que je me dirigeais vers l’office, en reposant ma guenille dans la poche arrière de mon jumpsuit.

« Laisse, j’vais lui parler. »

Bon, au moins je serais un peu plus honnête que mon imbécile de collègue qui n’avait visiblement pas vu les dégâts avant d’analyser sa marge de travail. En plus de ne pas savoir retaper une moto, et puis quoi encore…
Je mettais un pied dans l’office que je réalisais que je m’étais peut-être relevé un peu trop vite. J’étais au pris d’une horrible nausée soudaine, ainsi que d’une bouffée de chaleur, que je préférais ignorer toutes deux alors que je me dirigeais vers cette femme qui attendait impatiemment un retour de la part de mon collègue. Bon, allez, je prenais ma voix de service à la clientèle.

« Bonjour ! C’est pour la moto, c’est bien ça ? »

J’avais vraiment mal au cœur, j’avais du mal à garder mon focus.

« Pardonnez-nous pour l’attente. Mon collègue est assez nouveau avec la mécanique, et notre système de travail. »

Je sentais mon teint devenir pâle, et ma vision se floutait autour de mon focus, qui était cette jeune dame. J’étais pris.e de violents vertiges, que j’essayais si fort d’ignorer.

« Malheureusement, nous… »

Ça tourne. Je vais gerber.

« …nous n’avons… »

Merde.

« …je dois m’asseoir. »

C’était les derniers mots que j’avais dit avant que tout ne devienne noir, parce que je m’étais senti.e tomber contre le sol de céramique qui nous soutenais.
Peut-être que j’aurais dû manger une orange complète.