Imaginez une grande village ensoleillée sur un bord de plage, non loin de Refilac-Le-Haut, où une bienheureuse famille prospère depuis des décennies dans la production de jus de fruits, possédant plusieurs vergers légèrement écartés des routes. Une famille a priori sans histoire que l'on connait pour sa chaleur, ses sourires et son bon sens des affaires. Et il est vrai que même si Richard s'est enfuie de chez elle et a décidé de couper les ponts avec eux, elle ne les déteste pas et n'est pas médisante à leur sujet.

Du point de vue de Richard, c'est la faute à pas de chance si sa relation avec sa famille est aussi compliquée. Son près voulait absolument un garçon, lui qui a passé sa vie entouré de femmes, n'ayant pas eu la chance de connaître ni son père ni son grand-père et n'ayant ni frère ni cousin. On lui avait annoncé un garçon, d'ailleurs, et tout avait été arrangé pour. Les annonces, les vêtements, le prénom même, tout avait été choisi ; jusqu'à ce qu'on annonce quelques courtes semaines avant la naissance qu'il y avait eu erreur et qu'il s'agissait d'une fille.

Déception, mépris, incompréhension ; ce petit garçon tant attendu était une fille qui allait prétendre être ce qu'elle n'était pas, pour soulager la douleur d'un père qui ne pesait pas encore à l'époque la portée de ses propres actes. Richard n'était pas une petite fille, Richard était un petit garçon aux traits fins, aux cheveux courts, le regard froid et peu expressifs. Un garçonnet bien sage et docile, obéissant sagement à son père et sa mère qui, même si inconfortable, ne jugeait pas nécessaire d'intervenir pour s'éviter les foudres du paternel.

On aimait beaucoup Richard car il n'était pas très sauvage et bien élevé, faisant la fierté de son père qui lui réservait de plus un pokémon très fort. Puis il y eut un autre enfant qui arrivait. Une petite fille. Cinq ans d'écart, mais tout un monde qui les séparait. Ludivine était libre d'agir, de courir, de rire et de porter les vêtements qu'elle voulait, passant le plus clair de son temps avec sa mère et obtint même un pokémon à l'âge de ses dix ans, un toudoudou adorable ; Richard regardait du coin de l'oeil, se demandant pourquoi leurs vies semblaient si différentes.

Mais, vous le savez, les supercheries et mensonges finissent toujours par s'effondrer. L'adolescence fit son oeuvre et ne fut guère peu généreuse envers Richard dont les formes féminines se démarquaient de plus en plus à chaque moins. Ce fut à cette période qu'elle ne su s'expliquer la violence verbale dont son père fit preuve, ne comprenant pas en quoi son corps était un problème et pourquoi elle se devait se cacher ce que sa soeur pouvait tout à fait afficher. Sans support ni explication, n'ayant encore moins les moyens de se défendre, Richard obtempéra. Privée de pokémon par son père, elle ne put qu'observer, envier, sans jamais quémander, n'osant défier les ordres de celui qui la contrôlait.

Jusqu'à la prise de conscience fatidique de sa condition lorsque Ludivine fut autorisée à partir sur Lumiris lorsqu'elle eu dix-huit ans, tandis que Richard se devait de rester cloîtrée au domicile, assistant son père. Cacher son identité de genre, cacher qui elle était, prisonnière d'une vie injuste et qu'elle avait subit trop longtemps. Des disputes, des clash, des joutes verbales avec son père ; longtemps Richard chercha à s'interposer sans ruiner ses propres efforts. Elle ne voulait pas sacrifier tout ce pour quoi elle avait souffert, doutant continuellement de ses propres capacités et de sa lucidité. L'absence de sa soeur renforça son sentiment de solitude, perdant progressivement la force de se défendre. Réduite à être juste le pantin d'un homme complexé par sa propre vie.

Ce fut l'arrivée de Nuit qui bouleversa la vie de Richard, deux ans auparavant. Une jeune medhyena trouvée non loin des jardins, blessée et gémissante, cachée sous un buisson. Une petite chose craintive que Richard n'osait toucher au départ de peur de la blesser. Elle lui parla longtemps, cherchant à l'apaiser avec les mots, se risquant progressivement à avancer une main.  Le pokémon initia le contact ; un bout de truffe chaude et un souffle difficile sur cette paume de main hésistante. Aujourd'hui encore, Richard ne saurait se l'expliquer, mais les larmes qui coulèrent sur ses joues cet après-midi là furent une libération. La medhyena dans les bras, Richard avait quitté précipitamment la demeure pour se rendre au centre pokémon le plus proche.

La cohabitation fut difficile au départ ; des pieds de chaises mordus, des grognements intempestifs, une activité nocturne à laquelle Richard n'était guère habituée. De l'inquiétude qui devint du rire. Des angoisses qui devinrent des jeux.
Et un soir, Nuit dans les bras, regardant son armoire, Richard eut une illumination.

Le soir même, elle se présentait à toute sa famille et leurs invités dans une robe scintillante au décoleté osé, rose aux joues et talons fins ─ ainsi qu'une démarche maladroite. Richard disparu, elle était Rebecca. Le choc général fut tout aussi grand que la colère du paternel ; paternel rapidement agressé par une medhyena bien furax d'entendre de l'agressivité envers celle qui l'avait sauvée. Le soir même, "Rebecca" fuyait sa demeure avec son unique alliée, volant pokédollars et une pokéball pour Nuit. En riant.

Elle avait osé, elle l'avait fait ; enfin elle avait agit contre son père et offensé tout ce pour quoi il l'avait manipulée. Ce soir là, les jappements et rires furent de mise, "Rebecca" criant avec Nuit sur le bord de plage, relâchant toute la pression, courant dans le sable et jouant dans l'eau. Un goût de liberté qui avait rendu le levé de soleil des plus magnifiques. Nuit blottie contre elle, "Rebecca" lui promit devant l'astre brûlant qu'elle ne l'abandonnerait jamais et qu'elles prendraient soin l'une de l'autre quoiqu'il arrive.

De serveuse à vendeuse de prêt-à-porter, en passant par guichetière et agent d'entretien, "Rebecca" parvint progressivement à quitter l'emprise familiale et se découvrir, gagnant sa vie à la sueur de son front. Sa vie prenant une toute nouvelle direction, elle expérimenta, osa, apprit et questionna beaucoup. Nuit toujours à ses côtés, "Rebecca" grandit. Il lui fallut ces deux longues années de silence, loin de sa famille, réfugiée à Illumis pour un temps. Cependant, elle ne trouva pas la paix au travers de ces années, n'étant pas à l'aise avec l'idée de détester par principe ceux qui lui ont donné la vie.

Elle a vingt-cinq ans lorsqu'elle se décide à rentrer chez elle pour découvrir le carnage laissé après son absence.

Une famille ruinée ne possédant plus cette belle villa, revendue à un vieux couple la redirigeant vers un appartement de bien moindre qualité. Richard y trouva un père alcoolique et dépressif, utilisant l'apparition de sa fille comme d'un moyen de vider toute sa rage. Il l'accusa d'être la cause de ses malheurs, d'être sa ruine et sa plus grande déception, que jamais il n'aurait dû placer autant d'espoir en elle, et tout un tas d'autres choses qui aujourd'hui encore fissurent la confiance qu'elle a en elle-même.

Richard apprend également que Ludivine est portée disparue depuis les attaques sur Lumiris, que nul n'a eu de nouvelle et ne sait où elle se trouve. Son père marmonne qu'il n'a plus d'enfant en vie à ses yeux avant de s'éloigner, tandis que sa mère lui annonce que sa soeur est probablement décédée, défaitiste, mais Richard n'est pas convaincue. Alors elle cherche, elle enquête, voulant connaître la vérité. Les souvenirs de cette petite soeur souriante et pleine de vie, que tout le monde aimait et regardait partout où elle allait, ne pouvaient pas être les derniers qu'elle ait d'elle.

Lumiris. Prochaine destination, espérant trouver des réponses sur sa soeur qu'elle ne connait que si peu, finalement. Car si une personne peut souder à nouveau cette famille, c'est bien Ludivine.