Réveillé aux aurores une fois de plus, Mark avait finit par abandonner à jamais l’idée de passer une nuit complète de sommeil. La lassitude de son quotidien était telle qu’il n’hurlait même plus de colère dans ces moments, à peine poussait-il un soupir de désespoir. Fidèle à ces nouvelles habitudes, il sortit du lit sans allumer la lumière, avala le premier truc comestible dans son frigo, se lava et fut prêt pour aller régler le problème. Certains pokémons réclamaient leurs croquettes dès 5h du matin. Manson avait était trop gentil avec eux, et maintenant ce bon à rien de Mark se tuait à la tâche en essayant de suivre son rythme.

Ainsi comme chaque matin, il fallut : nourrir les pokémons levés – sachant que Mark se trompait toujours de croquette à un moment – nettoyer ceux qui étaient sales, balayer les saletés, promener ceux qui étaient agités. Ce processus devait être répété par tranches de deux heures, jusqu’à ce que plus personne ne dorme. Tout cela était affreusement long, trop peu gratifiant et terriblement épuisant. Pour Mark, ce fut comme si du jour au lendemain il avait eu des enfants. Une bonne trentaine de mioches, tous plus différents et imprévisibles les uns que les autres.  

Quand il trouva un moment de libre pour regarder son portable, le pauvre faillit défaillir. Déjà douze heure, et toujours pas le moindre signe du garde de pokémons de compagnie avec lequel il avait prit rendez-vous. Dans l’urgence, Mark dut vite rappeler l’agence pour en trouver un autre de disponible ; soit ça, soit il laissait Mélody partir toute seule, ce qui le faisait affreusement chier sachant le prix du ticket de bateau.

« Je m’en fous de vos excuses, personne s’est présenté chez moi et j’ai un départ en vacances prévus dans moins de deux heures ! Non non non, vous me faites pas attendre c’est mort, passez-moi quelqu’un de plus compétent. Tout ça c’est de votre faute, il était censé être là à onze heures. Envoyez-moi quelqu’un d’autre, S’IL-VOUS-PLAIT. »

Une heure plus tard, une remplaçante censée être en jour de repos arrivait en urgence chez lui à dos de Rapasdepic. Une femme dans la vingtaine, à peu près le même âge que Mark, aux longs cheveux teints en rose et bleu. Le genre qu’il aurait dragué s’il n’était pas dans l’urgence (et en couple avec une autre fille aussi). Son sourire sonnait faux, trahi par son regard noir et son air agacé ; à côté Mark avait l’air cependant bien pire. Les cernes du loubard, son agitation, son incapacité à fixer son regard à un seul endroit attestaient de sa fatigue et de sa panique intérieure.

Pas même un bonjour de la part du champion, il lui tendit une feuille de papier remplit d’inscriptions au recto-verso ainsi que des clés. Dans une heure son bateau quittait le port, le stress devenait insoutenable. Il posa un instant sa petite valise et commença les explications.

« Normalement tout est inscrit dessus, si quelque chose se passe mal comme par exemple un pokémon malade et qu’il faut le déplacer : ouvrez ma roulotte avec ce trousseau, les pokéballs sont dans le tiroir sous mon lit. C’est pour cinq jours me semble-t-il, ça demande beaucoup de boulot de s’occuper de tous ces pokémons. Ah, je crois que j’ai oublié de l’inscrire mais évitez de surprendre Monorpale, il peut vous coupez par en sursautant. » Énonça Mark en faisant de son mieux pour ne rien oublier. « Sur ce, mademoiselle, au-revoir. »

Pauvre Noarfang qui dut supporter en plus de Mark, ces affaires pour le voyage. Sans compter le fait que son dresseur lui criait de se dépêcher à intervalles réguliers. Ils mirent du temps pour arriver au port, la faute à des courants aériens trop puissants. Une fois sur la terre ferme, le loubard rappela son pokémon et se hâta de rejoindre l’embarcadère où Mélody l’attendait.

« Yo Mark, chaud pour Hoenn ?
-Yo, toujours, tu me connais. » Répondit-il après avoir amicalement repoussé la boule de graisse qui cherchait à jouer avec lui. « Plus tard Goinfrex, plus tard. Là, j’ai la flemme. Sinon, des nouveaux pokémons dans ta team de fragiles ? »

Bien qu’il engagea directement la conversation par une provocation, on pouvait sentir que quelque chose était forcé. Son regard n’était pas que fatigué, il était triste plus que jamais auparavant, plus que Mélody ne l’avait jamais vu. Ils montèrent à bord et Mark eut même la politesse de gouter la baie qu’on lui tendait.

« Mmmm… C’est vraiment un délice, j’adore ce fruit. Vraiment, je me régal miam miam (il recracha tout dès que Goinfrex eut le dos tourné). Vraiment merci, p’tit gros. »

L’après-midi à bord se passa sans encombre. Les deux loubards parlaient de tout et de rien (mais surtout de rien), se baladaient à bord et parfois restaient chacun de leurs côtés sans se parler voire sans rien faire. Tous deux avaient une bonne résistance à l’ennui, de part leur vécu. Le soir, après un diner sympa où Mark dissimula bien son manque d’appétit à son amie, ils se posèrent sur le pont et admirèrent le soleil couchant.

Cette atmosphère calme et détendue, avec ces teintes dans le ciel variant du carmin au blé. La chaleur des couleurs contrastant harmonieusement avec la fraicheur du vent sur leurs visages. Le ciel sans nuage laissait le soleil s’exprimer, sa douce lueur se reflétant alors sur cette mer sans vague. Le portrait était tout simplement magique.

« Tu savais que maintenant, je peux dire sérieusement : j’peux pas mettre mes mains dans mes poches, j’ai trop de pokémons ? Plaisanta-t-il, brisant l’atmosphère. Mon Monorpale m’a tailladé un jean, Ptyranidur m’en a bouffé deux, etc. »

Il entrevit l’esquisse d’un sourire sous la casquette de Mélody, mais ne parvint à déterminer si c’était sincère ou si c’était seulement parce qu’il lui faisait pitié. Dans tous les cas, Mark sourit à son tour et se pencha contre la barre. Malgré une micro-sieste dans l’après-midi, la fatigue le gagnait à nouveau.

« Tiens c'est marrant regarde, y’a un Gouroutan sur le navire !
-Sûrement celui d’un dresseur, qu’est-ce que ça peut te foutre ? Regarde bien, son dresseur doit être pas loin. »

Fixant l’océan, il n’avait que les paroles de la gamine pour s’imaginer la scène. D’après elle, pas de dresseurs. Il n’y avait qu’eux deux et ce singe plus loin, qui regardait lui aussi la mer. Mark cru d’abord à une blague de très mauvais gout de sa part, avant de réaliser que Mélo n’était absolument pas au courant de l’affaire avec Manson. Enfin intrigué, il se retourna et se figea sur place.

« C’est… Manson ? »

Son chuchotement n’était pas arrivé jusqu’aux oreilles de l’Orang-Outan, toujours dos à eux. Mélody sentit deux mains se poser sur son bras, puis fut soudain emmenée de force par Mark. Le bougre l’agrippait fermement et ne la lâcha que bien plus loin, dans un couloir remplit de cabines.

« Bordel de merde, qu’est ce qu’il fout là ?? Tu l’as vu, c’était complètement Manson ! Il me suit, c’est ça il doit me suivre en cachette le salopard. »

Tournant en rond devant Mélody, il avait perdu toute trace de sang-froid. Son voyage pour se reposer et oublier prenait une tournure toute autre ; les vacances viraient-elles en cauchemar ?

 

Les questions de Mélody étaient légitimes, mais elles ne faisaient qu’importuner la réflexion de Mark. Pour l’heure, tout cela n’avait strictement aucune importance, seul comptait l’explication par rapport à la présence de ce foutu Gouroutan sur le bateau. Il avait beau tourner et retourner les faits dans son crâne, rien de cohérent ne lui apparaissait, si l’on excepte la théorie selon laquelle il espionnait Mark. Souhaitait-il rentrer à Akala ? Probablement pas, le bateau était à destination de Hoenn après-tout. Alors quoi ? Il avait un nouveau maitre ? Non, cela paraissait improbable sachant que Mark gardait sa pokéball. Le loubard entendait des cris semblables à ceux d’un nourrisson dans le lointain, mais son esprit restait perdu dans la brume et paraissait bien loin de la réalité. La réponse se cachait possiblement dans ses souvenirs, pourtant en les ressassant rien ne concernait de près ou de loin le fait de quitter Dusk. Pourquoi était-il ici, sur ce navire parmi tant d’autres, à ce moment précis ?

« Quoi ? Tu vois pas que je suis en train de réfléchir ?? »

Une sensation désagréable l’avait dérangé, Mélody avait du en avoir marre de rester sans réponse, sans parole tout court. Il lui décocha un regard assassin, découvrant au passage les personnes intriguées autour d’eux, le Goinfrex silencieux et le Mélo qui commençait à se calmer. Cette expression de fureur dans les traits de Mark annula les efforts de sa dresseuse et le fit repartir dans ses pleurs insupportables. D’ailleurs tous les yeux qui l’encerclaient ne faisaient qu’attiser sa colère.

« Et vous là, vous avez pas mieux à foutre que de rester plantés ici ? Foutez-nous la paix ! » Il baissa légèrement d’un ton. « Cette journée me saoule, je vais me pieuter. »

Sur cette simple phrase, il envoya se faire voir Mélody et se dirigea en marche rapide vers leur cabine, sans prêter d’attention à ce que la loubarde juniore pourrait rétorquer. Au bout de quelques minutes, il arriva au numéro C29 et entra. Il referma la porte sans la verrouiller, escalada l’échelle et s’étendit dans le lit du dessus. Il ne ferma pas les yeux et se contenta de fixer le plafond. Pourquoi Manson était-il ici ? Cette question l’obnubilait. Une chose était certaine, expliquer toute cette histoire à Mélody l’écœurait. Avouer quel mauvais dresseur et quelle horrible personne en général il était, disons que ça ne l’enchaînait guère.

Malgré la colère, le stress et l’incompréhension sa fatigue abyssale finit par le rattraper et l’entraina avec elle dans les profondeurs du sommeil.

 

Malgré la fin de soirée catastrophique, on peut dire que le loubard venait de passer un sommeil génial. Le plus long et agréable qu’il avait vécu depuis l’incident avec Manson et compagnie. Pas de pokémons pour le réveiller au beau milieu de la nuit, de coups de fils intrusifs pour l’arène. Le calme absolu, tout en étant détendu par le son des vagues contre la coque du navire et bercé par les secousses. Il aurait voulu rester indéfiniment ainsi, dans ce bien-être incomparable.
 
Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin. Mark s’éveilla lentement, un œil après l’autre dans le noir. La fenêtre du hublot était fermée. Le loubard descendit le plus doucement possible à l’échelle, avant de constater que Mélody avait déjà quitté son lit. Rassuré, il ouvrit le hublot et se changea. Une douce lumière emplit la pièce, tandis qu’il se coiffait dans le miroir et se passait un coup de déodorant. Plus qu’un sommeil réparateur, ça semblait magique à ce niveau, les cernes profondément enfouies du champion avaient enfin disparues.  

« Pas mal du tout comme ça ! »

Jean noir et gilet bordeaux, simple mais efficace. Comme sa mauvaise humeur avait disparut, il sortit même Ragnarök et Plume pour l’accompagner. Toudoudou apportait le quota de gentillesse, Chinchidou le quota kawaï. Le ballon d’hélium maquillé se posa sur son épaule, tandis que le rongeur resta près de lui en gardant une certaine distance. Il n’aimait pas cet endroit, car il ne le connaissait pas. En voyant que son portable affichait déjà 13h, le loubard s’empressa de quitter la pièce (en oubliant de refermer derrière-lui bien évidemment) et se précipita au réfectoire du bateau.

Un délicieux repas à volonté plus tard, l’homme à l’estomac plein vagabonda dans les couloirs. Où était Mélody ? Alors qu’il arrivait dans un couloir au plusieurs embranchements, le chinchilla à ses pieds se précipita dans le sens inverse de Mark. Son dresseur le prit en chasse, sans comprendre cette tentative de fuite. Ils coururent seulement une cinquantaines de mètres avant que le rongeur ne se stoppe devant quelqu’un. Non pas une personne, un énorme Orang-Outan à poils blancs et violets. Plume avait remarqué Manson et, intrigué, était venu à sa rencontre.

Mark se figea sur place, face à son ancien ami. Il se rappela enfin de sa présence à bord du navire. Aucun mot, aucune parole, seulement des regards emplis de surprise, d’incompréhension et sentiments mêlés. Quelque chose flottait dans l’air, l’ambiance devint soudain lourde et étouffante. Le regard des petits pokémons alternaient avec inquiétude entre leur dresseur et leur véritable éleveur. Quand le loubard se décida à agir, se fut pour s’en aller loin. Il poussa sans un mot Gouroutan avec son coude et disparut dans l’obscurité du couloir. Chinchidou, après un long moment d’hésitation, rejoignit son dresseur en lançant un dernier coup d’œil peiné au vieux primate.    

Posé sur un banc, l’air (un peu trop) frais de la mer dans le dos, Mark méditait. Il tenait un Toudoudou somnolant sur ses genoux, le caressant tout en fixant l’océan avec un air agar. Plume lui était pelotonné à ses pieds, faisant mine de faire la sieste mais rouvrant les yeux dès qu’il sentait un pokémon s’approcher. Ce pokémon était toujours un peu à cran. Tous trois restèrent ici un bon moment. Cette rencontre gênante avec Manson, mais aussi le déroulement de la soirée tournaient et retournaient indéfiniment dans l’esprit du dresseur. Il éprouvait beaucoup de honte, des remords, de la tristesse et un poil de culpabilité.

« Bon, t’as foutu quoi hier ?!! Réprimanda Mélody, qui surprit Mark en sortant de nulle part.
-Bah j’ai dormis surtout, j’étais fatigué. »

Réponse qui était à l’origine une plaisanterie, mais prononcée ainsi ressemblait d’avantage à une réponse idiote. Elle se la jouait intimidante, mais cela n’eut guère d’effet. Son regard continuait de se perdre dans les cieux et la marée. Mark haussa simplement les épaules, sachant pertinemment qu’elle ne le laisserait pas en paix tant qu’il n’aurait pas répondu à la question.  

« Écoutes, désolé pour hier soir si c’est ce que tu veux entendre, mais j’ai pas envie d’en parler. C’est compliqué comme histoire et j’suis pas venu avec toi pour y repenser. Sa te dis pas d’oublier tout ça et d’aller te faire une partie dans la salle d’arcade ? »

Car oui, le bateau avait une pièce remplit de bornes d’arcades et même de jeux de rythmes avec tapis de danse et tout ! Ce que Mark proposait à Mélody, c’était plus une sorte de mini-réconciliation car – peut-être l’avait-elle oubliée, mais – on ne pouvait le forcer à parler de ce dont il ne voulait pas. Si elle se montrait insistante, cela ne ferait que l’énerver.

Les choses s’étaient déroulées comme Mark l’avait espéré : pas d’engueulade supplémentaire, juste un après-midi amusant passé devant des bornes d’arcades. Après avoir éclaté à d’innombrables reprises sa pote, il décida de se confronter à un plus grand adversaire, lui-même. Une façon de dire qu’il termina sur des jeux en solo. Entre-temps il y eut pause repas, puis le loubard retourna perdre ses sous tandis que Mélody allait dormir.

Sa soirée ne fut pas gâchée par une mauvaise surprise, au contraire ce fut l’inverse cette fois. Accoudé au bar pendant une bonne heure – car oui, il avait quand même des trucs à oublier – il sympathisa avec un compatriote d’Alola. Chez Mark, rien dans les traits ou le teint ne laissait supposer ces origines, son bronzage ayant progressivement disparu à Dusk. En revanche, chez son camarade de beuverie on ne pouvait pas le manquer. Peau halée, vêtements courts et évidement la façon de saluer.

Leur discussion dura longtemps, à propos de tout et de rien, des nouvelles dans leur région comme de la pluie et du beau temps. Ils riaient lourdement à la moindre blague, parlaient trop fort et de ce fait se faisaient souvent réprimandés. Ce dialogue réchauffa le cœur du loubard autant qu’il le blessa ; l’île et surtout sa famille lui manquait. Savoir comment les choses avaient ou justement n’avaient pas changés l’aidait à se remémorer les bons comme les mauvais souvenirs.    

« Héhé, allez à plus mon vieux, Alola hein ! »

Viré du bar avec son compagnon à cause de la fermeture (franchement quatre heure du mat’ c’est excessif !), Mark retourna saoul comme cochon dans sa cabine. Il essaya, mais ne parvint pas à ne pas réveiller Mélody. Le bougre se cassa la gueule dans le noir, s’excusa en vitesse et se précipita dans le lit du dessus pour éviter les éventuels coups de pieds de la gamine.

Le lendemain son réveil fut à peu près dans les mêmes horaires, avec en plus une sale gueule de bois. Déjeuner léger et beaucoup d’eau l’attendaient. Malheureusement pour sa pote qui devait certainement regretté de l’avoir embarqué, le loubard passa le reste de la journée à décuver dans sa cabine. Hublot fermé, allongé dans son lit et la migraine renforcée par le secouement des vagues.

Finalement, Mélody vint le chercher dans l’après-midi pour lui dire de « bouger son gros cul » car le bateau arrivait au port. Le débarquement fut long, assez pour que les maux de Mark se calme.

« Ah bordel, c’est ça Hoenn ? Pas mal, j’espère que les préjugés sur la région sont pas vrais par contre. Y’a pas de l’eau partout, rassure-moi ? Demanda-t-il en regardant un peu partout. On va où du coup ? »

Ils étaient enfin arrivés à Poivressel.

Le reste de la journée se passa sans accroc et fut excellent. Du vieux port jusqu’au marché en passant par la plage, tout ici avait une ambiance unique : l’air de la mer parfumait la ville, le marin soufflait agréablement et les vagues bruitaient doucement contre la proue des navires. Ils visitèrent, glandèrent, discutèrent ; bref Mark et Mélody profitèrent de la journée à leur manière, c’est-à-dire de la même façon que n’importe quelle autre journée ensemble.

Ce soleil couchant donnant des teintes si somptueuses au ciel sonnait cependant le glas de cette petite virée entre amis. Mark se doutait que Mélody cherchait à repousser l’échéance, mais ils devraient bientôt aller voir ses parents. Par sympathie - car il pouvait se mettre à sa place dans ce cas précis - le loubard ne fit pas la moindre blague vaseuse sur la situation. D’ailleurs lui-aussi était troublé, il songeait qu’il devrait appeler l’agence pour prendre des nouvelles de ses pokémons. Sans un mot, ils retournèrent sur leurs pas jusqu’à la maison.

Ils arrivèrent devant la porte, qui semblait être un obstacle dur à surmonter pour Mélody. Il faisait nuit désormais, et la froideur contrastait avec les lumières chaleureuses s’échappant de la maison, une véritable invitation à rentrer à l’intérieur. Il jeta un coup d’œil envieux par la fenêtre, tout en se frottant les mains pour se réchauffer. Les nuits étaient vraiment glaciales par ici.

« Coucou… »

Cette salutation aussi froide que l’extérieur réchauffa pourtant le cœur de sa mère visiblement. Un large sourire fendit son visage tandis qu’elle se précipita sur son enfant pour la câliner. Mark laissa un peu durer les retrouvailles, mais guider par son instinct de survie il se présenta de lui-même pour ne pas avoir à rester sur ce paillasson une maudite seconde de plus.          

« Moi c’est Mark au fait, enchanté ! Je suis l’ami de votre fille. »

Les deux loubards rentrèrent à l’intérieur. L’ambiance n’avait rien avoir avec celle de cet après-midi, la présence de maman Minot rendait vraiment l’endroit plus chaleureux et accueillant. Au premier abord cette femme semblait être la mère au foyer typique : celle dont la bonne humeur exubérante et l’amour maintenait la cohésion entre l’ensemble des membres de la famille. Cette opinion que Mark se fit instantanément ne fut que renforcée par la suite. Dans le salon, le père de Mélody siégeait sur le canapé. Un froid s’installa dès que son regard et celui de sa fille se croisèrent, ce qui ne présageait rien de bon.

« Bonsoir m’sieur Minot. » Mark essayait de rester poli, mais il perdit ses moyens et reprit son parler abrégé. Le loup de mer boiteux face à lui l’intimidait, surtout avec sa gueule rigide et renfrogné suintant l’agacement. « Enchanté, moi c’est Mark. »

Après un instant gênant à se faire dévisager, et possiblement juger, l’homme face à lui accepta de lui serrer la main. Quelle poigne il avait, on entendit les phalanges de Mark craquer jusqu’au voisinage. Dieu merci sa femme arriva en annonçant le repas, le loubard sauta sur l’occasion pour extirper sa main. La soirée promettait d’être compliquée.

« Mangez autant que vous voulez, j’ai cuisiné assez pour nourrir tout un équipage ! »

Quel festin. Jamais auparavant Mark n’avait vu une table aussi riche en poissons. Tant de petits plats aux fumets enivrants étaient dispersés. Pour commencer, le loubard garnit son assiette de riz et de cabillaud assaisonnés d’une sauce hollandaise maison, quelques flageolets et une tranche de thon rouge en croûte. Plus que ses compliments, c’était son appétit qui flattait la mère minot.      

« Au fait, on n’arrête pas de parler de notre petite chérie. Qu’est ce que vous faites dans la vie Mark ?
-Moi ? Répondit-il en manquant de s’étouffer avec sa nourriture. Champion d’arène, mais je fais aussi de l’élevage.
-Oh, et de quel genre ?
-Pokémons (il engloutit son verre), de toutes sortes : des grands, des petits, des type feu, glace, eau, etc.
-Mais vous êtes aussi champion d’arène, c’est fascinant ! Je suis sûre que vous avez pleins d’histoires à raconter.
-Ah ça… Soupira le loubard en jetant un regard triste sur son assiette encore remplie. Maudite bienséance empêchant les gens de parler en mangeant. On croise pleins de gens dans ce métier, mais un des matchs les plus marrants que j’ai fais c’est avec votre fille. Vas-y raconte leur le combat ! »

Fier d’avoir habilement remit l’attention sur Mélody, Mark se remit à attaquer son assiette. Du moins en théorie il avait réussit, mais c’était sans compter sur le mutisme de la loubarde. Avant même d’avoir put avaler une seule bouchée supplémentaire, une nouvelle question de la mère vint le couper.

Quand l’interrogatoire prit fin, son assiette était froide. Cela ne l’empêcha nullement de la finir cela dit. La dispute familiale qui éclata peu de temps après fut un tout autre problème.

Il aura suffit d’une seule remarque du daron pour que tout dégénère. Mark assista à une brève mais intense dispute père-fille, lui rappelant les pires moments de sa propre famille. Tous deux étaient à rien d’en venir aux poings, la mère pas loin de fondre en larmes et lui se faisait le plus discret possible pour se resservir. Méthodiquement, en bougeant au ralentit et prenant garde à ne pas approcher sa main du centre de la table, où les regards se croisaient, il parvint à se resservir deux asperges et le dernier cabillaud. Il les avala avec cette même discrétion.

Une fois la dispute retombée, le reste du repas se fit surtout dans le silence. Puis le père partit se coucher – ou plutôt en avait marre de voir sa fille et son copain débile – la mère essaya quand à elle de calmer le jeu mais sans grand succès. Mark éprouvait un peu de compassion pour cette femme, coincé entre un mari et une fille aux tempéraments bien trempés. Il l’aida à débarrasser la table, sortir le lit, sans manquer de raconter quelques histoires made-in-mark pour lui faire la conversation.

« Allez, bonne nuit !
-Bonne nuit m’dame. »

Sur ce, la mère et la fille quittèrent la pièce pour aller dormir. Il se déshabilla et se plongea dans le lit bien chaud. Le sommeil l’appelait, la fatigue l’entrainait vers le royaume des rêves. Pourtant quelque chose l’embêtait, mais quoi donc ? Il retourna le problème, et son corps dans la couette, maintes fois avant de trouver une réponse satisfaisante. Tout son cinéma sur le bateau et ses cachotteries vis-à-vis de Manson lui revinrent en tête ; cela faisait déjà trop de fois en une seule semaine qu’il n’avait pas agit en véritable ami. Elle était certainement triste – et dans le cas contraire se serait encore pire – il ne comptait pas la laisse ruminer comme ça une seconde de plus !

La couette valsa dans un coin de la pièce, tandis que le loubard en sortit et s’habilla en trombe, mais discrètement (une spécialité de Mark). Il se dirigea vers la cuisine, prit le pack de bières qu’il avait repéré dans le frigo et alla de ce pas toquer à la porte de sa pote. Une réponse grossière lui indiqua qu’elle ne dormait pas, aussi ne se gêna-t-il pas pour entrer.

« Alors la chieuse, pas facile les retrouvailles hein ? Ha ha… Soupira-t-il en cherchant un peu ses mots, la situation l’embarrassait. T’sais, on peut en parler. Ou pas d’ailleurs, c’est comme tu veux. Mais ça te dis pas une ‘tite ballade nocturne, en plus regarde ce que j’ai piqué à ton daron ! »

Mark essayait de lui remonter le moral de la seule manière qu’il connaissait : un sourire sincère et surtout beaucoup d’alcool.