Tu sais. Si un jour on te demandait – peu importe la raison – d’écrire une biographie, ta biographie tu n’aurais pour ainsi dire pratiquement rien à raconter, ou presque. Pour commencer, il est évident que ta vie n’a jamais rien eu de très palpitant, ou même intéressant. Tes parents ne sont pas exceptionnels. Tu n’as rien fais de particulièrement remarquable. Tu n’as rien vu de transcendant de tes propres yeux. Tu n’as même jamais rien vécu qui sorte un temps soit peu de l’ordinaire. Tu n’es qu’une fille banale, au sein d’une famille banale, dans une maison banale … Quelle tristesse, n’est-ce pas ?

En réalité, pour entrer un peu plus au fond des choses, disons simplement que tu as vu le jour dans la région de Kalos, à Illumis, la Capitale. Tu n’as jamais quitté cette jungle urbaine, jamais, si tes parents eux, ont bien souvent voyagé durant ton enfance, toi, tu as été confiée à des nourrices, ballotée d’adulte responsable en adulte responsable tandis que tes géniteurs parcouraient la région dans le seul but de continuer à s’enrichir. Parce que oui, ces gens que sont tes parents ont toujours été particulièrement riches. Ton père a toujours été ce que l’on pourrait appeler un génie, un ingénieur, un inventeur, et c’est ce qui a fait sa fortune. Ta mère l’a épousé pour ça. Surtout pour ça.

De ton côté, très vite, il s’est avéré que tu avais hérité d’une partie de l’intelligence de ton père. Une intelligence différente. Tu n’étais pas faite, comme lui, pour créer les choses et inventer le futur puisque c’est vers le passé – un très lointain passé – que s’était toujours tournées tes aspirations les plus profondes. L’histoire. Les mythes. Les légendes. Voilà ce qui alimentaient tes passions. D’aussi loin que tu t’en souviennes, tu avais voulu être historienne, ou quelque chose s’en rapprochant. Tu voulais bouger. Voyager. Tu voulais voir les ruines de tes propres yeux, gratter la poussière sur les fossiles, courir après les légendes … Tu t’en sentais la force. Malheureusement pour toi, tu avais hérité de parents bien trop surprotecteurs. Partir seule ? Voyager ? Prendre le bateau ? Ou peu importe le véhicule, d’ailleurs. C’était tout à fait hors de question. Si tu voulais te cultiver, il y avait les livres. Une montagne de livres sous laquelle ils prirent soin de t’ensevelir pour que tu cesses de réclamer ce voyage, ce départ, pour que tu cesses même d’y penser.

Le pire dans tout ça, c’est qu’évidemment ; ils ne réussirent jamais à effacer quoi que ce soit.

Si tu avais cessé d’en parler, tes projets eux étaient toujours bien ancrés dans ta tête et ton esprit. Ton ouverture sur le monde, tu la faisais via Internet, les réseaux sociaux existants et puis aussi sur les jeux en ligne. C’est d’ailleurs sur un jeu de ce genre que tu fis la connaissance de tes deux amis, correspondants, acolytes ? Appelez-les comme vous voudrez. Si Tora et Pascale étaient sur bien des points très différents de toi, il y avait ce désir de voyage, de liberté et de changement qui en revanche vous unissez. D’abord trio de choc durant des combats endiablés contre des monstres virtuels, votre groupe semblait destiné à faire plus, bien plus. Et c’est ainsi que le projet de vous rencontrer, et de vous retrouver pour voyager ensemble vit le jour. Chacun ses envies, chacun ses objectifs, mais un but relativement commun. La Région choisie pour entreprendre cette aventure fut Lumiris, une région que tu ne connais absolument pas et que tu étais donc curieuse de découvrir. Evidemment, il était pour toi hors de question de parler de tout ça à tes parents, pire encore, de leur demander l’autorisation. C’est pour cette raison qu’un beau matin, avant l’aube, tu passas la grille de la propriété sans dire un mot, ne laissant qu’une courte lettre dépourvue de détails et d’adresse bien en évidence sur ton lit.

C’était la fin d’une vie. Le début d’une autre.