Il n’avait jamais été question d’estime avec Hazel.
Tu n’étais pas le genre de personne à tenir ou ne pas tenir les gens en estime. Tout simplement parce que tout le monde était humain et donc susceptible d’apparaître sous des jours meilleurs que d’autres et vice versa. Toi, tu aimais tout le monde. C’était plus simple ainsi. Tu aimais et respectais sans condition. Tu étais un ange en fait. (Ça non par exemple, tu n’avais rien d’un ange.)

Quand Hazel mentionne Isaac, tu te surprends -sur un premier temps- à croire naïvement en la possibilité qu’elle et toi avez réellement un point commun. Enfin, une connaissance commune plutôt. Sauf que tu te reprends assez rapidement : quelles sont les chances pour que ce soit ça ? Il y a des milliers (peut-être pas des millions, mais quand même) d’Isaac sur terre et même Lumiris doit en être regorgée… Alors les chances sont finalement assez minimes. Et aussitôt, l’espoir se meurt, le petit éclat de joie s’éteint aussitôt. Ce n’est pas très grave. Isaac et toi n’êtes pas vraiment amis… Vous n’avez rien de plus qu’une relation de travail pour vous relier et t’extasier de le revoir de cette façon, ça manque de professionnalisme. Reprend toi Iza. Ne te couvre pas de ridicule s’il-te-plait.

- Si vous êtes venus ensemble, je doute que tu le déranges… Il doit bien te chercher non ? À sa place je le ferais en tout cas…

Mais si tu avais été Isaac, ce Isaac, tu n’aurais pas perdu Hazel de vue alors l’hypothèse ne se tenait pas vraiment. Enfin, tu disais cela… Mais tu ne savais pas où Kiana était rendue dans l’univers donc niveau crédibilité, on repassera. Le temps d’un instant, l’insulaire était près de toi… et l’instant d’après, elle avait complètement disparue de ta vue. Si tu n’avais pas eu ses chaussures dans les mains, tu aurais sans doute crû que son image n’avait en réalité été que le fruit de ton imagination. Et maintenant, que faire ? Si tu avais été aussi débile que le prince que tu rêvais de devenir, tu te serais sans doute agenouillé devant toutes les femmes de l’assemblée afin de leur mettre la chaussure au pied. Parce que tout le monde sait : deux femmes ne peuvent avoir la même pointure et, surtout, le visage de ton âme sœur s’efface de ta mémoire aussitôt minuit sonné.

Quand ils disaient que l’amour rendait aveugle…

Esquissant un sourire, tu hausses finalement les épaules, un léger sourire aux lèvres. Contre un mur hein ? Tu t’apprêtes à lui indiquer le message est bien passé lorsque la jeune femme prononce des mots qui ne trouvent pas grâce à ton oreille. Rougissant légèrement, tu t’empresses de secouer la tête en levant ta main libre devant toi afin de clamer ton innocence :

- M-Ma Kiana ? Non non, ce n’est pas du tout ce que tu penses… Kiana ne m’appartient pas.

Pourquoi elle t’appartiendrait de toute façon ? Ce n’était sans doute pas la meilleure façon d’interpréter sa phrase, mais c’est la réplique la plus intelligente que la panique t’offre. Félicitation Iza, toujours heureux d’apprendre que tu n’es pas le maître de Kiana.

- C’est seulement une amie…

Murmures-tu en baissant finalement la main pour mieux la passer maladroitement dans tes cheveux. Tu ne veux pas que les gens s’imaginent n’importe quoi. Les filles, ce n’est pas ta came. Kiana est ton amie… Rien de plus. Tu n’es ni son maître ni… autre chose. Pourquoi prends-tu vraiment le temps de tenir de telles pensées de toute façon ?

Ce n’est pas très clair tout ça, même pour toi.

- Ne t’excuse pas. Au contraire, je suis heureux de te voir. C’est beaucoup plus agréable de te parler que de manger mes émotions si tu veux mon avis…

Dis-tu en lui jetant un regard en biais. Tu le pensais genre, sincèrement. Hazel n’était pas de mauvaise compagnie, bien au contraire. Elle était un peu maladroite, la conversation n’était pas aussi fleurissante qu’avec d’autres… Mais il y avait un truc avec elle qu’il n’y avait pas ailleurs. Tu n’arrivais tout simplement à mettre le doigt dessus… Et c’était ça le plus frustrant dans toute cette histoire.

En arrivant à l’entrée de l’événement, tu te permets un coup d’œil rapide avant de soupirer doucement.

- On y est. Elles ressemblent à quoi déjà tes lunettes ?

L’image ne s’était pas gravée dans ta mémoire lors de votre rencontre, mais peut-être que cela aurait facilité les choses…

Tu ne voyais rien.
Non, ce n’était pas tout à fait ça. Tu étais parfaitement conscient de l’inconfort de Hazel, de tout ce qu’elle dégageait de plus négatif et d'anxieux, mais tu t’en foutais. Pas parce que ses états d’âme ne te tenaient pas à cœur, mais parce qu’agir comme si tout était normal quand ce ne l’était pas… C’était ta manière de faire comprendre à l’autre que tout allait bien. Tu ne voulais pas prendre Hazel par la main, la fixer sans sourciller dans le blanc des yeux et lui répéter pendant dix minutes que tout allait bien. Ça ne fonctionnait pas avec tout le monde, mais tu avais toujours préféré entretenir une conversation naturelle avec les gens qui ne se sentaient pas bien. Juste pour leur faire comprendre qu’ils n’étaient pas différents, qu’ils n’étaient pas des êtres fragiles que l’on devait absolument prendre en pitié.

Normalement, ça te réussissait bien.
D’autres fois, on t’en voyait te faire voir puis on te traitait d’aveugle insensible.
Heureusement, Hazel ne semblait pas être de cette graine-là.

Ta première réaction lorsqu’elle échappe un sourire derrière lequel se cache un ricanement fugace est de lui tirer légèrement la langue. Tu étais quelqu’un d’impressionnable. Tu n’étais pas difficile à embarrasser ou à surprendre pour la simple et bonne raison que ce genre de commentaire ne s’adressait normalement pas à toi. Quand tu étais malade, les gens ne s’inquiétaient pas de ta vie amoureuse ou de tes relations -inexistantes- avec les filles. Alors forcément, ça te prenait un peu de court ce sous-entendu au sujet de Kiana… Toi, tu ne l’avais jamais considéré autrement que comme une amie (tu ne considérais jamais les femmes comme des femmes, ça augurait mal pour ton avenir sentimental), mais était-ce vraiment ainsi que se soldaient toutes les relations entre sexes opposés ? Tu étais troublé. Plus troublé que tu ne voulais l’admettre devant Hazel.

En arrivant à l’entrée de l’événement, tu ne te fais pas prier pour assister Hazel dans ses recherches. Lunettes rondes, noires, grandes. Vite comme ça, le descriptif sonnait un peu hipster, mais ça correspondait bien au souvenir fugace que tu possédais de la rousse avec lesdites lunettes au visage. Malheureusement, votre temps se rentabilise peu et, au final, c’est à l’accueil que vous terminez votre quête.

Merci à la bonne âme qui a bien voulu les rapporter.
Tu n’aurais pas imaginé Hazel rentrer chez elle bredouille avec autant de vision qu’un rototaupe au petit matin.
Le résultat aurait été catastrophique. Elle serait sans doute décédée dans un grave accident après une traverse périlleuse à un feu rouge.
Autant ne pas imaginer.
De toute manière, tu ne l’aurais pas laissé disparaître comme ça.
N’empêche, vu ton accoutrement, tu aurais sans doute préféré qu’elle continue de ne pas te voir.
N’est-ce pas, Lord Farquaad ?

- Ça me fait plaisir, je suis heureux de savoir que tu n’es pas condamnée à être aveugle pour le reste de tes jours.

Tu n’avais pas quelque chose de mieux à lui dire ? Genre je sais pas : « Wow c’est incroyable ! Je suis heureux de savoir que tu ne vas pas accidentellement traverser sur un feu rouge puis mourir en sortant d’ici. » Ouais non, finalement ta réponse n’était pas si mal quand on s’y arrêtait un peu plus longuement. C’était même une jolie réponse, tout en délicatesse et plus raisonnable que de sous-entendre que, sans ses lunettes, Hazel était la plus à même de crever.

Ouais, vraiment, jolie réponse.

- Je retiens.

Rigoles-tu doucemenet quand elle ramène « ta » Kiana sur la table. Retroussant légèrement le nez, tu pinces légèrement tes lèvres dans une moue faussement embêtée puis tu croises les bras (enfin, le plus que tu peux le faire avec une paire de chaussures dans les mains) avant de te pencher légèrement dans sa direction.

- Je cours retrouver ma cendrillon dans ce cas, j’ai des souliers à lui rendre.

En guise d’explication, tu désignes les souliers d’un mouvement furtif. Tu espères secrètement que leur propriétaire ne s’est pas déjà tirée d’ici sans toi, auquel cas le rapatriement risque d’être un peu plus compliqué… Jetant un œil à une horloge non loin de vous, tu prends une grande inspiration : il n’est pas minuit, ça devrait aller normalement. Mais bon, dans la vraie vie les gens n’attendaient pas toujours les douze coups de minuit pour se tirer donc ça restait encore à prouver.

- Avec plaisir ! Salue Isaac pour moi si tu veux bien, on se revoit plus tard.

Parce que pour toi, ça tombait sous le sens : tu allais revoir Hazel.
Et si tu ne la revoyais pas, tu allais au moins lui reparler.
Ou peu importe au fond, mais, chose certaine, ça ne terminerait pas ainsi.