Le soleil dormait encore – tout comme les braves gens de Sunyra – lorsqu’Astelle quitta le bureau de la Dracoposte. Elle était chargée comme un Tiboudet : sa besace si pleine de courrier qu’elle marchait de travers pour en compenser le poids. C’était lourd. C’était difficile. C’était matinal.
Mais ses yeux noisette pétillaient de détermination.

La petite postière s’élança sur les pavés.
Aujourd’hui, c’était sa toute première tournée.

Et c’était comme un rêve qui se réalisait.
Astelle déambula dans les rues silencieuses, nourrissant les boîtes aux lettres affamées d’amour. Elle porta un petit paquet à la boulangerie, et reçut une chocolatine en échange (ils appelaient ça comme ça, ici !). Un vieux monsieur lui grogna dessus en acceptant son journal, et demanda à ce qu’on prolonge son abonnement. Une carte postale qui témoignait de vacances flamboyantes à Alola trouva le chemin d'une petite maison tout ce qu'il y avait de plus ordinaire, avec son joli toit de tuiles bleues.
Passant d'un domicile à l'autre, elle effleurait à chaque livraison des histoires et des échanges qu'elle ne pouvait pas comprendre tout à fait... et savourait le tout petit rôle qu'elle jouait, dans chacune de ces histoires. Son cœur chantait.

Après un temps, sa besace s’était suffisamment allégée pour qu’il lui soit plus facile de se déplacer.
Et le soleil se levait sur Sunyra.

Le visage en sueur et un grand sourire aux lèvres, Astelle fit une pause sur un banc, aux abords du Parc du Saule. Il fallait qu'elle fasse le tri dans sa besace. Il lui restait trois gros paquets de lettres à distribuer. Et deux colis, dont un, très important, qu'elle devrait livrer un peu à l'écart de la ville, en mains propres. En réfléchissant à son itinéraire, elle mangea sa chocolatine.
Il fallait qu'elle se dépêche, car elle avait des plans pour midi.

Quelque chose s’agita dans sa casquette.

Le petit bout de femme ôta délicatement son couvre-chef, et observa avec tendresse le Minidraco rose qui se réveillait à l’intérieur.
— Bonjour, Mini-senpai !
Le bébé pokémon, à peine âgé d’une dizaine de jours, avait de tout petits yeux. Il se tortilla paresseusement, un peu comme un Chenipote, et poussa un minuscule bâillement. Astelle, qui était très douée pour ça, comprit aussitôt ce qu’il voulait dire.
A savoir : « Navré poupette. J’ai eu une mue difficile cette nuit. Je suis un peu en vrac.
Promis, j’me rattraperai la prochaine fois. »
Attendrie, la jeune fille lui caressa doucement le museau du bout du doigt, jusqu’à ce qu’il ferme les yeux à nouveau, et reprenne son sommeil réparateur.
— Ne grandissez pas trop vite, Mini-senpai. J’aime bien vous avoir sous ma casquette.
Minidraco ne cessait jamais de grandir, et ce, tout au long de sa vie. Selon le pokématos, un jour, il mesurerait près d'1m80.
Il lui faudrait alors une très grosse casquette.

Terminant d'avaler sa chocolatine, Astelle se releva d'un bond, et repartit à l'assaut des boîtes aux lettres !

*

Il était midi moins le quart, et Astelle faisait les cent pas devant le restaurant-café : « Nos Meilleures Baies Tiz. » La jeune stagiaire était soucieuse.
Elle n'avait pas eu le temps de se doucher ou de se changer, et s'inquiétait de ne pas sentir très bon. Ou d'avoir l'air toute dépenaillée, après avoir couru toute la matinée.
Surtout qu'elle avait rendez-vous avec Manon.
La chirurgienne-réanimatrice des robes de soirée en personne. Toute pleine de « Poum-poum », « Tchaa-tchaa ».

Son amie.

Cette pensée lui fit monter un grand sourire rougissant aux lèvres, et Astelle commença à sautiller sur place, impatiente. Devant le café, et gênant manifestement la circulation des passants et de leurs pokémons, la jeune fille cherchait du regard son amie.
Le problème, c'est qu'elle cherchait Manon telle qu'elle se la représentait depuis leur rencontre au Banquet d'Anniversaire, à savoir : une jeune femme qui portait sa robe de soirée moulante avec une élégance désinvolte, le sourire empreint d'une féminité mystérieuse, assise au bar avec un verre de champagne dans une main et un séchoir dans l'autre.
Ce qui ne courait pas les rues.

« PP NIQUE LE AVEC CROC ÉCLAIR C’T’ENFLURE »

Ma chevelure brune et soyeuse accompagne mes mouvements. Mon chien file comme un boulet de canon sur le Magicarpe de Kevin. La puissance de sa morsure électrise le poisson qui décède dans la foulée.

« Maint’nant, à boule le fric Kévin. M’prend pas pour une conne, j’veux 30 cash. »

Le pauvre garçon est anéanti par terre. Il peut contempler ma jupe en jean et mes collants noirs mais très vite je quitte son champ de vision en prenant son argent. Comme une diva, je quitte le lieu de guerre en comptant mes billets. PP me suit tout joyeux derrière moi. C’est cool d’être dresseuse, on peut se faire un max de tune en déglinguant des noobs. À force de me battre, j’ai pu acheter un jolie gloss et des mocassins pour faire un peu plus distinguer. Et oui, je suis ni à la campagne ni partie à l’aventure : je suis à Sunrya. Cela fait trois semaines que j’y traîne et je suis tombée amoureuse du cadre de vie. Je pense qu’après mon voyage, j’irai me loger ici. Il fait bon vivre, les gens sont agréables et l’animation est là avec un brin de nature.

Je check l’heure sur mon portable. J’ai rendez-vous avec la petite Astelle, une postière toute mimi à qui j’ai failli gâcher sa soirée au Banquet. Je suis très contente de la voir car malgré le coup d’Ophélia, on s’entend super bien. J’ai envie de la connaître d’avantage et de passer du temps avec elle. Il faut dire que ça fait un moment que je n’ai pas passé du bon temps avec quelqu’un que j'ai l'occasion de revoir. Alors, je me suis faite toute belle rien que pour ses beaux yeux et booster mon égo.

J’arrive devant mon restaurant préféré « Nos meilleures Baies Tiz ». Le jeu de mot à beau être débile, je le trouve adorable et leurs repas sont franchement les meilleurs de la ville. Devant l’établissement, j’aperçois une demoiselle qui se trouve être Astelle. Je lui fais un grand signe de main avant de m’approcher d’elle.

« Salut Astelle. Tu vas bien ? T’as passé une bonne matinée ? »

Je cache mon sourire dans mon col roulé brun. Je fais un peu la coincée mais je suis toujours un peu comme ça quand je retrouve les gens, sans doute ma nervosité. Après sa réponse, je lui propose tel un gentleman de lui payer un super repas. Autant profiter de mes gains avec une amie ! Je pose ma main sur son dos comme pour l’inviter à rentrer.

On nous demande de nous installer. Je prends les devants et décide qu’on aille à l’extérieur — je peux pas fumer sinon et puis autant profiter du beau temps. On nous offre les menus et nous voilà en tête à tête.

« Hmm, j’vais p’têt’ me prendre un burger double steak aux baies figuy. Ça déchire trop ♪ »

C’est loin d’être glamour mais les gros plats de viandes épicés, c’est mon truc. J’attends sagement qu’Astelle fasse son choix -je me demande ce qu’elle va prendre, je suis sûre elle va choisir du jus de baie Mago et rien que d’y penser j’ai envie d’en prendre- avant de passer commande à la vendeuse. Je pose ma tête sur mes mains en contemplant mon interlocutrice avec des yeux tendres.

« Comment s’est passé ton début de journée ? Raconte moi ! »

Le col-roulé, c’était pas trop « Poum-poum », « Tchaa-tchaa ».
Observant son amie, la jeune stagiaire se sentit se détendre, petit à petit.
Le pull en laine brun donnait à Manon un côté un peu doux, comme un Moumouton qui aurait perdu son troupeau, et la jupe en jean dégageait une impression de simplicité, bien moins intimidante que les grandes robes de soirée échancrées.
Et bien entendu, la jeune femme ne trimbalait ni bar-à-champagne ni séchoir, ce qui aurait quand même été bizarre.

Alors, lorsque Manon posa doucement une main contre son dos, pour l’inviter à entrer : Astelle était tout-à-fait apaisée. Levant la tête vers son aînée, elle lui rendit son salut avec un sourire timide, puis répondit à ses questions.
— Je vais bien et c’était chouette, même si… c’était un petit peu fatigant, avoua-t-elle, en se laissant légèrement aller contre la main de la jeune femme.

Juste au cas où, Astelle renifla quand même la manche de son uniforme. Son amie dut la sentir se trémousser un peu, pendant qu'on les installait à la terrasse.
C'est qu'elle s'inquiétait. Elle ne sentait pas trop la sueur, n’est-ce pas ? Est-ce que Manon fronçait les narines ? En attendant que la serveuse vienne prendre leurs commandes, Astelle riva son regard sur son amie. Cherchant à déceler le moindre petit signe d'inconfort.

...il y avait bien quelque chose qui la gênait, non ? Parfois, Manon semblait rentrer le cou dans son col-roulé, comme un Tortipouss !

"Ma-manon ! 'non !"

Recevant la carte des mets, la jeune fille secoua doucement la tête pour se débarrasser de l'image qui lui était venue à l'esprit.
Qu'allait-elle commander ? Il fallait qu'elle réfléchisse... mais tout d'abord : elle avait vraiment soif !
— Je voudrais un jus de baie Mago ! s’exclama Astelle, avant d’ajouter, l’air un petit peu intimidé. …avec d-deux pailles, s’il-vous-plaît.

D’abord surprise, la serveuse couva ensuite les deux jeunes filles d’un petit air entendu.
— Et puis, euh… hésita-t-elle, se concentrant sur le menu comme si elle résolvait une délicate équation. Le Spécial Tik-Tok : Chili-Végétarien-de-la-Destruction !
C’était le seul mets de la carte qu’on avait agrémenté d’un triple Magmar rigolard. Supposément pour exprimer à quel point il était pimenté.

‘tention, ça chauffe !

Regardant partir la serveuse, Astelle laissa un petit soupir épuisé lui échapper.
—  J’espère qu’elle a bien compris, pour le jus… confia-t-elle tout bas à Manon, avec comme une pointe d’inquiétude.

Et puis, interrogée sur son travail, c'est avec un sourire radieux que la jeune stagiaire se mit à expliquer qu'elle s'était levée aux aurores, puis qu'elle avait crapahuté pendant des heures pour distribuer le courrier dans tout Sunyra !
Elle parla à Manon du vieux monsieur bougon qui attendait son journal, et qui lui avait crié de rapidement muscler ses petites jambes de poképoulet ! Du boulanger qui avait reçu une commande spéciale de farine, et qui lui avait gentiment donné une chocolatine après réception de son colis. Et même des cartes postales colorées que les gens avaient reçues de leurs amis en vacances à Alola, à Hoenn ou à Unys.

La voix d'Astelle devenait très douce quand elle parlait de son métier, et des gens à qui elle destinait ses livraisons.
Sans aucun doute, la jeune stagiaire en était amoureuse.

J'ai fais les gros yeux quand Astelle a opté le plat le plus hot du café. Peut-elle survivre à cela ? Déjà que moi mon burger me fait rougir des joues, j’imagine pas les siennes. Cela ne me gêne pas de partager le verre avec elle, en espérant seulement que ça lui suffira pour tempérer sa bouche en feu.

Ses histoires de postières me fait décrocher des sourires et des éclats de rire. Les jambes de poképoulet m’ont achevé, je devrais surnommer mes cuisses comme ça. Je peux voir dans ses yeux pétillants beaucoup d’enthousiasme et d’amour pour ce qu’elle fait.

« Tu aimes vraiment ton travail … Je trouve ça chouette. »

Quelque part je l’envie, j’aurai aimé avoir un but précis qui me fait lever aux aurores tous les matins. Je suis tout de même contente qu’elle ait sa voie et qu’elle s’épanouit. Quant à moi, je suis justement partie d’Unys pour me trouver. Il faut que je sois patiente, ça va venir.

« Au fait, tu as quelle âge ? »

Cette question sort spontanément de ma tête. Je m’amuse à comparer ma vie avec elle et je me suis amusée à estimer son âge. Astelle paraît si candide et innocente que je lui donnerai difficilement plus que mon âge.

« Tu sembles un peu plus jeune que moi et pourtant déjà sur le marché du travail ! T'as du mérite. », je renchéris.

Je hoche la tête en plantant mes yeux bruns dans les siens. La seule chose que je sais c’est que je n’ai pas été aussi mignonne à son âge. La pureté qu’elle dégage me donne de sales idées, faut vraiment que j’arrête.

La serveuse revient avec nos plats. Ce que j’aime dans ce café-resto’ c’est l’efficacité et la qualité des plats. Je les remercie les yeux pleins d’étoiles. J’exprime mon enthousiasme à Astelle.

« Ah, j’adore ce resto’, on est vite servi ! »

Je contemple mon magnifique pain burger remplit de fromage coulant sur la viande et les petites baies ajoutant une note de couleurs. J'en salive rien qu'à le mater. Je zieute le jus rose bel et bien muni de deux pailles. Vu qu’on a qu’un verre, je saisis ma paille en pointant le bout sur mon amie.

« Vu qu’on a qu’un verre, on fait un ‘’tchin-tchin’’ de paille ? À nous et notre repas du midi ! »

Je lui fais un petit clin d’œil malicieux. Suite à cela je vais boire quelques gorgées pour apprécier la douceur et le sucre du jus avant d’attaquer mon plat comme un porc.

— J’ai dix-sept ans ! Et toi, Manon ?
Recevoir des compliments sur son métier faisait rayonner Astelle de plaisir, mais les propos de la jeune femme attisaient également sa curiosité.
Elle-aussi, elle voulait en savoir plus au sujet de son amie !
— Qu'est-ce que tu aimes ?

Sans interrompre la conversation, c'est avec un sourire encourageant que la serveuse déposa sur la table un grand verre de jus de baie Mago. Pile entre les deux jeunes femmes.
Avec deux pailles, pointant dans des directions opposées.

Astelle cligna des yeux plusieurs fois.

Il… il y avait une erreur, non ?

La jeune fille ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais aussitôt, son amie proposa de trinquer à la paille, et les mots restèrent coincés dans sa gorge. Elle baissa les yeux sur le verre. Puis sur Manon. Puis sur le verre, encore une fois.

Ce n’était pas du tout ce qu’elle avait eu en tête !

Son visage s’enflamma d’un coup.
— En… en fait…

…non ! Elle n’osait pas dire la suite.

Ses lèvres tremblèrent. Et sa main aussi, lorsqu'elle vint effectivement faire « tchin-tchin ».
Et puis, Astelle regarda son amie boire, tout en papillonnant follement des yeux.

Est-ce que toutes les filles faisaient ça, dans les grandes villes ?
Si.. si elle ne le faisait pas, est-ce que Manon allait se vexer… ?
Elle ne voulait pas que son amie pense que… que… qu’elle ne voulait pas boire dans le même verre qu’elle…

…c’était juste un peu embarrassant.

Fermant très fort les yeux, c'est les oreilles en feu que la jeune stagiaire goba sa paille avec détermination.
Pour l'amitié ! se dit-elle, comme on lancerait un cri de guerre. Voilà ! D'un coup sec, elle aspira une grande rasade de jus !
Le goût fruité de la baie Mago persista sur ses lèvres, avec une douceur brûlante. C’est ensuite à petits gestes timides qu’Astelle retira sa casquette de service. A l’intérieur, il y avait un minuscule Minidraco rose.

Comme Mini-senpai se couchait très tôt, Astelle l’avait laissé dormir lors de la soirée du Banquet d'Anniversaire.
C’était donc la première occasion qu'avait Manon de faire sa connaissance.

…espérant que son amie n’y fasse pas trop attention (ce qui était en bonne voie, car elle était toute à son burger), la jeune stagiaire fit discrètement boire le Minidraco à sa paille. En fait, c’était pour ça qu’elle avait demandé deux pailles, oui.
Ayant pris une toute petite gorgée, le pokémon se renfonça dans la casquette de postier qui lui servait de nid douillet, et émit un discret « Pyon ! ~ ».
Il faisait juste son rototo. Comme toujours, Mini-senpai exsudait une forme d'assurance tranquille, étudiant les alentours de son œil paresseux.
Le pokémon n'était pratiquement jamais pris au dépourvu, et Astelle se reposait beaucoup sur lui.

Voir que son partenaire était fidèle à lui-même aida la jeune stagiaire à se remettre un peu de ses émotions.
Tapotant doucement le dos de son Minidraco, elle fit les présentations.
— Vous ne vous étiez pas encore rencontrés, je crois. Manon, voici Minidraco-senpai !
Mini-senpai est mon supérieur hiérarchique à la Dracoposte : il supervise mon travail, assure ma protection et me donne tout plein de trop bons conseils !

Minidraco se tortilla poliment en direction de Manon, et peut-être même qu’il lui adressa un clin d’œil, l’air de dire :  « Salut, poupette ! Merci d’veiller sur Astelle. C’est rassurant d’savoir qu’y a une grande fille comme toi pour lui montrer un peu les ficelles ! ». Comme les gens avaient un peu de mal à comprendre Mini-senpai, Astelle lui fit la traduction en temps réel.

Là-dessus, Mini-senpai reprit une gorgée de jus de baie Mago. L’air posé.
Astelle s'empara de sa fourchette en souriant.
— A nous et à notre repas du midi, répéta finalement la jeune fille – un peu tardivement – en attaquant son Spécial Tik-Tok : Chili-Végétarien-de-la-Destruction. Bon appétit !

J'ai très peu traîné avec des gens plus jeunes que moi : ado, j’ai été la fille qui prend les gens de haut et qui se permet des choses parce qu’elle est plus âgée. Je me rends compte à quel point on change vite et heureusement. Astelle a voulu en savoir plus sur moi, mais la serveuse est arrivée en même temps et notre attention a été happé par la nourriture.

Lorsque je squatte la paille, la jeune fille marmonne quelques mots incompréhensibles. Je n’ai pas fais gaffe et je pouffe en la voyant rougir et boire une grosse gorgée. J’attaque mon sandwich lorsque j'apperçois, caché sous la casquette, un pokémon incroyable.

« Oh ! »

Je croque un bout en contemplant le petit être, les yeux tout brillants. D’après mon encyclopédie des pokémons, c’est un Mini-draco mais celui-ci a une couleur vraiment unique. Je peux entendre un couinement sortir de son ventre qui fait fondre mon cœur. La postière lui a laissé boire comme un nourrisson prenant son lait.

« Il est vraiiiment trop mignon ! On dirait un spermatozoïde tout rose    »

Je picore mes frites en regardant mes interlocuteurs avec tendresse. Une boisson, se n’est vraiment pas assez. Je décide d’interpeller un serveur pour commander un autre jus et un verre de liqueur de baie Kika. C’est un excellent digestif sucré qui accompagnera à merveille ma dose de nicotine. Astelle m’introduit son minidraco.

« Vous ne vous étiez pas encore rencontrés, je crois. Manon, voici Minidraco-senpai ! »

Je le salue niaisement avant de déchanter.

« Mini-senpai est mon supérieur hiérarchique à la Dracoposte : il supervise mon travail, assure ma protection et me donne tout plein de trop bons conseils ! »

Je me pétrifie de honte. Je veux à tout prix retirer mes remarques et m’adresser à ce pokémon avec considération. J’incline mon buste en signe de respect et d’excuses.

« Oo-oh enchanté Mr Mini-senpai, euh ... »

Ce dernier m’envoie un clin d’œil ; Astelle prend soin de me le traduire et je rougis d’avantage. Je suis pas une  bien, je mérite pas tant de clémence de sa part : je vaux pas mieux que la merde de PP des fois. Je fais éloge au Minidraco en lui disant à quel point j’apprécie sa bonté et son charisme.

« Bon appétit ! »

J’en oublie mes manières. Un peu agitée et rougie, j’attrape mon burger et je souhaite un « B-bon appétit ! » à Astelle. Quelques bouchées plus tard, je fais une remarque.

« Mini-senpai est si sage, je vais éviter de sortir les miens. »

Je roule des yeux en pensant à mes compagnons.

« Ophélia aime beaucoup trop te taquiner et PP n’est pas très hallal dans son comportement. Encore plus en ce moment, c’est la saison des amours. »

La dernière fois que je l’ai promené, il s’est frotté à un lampadaire pendant plus d'une heure : j’ai pu le laisser au poteau sans soucis pendant que j'ai fais mon shopping. Il a littéralement succombé au charme du lampadaire. Je ne veux pas qu’il me fasse de tels scènes ici, je le vois déjà entrain de traumatiser le minidraco.

J’avale la dernière part de mon entremet avant de répondre à la question posée plus tôt.

« Tu m’demandais c’que j’aimais … Beh j’adore la junk food, c’est plus fort que moi. T’façon y’avait que des Mcdos et des Kebabs à côté d’chez moi donc j’ai toujours été habitué à ce genre de mange-merde. »

Je ricane avant d’avoir envie de boire. À ce même moment, la barmaid revient avec mes deux fabuleuses boissons. Je la remercie avant de me jeter sur mon jus. Ma langue commence à piquer.

« … Et la sensation de boire quelque chose de doux après un repas épicé est super agréable. » dis-je sur un ton innocent.

J’observe mon interlocutrice. Je me demande si elle va pas succomber aux épices. Rien qu’à voir la couleur de l’assiette, j’ai chaud. Interloquée, j’approche mon visage près de la demoiselle.

« Dis moi, t’arrive à manger tout ça ? J’s’rai curieuse de goûter ... »

Juste pour voir si je vais pas tirer la même tête qu’elle. Je la regarde avec des yeux fripons.

— Il est vraiiiment trop mignon ! On dirait un spermatozoïde tout rose  
Euh… comment ? Astelle parut complètement se déconnecter pendant quelques secondes.
Le regard vide. La fourchette suspendue dans les airs. Un sourire figé aux lèvres.

Est-ce que Manon avait vraiment dit ça ? C’était… c’était un peu…
...mais son amie n’avait pas paru le dire méchamment. Au contraire, ça sonnait vraiment comme un compliment !
Peut-être que c’était normal, pour les filles de la ville, de parler comme ça...?

Le petit bout de femme tourna un regard curieux vers son pokémon, pour constater que Mini-senpai se rallongeait pépère dans sa casquette, en mode : « y faut bien que jeunesse se fasse ». Aussi, Astelle décida qu’il n’y avait pas de quoi se vexer. Pas quand Manon lui disait toutes ces choses-là avec de la bonne humeur, de l’énergie, et une vraie tendresse dans la voix.

Les mots que son amie utilisait, c’était juste ça, la différence.
Et Astelle, qui manipulait des lettres depuis l’enfance savait bien que les mots… c’était chacun les siens !
Ceux de Hyung Soo étaient abrupts. Ceux d’Archie étaient décousus. Ceux de sa maman étaient un peu distants. Ceux de son papa grondaient comme la montagne. ...mais en dépit de leurs différences, tous ces gens-là l’aimaient, avec leurs mots à eux.
Quant aux mots de Manon… Astelle décida qu’ils étaient « citadins » !

C’était un petit peu intimidant, mais elle allait s’y habituer. Peut-être.
Et… et si elle ne s’y habituait pas, alors elle regarderait ses yeux. Qui paraissaient lui sourire.

Ayant résolu son dilemme, la jeune stagiaire releva un regard doux vers son amie.

*

Tout en mangeant, Manon lui parla de ses pokémons. Du fait qu’ils n’étaient pas aussi matures que son Minidraco (…vieux d’une dizaine de jours).
Astelle se rengorgea un petit peu. Son amie comprenait que Mini-senpai était juste trop cool !
Mais elle déchanta bien vite.
— La Madame Tiplouf des Enfers… frissonna la jeune fille en entendant Manon parler de Celle-dont-il-ne-faut-pas-se-tromper-sur-le-genre.
Celle qui avait assassiné sa belle robe de soirée à coup d’Ecume. Celle qui l’avait poursuivie dans les couloirs interdits au public du Banquet d’Anniversaire en poussant des petits cris de guerre furibonds. Celle qui faisait rimer Tiplouf avec maroufle !

Affalé dans la casquette, Mini-senpai parut sentir sa détresse, et se retourna sans même ouvrir les yeux.
Même en faisant la sieste, il avait l’air de dire : « T’inquiète. Elle tente de te refaire ce coup-là et je l’allume à la Cage-Eclair. »

La jeune stagiaire déglutit. Cette idée la mettait mal à l'aise.
Elle n'avait pas envie de rester fâchée avec la terrifiante Ophélia.

Alors, même si Manon et Mini-senpai s’assureraient probablement qu’on ne l’embête pas, Astelle aurait bien voulu une chance de s’excuser proprement de son erreur, et de repartir de zéro avec la Madame Tiplouf des Enfers. Peut-être que l’occasion viendrait ?
...après tout, sans Ophélia, elle n’aurait pas rencontré Manon.

...mais elle lui fichait les chocottes quand même !

Elles continuèrent à deviser, tout en dégustant leur repas, et…
— …donc j’ai toujours été habitué à ce genre de mange-merde.
Encore une fois, la jeune stagiaire cligna des yeux en entendant les propos très imagés de son amie.

— Je… je vois… répondit-elle avec un sourire poli.
Non, en vérité, elle ne voyait pas du tout. Née et élevée à Kishika, la jeune fille ne connaissait que les produits frais et la cuisine savoureuse de sa maman. Mais, elle comprenait malgré tout que Manon adorait son burger ! Après tout, elle n’en avait fait qu’une bouchée, et son amie se penchait maintenant sur son assiette avec comme un air de Miaouss malicieux.

S'intéressant de près à son plat, Manon put aisément se rendre compte que tout au long de leur conversation… la fourchette d’Astelle n’avait pas chômé !
Son Spécial Tik-Tok : Chili-Végétarien-de-la-Destruction était bien entamé, et si les joues de la jeune stagiaire étaient encore roses, c’était surtout en raison des émotions nombreuses et nouvelles qui ne cessaient de l’assaillir, alors qu’elle échangeait avec son amie.
— Dis-moi, t’arrive à manger tout ça ? J’s’rai curieuse de goûter...
— J’ai bon appétit ! sourit-elle. Mais je veux bien partager.
Le petit bout de femme hésita un instant en observant sa fourchette, mais puisqu’elle avait passé avec succès l’Epreuve du Jus de Mago à la Paille de l'Amitié, il n’y avait plus de raison de faire des manières, pas vrai ? Elle chargea une grosse fourchette de chili et l’approcha de la bouche de Manon, en lui disant : « fais aaaaah… ».

La maman d’Astelle venait de Hoenn et avait un goût très prononcé pour les épices orientales.
Maintenant établie à Kishika, c’est un amour qu’elle continuait à perpétuer à travers sa cuisine.

Tout le monde mangeait épicé, chez les Dumas.
Aussi, les impitoyables Piments-Dracaufeu du Kanto, le Chililimagma de Johto ou le Curry à la baie Touga de Galar : la langue d’Astelle avait grandi avec !
…et celle de Manon ?

Une Baie Touga : chez Astelle, c'est un snack traditionnel.
Les visiteurs sont souvent surpris d'en découvrir un bol rempli à ras-bord, dans le salon.
Et plus surpris encore, une fois qu'ils y ont goûté...

Je suis scotchée, la postière avale comme si elle mange un gâteau. J'en viens même à me demander si ce plat est vraiment le plus épicé. Astelle, toute mignonne, me sert une bouchée : elle me tend sa fourchette garnie en l'approchant. Je ferme les yeux en ouvrant grand la bouche, n'espérant ne pas manquer ma part. Je fermes mes lèvres sur le couvert et je prends le temps de mâcher mes aliments.

La viande est fondante et les épices relevés, très relevés. Je n'arrive plus à sentir quoique ce soit d'autres que les piments et plus je mastique, plus c'est l'Enfer dans ma bouche.

« 'HEH HO ! »

J'halète comme je peux. Je peux sentir en déglutissant le piment brûler mon œsophage. J'engloutis mon jus Mago et je me précipite sur mon digestif en pensant que c'est de l'eau. Ce n'est qu'en le buvant que je me suis souvenue du contenant : mon corps est en ébullition. Le soleil ne fait qu'empirer les choses et m'incite à enlever mon gros pull. Je découvre mon débardeur blanc et je noue mon col roulé à la taille : j'ai l'impression de respirer !

« AAh, ça fait du bien ... »

Je me vente avec la carte du menu. Ma langue pique encore mais la température de mon corps s'est régulée. Avec nonchalance -le digestif monte vite à la tête-, je pose les coudes sur la table et j'avance mon buste vers mon interlocutrice. Je pointe le plat-criminel du bout de l'index.

« Waah bordel ta langue est vach'ment rodée ! C'est vraiment super fort ça, comment ça se fait qu't'arrives à avaler ça ? »

En attendant sa réponse, je zieute le menu dans ma main. Une glace me fait de l’œil, je pense la commander pour honorer ce repas de chef. Soudain, j'entends un bruit dans ma sacoche. Cette dernière et ouverte et un Tiplouf tout beau tout propre fait son apparition.

« Ti ♪
- Oh bah Ophélia, t'es sortie te dégourdir les papattes ?
- Ti ♡»

Elle me fait des petits yeux d’amour. Étrangement, je la sens de bonne foi aujourd’hui. Probablement parce qu’elle sait que c’est l’heure du dessert : mon pingouin aime autant la crème glacé que moi, il vient toujours taper l’incruste dans mes plats. Il faut dire que je lui ai donné une sale habitude mais Ophélia se dépense pas mal à l’extérieur. Et puis, c’est important de l’engraisser si je veux garder ses joues et son bidon tout ronds ! Je la pose sur mes cuisses, la mettant à notre niveau. Mon pokémon salue Astelle amicalement, comme si de rien n’est. Je me demande si Ophélia regrette son action passé ou veut tout simplement faire bonne figure pour avoir du dessert.

« On va se prendre de la glace avec Ophélia. Tu vas te prendre un truc aussi ? »

Je patiente sagement le temps que la demoiselle finisse son assiette.

En papillonnant des yeux avec malice, Astelle observa Manon changer de couleurs, et même se déshabiller en hâte. Au revoir, col-roulé ! Bonjour, « Poum-poum », « Tchaa-tchaa » !
Gentiment, la jeune stagiaire commença à éventer son amie avec la carte des desserts.
Son papa non plus, ne supportait pas très bien les épices, et pourtant, il ne laissait jamais une miette des bons petits plats que maman leur confectionnait. Il devenait tout rouge, sous sa grosse barbe, et finissait chaque repas en disant : « c’était délicieux… » d’une toute petite voix essoufflée.

Ayant terminé son assiette, Astelle posa son menton sur sa main, et sans cesser d'agiter son éventail improvisé, elle regarda son amie se rafraîchir.
— J’aime bien quand ça picote ! répondit la jeune stagiaire avec un sourire pétillant. Mais ça, c’est tout doux comparé à la cuisine de ma maman. Normalement, elle prépare aussi un rougail à base de baies Mago et Touga pour accompagner ses plats !

Toute contente, la jeune fille envisageait également de récupérer sa carte des desserts et d'y choisir de quoi finir le repas sur une note sucrée, quand soudain… La Madame Tiplouf des Enfers fit irruption au café.
Astelle se pétrifia.
Se cachant aussitôt derrière son menu, elle suivit le pokémon Eau de ses petits yeux effrayés. Craignant à tout moment de provoquer à nouveau l’ire du pingouin infernal.
Recevant un salut nonchalant de la part d’Ophélia, la jeune fille déglutit.
Et puis, en rassemblant doucement son courage, une petite respiration après l’autre : elle passa lentement la tête au-dessus de sa carte des desserts, et bredouilla.
— B-b-bonjour… Ophélia.
Astelle croisa le regard du poképingouin comme si elle s’attendait à une sentence de mort.
Mais pour le moment, la Tiplouf n’avait que sa crème glacée à l’esprit. Victime de sa gourmandise, elle était bien trop occupée pour reprendre son règne de terreur !

Vive les glaces ; elle n’allait pas mourir ! Poussant un soupir de soulagement, la jeune stagiaire rapprocha doucement la casquette de Mini-senpai, et referma délicatement ses bras autour de lui. Un geste qui traduisait son besoin de réconfort. Tout contre sa poitrine, le Minidraco qui pouvait entendre son cœur battre très fort lui gargouilla un petit « pyon… » rassurant.

— On va se prendre de la glace avec Ophélia. Tu vas te prendre un truc aussi ?
— O-oui ! répondit Astelle avec empressement.
S’il y avait quelque chose qui pouvait éclipser ses petites inquiétudes, c’était bien la perspective de manger une glace !
Surtout que le menu paraissait affriolant ! Voyez plutôt.

— Je vais prendre le Mélo-pêcha !

Pauvre Astelle, Ophélia la terrorise. Je me rappelle de la remarque du barman, elle est restée dans ma tête. Il va vraiment falloir que je sois plus sérieuse donc je pense demander conseils à des dresseurs ou éleveurs expérimentés. En attendant, il est hors de question de mettre à mal la jolie postière.

Cette dernière saisit la carte. J’ai oublié à quel point il y a une multitude de parfum ! Les photos me font baver d’avance. Mon invitée analyse les propositions avant d’opter pour la glace à la pêche. J’approuve totalement sa glace !

À mon tour de zieuter. Le choix n’est pas aisé : je suis tentée par le Baudrive-Barbapapa mais la douceur sucrée de la glace Lait Meumeu me fait envie. Le dessert Fraise-Lovdisc est très romantique, ce rouge m’attire tout autant. Indécise, je demande à Ophélia de choisir. Nous sommes toutes les deux fixées sur le menu comme des grosses.

« Ti ! »

Elle me pointe du bout de son bec le Sorbouboul. Je la dévisage avec de gros yeux.

« M-mais Ophélia … C’est un pokémon ça ! C’est la mascotte du resto’.
- Ti’. »

Son visage froid et déterminé me fait frissonner. Heureusement, mon palet a adopté la glace Lait-Vanille.

« C’est décidé, je prends ‘‘Vanilla Rich Milk’’, prononce-je à l'américaine, il me faut plus de glucose ! »

Nous passons commande et je sors une cigarette de mon paquet. Je prends soin de m’éloigner un peu pour ne pas enfumer la petite Astelle. J’ouvre la discussion :

« En tout cas, ça doit être quelque chose les plats de ta maman, abusé … J’aimerais bien relever le défi ! »

J’expire ma fumée dans le ciel. Ophélia arrête pas de gigoter tant son petit ventre gargouille. Elle rougit à chaque bruit de son estomac, c’est trop mignon. Mes yeux se dirigent vers Mini-senpai, blottit contre sa maîtresse. J’esquisse un petit sourire.

« T’as des ambitions de carrière ? Genre tu veux t’lancer dans une carrière de dresseuse ou tu veux te développer dans ta poste ? »

Ma phrase sonne peu cohérente, mon langage est perturbé par l’alcool. Toute incertaine, je dis :

« ‘fin, ça a du sens c’que j’dis ? »

— Je viens de quitter la maison pour voyager avec mes amis, répondit-elle. Là, j’apprends un peu les bases à Sunyra, mais au cours de mon stage à la Dracoposte, je vais visiter tout Lumiris ! On m’affectera sûrement à un autre endroit d’ici deux ou trois semaines.
Astelle expliqua à son amie qu’elle venait de Kishika. Un petit village au sud d’ici, qu’on pouvait rejoindre en moins d’une demi-heure en empruntant la piste cyclable. Ses parents avaient vraiment hésité à la laisser partir, et c’était seulement parce que Hyung Soo – qui était un peu plus âgé et beaucoup plus responsable – était présent pour l’accompagner qu’ils avaient fini par céder.

Pendant son histoire, la serveuse était revenue pour lui remettre une adorable crème glacée.
— Je te présenterais Archie et Hyung Soo, la prochaine fois ! sourit Astelle en léchant sa glace.

Le silence tomba sur le petit café. La jeune fille dévora son Mélo-Pêcha avec appétit. De temps à autre, néanmoins, elle relevait un regard à la fois timide et curieux vers Manon. Parce qu’elle fumait. Parce qu’elle partageait sa glace à la vanille avec son poképingouin. Parce qu’elle lui demandait ce qu’elle voulait faire, en la regardant droit dans les yeux.
Parce que Manon pouvait la regarder bien en face, et s’imaginer qu’elle voulait suivre une carrière de dresseuse.
Qu’elle pouvait suivre une carrière de dresseuse. Que ce genre de chose était à sa portée.
Est-ce qu'on lui avait déjà dit une chose pareille ?

Astelle serra doucement Mini-senpai contre son cœur. C'était peut-être juste des paroles en l'air, mais ça lui faisait très plaisir.
— Je crois qu’il y a quelque chose que je voudrais, chuchota-t-elle en relevant un regard brillant de tout plein d’émotions sur son amie. …mais j’ai du mal à l’exprimer.
Toutefois, Manon n’aurait pas le loisir de découvrir quoi.
Le moment approchant de régler l’addition, Astelle avait commencé à fouiner dans sa besace à la recherche de son porte-monnaie. Elle se rappelait distraitement que son aînée avait proposé de l’inviter, mais ça faisait un petit peu cher, aussi n’était-elle pas tout à fait à l’aise avec cette idée.

Au lieu de son portefeuille, la jeune stagiaire extirpa de son sac un paquet rond. Emballé dans du papier kraft. Très léger, et suffisamment petit pour tenir au creux de la main. Le nom du destinataire était inscrit en rouge dessus.
Mais il était aussi écrit : IMPORTANT : A REMETTRE EN MAIN PROPRE.

Le visage d’Astelle changea lentement de couleur. Ses yeux s’écarquillèrent. Ses lèvres dessinèrent un « o ». Elle avait oublié un colis.
— Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhh !? s’exclama-t-elle en bondissant sur ses pieds.

Dans une petite danse de la panique, la jeune fille parut faire deux tours sur elle-même, serrant tout à la fois le paquet, sa besace et la casquette de Mini-Senpai contre sa poitrine.
— J’ai… j’ai… j’ai oublié de livrer un colis… ! Il faut… je… bredouilla-t-elle en préparant ses affaires à toute-vitesse, avant de se pétrifier pour observer son amie d'un air chagrin. Elles avaient à peine eu le temps de manger ensemble, et... c'était déjà le moment de se dire au revoir.
Astelle avait de petites larmes aux coins des yeux. Elle sauta littéralement par-dessus la petite table pour serrer Manon dans ses bras.

— Je suis vraiment-vraiment-vraiment désolée ! Il faut que je file très-vite-tout-de-suite, pardon…!
Et après cette étreinte aussi fugitive que larmoyante, prodiguée à demi-affalée sur la table, Astelle roula hors-de-portée, se réceptionna sur le trottoir, et fila comme une flèche. Sans payer. Manon n'eut même pas l'occasion d'en placer une.
Les chaussures de la jeune stagiaire claquèrent à un rythme effréné sur les pavés. Elle gardait une main sur la tête, pour éviter que sa casquette ne s’envole. Et fichtre… ce qu’elle allait vite !

Le parcours d'Astelle va être chouette. De grandes aventures s'annoncent pour elle ! Tout comme moi. Je connais si peu de chose ici, chaque journée est une nouveauté. J'ai l'impression que mon moral se porte mieux depuis que je suis ici : je ne tourne plus en rond dans ma piaule à broyer du noir. J'exprime mon enthousiasme pour ses péripéties qui l'attendent.

La glace est servie ! Alors qu'Ophélia commence à somnoler, elle bondit d'un coup toute joyeuse. À peine je saisis ma cuillère qu'elle me demande de la faire goûter en premier. Je fronce les sourcils en disant que c'est à moi de commencer. Contre toute attente, le pingouin me fait une tête de chien battue à la PP -ils ont du se refiler les tuyaux pour me manipuler ces bâtards-, me faisant céder. Je lui fous une cuillerée dans le bec.

« Je te présenterais Archie et Hyung Soo, la prochaine fois ! »

Lorsque la demoiselle me dit ça, un sourire se fige sur mon visage. J'ai l'impression de revenir au lycée et d'avoir une vie sociale : je rencontre des gens qui m'en font découvrir d'autres et je forme mon entourage de personnes bienveillantes. C'est comme si je ne suis plus seule et qu'on me reconnaît en tant que personne à part entière. À force de me renfermer, je n'ai plus personne pour me considérer.
Je dévore ma crème glacée. Je fais très vite une pause pour consommer ma cigarette. Quand je pose ma question, Astelle serre son pokémon contre elle et susurre à peine :

« Je crois qu’il y a quelque chose que je voudrais … mais j’ai du mal à l’exprimer.
- Hein, quoi ? »

Je penche mon buste vers elle en tendant l'oreille. La postière a les mirettes brillantes et s'exprime avec une certaine émotion qui attise ma curiosité. Malheureusement, je n'ai pu soutirer d'avantage d'information se qui me fait tiquer. Astelle, tu me joues la fille mystérieuse ? J'aime ça. Je soupire malgré et je reviens à ma place. J'engueule Ophélia parce qu'elle a profité de mon imprudence pour me défoncer le dessert. Je me tape le liquide au fond du verre.

Je finis en même temps que mon amie. Curieusement, elle se met à fouiller dans son sac. J'arque un sourcil : elle va pas payer quand même ? Je la devance en sortant mes billets. J'éteins mon mégot dans le cendar avant de me lever et remarquer la bouille déconfite de la stagiaire.

« J’ai… j’ai… j’ai oublié de livrer un colis… ! Il faut… je…[/font] »

Oopsie. Ce sont des choses qui arrivent ma cocotte mais quand on est jeune, on panique pour un rien. J'ai envie de la rassurer mais Astelle panique et range toutes ses affaires pour déguerpir comme une fusée. Elle s'excuse mais je reste un peu sur le cul : tout se passe très vite. Désemparée, Ophélia décide de prendre les choses en main et de pourchasser la cadette — en espérant que ça va pas mettre Astelle en PLS.

Je file payer : au moins on aura pas eu à se quereller pour l'addition. Je chope mes affaires et je pars à la recherche de la petite brune telle un pedobear chassant sa proie — promis je ne la poursuis pas pour les mêmes raisons. J’aperçois le cul bleu de mon Tiplouf carapater un peu plus loin.

« Eh Astelle, attends ! »

J'aurai pu l'écouter et ne pas la rejoindre mais mon esprit pense le contraire. Je sens que ça peut être fun et j'ai encore envie de passer du temps avec elle. J'ignore si c'est son charme ou mon intolérance à la solitude qui me pousse à me conduire ainsi.

« Astelle ! » l'appelle-je, essoufflée.

Mon endurance est limité et mes poumons brûlent. Je me rends compte à quel point la fume ne me réussit pas : à 14 ans je me suis tapée des sprints de dingue ! J'espère sincèrement que mon amie va s'arrêter parce que j'ai besoin de reprendre mon souffle.  

Dans une course sautillante, Astelle avalait la distance.
La petite postière déboula le long de l’Avenue Heliatronc, en zigzaguant entre les passants et en bondissant par-dessus les petits pokémons. Elle prit à droite devant la boutique du fleuriste, et puis tout droit après le portail qui menait au Parc Safari. La jeune fille ne regardait presque pas où elle allait : elle avait battu les pavés toute la matinée et ses pieds connaissaient bien le chemin.
Mentalement, elle consulta son itinéraire.
Il fallait qu’elle remonte jusqu’au Pont Caeli, afin de bénéficier d’une sortie directe sur la route 6.
Après quoi, son destinataire se trouverait à deux ou trois kilomètres seulement, aux abords de la Zone Forestière.

Gravissant un petit escalier de fortune qui menait sur le toit d’un vieux grenier (un raccourci, qui lui évitait un détour), la jeune stagiaire crut entendre quelqu’un l’appeler. Astelle se retourna, pour découvrir le cauchemar qui la poursuivait.

Cauchemar d'Astelle:

La jeune fille se pétrifia.
Pourquoi Ophélia était-elle ici ?
Le poképingouin avait sa tête des mauvais jours, et la reluquait en tremblant de rage (mais peut-être qu'elle haletait juste, ça n'avait pas dû être facile de la rattraper). Le pokémon paraissait surexcité, il y avait même un peu d'écume blanche au coin de son bec (juste de la glace au bon Lait Meumeuh).
En bas des marches, Ophélia fit un geste de la nageoire, qu'elle passa lentement sous son cou ; comme un voyou promettrait de vous égorger (mais en vrai, elle lui faisait signe de se ramener, parce que monter les escaliers : très peu pour elle).

La jeune stagiaire piqua un élecsprint. Elle prit la fuite.
Sentant lui monter les larmes aux yeux, Astelle poussa un petit cri misérable, qui résonna dans toute l’avenue.

— Pourquoiiiiiiiiii ? Madame-Ophélia-Tiplouf-de-sexe-féminin, je ne me suis pas trompée cette foiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiis !

Des machinations terribles lui traversaient l’esprit, où elle imaginait que la Tiplouf des Enfers, après avoir prétendu être sage pendant tout le déjeuner, s’était finalement arrachée à la surveillance de Manon pour accomplir sa vengeance. Comme pour semer le poképingouin revanchard, Astelle courut sur les planches grinçantes du vieux grenier, et retraça son itinéraire en sens inverse : sautant d’un toit à l’autre comme un petit spoink possédé.

Elle était presque à portée de l'escalier de service qui lui permettrait de rejoindre le pont surplombant tout le quartier résidentiel. Quand elle tomba.
Un pan de toiture vermoulue se crevassa sous ses pas, et sous les yeux hagards de son amie : une vieille bâtisse désaffectée avala Astelle tout rond.

Plan:

Je me tape une pointe. Il serait bête de perdre de vue Astelle mais aussi Ophélia qui la suit à la trace. Je slalome les individus jonchant l'avenue. Je trébuche sur un sale clébard et je me prends un couple planté sur mon chemin.

« D-désolé ! »

J'aurai dû les insulter. Bande de bâtards, je leur ai demandé de se pousser mais ils m'ont ignorés. Et ces tourtereaux osent m'engueuler ? L'amour rend con.

Je passe le magasin du fleuriste. J'aperçois le dos d'Astelle et Tiplouf au bout de la rue. Mon souffle est saccadé et ma gorge en feu, je sens que mon corps va lâcher mais je tiens bon. C'est dingue à quel point j'ai l'air d'une vieille asthmatique maintenant, j'ai honte de moi-même. Alors pour me prouver le contraire, je prends mes jambes à mon cou pour rejoindre Ophélia. Entre deux respirations, j'articule :

« Hatt-... Att- »

Astelle a disparu sur les toits lorsqu'un bruit sourd résonne dans l'allée. Je rattrape finalement mon pingouin et je prends un instant pour reprendre mon souffle. Seigneur, on dirait PP après qu'il ait fait le fou toute la journée sur la plage. Je regarde Ophélia qui me fait des mimes : elle patiente devant des marches menant à la toiture. J'imagine que la postière a dû passer par là. J'espère qu'elle n'est pas la cause de ce charivari même si j'ai des doutes. Sans plus attendre, j'emprunte le même chemin pour la rejoindre.

Aucun signe de vie mais un formidable panorama sur Sunrya. Je n'ai pas le temps de profiter du paysage : je m'avance prudemment sur les tuiles jusqu'à tomber sur le toit effondré. Malheureusement, mes intuitions sont les bonnes : ma pote s'est cassée la gueule. Je l'appelle, un peu paniquée.

« A-astelle ? Ça va ? Tu n'as rien ? »

J'aurai pu trouver un moyen plus intelligent de descendre et pourtant je me résous à sauter dans le trou. Une chance que je ne me suis pas fais une entorse ; au lieu de ça, j'ai glissé sur un bout de bois et j'ai atterri sur les fesses. Le choc fait résonner chaque parties de mon corps de façon désagréable. Je m'en remets très vite avant d'approcher la demoiselle.

« Je pensais proposer tranquillou de t'accompagner mais ... ça s'est fait autrement. », je ricane gaiement.

Je prends le temps d'observer les lieux. La pièce est étrangement vide et sombre. Les murs n'ont pas l'air d'être en bon état et le sol grince comme pas permis : pas étonnant que le toit s'est affaissé. Ophélia inspecte elle aussi l'endroit, osant même s'aventurer ailleurs. Je me retourne vers la postière pour lui faire la remarque :

« J'la trouve cheloue cette maison. Il y a quelqu'un ? », ma voix fait écho dans la salle.

Astelle n’avait pas eu mal du tout. En vérité, tombée face contre terre, elle avait heurté quelque chose de curieusement mou. Quelle chance !
Reprenant doucement ses esprits, la jeune fille se redressa sur ses mains.
Quand même… son coussin était vraiment très visqueux.
— Mini-senpai, tu vas bien…?
— Pyon ! lui répondit sa casquette.

La petite postière se retourna en entendant la voix de son amie. Manon l'avait suivie ! Peut-être pour empêcher Ophélia de la truander ! En bougeant, elle sentit une curieuse résistance, au niveau de ses épaules et de ses hanches, et un bruit gluant accompagna son mouvement. Vraiment bizarre, cette texture.

La pièce était plongée dans la pénombre.
Seulement éclairée par le trou dans le plafond, on y voyait à peine à un mètre, et les coins étaient avalés par les ténèbres. La porte et les fenêtres barrées de grosses planches cloutées, le bâtiment abandonné avait une allure grinçante et lugubre. Soulevés par l'irruption des deux amies, des moumoutons de poussière se promenaient paresseusement dans les airs.
Livrée à elle-même, Astelle se serait sûrement un peu inquiétée de la situation... mais comme son amie l'avait suivie au fond du trou, et qu'elle se relevait à côté d'elle (en se massant le fessier) : elle parvint à garder son calme.
— Je n’ai rien de cassé… je crois !
La jeune fille voulut se relever pour se rapprocher de Manon. Et ne parvint qu’à se redresser à demi.

Sploooooocht.

Astelle cligna les yeux, et leva une main devant son visage, pour la trouver complètement recouverte d’une substance blanche et collante.
— Huh…?

En gesticulant, elle s’était complètement entortillée dans une espèce de toile humide. Qui n'était pas du tout un coussin ! Et qui engluait le sol et les murs du vieux bâtiment. Empêtrée dans les sécrétions d'une pokéaraignée, Astelle se retrouvait tel un Papillusion pris au piège !
— Huaaaah… j’ai du truc blanc partout sur mon uniforme ! gémit la jeune stagiaire en se tortillant piteusement par terre. Et, euh, je crois… que je suis coincée.

Relevant un regard brillant vers son amie, qui se découpait héroïquement dans le contre-jour, Astelle s’apprêtait à demander de l’aide… quand elle se sentit soudain glisser sur le sol. Non… elle se sentit traînée sur le sol, plutôt.
Attirée en arrière, en laissant lui échapper des petits « ho ho…? » de panique, la jeune fille releva la tête.
Les yeux plissés, elle chercha à mieux distinguer les formes noires tapies dans l'angle de la pièce.
Et puis devint livide. Et puis poussa un cri.

Il y a quelqu'un ?:

Ma vue est obstruée par la pénombre. Je plisse les yeux pour y avoir un peu plus clair. Soudain, j'entends la voix de mon amie paniquée. C'est alors que les rayons du soleil illuminent l'épouvantable scène.

La pauvre Astelle est saucissonnée bien comme il faut dans de la soie. Rien qu'à voir ça, j'en ai la chair de poule. Je cours vers elle pour la libérer jusqu'à ce que j’aperçois tapies dans l'ombre deux monstres à six pattes.

« Beeeuuhh-, c'est quoi ça ?! »

Elles me barrent la route, toutes deux voulant protéger son quatre heures. La plus petite s'occupe à torturer Astelle tandis que la plus grosse va s'occuper de mon cas. Ça ne va pas se passer comme ça. Je resserre mon pull à ma taille avant de sortir mon Snubbull.

« Ok les kids, c'est votre moment. Vous allez pouvoir taper. »

À mes dires, Ophélia se met au garde à vous et PP écoute en remuant comme un fou la queue.

« Ophé', tu défonces la grosse tâche avec Laser Glace. PP, vu que t'es vulnérable, tu défonces l'autre avec Croc Feu et tu défonces la corde, là », je finis par pointer du doigt ce qui ficèle la demoiselle en détresse.

C'est un mot que je répète régulièrement : "défonce" car c'est l'un des seul dont ils comprennent le sens. Je sens dans leur regard de braise qu'ils sont prêts à en découdre. Je donne le signal d'alarme.

« Allez go ! »

Sans plus attendre, le toutou carapate vers la plus petite araignée pour le mordre fougueusement. Quant à Tiplouf, elle balance son attaque glacial contre l'ennemi. J'aurai espéré qu'il gèle mais cela n'a pas fonctionné, il réplique en agressant pas mon pokémon, mais moi.

« KYA~ » je geins comme une pucelle.

Le con a éjaculé sa toile sur mes pieds et me fait trébucher. C'est vraiment sale, ils sont sans pitié. Mon pingouin favori riposte immédiatement à coup de Picpic. Celui-ci se positionne devant moi pour éviter que je me blesse.

Je zieute du coin de l’œil comment ça se passe avec PP. Ce dernier se débrouille bien, la bestiole est déboussolée mais elle lui balance une attaque Poison. Je pousse un gasp d'effroi jusqu'à ce qu'il se redresse fièrement. J'arrache la toile qui colle à mes chaussures, en vain. Je décide alors de lui gueuler :

« PP, utilise Mimi-queue et Croc-Feu ! »

Le doggo montre son popotin ce qui baisse la garde de l'adversaire. Il vient le croquer en parvenant à le brûler. Ça ne devrait plus durer longtemps : d'ici deux minutes il va tenter de délivrer Astelle. Du moins, je l'espère.

Ophélia a dû mal à gérer son antagoniste. Ses coups de bec mettent du temps à l'affaiblir. J'ordonne à mon compagnon d'user une nouvelle fois son attaque glace avant de le piquer. Je doute en venir à bout ainsi, il faut que j'envoie mon clebs. Je me fais la réflexion :

« Ça marche pas, faut qu'PP intervient. »

Ophélia va se servir de son bec pour nous libérer. Pendant ce temps-là, PP va le mettre K.O à coup de morsure brûlée. En organisant cela, mon oiseau démoniaque -pas tant que ça finalement- me dégage de ces fils blanchâtres et j'ai pu rejoindre mon amie pour la sauver. Heureusement que j'ai changé mes plans parce que le clébard n'a rien compris, il a léchouillé le minois de la pauvre Astelle.

« T'as rien d'cassé j'espère ? Désolée pour le chien. »

Je me retourne un instant pour analyser le combat.

« Ptn j'connais pas ces poké, j'ai du mal avec ce gros-là ... »

Je vois mon canidé s'épuiser mais l'araignée n'est pas bien non plus. Il lui manquerait un coup de grâce pour y mettre un terme. Inopinément, mon pingouin poignarde le pokémon sauvage à coup de bec. Un dernier soupir du vaincu et le calme revient. L'adrénaline me fait oublier ma peur : c'est quoi cet endroit au juste ? Il y en a d'autres des comme-ça ? Je prie pour que tout cela ne vire pas en un mauvais hentai.

Sa proie immobilisée sur la toile, Mimigal soumettait Astelle à d’effroyables tortures.
La décence nous interdit de décrire cette scène dans son entièreté.
— Nooooon ! Qu’est-ce que vous faites… ? Ne retirez pas mes chaussures, kyaaaah ! Ça chatouille !
Mais la jeune fille semblait souffrir le martyre. Ou rigoler comme une pokébécasse, c’était difficile à dire.

C’est alors qu’intervint le pokéchien rose aux mâchoires enflammées ! Ayant terrassé le Mimigal, il s’approcha de la petite postière pour la libérer.
Enfin, peut-être. Ses motivations n’étaient pas tout à fait évidentes, mais il paraissait bien intentionné.
— Euuuuh… Pépé, c’est ça… ? Voui… je suis enchantée, aussi.

"Slurp. Slurp. Slurp."

— Dis… tu peux arrêter… ? C’est vraiment très gentil de vouloir m’aider mais... j’ai la joue toute gluante. Et de la bave dans l’oreille…

Manon se débrouilla pour se frayer un chemin jusqu’à elle, et l’extirpa de son cocon de toile. Astelle suivit la fin de l’affrontement avec un petit air ébahi. Son cœur battant très fort, jusqu’au moment où Ophélia mit K.O. la dernière pokéaraignée. Avec un terrifiant coup de bec.

"Ti ! Tiplouf !"
("Défooooncer !")

Le calme revint. La jeune fille était assise par terre, sans oser bouger.
— Je… je vais bien, dit-elle, la frimousse couverte de bave, et les vêtements maculés de soie gluante.
Elle n’avait pas l’air réellement effrayée, mais sa voix paraissait distante, même à ses propres oreilles. Peut-être qu’elle ne réalisait pas encore, pas tout à fait, ce qui venait de lui arriver.  
— Elles étaient un peu agressives mais… elles ne m’ont pas vraiment attaquée. Je ne sais pas trop pourquoi elles en avaient après mes orteils, par contre… marmonna-t-elle en relevant son petit peton déchaussé, avec sa chaussette toute mordillée.

Entendant Mini-senpai émettre un « Pyon ! » majestueux, empreint de sa grande autorité naturelle, la jeune stagiaire retira sa casquette pour regarder son partenaire se dandiner sous ses yeux.
— Oui… tu as raison. Avant toute chose, il faut commencer par soigner Pépé. Manon, garde l’œil ouvert au cas où il y en a d’autres, d’accord ?
Astelle farfouilla dans sa besace presque vide, et en extirpa la potion qu’elle y conservait en permanence, pour les cas d’urgence. Toujours à quatre pattes, elle s’approcha du pokéchien pour lui administrer le remède. Ceci dit, Pépé dut simplement comprendre qu’elle revenait à la charge pour une deuxième ration de vous-savez-quoi.

"Slurp. Slurp. Slurp."

— …kyaaah ! Non, ne gigote pas comme ça… ne me mets pas ta langue dans le cou, s’il-te-plaît… je suis très-très-très chatouilleuse…
Son bobo guéri, c’est en tenant maladroitement le pokéchien serré contre son cœur qu’Astelle tourna un sourire embarrassé vers son amie.
— Herm… désolée pour… pour tout ça. Et merci d’être venue m’aider, Manon… vous avez été incroyables…!
Elle n’avait pas tout vu, ou tout compris, mais la dresseuse avait neutralisé les pokémons sauvages en un instant. Hors de combat, Mimigal et Migalos reposaient tous les deux sur le sol, à l’écart. Sûrement qu’ils reprendraient leurs esprits tout à l’heure… en espérant qu’ils auraient appris leur leçon. Ça ne se faisait pas de saucissonner une jeune fille dans sa toile pour lui tripoter les doigts de pied comme ça !
— Quand je pense que j’ai utilisé ce chemin pas plus tard que ce matin pour faire ma tournée… si le toit s’était effondré à ce moment-là… j’y aurais sûrement laissé tous mes orteils.

Mal à l’aise, elle secoua la tête, comme pour chasser ces idées.
— J’en parlerai à mon responsable plus tard. Il saura à qui il faut signaler que les entrepôts ont besoin d’être rénovés, et sont peut-être habités par des pokémons sauvages grognons. En attendant… il faudrait qu’on sorte d’ici.

Mine de rien, Mimigal et Migalos étaient de gros pokémons. Mesurant respectivement 50 centimètres et 1 mètre de diamètre. Si la porte et les fenêtres étaient barrées, et qu’il n’y avait pas encore eu de trou dans le toit… alors, il devait exister un autre passage, menant à l’extérieur.
— …peut-être entre les lattes du plancher. Ou dans les murs.
Après tout, s’ils avaient tissé leur toile dans l’entrepôt, c’est que celui-ci devait leur servir de foyer. Mais il avait bien fallu qu’ils se procurent à manger pour rester vivre ici. Et ce n'était pas tous les jours qu’une petite postière leur tombait tout droit entre les mandibules.

Astelle remit ses chaussures et sa casquette, puis se redressa maladroitement.
Toute collante, elle trébucha sur Manon presqu’aussitôt. Et lui mit de la toile gluante partout.
— …waaaah, désolée ! J’en ai derrière les genoux. Sous les pieds. Et entre les jambes aussi. …alors c’est pas facile de marcher, marmonna-t-elle en faisant la moue. J’espère que ça part à la machine… et que tu n'aimais pas trop-trop-trop tes vêtements… parce que je suis en train de t’en mettre partout…

Elle profita d’être avachie sur Manon pour souffler un peu. La tension qui l’habitait jusque-là s’évanouissait enfin, et la laissait toute flageolante. C’était pas tous les jours que de grosses pokéaraignées lui picoraient les orteils, après tout.

Accrochées au pull de son aînée, ses mains tremblaient un peu. L’image de Mimigal et Migalos, penchées sur elle, tout en faisant claquer leurs mandibules… s’était gravée dans son esprit. Elle ne le réalisait que maintenant, mais elle avait vraiment eu peur.
Même si à cet instant, elle s’inquiétait presque davantage pour quelque chose de très différent.

…elle se demandait si elle embêtait son amie.
Astelle était toute sale. Et collante, dans tous les sens du terme.
La jeune fille releva un regard embarrassé, par en-dessous, pour étudier le visage de Manon.

La petite postière est encore sonnée. Il faut dire qu’il s’en est passé des choses en aussi peu de temps. Elle m’informe que ces pokémons n’ont pas été violents  hormis avec ses orteils. Je regarde son pied déshabillé et souillé par ces pervers.  Mon visage s’assombrit avant de poser ma main sur la tête de mon amie.

« T’es trop pure pour comprendre leurs intentions. Être fétichiste c’est pas une raison pour ligoter et torturer des âmes innocentes. »

Je zieute les corps inconscients des bestioles. Vu ainsi, elles me font moins peur, limite j’ai pitié. C’est alors que le petit chef postier fait son apparition sous le chapeau d’Astelle. Il pousse son couinement adorable et la stagiaire acquiesce.

« Oui … tu as raison. Avant toute chose, il faut commencer par soigner Pépé. Manon, garde l’œil ouvert au cas où il y en a d’autres, d’accord ? »

Mes prunelles pétillent. Je n’aurai pas cru qu’elle aurait de quoi soigner mes compagnons ! Il mérite bien cela. Je la remercie chaudement pour ce coup de main. N’empêche que je trouve qu’on forme une bonne team. Je hoche promptement de la tête pour approuver son conseil. J’azimute les honorables combattants, heureux qu’on s’occupe d’eux. PP la récompense chaleureusement ce qui me décroche un rire.

« Herm … désolée pour … pour tout ça. Et merci d’être venue m’aider, Manon … vous avez été incroyables … ! »

Elle me fait rougir et ce pourpre m’embarrasse d’avantage. J’ose à peine la remercier tant c’est inattendu. Puis, ce sont mes pokémons qu’il faut féliciter. Grâce à cette remarque, je n’oublie pas d’encourager mes machines de guerre par un geste tendre et des paroles rassurantes. Voilà une journée bien productive, cela fait un moment que j’aurai du me battre contre des ennemis ! Astelle me fait une réflexion et je lui réponds :

« Oe, heureusement que ça ne s’est pas passé à ce moment-là. »

Le calvaire que ça aurait été pour elle, une chance qu’elle ait fini sa journée. À ce propos, ne doit-elle pas rendre une lettre ? Est-ce que c’est à cette adresse et si oui pourquoi ? Pleins de questions fusent dans mon esprit mais la demoiselle me ramène les pieds sur tard.

« ... En attendant… il faudrait qu’on sorte d’ici. »

Nous nous sommes fait attaquer et piéger, la moindre des choses seraient de songer à un échappatoire. Je décortique scrupuleusement l’environnement jusqu’à entendre ma copine murmurer quelques mots : elle parle du plancher ou des murs. Il est vrai que si ces monstres ce sont installés ici, c’est qu’il y a une entrée ou un endroit menant à l’extérieur. Sinon comment se nourrissent-elles ?

Au moment où j’aperçois une drôle de planche, Astelle se casse la gueule en m’entraînant dans sa chute. En rouvrant les yeux, je peux contempler sa bouille à quelques centimètres de la mienne.

« ... Waaaah, désolée ! J’en ai derrière les genoux. Sous les pieds. Et entre les jambes aussi. … »

Je ne sais pas pourquoi mon rythme cardiaque a augmenté. Je peux sentir son petit corps chaud se coller au mien. La dernière fois que j’ai eu cette sensation c’est lorsque j’ai couché avec une fille d’un bar. À moitié ivre, elle s’est vautrée sur moi avant que ça se barre en cacahuète. Je chasse mes idées lubriques au plus profond de mon inconscient avant de me soulever un peu. C’est plus possible, on est toutes crasseuses.

« Attends attends, j’vais t’débarasser d'tout ça. »

Je tente de décoller cette toile collante au fur et à mesure de ses énumérations. Je tiens Astelle contre moi pour pouvoir regarder son genou. Je gratte délicatement la zone.

« J’espère que ça te chatouille pas, moi perso’ j’suis ultra-chatouilleuse derrière l’g'nou. »

Puis j’en enlève sur ses jambes en faisant abstraction de leur douceur exaltante. C'est alors que je m'approche de la zone délicate en ôtant petit à petit la soie visqueuse. Je lui susurre timidement :

« Et là, ça t'fais pas trop d'guilis ? »

Je me fous des baffes mentales pour effacer ce scénario de ma mémoire. Je retire ma main tremblotante de ses gambettes avant d'ajouter avec réserve :

« T-tu ... Pourras faire cette zone là, t'as juste à mouiller un peu tes doigts et à frotter tu verras, ça finira par partir. » je détourne le regard l'air coupable.

Finalement, j'attaque ce qui me colle aux pattes. Avec moi-même, je me montre beaucoup moins tendre : je racle ma peau, irritée de voir ces fils blanchâtres me résister. J’ai suffisamment profité de la situation pour faire une approche physique avec Astelle alors je décide de me relever.

« Pour les pieds, hésite pas à gratter, ça finira par partir. Je t’ai fais le gros du travail, tu devrais t’en sortir. »

Je lui fais un petit clin d’œil avant de me griller une clope. Après toutes ces émotions, j’ai bien besoin de ma dose de nicotine. En attendant la jeune fille, j’examine de nouveau les recoins de la pièce. J’ai perdue de vue le trou douteux que j’ai localisé avant l’incident. Je propose à mes pokémons de chercher avec moi une sortie. Ophélia fonce vérifier dans les autres salles tandis que le chien renifle le sol. Je scrute avec ce dernier la moindre trappe lorsqu’il aboie : il a retrouvé la latte de tout à l’heure !

Je me mets à genoux, l’oreille collé au plancher. Je toque pour voir si cela sonne creux. En effet, mon hypothèse semble se confirmer. J’essaie d’arracher et de frapper la planche jusqu’à ce qu’elle cède. J’appelle ma pote.

« Astelle, ta remarque était pas du tout bête. Viens voir ! »

J’aperçois entre le bois les fondations, ce qui devrait nous mener à l’extérieur.

« En forçant, on devrait pouvoir y accéder. Faudrait taper très fort avec notre pied pour la détruire, ensuite on aura juste à retirer les autres planches pour qu’on puisse passer easy. »

À ce moment, mon pingouin revient en piaillant. Il semble vouloir nous révéler sa découverte. Je le suis d’un pas pressé jusqu’à ce qu’il s’arrête devant le mur. Une partie est défoncée et laisse apparaître quelques rayons lumineux nous indiquant l’issue. J’interpelle une nouvelle fois mon amie pour lui dire :

« Il y a aussi ce passage ! Je sais pas du tout lequel est le plus safe, celui-ci doit mener au jardin et Dieu-Arceus sait ce qui nous attends ... », je parle comme mon ex beau-père, c’est dingue.

Je coince ma cigarette entre mes lèvres avant de caler mon menton entre mon index et le pouce. Quel chemin devrions-nous prendre ?

« Ptn j'connais pas ces poké, j'ai du mal avec ce gros-là ... »

Avant la chute.

« T’es trop pure pour comprendre leurs intentions. Être fétichiste c’est pas une raison pour ligoter et torturer des âmes innocentes. »
Fétichiste...
Sensibilisée à l’écriture depuis son plus jeune âge, Astelle ne manquait certainement pas de vocabulaire. Elle avait lu son content de livres, même ceux un peu bizarres que sa maman avait publiés dans sa jeunesse (en cachette par contre, parce que ça la fâchait vraiment beaucoup). La jeune fille tourna un regard embarrassé vers les deux pokéaraignées, qui avaient été dûment punies pour leurs penchants exotiques.
— M… mais… il faut se mettre à leur place ! dit-elle avec un air un peu comique. Peut-être que moi aussi, si j’en avais six, des pieds… je serais curieuse de regarder et de tripoter ceux des autres !
Voulait-elle trouver une excuse à Mimigal et Migalos ? Se montrer drôle ? Ou alors, simplement jeter un éclairage plus léger sur la situation ?
Astelle eut un gentil sourire. C’était peut-être un peu tout ça à la fois.  

*

Après la chute.

Vautrée sur son amie, Astelle se tortillait comme un petit Aspicot hilare. Agrippée à Manon, la jeune fille laissait lui échapper de grands trilles clairs, riant à gorge déployée alors qu’on lui gratouillait les jambettes et l’arrière des genoux. Les chatouilles, c’était vraiment pas possible ! Mais en même temps, elle aimait bien ça ! La jeune stagiaire s'apprêtait à contre-attaquer, et à lancer ses petits doigts habiles à l'assaut des côtes de Manon, quand...

...vint ce moment où elle sentit les lèvres de son amie à un souffle de son oreille.
Juste pendant un instant, une grande confusion s’empara de la jeune fille.
Juste pendant un instant, ça ne ressemblait plus à un jeu.

Mais ce n'était pas tout à fait la première fois, n'est-ce pas ?
La voix de Manon avait perdu en volume. Ses mains en assurance.
Et en se retirant, elle tremblait un peu.
Reprenant son souffle, les joues toutes rouges, Astelle se contenta d’observer Manon. Un peu perdue.
Elle voulait comprendre, alors elle chercha le regard de son amie, pour voir celle-ci détourner la tête. Adopter une attitude plus fuyante. Ce petit quelque chose, qui venait de transparaître dans la personnalité de son amie, avait disparu à nouveau.

Pour le moment… la jeune fille mit soigneusement son trouble de côté.
Elle prendrait le temps d’y réfléchir, un peu plus tard.
Elle découvrait encore cette amitié, pleine de nouveautés et de fraîcheur.
Aussi, il n'était pas nécessaire de tout comprendre, tout de suite. Manon lui adressa un clin d’œil, et Astelle n'eut aucune peine à lui retourner un sourire tout plein de douceur. Cela viendrait, petit à petit.


Décrassée et de nouveau debout, Astelle étudia les découvertes de son aînée. Elle félicita Pépé et Ophélia pour leur travail d'investigation, et Mini-senpai pour sa supervision prudente et aguerrie. Finalement, la jeune stagiaire désigna le passage menant vers l’extérieur.
— S’il y a un jardin, c’est sûrement la promenade panoramique qui contourne le Parc du Saule, dit-elle en se référant à sa carte mentale de Sunyra. Normalement, les pokémons y sont plutôt sages, mais mon formateur m’a mis en garde contre les Feuillajou qui s’y sont installés récemment. Ils ont tendance à enquiquiner les visiteurs.

Tout en parlant, la petite postière enjamba énergiquement le pan de mur à demi-effondré. Et puis, le soleil dans le dos, elle se retourna avec un sourire pour faire signe à Manon de la suivre.
— Je voulais prendre un raccourci pour rejoindre le Pont Caeli… mais tant pis, on va devoir faire le tour.

Elles s’engagèrent le long de la promenade scénique. C’était un beau petit chemin, confortablement bordé de verdure et de quelques étangs agréables. Les pokémons qu’on y croisait étaient très calmes (ou peut-être simplement paresseux, après tout, c’était l’heure de la sieste). Pourtant, en dépit de la douceur du paysage, Astelle affichait une petite moue.

Elle aurait déjà dû livrer le paquet : sa livraison avait été prévue pour le matin ! Et comme l'adresse était un peu étrange… si ça se trouve, le destinataire n’y serait même plus si elle arrivait avec trop de retard.
Après quelques hésitations, la jeune fille se retourna vers Manon pour lui expliquer la situation.

Elle s’arrêta sur un petit pont en bois, enjambant un étang rempli de nénuphars et de Nénupiots.
Sur le côté, un Maraiste se penchait vers le bassin, apparemment captivé par son reflet.

— Ma… Manon, dit-elle avec une légère tension dans la voix. Il faut que je remette mon colis un peu à l’écart de la ville. Je crois que c’est un genre de grande maison de repos, aux abords de la Zone Forestière. …c’est un peu loin, et je ne crois pas que mon destinataire habite réellement là-bas… alors, peut-être qu’il n’y sera plus si je tarde trop…

Les yeux plongés dans ceux de son amie, Astelle se tordait les mains, un peu gênée.
A côté d'elle : plouf. Le Maraiste était tombé à l'eau, mais la petite postière était trop préoccupée pour y prêter attention.

— …je, je peux y aller seule… …même si je préférerais que tu viennes avec moi et qu’on aille jouer ensemble après… mais si tu m’accompagnes, est-ce que ça te dérange si on se dépêche ? Si on couuuurt ?

« S’il y a un jardin, c’est sûrement la promenade panoramique qui contourne le Parc du Saule, mais mon formateur m’a mis en garde contre les Feuillajou qui s’y sont installés récemment. Ils ont tendance à enquiquiner les visit-

- Aah p’tain ces sales races de trisomique de singe de mes c★u*lles. »

Mon ouïe fine détecte la moindre mention de ces foutus Feuillajou. Ils m’en ont tellement fait baver la dernière fois que je peux pas m'empêcher de bisquer. Je crois que depuis, je suis réticente à revenir au parc — sauf si je recroise de jolies nanas comme celle que j’ai croisé. Je fais la grimace pendant qu’Ophélia me patpatte le mollet.

À mon tour, je chevauche la cloison avant d’être éblouie par le soleil. Je cligne des yeux en espérant mieux voir. Nous nous retrouvons dans un jardin sauvage où les herbes arrivent à ma taille. Il ne faudrait pas y perdre Astelle. Cette dernière me dit qu’elle aurait aimé traverser le Pont Caeli mais cela ne va pas être possible. J’essaie de le localiser dans ma tête mais je suis vite limitée par mes maigres connaissances. Je vois la zone mais je ne sais pas où l’on est par rapport à celle-ci. Je me contente alors d’acquiescer la demoiselle et de la chaperonner.

Je surveille mes bestioles pour pas qu’elles fassent de conneries. Il faut dire que le cadre s’y prête bien, il y a pleins de petits pokémons vulnérables et des fleurs à écraser. Je respire cette nature qui me rend zen. J’aurai bien re-fumé une clope mais faut pas que je déconne — c’est mon dernier paquet. Une promenade détox ne peut pas faire de mal.

Tandis que je batifole, mon amie affiche une mine boudeuse. Je me demande ce qui lui prend jusqu’à me rappeler du courrier. Elle ne l’a toujours pas rendu ! La jeune fille se tourne vers moi, un peu hésitante. Je hoche de la tête en la sollicitant de façon implicite. Astelle s’est également souvenue du colis : sa destination est aux abords de la ville et qu’il va falloir se bouger les fesses. J’approuve d’un regard déterminé ses dires avant de me racler la gorge.

« T’inquiète ça va l’faire, j’te suis. »

Je regarde mes compagnons en sortant mes pokéballs.

« PP j’veux pas qu’t’ai un AVC et Ophélia t’es trop une princesse pour courir dans la boue. Rentrez au chaud. »

Mon piaf a ragé mais il n’a même pas eu le temps d’en placer une qu’il a réintégré sa ball. Je n’ai pu m’empêcher de ricaner, ça me fait trop rire de la charrier. C’est ainsi que nous carapatons la ville afin de livrer une bonne fois pour tout cette lettre.

Mine de rien, le soleil d’Avril tape et mon endurance est limité comparé à mon acolyte. Je me dis qu’il serait temps que je me mette au petit footing du matin. Anna a raison, ça ne peut que me faire du bien. En attendant, je peine à respirer : mon souffle est saccadé et mon cœur tambourine comme un dingue, j’ai l’impression qu’il va lâcher. J’ai cette sensation horrible dans la bouche et cette gorge en feu qui capte toute mon attention. Il faut que je me raisonne et que je me concentre sur la tâche. Heureusement, une brise vient récompenser ma nuque trempée douce caresse. On y presque, courage !

Finalement, on arrive dans un coin un peu plus ombragé. J’ai eu du mal à m’arrêter tant je suis à fond dedans, j’aurai pu tomber dans un lac. Je sors ma bouteille d’eau pour la vider, ne manquant pas de m’étouffer. Il aurait fallu que je me remettre du marathon avant de me jeter dessus. Désaltérée, je reviens vers Astelle en contemplant les lieux. Le bâtiment est super grand : c’est pas une maison de retraite pour vieux riches ? Distraite, je me cogne à la demoiselle. J’ai eu le réflexe de la maintenir.

« Ha ! Excuse moi. »

Je me redresse en faisant face à la bâtisse.

« C’est donc ici ? »