Je poursuis la visite. Je n’ai plus aucun intérêt à mater ces horribles peintures, mon unique objectif est de retrouver Astelle. À chaque fois que je pénètre une salle, je l’appelle dans l’espoir d’une réponse. Rien y fait, c’est étrangement calme. Ce silence est tellement lourd que je me mets à parler dans le vide.

« Azy’ là c’est quoi c’bordel c’est un prank ou quoi ? Eh les tafioles montrez-vous ! »

Je suis convaincue que le Fantominus n’est pas seul, il a des potes. On dirait pas mais j’ai les sens affûtés : j’entends les ricanements au loin et j’azimute les objets qui se mettent à trembloter à mon passage. Agacée de monologuer, je reprends mes appels. Pire, je fais un maximum de bruit possible, encore pire qu’un bambin qui joue avec des casseroles.

J’ai l’impression de tourner en rond, voir et revoir les mêmes pièces. Je commence à perdre patience mais Ophélia me donne un précieux conseil : la fermer. Je me tais un instant, en fermant les yeux. J’ouïs des pleurs étouffés provenant des profondeurs du manoir. Alors, je poursuis ces gémissements l’oreille bien tendue. PP fait exactement la même chose en écrasant son nez au sol. Je m’avance autant que faire se peut dans les profondeurs du bâtiment. Il doit forcément y avoir un sous-sol, même mon chien est convaincu. À force d’acharnement, nous tombons sur des escaliers au fond d'un corridor. Bingo, le son s’intensifie ! Je crie une nouvelle fois le nom de mon amie.

« Astelle, c’est toi ?? Oh non, tiens bon j’arrive ! »

L’entendre sangloter ne m’enthousiasme pas, c’est bien la dernière chose que je voudrais entendre. Snubbull aboie pour me signaler une présence. Je cours à toute vitesse dans les marches pour retrouver la postière.

Je retrouve cette dernière le minois tout barbouillé à m’en briser le cœur. Je me précipite vers elle comme une maman affolée.

« Astelle ! Tu n’as rien, t’es pas blessée ?! »

Je l’inspecte à tous les niveaux avant de la prendre dans mes bras. Perso’ quand je pleure comme ça,  une tendresse me suffit pour me consoler, j’espère la réconforter ainsi. Ophélia me pousse des cris pour m'alerter. En la rejoignant, j’aperçois un Spectrum figé dans un gros bloc de glace. Mes yeux s’illuminent lorsque j’imagine le brave Mini-Senpai secourir sa dresseuse. Je cherche le petit dragon du regard pour m’assurer qu’il soit sain et sauf. Rassurée, je vais m’occuper du spectre qui nous a fait des noises. Mais lorsque je jette une pokéball pour le capturer, celle-ci m’est directement renvoyé dans la tronche.

« Hein ? Même pas y’rentre dedans ? »

J’observe mon objet, un peu confuse. Cela voudrait dire que ce monstre appartient à quelqu’un ? Mais à qui ? Je m’en vais informer la brunette de ma découverte. Il faut qu’on sorte d’ici, je suis persuadée que tout cela est une supercherie et que l’on perd notre temps. Sans plus attendre, je chope – gentiment – le poignet d’Astelle avant de remonter les marches.

Lorsque nous sommes sorties, un bruit sourd me fait sursauter. Mon clebs grogne comme si il y a quelqu’un ici. Je soupire puis je déclare sur un ton agacé :

« Quoi encore ? »

Astelle était sous le choc.
Ses pensées confuses. Ses émotions chamboulées.
Même la présence de Mini-senpai – qui émettait de petits gargouillis rassurants – ne paraissait plus l’atteindre. Le chagrin avait pris le dessus. Ses sanglots entrecoupés résonnaient dans la cave inondée de vieux vin. Des sanglots toujours un peu plus faibles. Toujours un peu plus tristes.

Comme perdue dans le brouillard, Astelle ne réalisa pas tout de suite que Manon avait fait irruption auprès d’elle.
Stupéfiée, la petite postière la regardait sans réagir. Comme incapable d'enregistrer sa présence. C’est seulement en sentant les bras de la jeune femme se refermer autour d’elle qu’Astelle s’effondra doucement vers son amie, avant de lui répondre par une étreinte éperdue.
L’incident semblait l’avoir vidée de toute énergie. Ses petits bras menus, pratiquement sans forces, se resserrèrent maladroitement autour des côtes de Manon.
Lovée tout contre son amie, la jeune fille pleura avec abandon.  
— Pourquoi… est-ce que ça l’amuse de me faire pleurer… ? articula-t-elle d’une voix étouffée et entrecoupée de sanglots. Je le déteste… je le déteste…
Elle nicha son visage dévasté par les larmes au creux du cou de son amie, et se tint immobile un moment.

*

Quelques instants de réconfort plus tard, Astelle se relevait pour suivre son aînée. En somnambule.
Les deux amies quittèrent la cave en pataugeant dans le mauvais vin.
Tout ce temps, la jeune fille resta suspendue au bras de Manon comme un Dodoala s’accroche à son oreiller.

Elles rebroussèrent chemin, leur progression hantée par les grincements et les gémissements d’un énième tourmenteur spectral. Une ombre railleuse dansait sous leurs pas. Le mobilier grelottait. Les lumières clignotaient. Les portes s’ouvraient puis se refermaient par à-coups terribles. Les lèvres pincées, le visage enfoui au creux du bras de Manon, la petite postière supporta cette nouvelle épreuve sans un bruit.

Et de retour dans le hall d’entrée, le tourmenteur se manifesta.
Il émergea des lattes du plancher avec un sourire sinistre, les bras écartés : comme pour mettre ses victimes au défi de lui échapper. Une aura composée de vapeurs toxiques tourbillonnait autour de son corps spectral. Il riva ses yeux rouges sur les deux jeunes femmes, puis laissa sa longue langue pendante s’écouler de sa bouche. L'air goguenard.

Au moment d’apercevoir l’Ectoplasma, les sanglots d’Astelle cessèrent tout à fait.
Tapie derrière Manon, et ses doigts enfoncés dans le bras de celle-ci : ses yeux bordés de larmes brillaient d’une colère silencieuse.
Elle respira doucement, puis desserra légèrement son étreinte.

Je suis de très mauvais poil, il faut qu’on sorte d’ici au plus vite. J'aurai aimé griller une cigarette mais l'état de mon amie m'inquiète d'avantage. Astelle barbote – cette fois-ci – dans du vin et son visage est tout décomposé, hors de question de la laisser comme ça. Je n’ai pas osé lui demander ce qu’il s’est passé parce qu’il faut qu’on se tire avant. Qui sait, on est pas au bout de nos peines.

Sous nos pieds, une ombre se désynchronise des nôtres. Les objets environnants tremblent, les plombs sautent et les portes claquent avant d'accueillir de façon terrifiante le monstre. Je fais la gueule tandis que la brunette se réfugie dans le creux de mon bras. Je profite de cette promiscuité pour lui caresser la tête avant d’avancer.

Nous marchons silencieusement : l’une est muette et l’autre fait la gueule. Cette dernière c’est moi : sérieusement ce scénario est pire que celui du film Paranormal Activity, il n’y a rien de fun dans notre mésaventure. Au moins, on est plus intelligente que Ryan et Emily.

Nous retrouvons finalement le hall d’entrée. Mon visage s’illumine et ma main se pose dans le dos d’Astelle.

« Allez viens, j’te raccompagne à mon hôtel, ça te f’rai du bien une bonne do- »

Ce salopard de fantôme surgit du plancher venant perturber ma proposition. Il nous tire la langue d’un air moqueur et antipathique. Je montre les crocs, très agacée. Il pense pouvoir me faire peur, à moi ? Regardez ce gros déchet incapable de tenir sa ligne – quand je suis énervée j’ai les meilleurs arguments du monde –, il est tellement paumé qu’il a que ça à foutre d’emmerder des gamines perdues.

« … S’en prendre à plus faible que soi c’est facile hein ! Sale bâtard. »

Je décroche délicatement la stagiaire de mon épaule pour me rapprocher de l'ennemi. Je risque de crier et vomir des grossièretés, j'ai pas envie qu'Astelle en prenne pleins les oreilles. Mon chien est aux aguets, prêt à nous défendre. Ophélia a l’air moins emballé mais je compte sur elle pour geler ce tr•u du c*l. Je le lui fais bien comprendre avant d’envoyer PP au combat :

« PP NIQUE le avec Morsure ! Ophélia, j’veux qu’tu l’défonces avec Laser Glace. »

Pendant que mes pokémons se déchaînent sur Ectoplasma, je sors de mes gonds. Je me mets à lui insulter ‘‘ses grands-morts’’, à lui expliquer par a+b pourquoi son existence est un échec ou encore à critiquer son physique. J’aurai dû fumer ma clope. Ma rage s’amplifie et je l’attaque jusqu’à ce qu’il tombe inconscient.

Rigolant de plus belle aux insultes de Manon, le pokémon Spectre sautillait d'un pied sur l'autre avec la légèreté d'une plume.
Elle, n'avait pas peur... mais ce n'était pas le cas de sa jeune amie, recroquevillée dans son ombre.
L'effroi de la petite postière imprégnait l'air de sa saveur.

Manon n'aurait pas pu mieux tomber en critiquant sa ligne...
...puisque langue à l'air, l'Ectoplasma festoyait.

Sur ordre de sa dresseuse, Snubbull s'élança avec Morsure ! Ses crocs s'enfoncèrent dans le bras de l'Ectoplasma, effaçant – l'espace d'une seconde – son sourire, pour le remplacer par une mimique agacée.
Même contre un pokémon plus faible, les Capacités du Type Ténèbres restaient difficiles à encaisser.
Le pokémolosse accroché au bras, Ectoplasma s'envola d'un bond. Concentrant sa douleur dans une attaque Représailles, il se réceptionna à l'envers sur le plafond pour faire claquer le Snubbull contre le lustre qui y était accroché. La violence du choc fit grincer les fixations métalliques.
Avec un couinement de douleur, le pokémolosse lâcha prise, et se retrouva coincé là-haut, à voir trente-six chandelles.  

Ricanant d'un air mauvais, le Spectre se laissa mollement retomber.
Il profitait de sa chute pour diriger son regard injecté de sang sur un adversaire après l'autre.
Se demandant à quelle sauce il allait les manger...
Tiplouf. Manon. Astelle.
Il avait déjà décidé de se garder le dessert pour la fin.

Le Laser Glace soudain le prit par surprise. La main dont il se protégea commença à geler. La glace recouvrit bientôt son flanc, et lui figea la langue.
Il s'agita dans les airs, il poussa des grognements. Ectoplasma parut brièvement s'inquiéter de la situation, puis concentra ses yeux rouges sur Ophélia.
La Tiplouf en pleine attaque croisa son regard, et sentit le maléfice opérer. Entrave.
Le Laser Glace cessa, laissant Ophélia complètement choquée et aphone.

Le Spectre était pris dans un demi-bloc de glace, mais il ne lui faudrait qu'un ou deux coups de Poing Ombre pour se libérer.
Conscient de sa supériorité et confiant, Ectoplasma concentra ses ténèbres...
...et reçut soudain un missile dans les fesses.

***

Observant le combat, Astelle ôta délicatement sa casquette (et le Minidraco qu'elle contenait) pour la tenir serrée contre sa poitrine. Par moments, l'Ectoplasma lui jetait de grands regards gourmands. Avec une expression... complètement dégoûtante.
C'était exactement comme l'autre... Il avait l'air de tellement de se réjouir de lui faire du mal.
Pourquoi...? C'était tellement méchant...

C'était tellement... Ses mains se crispèrent sur son couvre-chef. ...inadmissible.
La jeune fille se força à ravaler ses larmes. Elle n'en avait plus à leur donner. Un pli amer lui tordit les lèvres.
Enfouissant son visage dans sa casquette, elle murmura.
— Mini-senpai... si tu penses pouvoir le surprendre, lance Draco-Rage.

...parce que ce genre d'affreux pokémon...

...méritait une bonne correction !

— Bouffe çaaaa !
La Draco-Rage partit comme un véritable boulet de canon. Surprise par le contrecoup, et par le fait que Mini-senpai était trop petit pour gérer la violence de sa propre attaque, Astelle fut projetée sur les fesses.

— Ouille...

Secouant la tête pour reprendre ses esprits, et pour ne pas penser à son popotin, la jeune fille leva les yeux vers l'Ectoplasma. Avec un glapissement de douleur, celui-ci avait été catapulté dans les airs. Comme s'il venait de prendre un bon coup de pied dans le derrière. Et toc ! Elle ne serait pas la seule à avoir le fessier en compote ! Astelle esquissa un petit sourire canaille.
— Encore une fois, Mini-senpai ! cria-t-elle en brandissant sa casquette (et le Minidraco qu'elle contenait).
— Pyon ! répondit le petit dragon rose en se préparant à faire feu.
Elle le tenait comme s'il s'agissait d'une mini-batterie de missiles roses.

***

Pendant ce temps, l'inconnu du manoir...
...avait totalement raté le bon timing pour faire son entrée.

Depuis une porte entrouverte du grand hall, il épiait la scène en se rongeant les sangs.
S'il avait eu plus de courage, il aurait arrêté le combat aussitôt. Il se serait présenté, puis se serait excusé pour son erreur.
Mais... entendant le genre d'insultes que la plus grande des deux intruses assénait à Ectoplasma, il n'était pas vraiment sûr de survivre à sa punition...
Du coup, désormais...

...il espérait de tout son cœur que les deux jeunes filles allaient saisir la première occasion de s'enfuir.
Qu'il n'aurait pas d'explications à donner. Ou de comptes à rendre.
Bref, c'était la célèbre Tactique de la Pokéautruche.
Qui consiste à nier assez fort vos problèmes, jusqu'à ce qu'ils disparaissent ! Ou jusqu'à ce qu'ils vous retombent finalement sur le coin de la gueule. Méchamment.

Mon chien s’acharne sur le monstre. Il y met du sien mais j’ai l’impression que l’offensive chatouille davantage que n’inflige de dégât. C’est alors que l’Ectoplasma bondit jusqu’au plafond pour coincer mon clebs dans le chandelier mural. Son cri de douleur m’arrache le cœur. Les yeux mouillés, je hurle :

« Non mon toutou !!! »

Le pokémon sadique jubile devant son œuvre. Mon esprit est tel une cocotte minute prête à exploser. Je serre fort les dents avant d’envoyer Ophélia au combat. Cette dernière le gèle partiellement l’Ectoplasma à cause de sa riposte. Mon pauvre pingouin a été tellement sûr de lui qu’il se retrouve désemparer – tout comme moi. Le roublard s’est libéré de la glace et s’apprête à contre-attaquer. Alors que tout semble perdu, un miracle s’accomplit par un Kamehameha dans les fesses.

Je me tourne vers mon amie pour découvrir une nana prête à en découdre. Sans  pouvoir l’expliquer, je la trouve super jolie sous sa casquette. Probablement parce que la voir aussi remontée contraste avec son attitude. Sous la puissance de l’attaque, la jeune fille tombe par terre en se pétant probablement le coccyx. Cela n’arrête ni elle ni Mini-senpai qui porte le coup de grâce. Je les admire en me répétant à quel point je les trouve stylés. J'adorerai porter mon pokémon comme un fusil.

Après coup, je me précipite vers Astelle pour la relever et l’enlacer.

« Vous étiez trop cools Astelle, t’as géré ! »

Je la serre un peu plus contre moi, émue. La journée a été riche en émotion et j’ai besoin de ma dose de nicotine, maintenant. J’aurai aimé qu’on se rue vers la sortie mais un problème s’impose : PP est toujours bloqué dans le lustre. Il ne cesse de geindre pour qu’on lui porte secours.

« P’tain, *snif* ce gros c*nn•rd l’a coincé là-haut, je sais pas comment faire ...

- UAF :(

- T'en fais pas PP, maman va venir te chercher ! »

Je renifle, l’air tristounet. J’examine les alentours mais ma vision est complètement brouillée. Je n'ai aucune foutre idée de comment le sortir de ce pétrin. Impuissante, je ne fais que pousser des « p’tain, fais chier » en faisant les cent pas. Le pire, c’est que je crains le réveil du Pokémon Ombre.

Alors… Manon aussi avait eu peur…?
Le contraste entre son attitude, et les petites vulnérabilités qui n’étaient visibles qu’à présent que sa colère était un peu retombée, laissèrent Astelle doucement étonnée. Tendrement fière, également.
C’était comme si Manon s’était montrée courageuse pour deux, jusqu’à ce qu’elle-même trouve dans son cœur la force de se rebeller.
— Aiiiiiiie… mes fesses…! gémit Astelle face à l’étreinte soudaine de son amie.
Oui, le câlin l’avait secouée un peu. Et son popotin était encore très sensible. Cependant, elle ne se dégagea pas. Au contraire, elle referma gentiment ses bras dans le dos de son aînée, et lui caressa les cheveux.

Il n’y avait pas de raison qu’elle soit la seule à bénéficier de son réconfort. De forcer Manon à être forte pour deux plus longtemps. Du bout des doigts, Astelle lui effleura les pommettes. Comme pour y chasser les larmes naissantes. Néanmoins, entendant qu’elle avait été « cool », que Manon avait trouvé leur intervention utile : ses joues s’empourprèrent de plaisir.
— Ça va aller, Manon… murmura-t-elle, les yeux un peu brillants. On va trouver une solution pour le faire redescendre, d’accord ?

La jeune fille rattrapa maladroitement sa casquette, temporairement prise-au-piège dans leur gros câlin.
— Désolée… Mini-senpai. Tu dois avoir mal à la gorge… je te préparerais un grand bol de bouillon après ça… mais dis, est-ce que tu voudrais bien aider Pépé à descendre ?
Le petit dragon rose se tortilla avec détermination.

A coup de Laser Glace, Mini-senpai commença à élever une rampe, partant du sol vers le lustre. Le processus lui demanda un petit peu de temps, aussi Ophélia put-elle se joindre à ses efforts, une fois l’Entrave levée.

Ce n’était pas du grand art, mais en rajoutant une couche sur les rebords pour lui servir de garde-fou, PP eut le loisir de descendre le toboggan improvisé en glissant sur le ventre. Zouuuuu !

***

Couché dans l’escalier central, la langue déroulée comme un tapis rouge sur les marches, Ectoplasma étudiait la situation. Non, il n’était pas K.O.
Dans un coin de la pièce, son dresseur efflanqué lui faisait de grands signes, lui indiquant de rester au sol et de jouer la montre. Oui, c’était du chiqué.

Néanmoins… devait-il vraiment obéir ?
Périodiquement, le Spectre louchait en direction d’Astelle.
Pas vraiment parce qu’il s’intéressait à la jeune fille elle-même (non… elle était devenue beaucoup moins drôle à terroriser), mais plutôt parce qu’il ressentait la présence d’une énergie familière. Quelque part. Dans son sac.

En temps normal, il aurait dû feindre la défaite jusqu’à ce que les concurrents récupèrent leur prix, maiiiiis… ce n’était pas si souvent qu’on avait autant l’occasion de s’amuser. Ectoplasma eut un sourire mauvais. Il rouvrit soudainement les yeux, prêt à lancer une attaque Psyko. Du bout des doigts, il contrôla à distance la besace de la postière, et la fit venir à lui d'une traction psychique.

Poussant un éclat de rire sauvage, Ectoplasma agita le sac pour en vider le contenu. Une petite enveloppe de papier kraft tomba, qu’il déchira d’une torsion d'énergie Psy, révélant la gemme qui se trouvait à l’intérieur.

Pas étonnant qu’il se soit senti aussi grisé par ce combat.
Levant les bras au ciel dans un grand râle hilare, le Spectre libéra les pouvoirs de l’Ectoplasmite.

Les ombres jaillirent en vagues déferlantes. Lourdes et poisseuses.
Les bruits parurent plus ténus, et plus vibrants à la fois.
Dans l’air tendu et saturé de miasme, on pouvait entendre l’écho rapide des respirations.
La peur qui battait dans chaque poitrine.

Masse d’obscurité gluante, Méga-Ectoplasma se tourna lentement vers les deux amies.
Pour les gratifier de son meilleur sourire.
Et puis, il disparut.

***

— Ça suffit, Ectoplasma !
Les ténèbres refluèrent. Le Spectre disparut dans un éclair de lumière rouge.
Un type dégingandé se tenait debout, face à la rambarde du premier étage. Une pokéball à la main.
Il tourna le regard vers les deux jeunes filles, que la Méga-Evolution avait pétrifiées.

Oh bordel… Oh bordel… Oh bordel…
L’homme-mystère était dans la mouise.
Sous son impassibilité de façade, il n’en menait pas large.
Tout était de sa faute.

…mais… mais ça, les deux jeunes filles ne pouvaient pas le deviner, pas vrai ?
En se conduisant de la manière idoine… il devait être possible de noyer le Poissirène…

— Tchhtt… je me disais bien qu’il y avait quelque chose d’étrange, improvisa-t-il en adoptant un petit ton méprisant. Cette Ectoplasmite… c’est la livraison que j’attendais pour ce matin, afin de m’aider à nettoyer le manoir. A cause de votre retard, on a dû procéder sans vous.

Voilà. Bien insister pour leur faire comprendre que c’était de leur faute. De leur faute.

— Vous vous trouvez dans la nouvelle Maison du Mystère. Une attraction réservée aux dresseurs, mandatée par la préfecture de Sunyra. L’installation devrait ouvrir officiellement d’ici un mois ou deux… on devait m’envoyer un duo de dresseurs de niveau intermédiaire pour tester le programme de Chasse aux Fantômes.
A voir le fiasco, j’imagine que ce n’est pas vous.

En vérité, la mairie de Sunyra leur mettait une pression impossible, et les délais à tenir étaient suffocants. Le planning changeait d’un jour sur l’autre. Le programme était complètement chamboulé. Deux dresseurs-tests auraient effectivement dû venir… aujourd’hui. Ou demain. Ou la semaine prochaine. A ce stade-là, il s’en lavait les mains.

— Quand vous vous serez remises de vos émotions, rentrez chez vous, termina-t-il d’un air dur. …et estimez-vous heureuses que je ne dépose pas officiellement plainte à la Dracoposte.

Là-dessus, l’inconnu se retourna dans un bel effet de manteau.
Autant que possible, il dissimulait son sourire crispé.

Il… il avait réussi à donner le change, pas vrai ?
Elles allaient partir… et peut-être même qu’un peu honteuses… elles ne parleraient pas trop de cette histoire ?

Parce que… soyons clairs… si tout ça remontait aux oreilles de la Dracoposte, ou de la mairie.
Il était un homme mort. Il risquait la rupture de contrats. Des pénalités. Des dettes. Et une réputation abominable. Pour quelqu’un qui essayait d’ouvrir un business de divertissement si près d’Artiesta… c’était du suicide fiscal.

Raide comme un bout de bois, il commença maladroitement – et en feignant la nonchalance – à marcher en direction de la petite salle de repos aménagée au premier étage. Dans sa confusion, il avait même oublié de ramasser l’Ectoplasmite, restée sur une des marches de l’escalier. De toutes ses forces, il priait pour entendre la porte du manoir claquer. Que les deux jeunes filles ne le rattrapent pas pour exiger des explications.

Ô Arceus miséricordieux... écoute ma suppliiiiiique !

La Maison Mystère et ses deux employés.
Originaire de Johto : propose des défis d’exploration et de combat aux dresseurs.
Ne les laissez pas vous mystifier par leurs compétences en matière d'élevage pokémon. Côté personnalité, ce sont de vrais guignols.

Astelle me sauve la mise. À ma demande, elle interpelle poliment Mini-Senpai pour qu'il apporte son aide. Avec détermination, le petit dragon génère un rayon glacé, créant une rampe. Ophélia contribue immédiatement pour former un grand toboggan gelé. Je trouve l’idée absolument génial, j’envie presque PP qui va pouvoir glisser comme un petit fou. Ce dernier se dépatouille pour se libérer du lustre avant de se laisser porter par la pente. Je le réceptionne dans mes bras en tournant sur moi-même.

« PP !   »

Le toutou me lèche le menton et la joue, heureux de nous revoir. Je pousse un grand soupir de soulagement, convaincue que nous allons pouvoir partir.

Après l’avoir chaleureusement remerciée – PP aussi a voulu barbouiller son visage avec toute sa reconnaissance –, j’avertis mon amie notre départ. Au même moment, je zieute sa sacoche gigotant étrangement. C’est alors qu’un ricanement malveillant hérisse tous les poils de mon corps : l’Ectoplasma est toujours en vie.

Le petit sac devient magnétique, aspiré par l’énergie du monstre. Je l’attrape en vain. Le fantôme délivre du colis une gemme brillant de milles feux en sa présence. Je mire le regard horrifié la métamorphose du pokémon.

Ces jambes se désintègrent dans un fluide rougeâtre tandis que des bras et une queue poussent aux extrémités. Des pointes pourpres poussent sur son équine avant qu'un œil jaune au milieu de son front me fige sur place. C'est bien la première fois de ma vie que je vois un pokémon au troisième stade évoluer de la sorte.

Je sors tant bien que mal de ma paralysie pour m’approcher d’Astelle. Je suis tentée à l’idée de l’étreindre et venir me nicher dans son cou mais ce n’est pas le rôle que j’ai choisis. Telle une brave chevalière, je me positionne devant elle pour la protéger.

« C-C’EST MORT TU F’RAS PAS DE MAL À ASTELLE. »

Mes loyaux compagnons rejoignent la première ligne, prêt à subir l’offensive du pokémon ombre. Lorsque ce dernier a réuni toute son énergie pour nous éliminer, je ferme les yeux prête à subir. Quand soudain …

« Ça suffit, Ectoplasma ! »

Le gros lard fantomatique se désintègre dans une lueur rouge. Je me tourne vers la voix pour découvrir un homme d’une trentaine d’année planté à l’étage.

« [...] Cette Ectoplasmite … c’est la livraison que j’attendais pour ce matin, afin de m’aider à nettoyer le manoir. A cause de votre retard, on a dû procéder sans vous. »

Je rêve où il vient de nous reprocher le retard ? Certes cela n’a pas été livré à l’heure mais est-ce que ça a valu la peine de se faire torturer par des gros tas toute l’après-midi ? Le monsieur répond de lui-même : il a attendu la venue de dresseurs confirmés afin de tester sa merde.

« À voir le fiasco, j’imagine que ce n’est pas vous. »

Mon œil tique ; mon poing et les dents se serrent pour contenir mes insultes. Ce sale bourge ose non seulement nous faire culpabiliser mais également nous rabaisser ? Je ne peux pas tolérer cela. Pourtant, aucun mot ne sort de ma bouche.

Le nanti fait demi-tour en se permettant de dire que l’on doit s’estimer heureuses qu’il aille pas chouiner à la Dracoposte. Je viens à peine d’intégrer toutes les informations sur la situation que ce lâche prend la fuite.

« … Tu permets ? » je m’adresse à Astelle, la cigarette à la main.

J’aurai dû fumer depuis longtemps. Ce fragile ne mérite aucune de considération de ma part. Je hais sincèrement la lâcheté et encore plus les individus qui rejettent la faute sur les autres. Je tire nerveusement sur ma barrette de nicotine avant d’exclamer haut et fort :

« Nan mais je rêve t’as vu ça Astelle ? Quel culot ! Ce mec c’est l’incarnation de la lâcheté. On s’est mise en danger pour son colis de merde et tout ça pour qu’on se fasse envoyer ? Ça va pas se passer comme ça. »

Je dépose la cendre par terre en l’étalant sur le tapis, l’air taquin.

« Il mérite aucune excuse, AUCUNE. Il faut qu’on rédige un rapport, ou bien une plainte pour Mise en Danger de la Vie d’Autrui. Si il faut je t’aide, mais ça va pas se passer comme ça. »

Je me répète sous la colère. La journée a été très riche en émotion et cette scène a été le pompon. Je me calme vainement en fumant comme une locomotive. J’aperçois PP un peu plus loin faisant la tête-Popo : c’est la tronche qu’il a quand il a envie de chier. Je l’appelle d’une voix douce en lui montrant les escaliers. Le clebs doute sur mes intentions alors je le rassure pour qu’il fasse son œuvre. C’est ainsi que PP dépose une magnifique pêche sur les marches centrales. Je lui offre pleins de caresse pour le récompenser. Ok, je sais que c’est fortement immature de ma part mais j’ai besoin de décharger ma rage et mon impuissance en accomplissant ces actes. Je tire une dernière fois sur ma clope avant de l’écraser au sol.

« J’ai fini. Ça t’dis on s’casse ? J’veux plus jamais r’voir c’taudis. »

Je souffle mon dernier nuage de fumée. Je partirai uniquement lorsqu’Astelle sera prête. Peut-être qu’elle a envie de s’expliquer avec ce bobo, même si je suis convaincue que c’est inutile. Ce genre de personnes ne prendra jamais en considération ce qui est contradictoire avec sa manière de se percevoir. Pendant ce temps, je lorgne l'air meurtrier la porte par laquelle il est entré. J'aperçois seulement maintenant la petite pierre laissée sur l'escalier.

« T'as vu, c'cassos a même pas prit son objet ! »

J'attrape la gemme avant de la donner à la brunette.

« Tu devrais laisser un avis de passage et la ramener à la Dracoposte. » lui suggère-je avec un clin d’œil malicieux.

Livide et hagarde, elle ne pouvait qu'observer.
Ses jambes ne l'écoutaient plus.
Ses mains tremblaient, posées à plat sur le plancher.

Est-ce qu'elle était censée se relever ? Se dresser contre cette chose ?
Non, non...! Elle ne voulait pas voir Mini-senpai l'affronter...! Elle ne voulait pas que Manon s'en approche !

C'était trop.
...
Trop difficile. Trop effrayant. Trop oppressant.
Pour une jeune fille qui découvrait à peine son maigre courage.

« C-C’EST MORT TU F’RAS PAS DE MAL À ASTELLE. »

Comme chassée par le cri de bravoure de son amie, la menace s'évanouit.
Tout s'était passé si vite. Elle n'arrivait pas à réaliser.

Mais Astelle se souviendrait toujours de cette scène, jusque dans ses moindres détails.
La posture maladroite de Manon. Le timbre mal assuré de sa voix. Cette démonstration de courage...
...qui s'enracina tendrement dans son cœur.



*

Astelle n'avait plus la force de réfléchir, ou l'énergie de se rebeller. Les paroles du monsieur-louche glissèrent sur ses pensées comme de l'eau. Et de toute façon, elle était encore trop occupée à contempler Manon d'un air béat. Elle avait chassé le monstre en lui criant dessus...
Quand la jeune stagiaire reprit finalement ses esprits, l'inconnu s'était enfui, et son amie râlait énergiquement. D'une façon qui lui fit monter un petit sourire aux lèvres.
— ...voui. Je vais écrire un rapport... mais ça attendra demain, acquiesça-t-elle dans un tout petit filet de voix, léger comme la brise.

A genoux sur le plancher, la jeune fille ne se releva pas. Elle n'en était pas capable. Mais se concentrer sur la litanie de Manon l'aidait doucement à reprendre du poil de la bête. Comme si elle se ragaillardissait, petit à petit, de l'énergie que mettait son amie à rouspéter.
Elle fumait beaucoup. Astelle se demanda si c'était son moyen à elle de se rassurer.

A la maison, quand elle était trop nerveuse (comme avant son entretien de stage, par exemple), sa maman lui suggérait d'insuffler ses sentiments dans une calligraphie.
Tout en observant Manon, la jeune fille esquissa un caractère traditionnel* dans la poussière, du bout des doigts.

Après avoir mis de la cendre sur le tapis, son amie instigua Pépé à commettre son méfait. L'air un petit peu choquée, mais épiant la scène entre ses doigts, Astelle observa le pokéchien déposer un Cadeau Mystère sur les marches d'escalier.
— Oups... tu sais qu'il va s'attendre à ce que tu le félicites demain matin ? dit-elle avec un sourire espiègle, en ajoutant ses caresses à celles de Manon. Quand tu vas te réveiller et découvrir qu'il aura fait la même chose sur le tapis de ta chambre d'hôtel...?
Le pokéchien était déjà difficile à tenir, mais après cet incident, il risquait de prendre de très mauvaises habitudes. Son amie eut l'air de s'imaginer la scène, et Astelle pouffa doucement de rire en la voyant faire la grimace.

La cigarette terminée, et écrasée par terre, Manon semblait prête à repartir.
Astelle aussi, se sentait mieux.
« J’ai fini. Ça t’dis on s’casse ? J’veux plus jamais r’voir c’taudis. »
— ...oui. Allons-nous en.
Récupérant docilement l'Ectoplasmite, elle fit précisément ce que son amie lui suggérait. La petite postière extirpa de sa besace un avis de passage, qu'elle compléta de sa belle écriture, avant de le glisser sous la porte.
Le paquet stipulait bien que la livraison devait être accomplie en mains-propres. Puisque le supposé destinataire avait pris la poudre d'escampette en la voyant : c'était bien la seule option envisageable. Dans son état, elle n'aurait pas eu le courage de lui courir après ou de réclamer des explications de toute façon.
Petite postière zélée, il était plus que probable qu'elle se repenche sur toute cette histoire à tête reposée... mais pas aujourd'hui.

Elle passa les portes en compagnie de Manon, pour découvrir que le soleil se couchait sur la Zone Forestière.
— ...j'ai besoin d'une douche. Et de changer de vêtements. Et de dormir... murmura Astelle d'une voix atone, énonçant ses besoins, sans réellement donner l'impression de se plaindre.

Leurs pas résonnèrent sur l'herbe tendre. La canopée était habillée de feu.
A ce rythme de marche douce, elles n'atteindraient probablement pas Sunyra avant la tombée de la nuit.
— ...et de Manon, ajouta la jeune fille en attrapant le bras de son amie, après l'avoir incluse dans sa liste. Tu veux bien...? Même si je fais des cauchemars ?

*Merci !

PP est fier de lui, persuadé qu'il a fait sa bonne action de la journée. Astelle me prévient que cette mauvaise attitude que j'encourage risque de faire des ravages lorsque le clebs dormira avec moi. Mon visage blêmit et ma main cesse les caresses. Merde, elle a raison.

« A-ah ... euh ... Ouais, t'as pas tort. »

Je fouille dans mon esprit une excuse. Je ricane avec embarras.

« Au pire, t'façon il ira dormir dans sa pokéball. »

J'ai l'impression de reproduire le même schéma que ma mère. Cette dernière s'est toujours plains de jamais avoir assez de fric mais elle a cédé à chaque caprices de mes frères. Elle refuse leurs quémandes mais ils finissent toujours pas avoir ce qu'ils veulent. Par contre avec les filles, c'est autre chose : nous faut qu'on se démerde dans la vie pour avoir ce qu'on veut. J'éduque PP comme ma daronne a élevé Marc' et Fred'.

La brunette suit mon conseil avant que nous déguerpissons de cette piaule. Je siffle pour rameuter mes bestioles. Celles-ci ont l'air un peu sonné par cette journée d'Enfer, il est définitivement temps de rentrer.

Astelle me fait part de tous ses besoins, ce qui me fait comprendre que notre rancard s'achève. Je ne peux m'empêcher  d'afficher une petite moue, non impatiente de se quitter. Je cherche dans ma tête un prétexte pour repousser l'échéance jusqu'à ce que mon amie me suggère tout autre chose :

« ... et de Manon. Tu veux bien...? Même si je fais des cauchemars ? »

En me saisissant le bras avec ses petits yeux bruns, il est impossible de lui refuser ma chambre. Mes joues se mettent à rougir à cause de ces pensées lubriques qui me trottent à l'esprit : il faut dire que la dernière fois que je suis allée à l'hôtel avec une compagnie, ça n'a pas été pas pour jouer au Uno.

« Ah mais bien sûr ! T'es la bienv'nue chez moi ! Tu vas voir, tu vas être tell'ment bien qu't'auras oublié l'existence même de ces tocards. »

Je chasse mes fantasmes pour réfléchir à des idées de réconfort. J'ai la télé et de l'argent : de quoi mater un film sympa devant une grosse pizza.

« J'vais nous commander des pizzas ! J'ai la télé et y'a sûrement des jeux de société si on s'ennuie. On va s'mettre bien, n'en doute pas ♪ »

Je serre un peu plus ma pote contre moi toute euphorique. Les derniers rayons du soleil nous caresse le visage, de quoi pigmenter mes tâches de rousseurs et prendre une dose de vitamine. Nous passons notre balade en retraçant les éléments positifs de nos mésaventures. Quelque part en moi, j'ai trouvé ça chouette de passer autant de temps avec Astelle, rencontrer de nouveaux pokémons et entraînés mes compagnons. Ces derniers, bien que fatigués, ont l'air plus qu'excités à l'idée de manger aussi nombreux. En repensant à Mini-Senpai, je me souviens qu'Astelle lui a promit de lui faire un petit bouillon. Toute contente, je lui dis :

« Au fait, pour ton adorable Mini-Draco j'vais avoir c'qu'il faut pour un p'tit bouillon. J'dois avoir un sachet que'qu'part ou sinon je demanderai à l’accueil, ils ont sûrement ça. » j'esquisse un grand sourire.

Nous arrivons lorsque le soleil se couche sur les bâtiments. À l'entrée de l'hôtel, je demande à l'hôtesse où je peux avoir un bol chaud pour le serpent rose. Elle m'avertit que j'ai tout à disposition dans la chambre : une bouilloire ainsi que les ingrédients nécessaires. Une fois montée au troisième étage, j'invite mon amie à faire comme chez elle pendant que je commande la nourriture.

J'attrape un flyer sur ma table de nuit. Ce n'est pas la première fois que je mange des pizzas ici et ce restaurant est d'enfer : El Pizzadicolo. Leur mascotte Ludicolo est trop gentille, j'aime beaucoup y aller sur place pour qu'elle me fasse un gros câlin. Cela m'a permit de découvrir les spécialités de la maison qui sont à tomber ! Autant profiter pour notre envie de ce soir.

Avec nonchalance, je me vautre sur le lit en interpellant mon amie.

« Dis moi, qu'est-ce que t'as envie ? »

Je lui tends la carte avec de me placer sur le côté, la main maintenant ma tête. Comme si de rien n'est, je descends cette satanée jupe ayant tendance à remonter.

—  La pizza Paysanne, format Master Ball ! s’exclama Astelle.
Pour la fille du meunier de Kishika, c’était un choix logique.

Une serviette sur la tête, et habillée d’un pyjama trop grand emprunté à Manon, la jeune fille lança son popotin à l’assaut du lit. Véritable petit projectile rose, Astelle roula à demi sur son amie et la chahuta jusqu'à ce qu'elles se retrouvent toutes les deux vautrées en vrac sur les couvertures.
—  Astelle, lance Ligotage, maintenant !
C'est super efficace !

C'est seulement une fois que Manon cria grâce, prétextant devoir passer la commande pour les pizzas, que la petite postière interrompit sa terrible attaque. Sortie victorieuse de sa toute première bataille de polochons, la jeune fille arborait un petit air suffisant.

Non loin de là, sur la table de chevet, Mini-senpai trempait mollement dans son bol de bouillon. Le petit pokémon était épuisé après les événements de la journée, et après avoir bu deux fois son volume en soupe, il se laissa tomber en arrière pour émettre un petit « pyon ~ » satisfait. L’équivalent d’un gros rototo.

Avachie sur son amie, Astelle se tortilla pour rejoindre le pokémon et lui préparer un petit nid douillet avec un gros oreiller. Elle l'installa sur le polochon de la victoire.
—  Repose-toi bien, Mini-senpai… lui murmura-t-elle tendrement, caressant son museau du bout du doigt.
Il avait vraiment fait de gros efforts aujourd'hui, et en dépit de sa petite taille, sa force de volonté avait impressionnée la jeune stagiaire.

Lui ayant souhaité bonne nuit, la petite postière se retourna vers Manon avec le petit air du Flamiaou qui s'apprête à taquiner sa proie. Oui, elles n'en avaient pas terminées... fufufu...
—  ...on ne pourra pas faire trop de bruit mais... en attendant l'arrivée de la pizza : je veux faire ça !
Se dressant au-dessus de Manon, Astelle agita ses petits doigts avec malice.
—  ...j'en avais entendu parler, mais j'avais jamais eu l'occasion encore...
Ses yeux brillaient d'un éclat étrange.
—  ...tu veux bien, hein, dis ? Manon ?
Et oui... A présent qu'elles étaient seules, avec Mini-senpai qui dormait, et Ophélia et Pépé dans leurs pokéballs en attendant l'heure du dîner...
—  ...dis ouiiii, s'il-te-plaîiiit ?
C'était l'occasion rêvée pour... faire ça.

ça, ce que font forcément deux jeunes filles en voyage qui se retrouvent seules dans une chambre d'hôtel:

A l’arrivée de la pizza, Astelle dévora comme quatre, puis laissa à Ophélia l’opportunité de choisir le film de la soirée, en s'assurant toutefois qu'on ne réglait pas le volume trop fort pour ne pas déranger Mini-senpai (bien que celui-ci ait un vrai sommeil de petit bûcheron). La jeune fille se fixa pour objectif de fraterniser avec le poképingouin, la soudoyant avec de la pizza et d’autres friandises, voire en saisissant les moments les plus incongrus du film pour lancer des attaques concertées de Chatouilles sur Manon.  

Son amie se comporta comme une hôtesse cinq étoiles, et lui prêta également des vêtements pour qu’elle puisse aller au travail le lendemain matin. Sa tenue de postière, maculée de vin, resta à tremper dans l’évier toute la soirée. Bon, en raison de leurs différences de taille(s), les sous-vêtements flottaient tellement sur Astelle que celle-ci crut d’abord qu’il s’agissait d’une forme de harcèlement subtil. Plusieurs fois, elle exigea qu'on lui dise la vérité, et qu'on lui montre les vrais dessous.

Parce que c'était quand même la première fois qu'elle voyait des culottes-parachutes pareilles... Manon portait vraiment ça...?
Pour de vrai...? Bon, ben...
Réalisant que le monde était plus vaste qu'elle ne l'imaginait, c'est avec détermination que la jeune fille termina le bol de soupe de Mini-senpai.

En dépit de toutes ces bêtises : Astelle passa une soirée pleine de rires, dont elle se souviendrait longtemps.
Tout bien considéré, c'était la toute première fois qu'elle restait dormir chez une amie.

***

Plus tard, cette nuit...



Tu as peur ?
Tant mieux… c’est encore plus drôle…

La jeune fille se réveilla en sursaut. Elle bloqua de justesse le cri qui se précipitait dans sa gorge.
Les deux mains sur sa bouche, elle se recroquevilla. Respirant fort, dans la pénombre.

La petite forme obscure de Mini-senpai, était là, nichée dans l’angle de son coude.
Manon était étendue juste en face d’elle. Si proche qu’elle aurait pu lui toucher le nez, en avançant un petit peu la main.

Il n’y avait pas de raison d’avoir peur. Elle n’était pas toute seule.
Pourtant… elle avait l’impression de le voir apparaître dans un coin d’ombre.
Qu’il menaçait de surgir d’un repli d’obscurité, d’un instant à l’autre. La transformation du Méga-Ectoplasma pesait encore sur ses pensées.

A gestes précautionneux, Astelle se redressa à demi sur le lit.
Les poings serrés. Elle souffla quelque chose.

—  Même pas en rêve, tu f’ras pas d’mal à Manon !

Elle répéta ces mots, tout bas.
Dans la semi-pénombre de la petite chambre d'hôtel.

Comme pour s’entraîner.
Comme si en le répétant assez, ce petit coup de bluff, ce petit mensonge pouvait devenir vérité.
Comme si elle pouvait lentement s’en convaincre. Une nuit après l’autre, un cauchemar après l’autre.

Accumuler suffisamment de courage…
Pour la prochaine fois, se dresser face à la menace à son tour.
Pour être capable de le leur dire aussi. Même par réflexe. Même si c’était juste des paroles creuses.
Même si elle ne les prononçait que par la force de l'habitude.

...

Voilà ce dont elle avait besoin.
Pour la toute première fois, la jeune fille avait une image claire et précise de ce qu'elle désirait.
De la raison pour laquelle elle avait voulu partir. De ce qu'elle souhaitait obtenir.

Plus de courage.
Voilà ce que voulait Astelle Dumas.

Mon amie a grand-faim et j’aime ça ! À côté, je nous en prends une plus petite qu’on pourra tester. Je n'ai pas si gros appétit alors je préfère ne pas prendre le risque de gâcher.

« Ça te dit on s’la partage et je nous en prends une autre à côté pour qu’on goûte ? Sauf si tu veux la manger pour toi toute seule ! »

Dans ma famille, on partage tout. Le moindre grain de riz est réparti équitablement dans les assiettes et c’est tout le monde qui paye. C’est ainsi qu’à table, on marchande, on expérimente les plats des autres et j’en passe. J’ai tellement eu ces habitudes là qu’elles paraissent outrageantes pour certains : je me souviens au collège, une copine a eu la merveilleuse idée de mettre du fromage dans du pain. Depuis petite, on m’a sollicité pour que je goûte un maximum de choses, alors pour moi c’est bien vu de se montrer curieuse. Mais lorsque j’ai quémandé un croc, la fille s’est directement braquée en me disant : « Nan mais ça va pas ?! T’avais qu’à t’en prendre ». J’ai d’autres anecdotes du même style où les gens n’ont pas appréciés mes 50/50 et les ‘‘on goûte chez l’un et l’autre’’. Pourtant, je ne pars pas avec de mauvaises intentions, même : c’est une façon pour moi de créer une complicité avec quelqu’un, un terrain d’entente où on est sûre de se plaire. Dans tous les cas, je doute qu’Astelle soit de ce style-là, elle est si gentille. Même si elle refuse, je ne l'imagine pas se braquer juste pour une part de pizza. Et puis si elle veut en savoir plus sur moi, il faut connaître mon style de vie !

Toute enthousiaste, je réceptionne la demoiselle. Cette dernière vient de sortir de la douche et semble plus qu’excitée à l’idée de passer une soirée pyjama. Je ne peux m’empêcher de rigoler en la mirant dans mes grands vêtements. Ce n’est qu’à présent que je m’aperçois de nos différences de taille. Personnellement, j’aurai aimé avoir des petons comme elle, c’est beaucoup plus mignons et moins repoussant que des grands.

La brunette est espiègle, prête à me faire des malheurs. Oh non. Il ne faut qu’elle le sache.
Lorsqu’elle tente de m’attaquer, je me protège les côtes, le coussin sur le torse, avant de répliquer. On se chahute jusqu’à perdre notre respiration. La voyant s’approcher de la zone sensible, je dresse le drapeau blanc – sans vraiment l’avouer.

« A-attends, attends ! Faut qu’j’appelle la pizzeria si tu veux qu’on mange ! »

Je sèche ma larme de rire tout en tapant le numéro de téléphone. Je reprends mon souffle aussi vite que possible avant de passer commande. Je me redresse en caressant mon chien, roupillant sur le tapis. Aucune chance qu’il chie dans ma chambre tout de suite, il est bien trop fatigué de toutes ces aventures. Quant à Ophélia, elle doit sûrement abuser du pommeau de douche à l’heure qui est.

En raccrochant, je m’avachis de nouveau sur le lit. Je vois la petite Astelle s’approcher de moi telle une minette prédatrice. Je la regarde avec beaucoup de curiosité, jusqu’à ce qu’elle me monte dessus.

« ... je veux faire ça ! ... Tu veux bien, hein dis ? Manon ? »

La demoiselle me fait des avances. Tout homme aurait rougit à cet instant-là mais pas moi : je flippe d'avantage pour les guiliguilis que pour les sous-entendus presque érotiques. Mes yeux s’écarquillent de terreur et mes coudes se bloquent automatiquement contre mes côtes.

« ‘A-azy, qu’est-ce’tu veux m’faire là ? »

Mon invité se relève. Un silence lourd s’abat comme pour mettre du suspense. Je sais que lorsque je suis en position de faiblesse, les gens vont avoir tendance à me bombarder de guilis. Parce que oui : je suis très chatouilleuse. De façon inattendue, c’est le Uno qu’Astelle me propose. En relâchant ainsi la pression, j’éclate de rire.

« Eh ben vas y, on va y jouer ! Tu connais les règles ? »

À peine eu-je le temps de lui expliquer qu’on nous appelle à l’accueil. Les pizzas sont arrivés ! L’odeur de la bouffe chaude fait frétiller mes narines et saliver la bouche : c'est l'heure de manger ! Notre partie a été un peu interrompu, on a du mal à se remettre dedans puisque l’on parle beaucoup et qu’Ophélia passe son temps à nous mendier. Au moins, sa relation avec Astelle s’est nettement améliorée. Il faut dire que c’est facile d’avoir un monstre dans la poche quand on le nourrit.

Après le repas, nous matons comme des larves un film de série B dans le lit. Je n’ai pas eu beaucoup de choix mais au moins on pourra bien rigoler pendant le visionnage. À un moment, j’ai été tellement concentré à critiquer les acteurs qu’Astelle se jette sur moi pour m’assaillir de chatouilles. Je n’ai pu m’empêcher de rire à gorge déployer tant ses petits doigts traumatisent mes cotes. Après une session de torture, je grogne :

« Maiiis c’est pas juste de profiter des faiblesses des autres ! J’vais être claquée maintenant. » je ris comme à mon habitude pour détendre l’atmosphère déjà sereine.

Je la questionne sur ses endroits vulnérables aux chatouillis. Évidemment, je n’en saurai pas plus puisque c’est à moi de le découvrir. Il n’empêche que ces batailles m’ont claqués et mes yeux se ferment tout seuls. Je n’ai pas eu le temps de dire bonne nuit à mon amie que Morphée me kidnappe au pays des rêves.

C’est qu’au petit matin que je me réveille. Les cheveux en bataille, je remarque mon bras autour de la jeune fille. Je prends soin de ne pas la réveiller pour aller fumer à la fenêtre. Je contemple le soleil se hisser doucement derrière les bâtisses de la ville. Les gazouillis des piafs soulagent davantage mes tympans que ces bouchons de voiture à Volucité. À chacun de mes réveils, j’apprécie faire une introspection entre le Moi d’Avant et de Maintenant. Je note chaque sentiments et pensées qui me traverse l'esprit sur un petit calepin noir. J’ai pu observer un net changement dans ma façon d'écrire et de ressentir la vie. Au début de mon périple, j’ai eu tendance à être défaitiste, complètement paumée dans mon monde sans nulle part où aller. Mais plus les jours passent à Lumiris, plus j’ai l’impression que ma santé mentale s’est améliorée. Certes, je n’ai pas encore trouvé de but mais je sais déjà ce que j’aime et qu’est-ce qui me fait sentir bien. Jamais je n’aurai pensé qu'une amitié peut être aussi simple et sans prise de tête. J’ai toujours eu cette boule au ventre quand je suis avec mes anciens potes, de peur qu’ils me rejettent où qu’ils trouvent x raisons pour me critiquer. Avec la petite postière, j'ai l'impression d'être pleinement acceptée et considérée.

À ce propos, j’écrase mon mégot avant de la réveiller. Elle mérite pas de se réveiller en retard après la sale journée passée.